La réflexion sur les modalités et les formes de pratiques spatiales – « dimension spatiale de l’activité d’un opérateur » (Lussault 2003, p. 740) et de co-présence des individus « polytopiques » (Stock 2006) dans des archipels métropolitains « polychroniques » – où les individus s’engagent dans plusieurs événements, situations ou relations en même temps (Hall 1984), est une question centrale pour les sociétés urbaines et les modes de pratiquer. Elle renvoie à la notion « d’habiter » le Monde, dimension géographique, expérience de soi et des autres (Lazzarotti 2014, p. 64), « mode de connaissance du monde » et « type de relations affectives loin d’une approche abstraite ou technocratique de l’espace » (Dardel 1952).
Elle intéresse plus particulièrement le secteur en recomposition permanente du tourisme (Urry 1995) et les pratiques en mouvement du « touriste » lui-même, par rapport au « résident » – terme plus restrictif que celui d’« habitant ». Elle concerne ce qu’il faut appeler la population « présente » à un moment « t », qui inclut les visiteurs occasionnels comme les touristes et exclut les personnes parties en déplacement (Terrier 2016). Si Paris se vide d’environ 700 000 personnes à la mi-août, des communes touristiques explosent littéralement et ont parfois du mal à faire face.
L’analyse des pratiques et conditions de la co-présence est rendue difficile par la porosité croissante entre espaces touristiques et espaces non-touristiques (Novy 2011) (Gravari-Barbas et Delaplace 2015), comportements touristiques et vie quotidienne, statuts de touristes et de résidents (Delaplace et Simon 2017). Dans les grandes métropoles, c’est toute la population présente qui serait potentiellement « touristique », selon les moments de la journée, de la semaine, de l’année ou de la vie, et cela induit un décloisonnement des politiques dites touristiques à l’égard des autres politiques urbaines (Terrier 2016) et l’émergence de politiques publiques temporelles, comme celles de la nuit (Gwiazdzinski 2005) (Gwiazdzinski 2007).
Si les frontières entre les activités et les statuts se brouillent, les conflits entre résidents et visiteurs – qui s’exacerbent dans certaines métropoles soumises à un afflux massif de touristes, comme Barcelone, Berlin ou Venise (Gravari-Barbas et Jacquot 2016). Les manifestations d’hostilité (rassemblement, slogans, graffitis…) largement relayées par les médias et des premières mesures de limitation – interrogent la durabilité de l’activité touristique elle-même (Butler 2006). Ils obligent à étudier plus précisément la manière dont les pratiques des individus s’inscrivent et se différencient ou non dans l’espace et les modalités de leur « co-présence », définie comme « la présence simultanée d’individus au même endroit sans nécessairement d’interactions en face à face les uns avec les autres » (Chandler et Munday 2011, p. 55).
Cette approche plus fine des pratiques spatiales de la population présente nécessite l’utilisation de nouveaux types de données et le déploiement de méthodologies et outils d’analyse adaptés. La recherche propose d’identifier et de caractériser les pratiques spatiales des « touristes » et « résidents » au sein d’un même territoire, en s’appuyant sur l’exploration de données (data mining) de comportements de consommation issues de réseaux sociaux numériques. Cette première approche centrée sur l’île de Xiamen, dans le sud de la Chine – pays où le tourisme est en forte progression –, utilise les données fournies par le réseau social chinois SINA Micro-blog pour appréhender les pratiques spatiales de consommation, esquisser une première géographie de la co-présence, anticiper des conflits potentiels liés et imaginer les futurs possibles en termes de politiques publiques et de recherches.
Contexte de complexité et de flou.
Les définitions classiques du tourisme, les approches traditionnelles du secteur et des activités liées et le type de données mobilisées pour les analyses ne permettent pas toujours de bien identifier les pratiques spatiales et les comportements des différentes populations qui cohabitent. L’exploitation de certaines informations disponibles sur les réseaux sociaux constitue une piste de recherche possible.
Hybridation, brouillage et flou.
Les frontières sont difficiles à établir dans l’extrême complexité des « mondes » contemporains au sens de Philippe Descola (2014), où « chaque individu compose un monde qui lui est propre, mais qui empiète en partie sur le monde d’autres individus ». La confusion entre les « mondes » des touristes et des résidents est sans doute plus forte encore dans les villes, où se concentre désormais une bonne partie de l’activité touristique, en hausse continuelle avec 373,9 millions de nuitées en Europe.
