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Résumé | Bibliographie | Notes

Sérendipité.

Obama et nous.

Deux ou trois choses que peuvent dire les sciences sociales sur l’élection présidentielle américaine.

Oui, nous pouvons…

Hervé Regnauld

Réagir à chaud dans un éditorial collectif à l’élection de B. Obama. Tout a été dit à ce sujet sauf ce qui nous intéresse en particulier à EspacesTemps.net : cet événement change-t-il aussi quelque chose à l’épistémologie des sciences de la société ? L’ensemble du comité de la revue s’est interrogé sur cette question apparemment un brin décalée. L’arrivée d’un tel personnage à la tête d’un tel État est, à l’évidence, l’objet d’une réflexion géopolitique, sociologique, historique… de grande ampleur. Ce nouvel objet va-t-il provoquer de nouvelles idées assez fortes pour que les sciences sociales en soient, elles aussi et en retour, changées ?

Nous proposons plusieurs lignes de pensées, qui traitent de l’impact en direct de l’élection sur des communautés locales, sur les votes et les stratégies d’habitations, sur les dates, les citoyens, les idées…

Ce nous, qui s’auto proclame auteur n’engage que nous, c’est à dire une vision partagée des sciences sociales… C’est une vision partagée qui n’est pas uniforme. Elle suscite dialogue et inter compréhension. Chaque texte est signé de son auteur mais c’est collectivement que nous avons suggéré pour chacun des nuances ou des modifications. Le « nous » n’est donc pas incompatible avec des signatures individuelles et ne signifie pas que « nous » pensons tous pareil, il signifie que « nous » sommes tous d’accord pour exprimer ces points de vues. Dès lors que ceci est précisé, le nous en question n’est pas un je fictif, pas davantage un moi collectif, c’est, dirait Deleuze, un agencement collectif d’énonciation, un système de multiplicités.

Ce « nous » qui nous justifie dans notre volonté d’explorer la dimension nouvelle que l’élection de B. Obama apporte à la pratique des sciences sociales cherche à signifier une réflexion collective et non normative… ce que EspacesTemps.net aspire à promouvoir depuis toujours.

Un index.

Véronique Mauron

Image1Un proverbe chinois raconte qu’un idiot regardait fixement le doigt tendu d’un ami lui indiquant la lune. L’index engage une trajectoire : comme la flèche, il pointe sur une cible, sur ce qu’il faut regarder. Il évite à l’œil de se tromper, de s’égarer, de regarder de travers. La gestuelle de Barack Obama, durant la campagne électorale, a révélé, entre autres, un jeu d’index. Quelques photographies trouvées sur le Web se focalisent sur ce geste.

[1].

Rien n’apparaît dès lors plus improbable que l’émergence d’une Politique du Monde. D’une véritable configuration mondiale, donc, qui soit non seulement dotée d’institutions à même de se coordonner en complémentarité avec les systèmes institutionnels étatiques et subétatiques permettant d’assurer l’organisation et la distribution de ses bien de société (justice, paix, citoyenneté…), mais aussi et surtout pensée et se pensant en tant que société politique fondée sur un « être-ensemble », et un « vouloir-être-ensemble ». Mais encore, également, caractérisée par la présence d’un espace de débat précédant l’institution de cette société-Monde, lui assurant sa vitalité, conflictuelle ou non, et contribuant donc pleinement à sa dynamique, sans impliquer l’hégémonie d’un programme démocratique particularisé comme cela a largement été le cas du messianisme américain de ces dernières années, avec ses nouvelles croisades afghanes, irakiennes voire coréennes (du Nord) ou encore iraniennes.

Derrière l’élection d’Obama, c’est très certainement la société-Monde qui s’est à nouveau donné rendez-vous. À travers l’expression de la « ferveur » ― que celle-ci soulève le sourire ou l’admiration ― c’est une immense aspiration embryonnaire et convalescente du Monde à « faire société » qui est à même de se réexprimer.

À l’aposiopèse des Twin Towers succédait, en août dernier, l’hypotypose de Berlin, quoique mesurée et réflexive, et désormais validée et acceptée par l’acte électoral.

Je voudrai rappeler le lien étroit que n’ont cessé d’établir au cours de leur histoire les sciences sociales, entre leurs théories, méthodes, objets, et les contextes historiques et idéologiques dans lesquels elles s’inscrivaient, pensant un Monde en transformation tout en contribuant à l’interpréter, à en asseoir également les dogmatiques au sens où l’entend l’historien du droit Pierre Legendre, c’est-à-dire à la fois de discours de fondation et d’architectonique de langage assurant la pérennisation de l’espèce.

