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Résumé | Bibliographie | Notes

Sérendipité.

Parlez-vous développement durable ?

La rédaction d’EspacesTemps.net vous invite à lui proposer des articles entrant dans ce questionnement.

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Banaue, Philippines, 2006 (source : Jacques Lévy)

Banaue, Philippines, 2006 (source : Jacques Lévy)

La notion de « développement durable » est apparue dans la suite de réflexions sur l’« éco-développement » d’Ignacy Sachs et dans le sillage du rapport Brundtland (1987). Elle répond au projet de politiser le débat sur la nature, en faisant preuve de lucidité sur les questions environnementales mais en les reliant à de grandes questions politiques dans la perspective de créer des espaces de débat pour l’action publique. Cela se produit dans un contexte où les problèmes mondiaux commencent à apparaître comme irréductibles à d’autres niveaux d’échelle mais où pourtant il n’existe pas de sphère politique établie pour les traiter. Le noyau dur de cette innovation repose sur le projet de dépasser une contradiction apparente entre écologie et économie. En effet, la compatibilité entre croissance et protection de l’environnement est contestée par de nombreux points de vue, d’ailleurs parfois contradictoires entre eux. Le dispositif « Développement durable » consiste alors à énoncer que les deux termes peuvent être promus ensemble, mais ne prédéfinit pas les manières d’y parvenir, car il met en priorité l’accent sur les enjeux contenus dans les questions elles-mêmes. De fait, la contradiction pointée au départ peut ouvrir sur des problématiques variées selon la façon dont on définit chacun des deux termes, selon le poids relatif qu’on leur accorde et selon les caractéristiques d’un éventuel troisième terme, capable d’intégrer et de dépasser les deux premiers. En outre, dans sa dynamique, le « développement durable » a connu une extension vers d’autres « piliers » : équité sociale, mais aussi bonne gouvernance et diversité culturelle. Il est devenu un cadre souple pour discuter, sur le fond, de tous les grands problèmes de société qui se posent à des échelles supranationales.

Ainsi défini, le développement durable est un cadre de débat davantage qu’une prise de position dans ce débat. C’est plus un langage qu’un discours et c’est à ce titre que nous proposons de l’interroger.

Comment le monde de la recherche dans les sciences de l’environnement naturel et les sciences sociales a-t-il reçu et caractérisé cette notion ?

Le terme a été vu par certains comme un « pseudo-concept » ou une « langue de bois politiquement correcte » ou encore une « pure rhétorique ». Inversement ― mais la contradiction n’est peut-être qu’apparente ―, on a vu des chercheurs, des laboratoires, des facultés placer le terme au centre de leur dénominations et de leurs projets de recherche. Dans le premier cas, s’agit-il d’une attitude critique légitime de la part du monde de la recherche ? Dans le second, était-il justifié de considérer cette notion comme scientifiquement étayée et socialement pertinente ? Dans l’un comme dans l’autre, n’y a-t-il pas eu un malentendu quant à la nature du registre dans lequel s’inscrit et se déploie ce vocable ? Les sciences de l’environnement naturel et les ingénieries qui leurs sont liées (climatologie, géologie, hydrologie, biologie végétale et animale, biochimie, agronomie, écologie, etc.) ont-elles accepté de se comporter en groupes de pression et d’intervenir franchement sur la scène publique, en prenant appui sur les demandes d’expertise qui leur ont été adressées ? Inversement, les sciences sociales n’ont-elles pas, à l’exception de l’économie, refusé de « se compromettre » en s’impliquant dans des questions politiques vives ?

En quoi le développement durable modifie-t-il le paysage notionnel du débat public ?