La diversification rapide des pratiques touristiques contribue à cette confusion : « Tourist gaze » (Urry 1995, p. 173), « tourisme hors des sentiers battus » (Maitland et Newman 2009) (Gravari-Barbas et Delaplace 2015), « tourisme alternatif » (Breton 2009) (Butler 1992) (Stephen 2004). On observe notamment une dé-différenciation des pratiques touristiques et des pratiques quotidiennes. Les comportements se mélangent et s’hybrident (Gwiazdzinski 2016) avec de plus en plus de pratiques quotidiennes touristiques (Liu, Hu et Gwiazdzinski 2017) et de parcours « ici et ailleurs » (Bourdeau 2013, p. 12) et vice-versa. Il existe un chevauchement de statut entre touristes et résidents dans les comportements de consommation et l’utilisation des services de tourisme et de loisirs. Une pratique géo-numérique comme le géo-catching – ce loisir qui consiste à utiliser le géopositionnement par satellite (GPS) pour rechercher ou dissimuler des « caches » disséminées à travers le monde – montre bien ce brouillage des frontières, où chacun participe à sa mesure à la mise en tourisme du territoire (Vidal et al. 2017).
Besoins et limites méthodologiques à dépasser.
Ce flou peut constituer une limite aux actions des acteurs touristiques et décideurs, représenter un obstacle aux adaptations de la profession et à son encadrement par les pouvoirs publics, limiter le développement économique local si l’institution intègre le tourisme comme une stratégie ou un moyen (Kadt 1979) (Sindiga 1999) (Komilis 1994) (Gwiazdzinski 2014) et limiter les possibilités de réflexion prospective. Il peut aussi constituer une limite en termes de développement durable : « Les gouvernements locaux devraient être plus responsables envers les citoyens locaux dont la vie et les communautés peuvent être affectées par le tourisme dans toutes ses manifestations positives et négatives » (Burns et Holden 1997, p. 47). Une connaissance fine des comportements de consommation des « touristes » permettrait un suivi de ces populations dans leurs rapports aux résidents et aux ressources locales, une gestion plus durable, exigée par les instances internationales – l’Organisation des Nations Unies (ONU) a proclamé l’année 2017 « Année internationale du tourisme durable » –, et l’anticipation des conflits d’usage.
Les méthodologies classiques ne permettent malheureusement pas une analyse fine et différenciée des usages et pratiques des différentes « populations présentes » (Terrier 2009) qui co-habitent, s’ignorent ou s’affrontent (Postma et Schmuecker 2017). Dans les métropoles « à plusieurs temps » (Mückenberger et Boulin 2002) – avec des individus, groupes, organisations et quartiers qui n’ont plus les mêmes horaires et rythmes de vie – où « croît l’intensité de la co-présence » (Levy 2003, p. 212) et émergent parfois les contradictions et les conflits (Delaplace et Simon 2017) entre résidents et touristes, les méthodologies classiques ne permettent pas de séparer ces usagers, ni de repérer leurs pratiques, différenciées à des fins d’analyse, de recherche de cohésion de la Cité, de gouvernance ou de développement de stratégies touristique, urbanistique ou de développement durable.
Choix techniques et géographiques.
Face à ces flous, hybridations, limites et besoins et compte tenu des enjeux en termes de co-habitation harmonieuse des populations présentes et de développement durable, nous proposons d’exploiter les données issues des réseaux sociaux numériques pour identifier les comportements des touristes et des résidents : pratiques de consommation, localisation des activités et coût des produits et services consommés. Ce sera l’occasion de mesurer le niveau d’hybridation des comportements et des espaces mis en évidence dans la littérature et d’imaginer des outils de gestion et de gouvernance adaptés.
Piste des technologies de l’information et de la géolocalisation.
Les nouvelles technologies de l’information et la géo-localisation, l’enregistrement en continu et le stockage des données numériques des individus mobiles rendent désormais possibles d’autres modèles d’observation, d’analyse et de représentations des « mondes en mouvement » (Drevon, Gwiazdzinski et Klein 2017, p. 16). L’exploitation de ces données peut permettre une approche ciblée des populations permanentes et temporaires et un renouvellement possible de la question de leur co-présence. Les traces individuelles fournies par les opérateurs de téléphonie mobile sont de bonnes sources d’information pour l’étude des populations présentes (Gwiazdzinski et Klein 2014), le suivi des mobilités (Gonzalez, Hidalgo et Barasi 2008) (Boffi et Colleoni 2014) ou le tourisme (Girardin et al. 2008). Elles présentent un potentiel suffisamment important pour que leur usage s’impose dans de nombreux domaines (marketing, recherche scientifique, urbanisme) et plus généralement dans toutes les activités qui exigent de connaître précisément un environnement (Beaude 2015).