En ce sens, les perspectives de futurs souhaitables, dont les horizons étaient devenus d’un coup aveugles laissent place à ce seul slogan : « Yes, we can ». Pour les sciences sociales, viser à se réemparer de ce programme, ce ne serait ni souscrire à des promesses évanescentes, ni adhérer de manière inconditionnelle à une futurologie démiurge, gageure dans l’air du temps, mais réaffirmer la créativité d’un agir, socle philosophique de la modernité des Lumières où elles trouvent une de leurs souches généalogiques, et dont les implications cognitives sur les théories de l’acteur sont saisissantes. En effet, comme trait à trait, les théories de l’action politique du Monde ont subi une métamorphose amère après le 11 Septembre 2001, certainement de l’ordre de celles qu’ont pu subir les différents intellectuels à l’origine du courant de la déconstruction dans les années d’après-guerre.

Et je voudrai encore rappeler tout ce que les horreurs du crime total, du meurtre de masse ont pu avoir comme influence sur le pessimisme radical qui a hanté les défenseurs des théories d’un individu agent, agi par les grandes structures, écrasé par « la masse » et le système. Croire aujourd’hui en l’acteur, et dans les individus acteurs du Monde, ce n’est pas seulement viser à renouveler un programme méthodologique, cognitif encore incertain. C’est aussi rejoindre sans fausse honte ni distanciation cynique cette aspiration balbutiante mais réelle à la refondation politique d’un Monde, engagée sans désillusion et avec lucidité sur les voies de son affirmation. L’élection d’Obama marquera-t-elle ce tournant ? Seuls ― mais cette fois moins solitaires que jamais ― les États-Unis et le Monde de demain y répondront : leurs philosophies politiques reste à tracer.

De Makeba à Obama et retour : instantanés de Saint-Denis.

Saskia Cousin

 

[Je dédie ce petit texte à la mémoire de mon ami gabonais Ben Bakary, lecteur de Sankara. À sa femme Halima, ivoirienne et à leurs enfants, français]

Myriam Makeba, dite Mama Africa, est morte d’une crise cardiaque le 9 novembre. Elle sortait d’un concert donné à Naples, en soutien à Roberto Saviano, l’auteur de Gomorra. A Naples où six immigrés africains et un Italien ont été assassinés en septembre dernier. Sa mort marque la fin d’une époque, l’élection d’Obama incarne la naissance d’une autre. En ceci, il représente une révolution des images, et, on l’espère sans trop oser le croire, une transformation de la réalité. Retour sur l’élection vue d’un petit bout de banlieue rouge.

Depuis quelques mois, les Tshirt et les badges Obama avaient commencé à fleurir un peu partout à Saint-Denis (93), tout spécialement dans les réunions et les manifestations de soutien aux sans papiers et/ ou aux sans logements. Les enfants métis sont affectueusement rebaptisés « obamini ».

La semaine précédant l’élection, l’excitation est à son comble, certains ne dorment plus, compulsant maladivement tous les sites, les vidéos et les sondages, repassant en boucle les débats. Le tout directement en anglais. Dans cette quête fébrile d’informations, la télévision semble avoir joué un rôle mineur par rapport à internet : chacun voulait voir et entendre le candidat s’exprimer directement, quitte à débattre longtemps sur le sens d’un mot ou d’une phrase. Obama est un formidable professeur d’anglais, mais aussi de science politique, chacun travaillant à comprendre le mode de fonctionnement du système électoral américain. À l’instar peut-être des débats autour du référundum sur le Traité de constitution européenne de 2005, l’élection américaine de 2008 aura été un grand moment d’apprentissage de la vie politique – américaine. On peut mettre en regard cet engouement pour la sociologie électorale américaine avec la totale indifférence que semble susciter le congrès du Parti Socialiste Français.

Le 4 novembre au soir, des groupes se forment pour partager la nuit électorale. Qu’il s’agisse d’aller dans Paris à différentes « nuits américaines », ou de se retrouver entre amis, le stress est à son comble. Toute la journée, les uns et les autres ont exprimé leur scepticisme et leur inquiétude : crainte de l’effet Bradley, suspicion de fraude électoral, mesure de la balance entre les états déterminants, voire peur d’un assassinat.