Que sont le ou les contraires du développement durable ? Qui sont ses adversaires ? Assiste-t-on à un jeu opposant deux conceptions, le « productivisme » économiciste d’un côté, le développement durable de l’autre, ou plutôt à trois conceptions, avec la présence d’un courant environnementaliste radical, contestant l’idée même de développement ? Cette notion, mondiale dès sa construction, entretient-elle une concordance fondatrice avec le « développment local » et avec le renforcement des sociétés locales, dans l’esprit de la maxime « Think Global, Act Local », ou entre-t-elle au contraire en conflit avec un localisme conservateur stigmatisé par l’expression nimby [Not In My Back-Yard] ? Au-delà des apparences, y a-t-il eu un impact effectif du « paradigme » du développement durable dans les débats politiques et dans les politiques publiques ? Aux échelons nationaux, régionaux et locaux, ne s’agit-il pas d’une notion d’accompagnement qui résume et étiquette des représentations et des schèmes d’action qui seraient apparus en tout état de cause ? Aux niveaux continentaux et mondial, l’injonction à agir ne reste-t-elle pas à un niveau d’abstraction qui la coupe de systèmes effectifs de délibération ? Les « piliers » non environnementaux vont-ils prendre de l’importance faisant peu à peu du développement durable l’arène de débat public portant sur l’ensemble des enjeux de société ou, à l’inverse, sont-ils en train de disparaître, faute d’une mobilisation suffisante en leur faveur ?

Quel est le devenir du développement durable ?

Peut-on prédire que le cadre du débat va s’imposer toujours davantage pour la double raison de l’émergence de la conscience écologique et de la mondialisation ? …Ou au contraire faut-il s’attendre à son affaissement prochain du fait que l’angoisse climatique émergente tend à radicaliser les points de vue et que la scène politique mondiale peine à se construire ? La dimension participative du développement durable va-t-elle se développer parce qu’elle est cohérente avec le cadre cognitif de ses concepteurs ou va-t-elle au contraire avoir de la peine à s’imposer en raison du poids des experts et de résistances corporatistes en tout genre ? Que sera devenue la thématique et la problématique du développement durable dans dix ou dans vingt ans ? Quelle sera la durée de vie de cette notion, qui, comme d’autres, peuvent s’incorporer aux « socles » de la vie sociale ou, au contraire, se dissiper rapidement ?

Did you say sustainable development’

Translation: Karl Littlejohn.

EspacesTemps.net editorial board invites you to propose articles entering this questioning.

The notion of “sustainable development” appeared through the reflections of “eco-development” from Ignacy Sachs and within the passages of the Brundtland report (1987). This provides a response within the project to politicize the debate on nature by clearly illustrating environmental questions while referring to large political questions, with the perspective of creating spaces of debate for public action. This is produced within a context where global problems begin to appear as irreversible at different levels, but do not have an established political sphere to treat these issues. The principal core of this innovation relies on the project and its ability to surpass the apparent contradiction between ecology and economy. Indeed, the compatibility between growth and environmental protection is contested by numerous view points, at times contradictory amongst themselves. The concept “sustainable development” consists of affirming that the two terms can be promoted jointly, but do not predefine the means of attaining this, since it emphasizes on the issues contained within the questions. In fact, the previously highlighted contradiction can reveal other diverse issues, according to the way to define each of the two terms, their relative accorded importance, and the characteristics of a possible third term that is capable of integrating or exceeding the first two. Additionally, within its dynamic, “sustainable development” has witnessed an extension towards other “pillars”, such as social equity, good governance, and cultural diversity. Essentially, it has become a flexible framework for discussion of all the major societal problems present at supra-national levels.

Therefore, sustainable development is more of a framework rather than a standpoint within a debate. In other words, sustainable development is more of a language than a discourse. This is the subject that we wish to develop.

How has the research world of natural environmental and social sciences received and characterized this notion’

The term has been perceived by certain as a “pseudo-concept”, as “politically correct silence”, or even “pure rhetoric”. Conversely (although the contradiction may be clearly apparent), we have witnessed researchers, laboratories, and faculties place the term at the center of their denominations within their research projects. In the first case, is this a legitimate critical attitude from the research world? In the second, is it justified to consider this notion as scientifically supported and socially pertinent? In either aspect, is there a misinterpretation concerning the nature of the register accorded and deployed to this term? Have the natural environmental sciences and engineers attached to this concept (climatology, geology, hydrology, vegetable and animal biology, biochemistry, agronomy, ecology, etc.) accepted to comport themselves as interest groups and clearly intervene on the public scene, supported by their requested expertise addressed to them? Inversely, have social sciences, with the exception of economics, refused to compromise by implementing themselves within vivid political questions’

In what does sustainable development modify the notional landscape of public debate’