Choix d’un réseau social numérique à forte composante spatiale.
Compte tenu de ces limites, nous proposons de développer une analyse des pratiques spatiales de consommation des individus qui s’appuie sur l’exploitation de données issues des réseaux sociaux numériques. Cette approche exige des données de qualité, accessibles au chercheur sur un type d’espace maîtrisable, et exploitées selon une méthodologie précise. Pour cette étude exploratoire, nous avons choisi d’utiliser les données d’un « réseau social à composante spatiale » (Phithakkitnukoon et Olivier 2011, p. 38), dans la suite des travaux pionniers sur la distribution géographique des activités sociales à Londres, Paris et New York, sur l’utilisation de tweets (França et al. 2015) ou de photographies d’Instagram (Zheng, Chen et Xu 2013) et de nos propres recherches sur les « nuits de Shanghai » (Hu, Gwiazdzinski et Wanggen 2016).
Pour la seconde fois (Hu, Gwiazdzinski et Wanggen 2016), nous avons choisi de travailler à partir de SINA Micro-blog, réseau social numérique chinois où ce sont les utilisateurs qui fournissent volontairement des informations. Ces personnes en situation postent des images et textes (que nous appelons posts) de leurs expériences quotidiennes sur le réseau – à partir d’une interface mobile (téléphone mobile, ordinateur…). Elles sont automatiquement géo-référencées (latitude et longitude) et visibles par tout le monde, sans obligation d’être membre. Ces posts contiennent nombre d’informations exploitables, comme les activités menées, les lieux fréquentés, les types de consommations, les prix, les émotions ressenties, les avis et opinions.
Le choix du réseau social numérique SINA Micro-blog pour l’étude du tourisme en Chine tient à de nombreuses raisons. Créé en 1994, il est passé de cinq millions d’inscrits fin 2009 à 360 millions en 2017, dont 79 millions d’utilisateurs très actifs, ce qui assure une base large d’informations et un maillage fin du territoire chinois. Le caractère public des « commentaires » permet un transfert et une exploitation aisée des informations. Les informations disponibles sont beaucoup plus riches que la seule trace individuelle GPS d’un téléphone portable : informations personnelles sur les usagers (figure 1), localisation dans l’espace et dans le temps et caractéristiques des services et des produits (prix, qualité, durée, images, etc.). Le réseau concerne naturellement des utilisateurs, touristes ou résidents de langue et de nationalité chinoise.
Terrain d’étude favorable à une échelle maîtrisable.
La recherche est centrée sur l’île de Xiamen (figure 2), station touristique du sud de la Chine choisie pour l’importance des flux touristiques existants et pour le grand nombre d’utilisateurs et de posts dans un périmètre relativement restreint. Sur l’année 2016, Xiamen, qui compte plus de trois millions d’habitants, a accueilli un nombre record de 67 701 600 touristes (Xiamen Municipal Tourism Development Commission 2017). Cette augmentation rapide et dans des proportions importantes crée naturellement des problèmes de cohabitation qui nécessitent une meilleure connaissance du comportement des touristes. Pour le chercheur, la co-présence « touriste-habitant » sur un espace insulaire aussi bien délimité que Xiamen facilite l’observation et la comparaison des pratiques entre les deux populations.
Approche méthodologique exploratoire.
La démarche s’organise en plusieurs étapes, à l’articulation entre « trace numérique et territoire » (Severo et Romele 2015) : collecte des données du réseau SINA Micro-blog, filtrage, localisation, caractérisation et comparaison.
Collecte et filtrage des données.
Les données brutes utilisées pour cette étude sont fournies par les développeurs de SINA Micro-blog à l’Institute of Smart City de Shanghai University (Chine). Les traitements statistiques ont été effectués sur des données collectées sur une période d’un an, du 1er février 2016 au 31 janvier 2017. Elles correspondent aux blogs postés pendant cette période sur l’île de Xiamen, avec des informations sur la nature des activités (lieux, temps, durées, prix, catégories, etc.), sur les usagers (âges, mobilités, etc.) et les consommations (boissons et plats dégustés, articles achetés, terrains utilisés, etc.). Les informations sont filtrées à partir d’algorithmes spécifiques et de mots clés préalablement déterminés, sur la base d’observations des pratiques et comportements communs de touristes et résidents, lors d’une immersion sur l’île en 2016. Chacune de ces données est ensuite attribuée aux résidents ou aux touristes en fonction des coordonnées géographiques associées à chaque post.
