Le mode de vie, l’innovation sociale et technique, sont autant de sujets d’étude des Annales de la recherche urbaine sur les villes contemporaines en France et dans le monde. Les auteurs de ce numéro, consacré aux villes nouvelles, explicitent les objectifs visés par les projets d’aménagement urbains. La politique des villes nouvelles a certes été mise en œuvre pour absorber une part significative de la croissance démographique urbaine, et pour créer des zones d’activités économiques, mais la ville nouvelle devait être aussi un cadre de vie harmonieux, attractif et favoriser la mixité sociale.
Un modèle attractif.
Le concept de la ville nouvelle, à la fin des années 1960, ébauche un nouveau genre de vie urbaine. Les missions d’aménagement des villes nouvelles entendent répondre au malaise des grands ensembles et à l’isolement de l’habitat pavillonnaire. La ville nouvelle rompt avec le modèle traditionnel de la grande ville, pour lui substituer une ville qui se veut moins imposante et plus verte, constituée de petites unités urbaines séparées les unes des autres, entre lesquelles seraient maintenus terrains agricoles et zones d’espaces verts. De ce point de vue, la ville nouvelle visait bien une forme d’exemplarité en matière de qualité de vie. L’Isle-d’Abeau caractérise cet équilibre ville-nature : c’est une ville verte, « un urbanisme de campagne [1] ». Espaces verts, parcs et étangs ont parfaitement été intégrés dans l’organisation urbaine de la ville.
La volonté de créer un cadre de vie harmonieux et proche de la nature se retrouve lors de la réalisation de la ville nouvelle d’Alberstlund dans les années 1960. De même, le plan de développement du Grand Copenhague avait placé la maîtrise publique de l’urbanisation et l’équilibre ville-nature au centre de ses objectifs.
L’ambition des villes nouvelles était toutefois aussi d’ordre économique. Elles devaient être des bassins de recrutement, et créer des noyaux d’emplois aux profils économiques diversifiés. Les villes nouvelles franciliennes ont ainsi attiré une grande part des activités de service aux entreprises. Des activités de « commandement » ont même quitté les grandes métropoles au profit de certains sites bien desservis. Cependant, cet objectif économique des villes nouvelles s’est vite trouvé atténué par le manque de concentration d’emplois hautement qualifiés. Seule la ville de Saint-Quentin-en-Yvelines est parvenue à concentrer cette catégorie d’emplois. Les villes nouvelles françaises doivent aujourd’hui trouver les ressources de leur attractivité. Les universités sont évidemment un enjeu majeur pour leur développement. Celles-ci, par l’attractivité qu’elles suscitent, tant auprès des populations que des entreprises, par les réseaux qu’elles créent, sont en effet devenues un enjeu prioritaire des stratégies de développement des villes et des régions métropolitaines. Les universités des villes nouvelles ont su, à cet égard, attirer des étudiants.
Une mixité sociale ?
Favoriser la coexistence de catégories sociales distinctes était également un des objectifs de la création des villes nouvelles dans les années 1970. L’enjeu de la Mission d’études et d’aménagement de la vallée de la Marne s’appuyait ainsi sur la conception d’un habitat atténuant le plus possible les effets ségrégatifs. Le décor architectural ne devait pas désigner les logements des pauvres et ceux des riches. En choisissant la mixité de peuplement, les urbanistes s’inscrivaient dans une logique de modernisation de l’habitat. Les villes nouvelles devaient donc se distinguer du caractère habituellement ségrégatif des villes françaises. Néanmoins, les évolutions du peuplement depuis trente ans différent quelque peu des projets des concepteurs… Les catégories populaires occupent des quartiers structurés par un habitat collectif et à caractère social, tandis que les catégories plus aisées intègrent les secteurs les plus favorisés, avec un habitat pavillonnaire d’une qualité supérieure.
D’autres villes nouvelles hors de France connaissent cette même configuration. Dans la périphérie du Caire, dans les années 1980, la création des villes nouvelles apparaissait comme un projet urbain majeur. Comme en France, elles étaient destinées à la société dans son ensemble. Elles visaient également à « décongestionner » une capitale totalement asphyxiée. Mais aujourd’hui, la ghettoïsation s’accélère avec des quartiers réservés à une élite, formés de zones résidentielles fermées (Mena Town), et des quartiers constitués par un habitat dénué de tout confort réservés aux classes plus populaires (quartiers du Plateau du Muquattam).
Répondre à la demande de logements et à la saturation du centre historique était aussi l’objectif de l’ensemble Ali Mendjeli construit en périphérie de Constantine, en Algérie. Cette ville nouvelle avait l’ambition de créer un « pôle urbain doté d’un centre fort, structuré, attractif et créateur d’emplois, un cadre de vie décent ». Mais la réalité s’est vite écartée du projet initial : Ali Mendjeli n’est devenue qu’une simple extension de la ville-mère. L’absence de finition et de confort caractérise les logements livrés aux nouveaux résidants, pour la plupart en provenance des quartiers populaires de Constantine. C’est du « logement neuf en ruine [2] ». Les espaces extérieurs n’ont pas été aménagés, et les habitants évoluent dans un espace urbain dépourvu de la moindre qualité de vie.
L’harmonie du développement industriel et de l’habitat, et le respect de la nature étaient aussi l’objectif de la ville nouvelle de Riverside, dans la périphérie de Nankin en Chine. Mais la réalité diffère, là encore, du projet initial des urbanistes. L’absence d’une prise en compte de l’environnement, l’expropriation partielle d’activités agricoles locales et la faible qualité des logements livrés, contredisent, in fine, l’idéal des concepteurs de cette ville.
Au total, on voit que les réalisations sont restées — trop souvent — en deçà des espoirs des urbanistes, et que les objectifs des villes nouvelles en matière d’emploi, d’absorption du surplus démographique, ne répondent pas aux projets d’aménagement urbains. Nonobstant l’optimisme de certains auteurs, force est donc bien de s’interroger sur la « crise » (sinon l’échec latent), du concept même de ville nouvelle…
« Les visages de la ville nouvelle », Les Annales de la Recherche Urbaine (Puca, Ministère de l’Équipement), 2005. 208 pages. 25 euros.