What contraries sustainable development? Who are its adversaries? Are we witnessing an opposing battle of two conceptions, economic “productivism” on one side and sustainable development on the other, or rather three conceptions with the presence of a radical environmentalist theory that essentially contests the idea of development? Does this notion, globalized since its construction, maintain a basic agreement with “local development” and the reinforcement of local societies to strive towards the idea of the maxim “Think Global, Act Local”, or rather in conflict with conservative localism stigmatized by the expression NIBY (Not In My Back-Yard)? Beyond appearances, has there been an effective impact of the “paradigm” of sustainable development in political debates and public policies? At national, regional, and local levels, is this not an accompanied notion that summarizes and classifies representations and action designs already present? At continental and global levels, does the injunction to act remain at an abstract level that cuts effective deliberation systems? Will non-environmental “pillars” become important by gradually making sustainable development the arena of public debate based on the overall issues of society? Or on the contrary, are they disappearing due to the lack of sufficient mobilization in their favor?

What will sustainable development become’

Can we state beforehand that the framework of debate will continually impose itself more because of the emergence of ecological conscience and globalization? Or on the contrary, must we expect its eventual weakness due to the emerging climatic distress that tens to radicalize viewpoints and the global political scene that has problems to develop? Will the participative dimension of sustainable development expand because of its coherence with the cognitive framework of its originators, or will it contrarily struggle to impose itself due to the strength of experts and other corporate resistance? What will the theme and issue of sustainable development become in ten or twenty years? What will be the duration of this notion, like others, that can either be incorporated within the “foundations” of social life, or contrarily fade rapidly away? The edition of EspacesTemps.net invites you to propose articles that aboard these issues.

¿Habla usted desarrollo sostenible’

Traducciòn : Marc Dumont.

El comité editorial de EspacesTemps.net invita a proponer articulos que entran en este interrogatorio.

La noción de «desarrollo sostenible» apareció a continuación de reflexiones sobre el «eco-desarrollo» de Ignacy Sachs y a las huellas del informe Brundtland (1987). Responde al proyecto de hacer político el debate sobre la naturaleza, mostrando lucidez sobre las cuestiones medioambientales y vinculándolas a grandes cuestiones políticas a fin de crear espacios de debate para la acción pública. Eso se produce en un contexto en que los problemas mundiales empiezan a aparecer como irreductibles en otros níveles, pero donde sin embargo no existe esfera política propia para tratarlos. El núcleo de dicha inovación descansa en el proyecto de superar una contradicción aparente entre ecología y economía. En efecto, varios puntos de vista ― por lo demás a veces contradictorios entre sí ― contestan la compatibilidad entre desarrollo y protección del medio ambiente. El dispositivo «desarrollo sostenible» consiste entonces en afirmar que los dos términos se pueden promover juntos, pero no define los modos de conseguirlo, porque subraya en prioridad las puestas que contienen las preguntas mismas. De hecho, la contradicción señalada al principio puede desembocar en diversas problemáticas según la definición de cada uno de ambos términos, según la importancia relativa que se les da, y según las características de un posible tercer término, capaz de integrar y de superar los dos primeros. Además, en su dinámica, el «desarrollo sostenible» ha conocido una extensión hacia otros «pilares» : equitad social, así como buena gobernanza y diversidad cultural. Se hizo un marco flexible para discutir, en el fondo, de todos los grandes problemas de sociedad que se plantean en níveles supranacionales.

Así definido, el desarrollo sostenible es un marco de debate más que una toma de posición en dicho debate. Es más un lenguage que un discurso, y es con este título que nos proponemos interrogarlo.

¿Cómo el mundo de la investigación en las ciencias del medio ambiente natural y las ciencias sociales han recibido y caracterizado esa noción’

Algunos han visto el término como un «seudo-concepto», o una «lengua de palo políticamente correcta», o aún una «pura retórica». Al contrario ― pero quizás la contradicción sólo está aparente ―, investigadores, laboratorios, universidades colocaron el término al centro de sus denominaciones y de sus proyectos de investigación. En el primer caso ¿se trata de una actidud crítica legítima por parte del mundo de la investigación ? En el segundo, ¿era justificado considerar que esa noción era científicamente sostenida y socialmente pertinente ? En un caso como en el otro, ¿no hubo un malentendido en cuanto a la naturaleza del registro en el cual se inclue y se desarrolla esa palabra ? ¿Las ciencias del medio ambiente natural y las ingenieras que se vinculan a ellas (climatología, geología, hidrología, biología vegetal y animal, bioquímica, agronomía, ecología, etc.) han aceptado actuar como grupos de presión e intervenir verdaderamente en la escena política, apoyándose en las pedidas de experticia que se les han dirigido ? Al contrario, ¿las ciencias sociales, excepto la economía, no se han negado en «comprometerse» al implicarse en las cuestiones políticas vivas?