Enfin, les données des résidents et des touristes sont visualisées et cartographiés sous forme « d’agrégats fonctionnels » (Hu, Gwiazdzinski et Wanggen 2016, p. 201) – regroupements spatiaux de comportements individuels de consommation.
Pour effectuer ce traitement, une grille de mots clés a été élaborée et un algorithme a été adapté.
Catégorisation des activités à explorer.
À partir d’immersions préalables sur le terrain et d’observations in situ des pratiques de consommation, croisées avec des analyses des posts mis en ligne sur SINA Micro-blog, nous avons identifié des activités largement partagées par les résidents et les touristes (mots clés). Elles ont été regroupées en catégories, selon une approche de l’algorithme-cluster [1] déjà utilisée pour l’observation des activités économiques nocturnes au niveau infra-urbain (Hu, Gwiazdzinski et Wanggen 2016).
Six catégories de pratiques communes de consommation – payantes, pour faciliter l’approche technique – des touristes et des résidents ont été sélectionnées (tableau 1), excluant les activités spécifiques des touristes et des résidents et les activités gratuites trop diffuses sur la base d’observations préalables sur le terrain en 2016, comme lors de précédentes recherches (Hu, Gwiazdzinski et Wanggen 2016) sur la nuit à Shanghai.
Ces mots clés ont ensuite été utilisés pour explorer les données et extraire (« data mining ») les informations correspondant aux six catégories, à partir d’un algorithme spécifique construit avec les informaticiens de l’Institute of Smart City de Shanghai University.
Construction de l’algorithme.
L’algorithme informatique permet de retrouver les mots clés dans les données brutes postées.
Automatisant la recherche par des caractères de sous-ensemble, l’algorithme filtre les posts (figure 3) selon la méthode informatique dite de « l’analyse textuelle de la phrase » (Xue 2003) (Zheng, Chen et Xu 2013). Dans cette analyse (figure 3), les données brutes (commentaires postés dans les micro-blogs) sont transformées en mots. Chaque mot est étiqueté (Lafferty, McCallum et Pereira 2001) selon quatre caractéristiques, B, E, I, S, qui désignent respectivement « début », « extrémité », « intérieur » et « seul » . Les phrases sont réorganisées selon différents ordres possibles et l’on mesure la corrélation entre les posts et les mots clés précédemment identifiés. En fonction de ces résultats, les posts sont importés automatiquement dans la catégorie correspondant (table 2) avec les informations sur la localisation et le prix.
La longitude et la latitude permettent de localiser ces données sur la carte (figure 3). Grâce au calcul des distances entre chaque activité individuelle, en fonction des distances hiérarchisées selon une démarche déjà éprouvée (Wang et al. 2006), des « agrégats fonctionnels » (Hu, Gwiazdzinski et Wanggen 2016) – concentrations géographiques des activités – ont pu être mis en évidence à partir des pratiques des habitants et des touristes.
Identification des résidents et des touristes.
Chacune des données localisées est filtrée afin de déterminer si elle appartient à un individu « résident » ou à un « touriste ». Cette démarche d’identification est réalisée à partir des coordonnées géographiques cachées de quatre posts aléatoires, publiés pendant une année par un individu sur le réseau social numérique. Si plus de trois localisations géographiques corrélées à ces quatre posts sont situées dans l’île de Xiamen, la personne est considérée comme un « résident ». En revanche, la donnée liée à plus de trois commentaires localisés en dehors de l’île de Xiamen est considérée comme une pratique de « touriste ». Les données qui ne correspondent à aucun de ces traitements sont re-filtrées (avec quatre postes aléatoires) jusqu’à ce que l’on puisse les attribuer. Cette méthodologie a permis d’effectuer la séparation des profils d’utilisateurs entre « résidents » et « touristes ».
Les pratiques de résidents et de touristes peuvent être caractérisées selon deux méthodes de comparaisons croisées : les répartitions spatiales des deux populations et leurs structures de consommation respectives.
