Véritable confrontation interdisciplinaire, cet ouvrage se veut une contribution à l’analyse du développement économique territorial et de l’action collective qui en accompagne le processus. Il se fonde sur quelques questions clés :
– Pourquoi certaines régions sont-elles « perdantes » alors même que leurs ressources semblent, à première vue, similaires à celles de régions dites « gagnantes » (ici le problème de l’efficience de l’allocation des ressources peut être posé) ?
– Qu’est-ce qui est attribuable aux mérites des acteurs et qu’est-ce qui découle du tissu social local ?
– Quelle est la place et l’impact de l’innovation ? L’innovation, confrontée au système social, provoque-t-elle une rupture ou bien au contraire permet-elle son amélioration après confrontation avec d’autres régions ou systèmes ?
Pour répondre à ces interrogations les contributeurs ont structuré leurs argumentaires en quatre parties : les deux premières se concentrent respectivement sur les qualités du territoire et sur l’articulation entre « secteurs » et territoire ; deux autres parties traitent des nouveaux outils de politiques publiques, d’une part, et de la coopération territoriale d’autre part. Chacune est étayée d’encadrés et d’exemples.
Au-delà de la seule croissance, les initiatives locales sont autant de leviers producteurs de développement socio-économique. Xavier Itçaina analyse ainsi le fonctionnement des coopératives ouvrières de production dans le Pays Basque français et montre comment elles contribuent à structurer l’espace public : leur rapport au territoire — fondamental —, témoigne d’un héritage idéologique et d’une volonté de dynamiser le développement économique endogène (on entend par endogène ce qui n’est pas connu a priori).
Cette analyse du territoire et sa mise en perspective avec le développement économique est également la démarche suivie par Benoît Lévesque pour le Québec, André Kayo-Sikombe pour le Cameroun, et par Jacques Palard pour le cas de la Beauce québécoise. Les auteurs montrent notamment que les traditions territoriales — au sens d’héritage de pratiques sociales —, constituent des atouts lorsqu’elles servent de base à une structure économique. Et ceci justement parce que les acteurs doivent également composer avec le marché et leurs concurrents directs ou indirects. Si l’héritage régional est trop rigide, il se heurtera aux forces concurrentielles. Dans cette perspective, l’État peut être un facilitateur : s’il est relativement en retrait au pays Basque et dans la Beauce québécoise (et ceci pour des raisons différentes), il joue en revanche un rôle prépondérant au Cameroun.
Nouveaux outils sectoriels.
Les acteurs locaux sont, quant à eux, régulièrement impliqués dans la mise en place des synergies de développement. Il y aurait alors, selon les auteurs, une tentative de faire émerger une gouvernance plus participative que réellement correctrice. Mais si les territoires mettent en relation les différents secteurs d’activité qui s’y retrouvent, les activités qui s’y enracinent finissent aussi par les spécifier. Cette réciprocité dans l’influence est d’autant plus d’actualité que nous vivons à une époque où les délocalisations se multiplient, où la mondialisation — et paradoxalement le rôle des régions — s’accentue et où enfin un mouvement de décentralisation tend à s’affirmer. Ainsi, Georges Benko décrypte la notion de territoire selon ses diverses dimensions et met en exergue trois idées principales pour rendre compte du territoire d’aujourd’hui :
– Le territoire n’est pas un « réceptacle » mais un « construit ».
– Il est devenu une figure centrale de l’aménagement des économies.
– Enfin, c’est la proximité géographique et institutionnelle qui prédomine actuellement.
Yves Dupuy, Jean-Pierre Gilly et Yannick Lung proposent, quant à eux, une approche méso-économique du rapport secteur-territoire. Il en découle trois formes de configuration : les territoires d’agglomération (la proximité est uniquement géographique), les territoires de spécialisation (la proximité est ici géographique et organisationnelle) et les territoires de spécification (la proximité est la plus aboutie en étant simultanément géographique, organisationnelle et institutionnelle). De leur côté, Olivier Costa, Jacques de Maillard et Andy Smith ont orienté leurs recherches sur le Conseil interprofessionnel des vins de Bordeaux — parfaite illustration d’une solidarité organisée par l’État, se distinguant non seulement du marché et de la hiérarchie mais aussi de la solidarité spontanée. Enfin, Annie Gouzien s’est penchée sur les systèmes artisanaux de la pêche maritime en Cornouaille. Sous la poussée des secteurs et du développement économique, les territoires évoluent, renaissent, se transforment. Et ce changement a également un impact sur la cohésion des acteurs autour d’un même héritage. Aussi, il semble important de déterminer de nouveaux outils — et cet ouvrage nous offre pas moins de quatre points de vue sur ces nouveaux outils. Yves-Alain Faure livre une analyse du lien décentralisation-développement économique au Brésil, mettant en lumière trois dynamiques fondamentales : la distribution du pouvoir étatique ; un double mouvement de décentralisation, idéologique et institutionnel ; et enfin le renfort des spécificités locales pour aider à l’insertion du tissu industriel. L’auteur relève toutefois un paradoxe pour le moins imprévu : si les élus locaux sont dotés de pouvoirs de grande ampleur, ils restent en retrait quant à leur implication dans le développement économique. Le pouvoir fédéral est, lui, au cœur du mécanisme. Les freins à l’exercice du pouvoir local seraient, nous dit Faure, le blocage des mécanismes de péréquation territorial ainsi qu’une « neutralisation » des capacités de réforme. Michel Grossatti et Laure Gayraud abordent la question de l’outil sectoriel par un autre mécanisme : le lien entre enseignement supérieur et développement local. Si l’enseignement supérieur est considéré comme un investissement à long-terme, l’aménagement du territoire représente dans ce domaine un enjeu plus fort qu’il n’y paraît. En ayant un impact sur l’attrait de l’environnement d’étude et donc sur la démographie estudiantine, l’aménagement du territoire jouerait un rôle direct sur la survie de l’offre de formation. Christophe Arpaillange, Bertrand Blancheton, Michel Favory et Michel-Alexis Montané s’attachent à la question de l’insertion par l’activité économique (iae).
Tout en décrivant cette success story, les auteurs nuancent cependant leur propos en soulignant le fait que les dispositifs de l’iae pourraient être exposés au risque du « localisme » en enfermant les bénéficiaires dans un micro-territoire. L’ouvrage se termine en proposant de nouveaux outils pour la coopération territoriale. Grâce aux études de cas réalisées par Sébastien Ségas et Bernard Pecqueur pour la France, Carlos Alba et Pascal Labazée pour le Mexique et Hakim Aïssaoui pour la Pologne, l’existence de dynamiques territoriales est remise au cœur même de l’organisation de l’économie globale. Ainsi, parce qu’elles sont ici saisies sous l’angle plus économique que politique, les tensions entre ces dynamiques reprennent leur place : au centre du plan joint entre modèle « producteur » de productivité et modèle « producteur » de qualité. De l’héritage à l’action, cet ouvrage ouvre de nouvelles perspectives pour un futur meilleur en s’appuyant à la fois sur le passé et sur le présent.
Xabier Itçaina, Jacques Palard et Sébastien Ségas, Régimes territoriaux et développement économique, coll. Espace et Territoires, Presses Universitaires de Rennes, 2007.