Une vingtaine de personnes se retrouvent pour la nuit au « 76 », rue Gabriel Péri, dans le plus ancien squat de Saint-Denis. 150 personnes y vivent, certaines installées depuis le début des années 2000. Le « 76 » est un lieu d’accueil connu jusqu’en côte d’Ivoire. Bien que les résidents y vivent sans eau depuis des années et se partagent souvent des garages sans fenêtre, il y a toujours un matelas pour les nouveaux migrants ou pour les expulsés d’Ile-de-France. C’est là notamment qu’a atterri Gaoussou, expulsé en juillet 2007 avec une quarantaine de personne qui campèrent près d’un an devant la mairie de Saint-Denis.

La soirée électorale a lieu chez Sekou Oumar Soy, dans son atelier de tailleur. Fils d’ancien combattant, né au Sénégal avant l’indépendance, Sékou a 54 ans et vit en France depuis 22 ans. Sans papier. Son atelier accueille régulièrement les réunions qui se multiplient depuis le début du mois d’octobre pour débattre d’un problème dramatique : une vingtaine d’enfants vivant au « 76 » sont gravement atteints de saturnisme. A une semaine de l’élection américaine, lors d’une réunion rassemblant une cinquantaine de personnes, on débat chez Sekou de ce qu’il faut faire. Des traitements ont été prescris, les familles vont être évacuées, mais les parents des enfants malades sans titre de séjour ne savent pas ce qui va leur arriver. Comment soigner leurs enfants sans logement et en vivant dans l’angoisse permanente d’une arrestation ?

Dans la salle enfumée où se pressent debout les résidents de l’immeuble, la télé est branchée sur CNN. Chaque fois qu’il est question d’Obama, les visages se tournent et les sourires reviennent sur les visages fatigués et angoissés des parents qui comprennent peu à peu la gravité de l’état de leurs enfants.

Pour trouver des solutions à la situation du « 76 », un collectif des habitants organise les réunions, prévoit les manifs, discute avec les pouvoirs locaux et la sous-préfecture. Ancien étudiant en droit, âgé de 36 ans, Vassindou Cissé est l’un des meneurs de cette lutte. Il a l’habitude. Dans les années 1990, il était responsable à la FESCI, l’association des étudiants et des scolaires de la Côte d’Ivoire [2]. Comme ailleurs en Afrique, les syndicats étudiants ont une grande influence sur la vie politique : ils sont l’antichambre du pouvoir. Mais lors du coup d’Etat manqué de 1999, Vassindou, comme d’autres, a dû fuir précipitamment alors que les exécutions sommaires se multipliaient. Titulaire d’un titre provisoire de séjour, membre de la section locale du Parti Communiste Français, et associé au conseil de développement de Plaine Commune, il possède la légitimité et la crédibilité nécessaire pour discuter avec les pouvoirs publics et défendre les sans-papiers du « 76 ». Comme beaucoup, il s’est passionné pour l’élection d’Obama et a veillé toute la nuit du 4 novembre chez Sékou. Oubliant la fatigue des métiers qu’ils additionnent pour survivre – gardiens, veilleurs, manœuvres – ils ont beaucoup discuté, beaucoup débattu autour d’un thé, entre hommes. « Obama, pour nous, c’est un symbole » m’explique-t-il. « Après tout ce que l’Homme Noir a vécu, après l’esclavage, après ce que représentait pour nous les USA… Lui dont le père est africain est devenu l’homme le plus puissant du monde ! C’est la preuve que le monde est en train de changer. Bien sûr cela ne va pas changer notre quotidien, mais ça va peut-être changer le regard des Occidentaux sur l’Africain, et aussi favoriser les unions mixtes, faire tomber les barrières ».

Toute la nuit du 4 novembre, les hommes ont zappé de chaînes en chaînes, revenant à CNN. Toute la nuit, ils ont eu peur : « jusqu’à 5 h, on n’y croyait pas. Et là, il y a eu l’Ohio. Là, on a crié, crié. On a oublié tous les gens qui dormaient, on criait ! »

L’élection d’Obama fait rêver Vassindou. Il voudrait continuer à faire de la politique. Non plus en Côte d’Ivoire, mais en France : « j’ai toujours voulu faire de la politique, mais là je me projette, je peux voir plus loin, je peux me préparer à une carrière politique pour demain ». Dans le même temps, il dit qu’il est conscient que la France n’est pas prête, que les partis, surtout, ne laissent aucune place à la diversité, parce que les poids lourds sont trop occupés à se disputer pour imaginer la venue de nouvelles têtes : « peut-être aussi que les Africains ne s’impliquent pas assez dans la politique mais je pense quand même que c’est à 80% la responsabilité des partis ». Lui qui est adhérent au Parti Communiste Français et lutte jour et nuit contre la politique du Ministère de l’immigration note que « Sarkozy est le seul des grands partis à avoir donné une place à des noirs ou des arabes. Parce que le PS, à part Kofy Niam Niam… ».

