D’aucuns avaient annoncé la fin des quartiers et, par là, la fin des villes. Dans la triple perspective de l’explosion de la mobilité quotidienne, de l’ample mouvement de desserrement urbain et de la remise en cause d’une planification rigide fondée sur le zonage, l’espace urbain se reconfigurait, nous disait-on, sous la forme d’un vaste magma plus ou moins démembré, plus ou moins cohérent. Les ancrages locaux disparaissaient, l’homme moderne devenait ubiquiste. Conséquence pour l’analyste, la rassurante solidité des analyses statiques se délitait, en même temps que s’affirmaient les modes nouveaux de raisonnements réticulaires. Mais nulle annonce anticipatrice qui ne s’effrite devant l’autel des réalités : en fait de disparition, c’est bien plutôt à une nouvelle polysémie des termes que nous serions conviés, et à l’émergence de nouvelles articulations entre le proche et le lointain, le mobile et l’inerte, l’ouvert et le fermé.
Deux ouvrages s’inscrivent pleinement dans ce champ foisonnant, tous deux issus de séminaires de recherche visant à intégrer et à confronter des approches multidisciplinaires et internationales. Le premier (A), co-dirigé par J.Y. Authier, M.H. Bacqué et F. Guérin-Pace, adopte une posture novatrice et cherche à conceptualiser le quartier fait objet ; le second (B), co-dirigé par D. Giband et G. Lacquement, utilise le quartier sans le dire et y pose un regard centré sur la question scolaire. Croiser les deux ouvrages nécessitait donc de faire face à un déséquilibre certain entre un débat ciblé et un abordage plurithématique, mais procurait deux avantages indéniables, celui d’abord de la complémentarité thématique, l’école n’étant ― très curieusement ― pas abordée dans le collectif sur les quartiers ; celui ensuite d’un questionnement sur le quartier, qui n’apparaît qu’en filigrane dans La ville et ses marges scolaires.
Les approches multiples d’un concept absent.
C’est ainsi que seul le premier ouvrage (A) s’interroge sur la consistance du quartier comme objet. « Jamais clairement défini » (J.Y. Authier, Y Fijalkow et P. Philifert, A, p. 15), celui-ci n’en constitue pas moins une entrée couramment utilisée. Mais serait-il autre chose qu’une échelle, une unité d’observation ou pis : un mythe ? Construction savante et politique, le quartier possède un pouvoir sur l’imaginaire collectif, revenant paradoxalement (ou non) à la mode lors des politiques de rénovation des années 1960 et constituant une réaction anti-urbaine déjà visible au 19e siècle dans la cité-jardin d’Ebenezer Howard.
Les réponses à ces questions existentielles sont diffuses. D’abord, le quartier n’est spécifique à aucune discipline : il en traverse plusieurs selon des modalités et des questionnements variables. Simple unité d’observation du sociologue, il est la scène sur laquelle se déplacent ou s’immobilisent, selon leur « capacité à maîtriser les distances, à jouer sur plusieurs espaces » (Y. Grafmeyer, A, p. 27), les différents groupes sociaux. Le quartier-support se subordonne au mode de vie et aux caractéristiques socio-économiques du citadin hypermobile ou de l’assigné à résidence. Porteur d’un sens politique à l’échelon local pour le politiste, et ce malgré l’absence d’un statut électoral ou administratif propre, il cède volontiers la place aux notions de « local » et de « territoire », plus aisément assimilées aux découpages institutionnels (C. Neveu, A, p. 33). Son retour au premier plan s’effectue à la faveur de la transformation des pouvoirs locaux et aux revendications de la démocratie dite de proximité. Enfin, échelle-objet aux limites fluctuantes pour le géographe : c’est ce dernier qui s’est sans doute, certes tardivement, le plus et le mieux saisi de l’objet, l’interrogeant à la fois sur sa pertinence comme échelle d’action territoriale et sur son appropriation par ceux qui y vivent. Y recherchant un improbable « niveau de décision le plus adéquat » (A.L. Humain-Lamoure, A, p. 50), il dut s’en approprier les contours et le contenu, perçut les décalages entre territoires d’action et territoires à traiter, en déduisit l’importance des découpages et leur réception par les habitants. Il n’en devint pas pour autant le maître exclusif ― la polysémie du terme est sa caractéristique majeure.