¿En qué el desarrollo sostenible modifica el paisaje de las nociones del debate público’

¿Cuáles son el o los contrarios del desarrollo sostenible ? ¿Cuáles son sus adversarios ? ¿Se asiste en un juego que opone dos concepciones, el «productivismo» economicista por un lado, el desarrollo sostenible por otro, o más bien tres concepciones, con las presencia de una corriente medioambientalista radical, discutiendo la idea misma de desarrollo ? ¿Esa noción, mundial desde su construcción, tiene una concordancia fundadora con el «desarrollo local» y con el fortalecimiento de las sociedades locales, en la idea de la máxima «Think Global, Act Local» o, por lo contrario, entra en conflicto con un localismo conservador estigmatizado por la expresión nimby [Not In My Back-Yard] ? Más allá de las apariencias, ¿hubo un impacto efectivo del «paradigma» del desarrollo sostenible en los debates políticos y en las políticas públicas ? En níveles nacionales, regionales y locales, ¿no se trata de una noción de acompañamiento que resume y clasifica representaciones y esquemas de acción que de todas formas hubieran aparecido ? En níveles continental y mundial, ¿la exhortación para actuar no se queda en un nivel de abstracción que la separa de sistemas efectivos de deliberación ? ¿Los «pilares» no-medioambientales van a tomar importancia haciendo poco a poco del desarrollo sostenible el palenque de debate público sobre el conjunto de las puestas de sociedad o, por el contrario, están desapareciendo, por falta de una mobilización suficiente a favor de ellos ?

¿Cuál es el porvenir del desarrollo sostenible’

¿Se puede predecir que el marco del debate va imponiéndose siempre más por la doble razón de la emergencia de la conciencia ecológica y de la mundialización ? …O al contrario, ¿es de esperar su hundimiento próximo por el hecho de que la angustia climática emergente tiende a radicalizar los puntos de vista y que la escena política mundial tiene dificultad para construirse ? ¿La dimensión participativa del desarrollo sostenible se desarrollará porque resulta coherente con el marco cognitivo (el pensamiento) de los que lo han concebido o tendrá, por lo contrario, dificultad para imponerse a causa del peso de los expertos y de resistencias corporatistas de todo tipo ? ¿Qué serán el tema y la problemática del desarrollo sostenible dentro de diez o de veinte años ? ¿Cuánto tiempo durará esa noción, que, como otras, pueden incorporarse a los «fundamentos» de la vida social, o, al contrario, desaparecer pronto ?

Image : « Rizières de Banaue, », © Jacques Lévy, Philippines , 2006.

Résumé

La notion de « développement durable » est apparue dans la suite de réflexions sur l’« éco-développement » d’Ignacy Sachs et dans le sillage du rapport Brundtland (1987). Elle répond au projet de politiser le débat sur la nature, en faisant preuve de lucidité sur les questions environnementales mais en les reliant à de grandes ...

Bibliographie

Notes

Auteurs

Jacques Lévy

Professeur de géographie et d’aménagement de l’espace à l’École polytechnique fédérale de Lausanne, directeur du laboratoire Chôros et de l’Institut du développement territorial (Inter), il est aussi professeur à l’Institut d’études politiques de Paris. Il travaille sur la ville et l’urbanité, la géographie politique, l’Europe et la mondialisation, les théories de l’espace des sociétés, l’épistémologie de la géographie et des sciences sociales. Il a notamment publié Géographies du politique (dir.), 1991 ; Le monde : espaces et systèmes, 1992, avec Marie-Françoise Durand et Denis Retaillé ; L’espace légitime, 1994 ; Égogéographies, 1995 ; Le monde pour Cité, 1996 ; Europe : une géographie, 1997 ; Le tournant géographique, 1999 ; Logiques de l’espace, esprit des lieux (dir.), 2000, avec Michel Lussault ; From Geopolitics to Global Politics (ed.), 2001 ; Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés (dir.), 2003, avec Michel Lussault ; Les sens du mouvement (dir.), 2005, avec Sylvain Allemand et François Ascher. Il est co-directeur d’EspacesTemps.net.

Partenariat

Sérendipité.

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