Rue du Faubourg St-Antoine, à Paris, un matin vers 10 heures. Les balayeurs ont ouvert les vannes au bord de la chaussée. Une flaque s’est formée, les passants ont laissé les empreintes de leurs semelles sur le trottoir.
Image fixe d’un événement éphémère.
Instantané sur lequel on lit le mouvement du flux piétonnier.
L’usage d’un appareil photos quand on arpente la ville, peut rendre sensible aux détails révélateurs de l’urbanité. C’est ce qui m’est arrivé.
Depuis, je considère la surface des rues, des places et des trottoirs, de la voie publique, comme autant de feuilles blanches sur lesquelles s’écrit une calligraphie en perpétuelle transformation, comme une mémoire fugace de gestes quasi-picturaux : l’arabesque d’un balais, les traces des roues d’une poussette, une tache d’essence, les coulures du seau d’un nettoyeur, les éclaboussures après le passage d’une voiture, etc.
Cette calligraphie, trace de la « piétonitude » dans toute sa diversité, révèle la ville à sa façon. A travers ces traces, l’ordinaire des rythmes des individus comme de la collectivité se lit. Le citadin a tellement intégré ces d’automatismes aveuglants qu’il n’y prête plus aucune attention.
Sur cette image, on peut percevoir les rythmes parisiens dans leur singularité :
– Les nombreuses traces de pas témoignent du caractère des lieux : un quartier central d’habitation, de commerces et de travail. Elles disent aussi l’accumulation de comportements identiques (sortir de chez soi et se déplacer à pied sur les espaces publics) effectués aux mêmes heures.
– Le système de nettoiement de la voie publique basé sur des vannes dont de l’eau jaillit ne se retrouve aujourd’hui plus qu’à Paris. Les calligraphies qu’il rend possibles, dont celle fixée sur cette photographie, sont par conséquent signées du Paris du matin.
Anne Compagnon expose du 1er avril au 1er mai, une série de photos intitulée Les usures urbaines, à la librairie Le Genre Urbain, 29 rue de Tourtille, 75 020 Paris, métro Belleville. Tel : 01 44 62 27 49.