Car, au-delà du monde scientifique, l’usage courant, médiatique et politique a fait du quartier une sorte de consensus flou dont les catégories sous-tendent l’idée d’une dualisation de la société. Les « quartiers » deviennent une « catégorie de l’action publique » (S. Tissot, A, p. 65) ou une communauté de proximité (Y. Fijalkow, A, p. 75). Lorsqu’ils sont pauvres, exclus, leur caractérisation fait d’eux des espaces homogènes et spécifiques, comme dans le cas des favelas (L. Valladares, A) ; lorsqu’ils sont embourgeoisés, inclus, ils s’érigent, mythifiés, contre les prétendues dérives d’un urbanisme globalisant perçu comme technocratique, voire autoritaire (S. Tissot, A). Dans les deux cas, les quartiers de la ville composent et réactivent des signifiés mettant en dysharmonie ― apparente ― la mobilité et les ancrages territoriaux : l’ubiquiste se réclame d’une sociabilité de proximité et valorise les héritages historiques, quitte à ne faire du rapport à la ville, selon S. Lehman-Frisch et G Capron (A, p. 126), qu’un rapport de consommation ; le moins mobile voudrait, déjà, et juste, bouger. La clé de compréhension décisive ne résiderait-elle pas, en fin de compte, dans la « transposabilité de l’ancrage local », déjà décrite par W. Whyte en 1957 (S. Lehman-Frisch et G. Capron, A, p. 126), c’est-à-dire dans l’indépendance des individus vis-à-vis des caractéristiques de l’espace et leur adaptabilité à n’importe quel lieu urbain ? Le quartier deviendrait alors un arrière-plan, une scène pour l’habitant et, souvent, pour le chercheur.
Précisément, la confrontation des deux ouvrages illustre bien cet énoncé : il n’a pas été question, lors du séminaire de Perpignan sur les questions scolaires, de se pencher sur la notion de quartier et de l’interroger en tant que catégorie à part de l’action publique. Seule prédominait l’idée selon laquelle il importait de rendre cohérents des dispositifs spatialisés, de taille variable et en cela indépendants du quartier perçu et vécu. Au-delà de cette correction des périmètres officiels, leur pertinence intrinsèque n’était pas questionnée, ni leur rapport à l’habitant ou à l’usager. La critique y apparaissait sous l’angle, quelque peu surprenant, d’une « discrimination positive » (N. Bouzarou, B, p. 7) dont les zonages d’intervention se feraient les chantres. Dans un tel contexte, seules la fuite et les ressources externes pouvaient composer des solutions pour l’individu, le quartier n’apparaissant jamais comme un espace-ressource, alors que cet aspect revêt un caractère central dans l’ouvrage co-dirigé par J.Y. Authier, M.H. Bacqué et S. Fol. Les oppositions binaires in/out, urbain/social, ici/ailleurs devenaient alors, malgré quelques mises en garde (J.L. Olive, B, p. 71), une ligne de force structurant le raisonnement, l’amélioration des politiques éducatives dans les « quartiers » passant nécessairement par des mesures exogènes, le modèle à atteindre étant toujours le même, celui d’un quartier socialement mixte et harmonieux.
La distinction simpliste opposant le quartier normal ou aisé au quartier en difficulté structure (de fait) un discours politique (P. Philifert, A, p. 88) largement relayé par les médias. Ce postulat est lui-même renforcé par la recherche scientifique qui s’intéresse soit, d’un côté, au « quartier-village » investi par les nouvelles classes moyennes, « cité harmonieuse retrouvée » (Y. Fijalkow, A, p. 75) fondée sur des modèles passéistes de communautés rurales, soit, de l’autre côté, au « quartier » (peu importe la désignation : pauvre, sensible, monofonctionnel, à problèmes) où se jouent des sociabilités plus traditionnelles et moins objectivées, et sur lequel doivent porter les principales mesures d’urgence. Or, les quartiers dans leur diversité forment en fait, écrit J.L. Olive (B, p. 71), une « ville en archipel », leur aspect monolithique relève du mythe ou de l’impensé. À leur diversité externe répondent, plus difficilement décelables en raison de contraintes touchant à la disponibilité des données statistiques, des différenciations micro-spatiales et contextuelles (M. Kokoreff, A, p. 246). Elles apparaissent, en particulier, lorsque sont convoquées les notions de quartier-ressource ou d’attachement au lieu et leur (r)apport respectif à la mobilité, centrées sur l’individu plus que sur l’espace et par conséquent non ancrées sur un espace précis. Les recherches menées sur la gentrification des quartiers anciens centraux montrent, justement, que ce processus revêt un aspect pluriel dans lequel des populations fragiles côtoient des cadres supérieurs en ascension sociale. La réciproque est vraie : on découvre seulement maintenant, en France, l’existence d’inner-cities, vieux quartiers centraux qui n’ont guère besoin d’être des grands ensembles pour se trouver en partie paupérisés (M. Blanc, B, p. 28).