Limites à prendre en compte.
Malgré le nombre très important de données brutes mobilisées (plusieurs centaines de millions d’informations) sur une année, ainsi que la qualité et la diversité des informations (prix, qualité, durée, images, etc.) recueillies, il nous faut cependant signaler quelques limites inhérentes à l’utilisation de ce type de réseau : 1) Les informations utiles varient en fonction de la mobilisation variable des utilisateurs tout au long de l’année ; 2) Les utilisateurs sont plutôt jeunes (45,4% entre 18-25 ans ; 40,8% entre 26-35 ans ; 9,5% entre 36-50 ans), avec une majorité de femmes ; 3) On ne dispose pas d’informations sur la situation de l’utilisateur (en couple, accompagné…) ; et 4) Les informations postées dans une logique égocentrique, c’est-à-dire celles que les personnes veulent bien signaler, sont des informations licites qui excluent naturellement une partie de l’informel ou du transgressif (usage de drogues, prostitution…) et donnent une image plutôt « positive » de l’environnement valorisant et de l’auteur du post. Ces activités sont principalement des activités de consommation avec un coût, un prix indiqué. Malgré ces limites, les données disponibles doivent pouvoir nous fournir les moyens de l’identification (espace-temps) des activités et des pratiques de consommation des touristes et résidents.
Des espaces de pratiques contrastés.
La méthodologie a permis d’identifier 606 386 occurrences de consommations pour l’ensemble des résidents (61%) et des touristes (39%), sur 12 267 sites d’activité et pour un ensemble de plus de quarante millions de données brutes traitées dans cette étude.
Géographie des pratiques de l’ensemble des populations présentes.
Les 12 267 sites identifiés (figure 4) se concentrent principalement sur huit points et se diffusent progressivement vers l’extérieur : West Xianghe Road, Zhongshan Road, Xiahe Road, Hubin South Road, Huli Road, Xianyue Road, Honglian Road et Xinshan Road. La plupart des sites sont situés sur quatre quartiers articulés sur l’axe le plus fréquenté : West Xianghe Road, Xiahe Road, Xinshan Road et Xianyue Road.
Parmi ces 12 267 sites d’activité, 4 905 sont axés sur la « gastronomie » (restaurants, pâtisseries artistiques, salons de thé, cafés, salons de casse-croûte), avec 492 864 commentaires (sur les posts de micro-blog) évaluant la qualité des produits et des services ; 716 sites sont axés sur le « divertissement » (salons de jeux, billards, arcades, cinémas, parcs thématisés), avec 344 86 commentaires ; 1 151 sites pour la « formation » (salons d’art, formations, clubs de hobbies), avec 4 223 commentaires ; 2 804 sites pour des « festivals », avec 611 48 commentaires ; 1 523 sites pour le « shopping », avec 4 906 commentaires ; et 1 168 sites pour le « sport » (salons de fitness, clubs de jeux sportifs, endroits à jogging), avec 8 759 commentaires.
Géographie différenciée entre touristes et résidents.
Le traitement a permis de mettre en évidence une géographie différenciée des pratiques de consommation des résidents et des touristes.
359 725 pratiques de résidents (figure 5a) sont localisées sur les secteurs de West Xianghe Road, Xiahe Road, Huli Road, Xianyue Road, Honglian Road et Xinshan Road, sous forme d’agrégats d’activités différentes (Hu, Gwiazdzinski et Wanggen 2016).
Ces pôles sont situés en priorité dans des centres commerciaux et de loisirs, comme le Mall Lifestyle (SM Prime Holdings INC.), près de Xinshan Road (figure 6), qui offre une variété de restaurants de cuisine fine, de cinémas et théâtres thématisés, salons de beauté et magasins spécialisés de haut de gamme.
Le reste des pratiques est dispersé dans l’île, avec quelques concentrations (par exemple Jinzhong Road ou Yunding Road), mais avec une diversité moindre (par rapport à Xiahe Road ou West Xianghe Road), autour de restaurants, bars et salons de fitness ou de massage.
218 616 pratiques de consommation de « touristes » ont été identifiées et traitées, mettant en évidence des concentrations sur le secteur de Zhongshan Road (figure 7), à proximité des sites historiques et touristiques – Gulangyu, « les vieux canons », South Putuo Temple… –, sur Xiahe Road au centre de l’île, à l’aéroport et sur Huandao Road, centre international d’exposition (figure 5b). Des polarités secondaires sont localisées sur les secteurs de West Xianghe Road, Huli Road, Xianyue Road et Xinshan Road.