L’image idéalisée du quartier contraste ainsi avec sa signification première, mise en avant par Y. Fijalkow (A) : elle profite d’abord aux classes dominantes. Ces dernières, à Paris comme à Bogotá ou à San Francisco, mettent en scène une sociabilité relevant selon J.Y. Authier d’une « néo-convivialité », marquée d’abord par une inscription locale restreinte à la scène commerçante. La profondeur historique ― volontiers artificielle à travers l’existence de « magasins d’antan » ―, la mixité sociale apparente et la sociabilité en fin de compte réticulaire sont les traits principaux de ces quartiers fondés sur de nouvelles pratiques de consommation (S. Lehman-Frisch, G. Capron, A, pp. 124-125), qui incitent à réinterroger le rapport du citadin à la ville en tant qu’espace et en tant que milieu de vie. Le quartier, abordé comme référence de l’habitant, apparaît alors plus comme un « bricolage », « un univers aux contours flous et fluctuants » (A, p. 103) que comme un tout exclusif, et doit être relié à la dilatation des espaces de vie et des réseaux relationnels plutôt qu’à un véritable ancrage local ― au sens premier et spatial du terme.
L’image du quartier en difficulté a quant à elle donné lieu à l’importation, parfois sans précaution, de théories nord-américaines fondées sur la notion d’effets de quartier. Elle a justifié des politiques publiques faisant de la mobilité résidentielle un déterminant majeur de l’amélioration du sort des plus fragiles (M.H. Bacqué, S. Fol, A, pp. 181-182) et de la diminution de l’échec scolaire (D. Giband, B, pp. 125-144). Or, le déménagement ne constitue nullement en soi, notent par exemple M.H. Bacqué et S. Fol (A, p. 189), une réponse aux difficultés d’accès à l’emploi. Logique de dispersion de la pauvreté, aide à la personne, banalisation de la dérogation à la carte scolaire ou mise en réseau (Réseaux d’Éducation Prioritaire) sont autant de dispositifs construits en contrepoint de ceux qui favorisaient la construction de logements sociaux ou le zonage des politiques publiques (Zones d’Éducation Prioritaire par exemple).
Tensions et contradictions de la démocratie locale : le quartier à l’épreuve de la ville.
Dès lors se pose la question de la pertinence du quartier comme échelle d’action : aide à la pierre ou aide à la personne, aide au territoire scolaire ou aide à l’individu ? Tout le débat sur la spatialisation de l’action publique ou sa généralisation dans le corps social, qu’évoquait Guy Burgel, ressurgit avec acuité. Maurice Blanc souligne qu’avec la transformation, en 1988, du Développement Social des Quartiers (DSQ) en Développement Social Urbain (DSU), le quartier a cessé d’être l’échelle pertinente aux yeux de l’administration centrale, et met le lecteur en garde contre la dilution de l’action dans des organismes urbains de taille trop importante (B, p. 29). D. Giband rappelle, à juste titre, que des stratégies de fuite, à l’aide des dérogations à la carte scolaire, existent et que le passage à l’aide à l’individu n’a rien amélioré dans les processus de ségrégation (B, p. 19). Le législateur se réapproprie pourtant le quartier dans les années 2000 avec la loi S.R.U., à la faveur de l’affirmation de la mixité sociale comme but à atteindre (P. Philifert, A, p. 94). Mais pour que le quartier soit pertinent, encore faudrait-il que ses découpages le soient et, à travers ceux-ci, la cohérence sectorielle des politiques publiques. Ainsi des périmètres de la rénovation urbaine et de ceux de l’éducation prioritaire, qui ne concordent pas : les Z.E.P. (Zone d’Éducation Prioritaire) débordaient déjà des Z.U.S. (Zone Urbaine Sensible) ; le P.N.R.U. (Programme National de Rénovation Urbaine) ne prend en compte que les secondes, oubliant les premières (D. Giband, B, p. 18).
La lecture des deux ouvrages invite finalement à se pencher sur la mise en tension du quartier par rapport à la ville : l’enchâssement des échelles en jeu déroule son(ses) histoire(s) et des configurations contradictoires voire conflictuelles qu’il convient de démêler, comme cela est souligné à plusieurs reprises (introductions de chapitres, A ; P. Carbasse, B, p. 102). Le quartier ne prend tout son sens que replacé dans l’ensemble urbain, d’abord parce qu’il résulte en grande partie d’une série de déterminants structurels qui trouvent leur source ailleurs que dans le quartier proprement dit, ensuite parce qu’il ne fonctionne pas en vase clos, relié à la ville à travers des flux d’entrée et de sortie, dont il faut repérer les modalités. Deux enjeux fondamentaux de la ville contemporaine peuvent être dégagés ici, qui interviennent avec force dans les deux publications.
D’abord, la mobilisation des ressources extérieures au quartier tient à la fois aux capacités des individus à s’en saisir et au degré de contrainte collective instituée par la société dans laquelle ils s’inscrivent. On perçoit aisément les étroites intrications qui se forment entre ces deux éléments. Les multiples dérogations à la carte scolaire maintes fois dénoncées (B) mettent en scène la capacité de l’individu à se jouer de la contrainte collective, tout en remettant en question l’ancrage strictement local de l’école (N. Bouzarou, B, pp 45-46). La géographie scolaire française, fondée sur le modèle républicain, rationaliste et universaliste, donne à voir, face aux modèles allemand et nord-américain centrés sur les groupes communautaires, un mode de régulation et de contrôle territorialisé (D. Giband, B, p. 20) auquel semblent pouvoir échapper soit les plus mobiles et les plus aptes à faire appel aux ressources extérieures, c’est-à-dire à maîtriser et revisiter la contrainte collective, soit ceux qui voient dans la régulation par le territoire un carcan illégitime. Les stratégies d’évitement, en matière éducative, sont ainsi le fait des ménages aisés et, dans une moindre mesure, des classes moyennes et d’une partie des populations défavorisées, mais ces dernières sont celles qui restent le plus dans leur quartier (N. Bouzarou, B, pp. 51-53). La remise en cause de la carte scolaire, par exemple, a conduit certains États nord-américains à sa refonte totale et à la mise en œuvre d’une logique de « coproduction éducative » et de « gouvernance scolaire » (D. Giband, B, p. 126). Ces modes de gestion sont à l’origine de nouveaux découpages liant l’espace institutionnalisé à celui de la communauté, avec toutefois une tendance accrue à l’enfermement communautaire et un coût financier à la hausse. Existe-t-il alors des contradictions spatiales salutaires, des décalages souhaitables entre principe d’égalité universelle et singularité des territoires ― des individus ? La réponse serait négative, à en juger par la conclusion que brosse G. Lacquement : évoquant le morcellement et la fragmentation de l’action publique, il dénonce l’absence d’efficacité de toute politique urbaine sur des zonages non superposés (B, p. 146).
Peut-être faut-il alors se tourner vers l’autre enjeu de taille, celui des conflits d’échelles qui se déploient entre acteurs du quartier et acteurs de l’ensemble urbain. Largement évoquée dans les deux ouvrages, l’émergence de la démocratie dite de proximité n’y fait pourtant pas l’objet d’une réflexion suffisamment vaste sur les dysfonctionnements qu’elle entraîne à travers des attitudes locales collectives empreintes de nimbysme ou plus généralement d’opposition face à ce qui est perçu comme de l’autoritarisme. Le remarquable article de F. Navez-Bouchanine (A, pp. 163-173) sur les villes marocaines met néanmoins en évidence l’horizontalisation des pouvoirs consécutive à l’entrée en scène des acteurs locaux, notamment associatifs, plus ou moins suivie par la population et en conflit parfois ouvert avec les autorités officielles, dans un contexte fortement centralisé où le quartier ne constitue aucunement un échelon d’intervention. Cela étant, l’apparition du quartier comme niveau de réflexion publique n’est perçue que comme s’érigeant à ses origines contre le « gigantisme des grands ensembles » ou « l’autoritarisme de la rénovation urbaine » (S. Tissot, A, p. 72), dans une perspective manichéenne mêlant des notions telles que globalité ou proximité. Si la démocratie participative trouve sa légitimité à l’échelle du quartier, comme l’énoncent J.Y. Authier, M.H. Bacqué et F. Guérin-Pace (A, p. 9), il est permis, et pour deux raisons principales, de se demander si elle ne la perd pas au-delà.