L’analyse macroscopique montre que les résidents et les touristes ne se retrouvent véritablement que sur deux sites principaux : la zone historique de Zhongshan Road et le centre commercial de Xiahe Road, au centre de l’île. En termes de pratiques, dans le premier site, historique, une majorité de touristes rencontre une minorité de résidents. Dans le second site, commercial, une majorité de résidents rencontre une minorité de touristes. Il faut noter que certains touristes « non conventionnels » déambulent en dehors des pôles d’attraction touristiques, sur les secteurs de West Xianghe Road, Huli Road, Xianyue Road et Xinshan Road, cherchant peut-être des expériences différentes d’un tourisme « institutionnalisé » (Cohen 1972). Les sites d’activités gratuites (plage, sentier) et les sites touristiques payants iconiques (patrimoine, monuments) ne sont pas sollicités ici.
Au-delà de ces premiers éléments portant sur les différences de comportement spatial entre les deux populations, d’autres données ont pu être exploitées.
Des structures de consommation différenciées.
12 267 sites d’activité, accueillant 147 316 occurrences de consommations pratiquées par l’ensemble des habitants et des touristes – et pour lesquelles nous disposons des prix –, ont été identifiés. Sur la base de la localisation de ces sites, nous avons caractérisé les niveaux de dépense pour chacun d’entre eux. D’autre part, nous avons cherché la différence de comportement de consommation entre les habitants et les touristes, selon les différentes activités.
Organisations spatio-économiques contrastées.
Les activités les plus chères (81-230 CNY par personne et pour une consommation) se trouvent sur West Xianghe Road, Xianyue Road et Xinshan Road, où l’on constate une forte présence de résidents. Les activités de niveau moyen en termes de prix (41-80 CNY par personnes par consommation) se trouvent sur des quartiers qui attirent plutôt les résidents, comme Xiahe Road et Huli Road, mais aussi sur des quartiers qui concentrent plutôt les touristes, comme le secteur historique de Zhongshan Road et le centre international d’exposition de Huandao Road. Les activités de faible dépense (4-40 CNY par personnes par consommation) sont dispersées dans toute l’île. La distribution est sensiblement la même pour chaque type d’activité, à l’image de la gastronomie (figure 6).
Cette illustration fournit plusieurs informations par une analyse combinée avec les cartes précédentes (figure 8). Les agrégats caractérisés par des pratiques « d’habitants » sont situés aux deux extrêmes des niveaux de dépenses, entre 4-10 CNY par personne et 81-230 CNY. Le pic supérieur des dépenses (81-230 CNY en moyenne) correspond aux centres commerciaux et de loisirs et aux secteurs analogues (West Xianghe Road, Xianyue Road et Xinshan Road). Le pic inférieur (intervalle de 4-10 CNY) confirme l’emplacement des activités banales (cf. la sous-section suivante).
En outre, les agrégats caractérisés par les pratiques des touristes présentent une dépense moyenne de 11 à 30 CNY et se situent aux emplacements les plus faciles à trouver et proches des secteurs de patrimoine historique.
Structures de consommation différenciées.
On note encore d’autres différences entre résidents et touristes en termes de consommation, de produits et services consommés et de niveaux de dépense.
Les structures de la consommation des résidents et des touristes ont été analysées à travers ces six types différents d’activités. Les deux profils présentent un taux important de dépenses alimentaires sur la totalité des consommations (figure 9a). Les résidents allouent une grande partie de leurs ressources aux activités de « divertissements », plus faibles dans la consommation des touristes. À l’opposé, le « shopping » joue un rôle important dans la consommation des touristes. Surpassant le sport, la formation est importante pour les résidents.
En termes de dépenses des résidents, on trouve un double pic, à 11-20 CNY et à 51-80 CNY par personne et par consommation. Si l’on rapporte spatialement ces informations, on peut voir que le premier pic (11-20 CNY) correspond aux localisations des activités répondant aux services et besoins quotidiens. Le second pic (51-80 CNY) est en lien avec les sites d’activités plus haut de gamme, comme le centre commercial et de loisir.
La consommation des touristes montre une supériorité de l’intervalle 21-30 CNY par personne et consommation, en partie liée à la localisation sur Zhongshan Road, où les prix sont élevés.