D’abord, il convient de souligner que la participation des habitants reste faible et fait peur aux gouvernements comme aux citoyens, dans la mesure où elle oppose un ensemble fragmenté de revendications locales à un système de représentations globalisantes, et parce qu’elle dérange à la fois des experts et élus qui craignent de perdre de leur pouvoir et des habitants qui préfèrent rester en retrait (M. Blanc, B, p. 31 ; F. Navez-Bouchanine, A, p. 166). Elle encourt notamment le risque, note G. Lacquement en conclusion (B, pp. 146-147), d’une « confiscation du pouvoir de décision et d’une perpétuation des mécanismes de ségrégation et de reproduction sociale ».
Ensuite, la multiplication des acteurs et l’affaissement des pouvoirs ajoutent encore, à l’empilement des dispositifs institutionnels et financiers, une perte de transparence et une complexité devant laquelle les habitants reculent. Ils alimentent en outre une contestation du pouvoir central et/ou municipal propre à ralentir les processus les plus essentiels. C’est ce qui a conduit, par exemple, le Maroc à modifier en 2002 la Charte communale (F. Navez-Bouchanine, A, p. 169) : le contrôle financier et politique à un échelon supérieur s’est alors traduit par une crainte des associations locales quant à leur poids sur l’échiquier politique en matière d’urbanisme. Une tendance comparable se fait jour en France en matière de rénovation urbaine : Robert Epstein (cité par D. Giband, B, p. 14) voit dans l’instauration du guichet unique (l’A.N.R.U.) le « glissement d’un mode négocié de gouvernement entre pouvoir central et pouvoir locaux à des procédures inédites de “gouvernement à distance” », qui n’élude pas pour autant la complexification des procédures et qui correspond là encore à de nouveaux modes de contrôle par le haut.
Un tel constat n’empêche pas les auteurs de l’ouvrage sur la Ville et ses marges scolaires d’être quasiment unanimes sur la voie à poursuivre en matière éducative : l’élargissement aux questions scolaires de la « démocratie de proximité », l’instauration d’une « gouvernance scolaire territoriale » (D. Giband, B, p. 12), la multiplication des interactions entre établissements scolaires et approches globales et institutionnelles (P. Carbasse, B, p. 102), le renforcement de la participation des acteurs locaux institutionnels et associatifs, voire la délégation de compétences (G. Lacquement, B, p. 146), proposeraient des conditions favorables à une meilleure politique éducative, à la condition toutefois de créer de vraies instances de concertation.
Aurions-nous affaire, selon le mot de Guy Di Méo (cité par A.L. Humain-Lamoure, A, p. 50), à ce « quartier-alibi » qui, mettant en scène les gagnants de la métropolisation, proposerait leurs échelles, modes de vie et références comme un idéal de société harmonieuse ? Las : si le quartier semble revêtir une certaine consistance à la lecture des deux ouvrages, son activation ou réactivation réussie en matière de politiques urbaines implique néanmoins de lourdes contradictions. La centration sur le local, la notion de mixité sociale, l’impossible netteté des découpages et leurs constants décalages d’avec les perceptions locales constituent autant d’entraves à une gestion efficiente et équitable du territoire. L’échelle à laquelle le quartier invite l’analyste l’oblige également à se pencher sur un niveau individuel (ressources, représentations, modes d’inscription spatiale) pouvant concourir à la perte d’une approche plus globale de l’espace urbain. C’est l’un des principaux enseignements des deux ouvrages : le quartier ne doit pas entrer en conflit avec la ville ― la civitas ― mais doit au contraire s’y engrener. Là réside un défi majeur de la ville contemporaine.
(A) Jean-Yves Authier, Marie-Hélène Bacqué, France Guérin-Pace (dir.), Le quartier : enjeux scientifiques, actions politiques et pratiques sociales, Paris, La Découverte, coll. « Recherches », 2007. (B) David Giband, Guillaume Lacquement (dir.), La ville et ses marges scolaires : retour d’expériences sur l’éducation prioritaire et la rénovation urbaine en France et à l’étranger, Perpignan, Presses universitaires de Perpignan, 2007.