Les résidents ont des motifs de consommation plus diversifiés que les touristes et une pratique plus étalée de la ville grâce notamment à une bonne connaissance de toutes les activités présentes. Ils semblent éviter les lieux de tourisme, dont l’offre est spécialisée, avec des prix plus élevés. En revanche, la plupart des touristes, qui disposent d’informations souvent incomplètes sur l’offre, et des attentes plus ciblées ont des pratiques plus spécialisées et se concentrent sur quelques lieux.
Premiers apports et pistes d’exploration.
Cette première recherche exploratoire s’appuyant sur les données issues du réseau social numérique chinois SINA Micro-blog a bien permis de dépasser certaines difficultés d’analyse des populations « présentes » liées à la l’hybridation croissante des espaces, des temps et des comportements (Gwiazdzinski 2017).
Les sources d’informations utilisées et les très lourds traitements associés ont abouti à une première approche comparée des pratiques spatiales et des comportements de consommation des « résidents » et des « touristes » sur l’île de Xiamen (Chine). Elles ont mis en évidence des différences en termes de comportements spatiaux de consommation (localisation, nature, coût…) et quelques recoupements, intersections de mondes (Descola 2014), recouvrements d’espaces et lieux de co-présence effective. Ces premiers résultats permettent d’aborder la « co-habitation urbaine » comme une « créolisation », où les éléments hétérogènes mis en relation « s’intervalorisent » sans dégradation ou diminution de l’être, soit de l’intérieur, soit de l’extérieur, dans ce contact et dans ce mélange (Glissant 1997).
Cette approche exploratoire, qui fait émerger une première « géographie de la co-présence » (figure 5), permet d’imaginer une utilisation de ces travaux pour des politiques spécifiques de cohabitation harmonieuse entre populations, activités et quartiers différents dans les villes contemporaines, où l’on parle de plus en plus de « saturation touristique » et de mesures restrictives à l’égard des touristes – voire d’anticiper les conflits potentiels. Elle permet d’imaginer les contours d’un « chrono-urbanisme » et d’une « citoyenneté présentielle » (Gwiazdzinski 2007), qui associent en temps réel les habitants temporaires aux processus de débats et de décisions.
L’accessibilité des réseaux sociaux, le développement d’outils d’exploration de données (data mining) et la disponibilité d’informations « anonymisées » rendent désormais possibles les utilisations pluridisciplinaires pour la recherche et les activités opérationnelles (services, urbanisme, développement touristique…). Ils permettent à la fois d’imaginer une adaptation en temps réel des équipements et services urbains, une gouvernance partagée entre habitants permanents et temporaires et une réflexion plus prospective, à court et moyen terme, sur le passage possible de la co-présence à la co-habitation durable et harmonieuse entre populations différentes.
Ces recherches pluridisciplinaires pourront être approfondies dans trois directions principales, en fonction des données disponibles sur les réseaux sociaux numériques. La première consistera à intégrer la notion de temps – dimension longtemps négligée en géographie (Gwiazdzinski 2007) comme en économie (Vuaridel 1959) – et de rythme (Wunenberger 1992) et à adopter une approche « chronotopique » (Gwiazdzinski et Drevon 2017) et une rythmanalyse (Bachelard 1950) (Lefebvre 1992) qui prennent en compte le changement d’activité et de statut tout au long de la journée, de la semaine ou des saisons. La seconde voie permettra de préciser les comportements, ressentis et besoins des touristes à partir des commentaires postés sur les réseaux par les usagers eux-mêmes. Enfin, cette première approche comparée permet d’envisager le développement d’un axe de recherche sur le tourisme comme ensemble de comportements individuels d’auto-actualisation permanente de l’identité, à partir de l’étude du contenu des posts.
Au-delà de la seule question de la cohabitation entre touristes et résidents, les recherches sur la co-présence et les formes « d’habiter » la « ville malléable » (Gwiazdzinski 2007) gagneront à intégrer ces nouvelles méthodologies pour une approche plus fine des pratiques et comportements des individus « hypermodernes » (Lipovetsky 2004). Elles contribueront aux réflexions en cours sur la « ville intelligente » (Albino et al. 2015) et ses limites. Dans tous les cas, les résultats de cette première approche montrent l’intérêt de l’usage des données numériques dans le tourisme et en sciences humaines et sociales. Cette exploration est une invitation à la poursuite des recherches interdisciplinaires croisant informatique, géographie et aménagement.