Les élus de Seine-Saint-Denis ont senti, plus que les autres encore, l’intérêt de s’associer à la success story d’Obama et les espoirs qu’elle suscite. Le 5 novembre, la mairie communiste de Bobigny (93) a déployé une banderole avec inscrits les mots de Martin Luther King « I have a dream. Bobigny dit merci ». Sur son blog, Claude Bartolone, nouveau président du Conseil Général et député PS de la Seine-Saint-Denis salue la victoire tout en dénonçant la chasse aux sans-papiers, etc. Mais la diversité au Parti Socialiste reste un mot qui n’a strictement aucune importance quand les enjeux de pouvoir se font cruciaux.

L’élection est terminée, les commentateurs politiques tentent de prendre du recul. Mais à Saint-Denis, Obama est toujours au centre des débats. Le 10 novembre, alors que je fais des courses dans une boutique de produits exotiques nommée « dépôt vente », j’entends les bribes d’un débat animé qui se tient dans la pièce attenante à la boutique. Armée de mon huile de palme et de ma sauce graine, je fais mine de chercher une épice sénégalaise pour écouter les conversations. Pour les garçons qui débattent, il est question de savoir ce qui a permis la réussite du nouveau président des Etats-Unis. Les avis sont plus que partagés, certains insistant sur le fait que « si cela a marché, c’est qu’il n’est pas vraiment noir ». Pendant ce temps, la vendeuse rabroue un client entreprenant qui la tutoie. Celui-ci répond « et alors, ma sœur, on se tutoie, on n’est pas des blancs ! ». Je proteste que ce n’est pas une insulte, et la vendeuse me fait sèchement remarquer que « mon épice-là, (elle) ne peut pas me répondre parce qu’elle est haïtienne et la boutique aussi ». Le discours post-racial de Obama n’est pas entré dans toutes les têtes, me dis-je, mais sa remarque est imparable.

Dans la pièce d’à côté, les garçons sont finalement tombés d’accord sur le fait que noir ou métis, une telle success story ne serait pas possible en France : « ce n’est pas parce qu’il est métis que ça a marché, c’est parce qu’il est Américain » concluent-ils ! Pendant ce temps, je prends un cours de cuisine grâce à un monsieur qui m’explique l’utilisation des petits sachets d’épices qui s’amoncellent sur les étagères, les nommant en plusieurs langues. Finalement, si : il y a quelque chose de post-racial dans le consensus qui s’installe entre les jeunes haitiens.

Pour Vassindou, l’élection d’Obama peut peut-être changer la politique américaine en Afrique. Du moins, il le souhaite : « Obama ne pourra pas soutenir les dictatures, fermer les yeux sur les dénis de démocraties, les fraudes électorales, les exactions, comme il y a eu dernièrement dans le pays de son père, au Kenya ». Surtout, il espère que l’élection aura des effets sur la manière de faire de la politique en Afrique : « Par exemple, Alassanne Ouattara , il n’a pas pu se présenter en Côte d’Ivoire parce que son père n’était pas ivoirien ! et maintenant qu’Obama a été élu alors que son père est kenyan, on ne pourra plus dire cela. Il faut du sang neuf pour la politique africaine. Le symbole Obama va aider ».

Passé l’enthousiasme récurrent, un avis semble partagé par tous mes amis africains, quelque soit leur nationalité d’origine ou actuelle, leur classe sociale, leur niveau de revenu : quoiqu’il arrive ensuite, on ne leur volera pas le bonheur et la fierté de cette élection.

À l’exception de Mandela, tous ceux qui incarnaient des modèles de luttes pour l’instauration de la démocratie et les droits civiques sont morts de mort violente : Patrice Lumumba, Martin Luther King, ou encore Thomas Sankara, le héros des trentenaires.

Même si je le savais intellectuellement, je n’avais pas réalisé à quel point nous tous étions orphelins de cette histoire-là de l’Afrique. Les larmes qui nous ont secoué le 5 novembre au petit matin ne disent rien de plus. La fin d’un deuil.

Résumé

Oui, nous pouvons…Hervé RegnauldRéagir à chaud dans un éditorial collectif à l’élection de B. Obama. Tout a été dit à ce sujet sauf ce qui nous intéresse en particulier à EspacesTemps.net : cet événement change-t-il aussi quelque chose à l’épistémologie des sciences de la société ? L’ensemble du comité de la revue s’est interrogé sur ...

Bibliographie

Notes

[1] Auquel on prête ce mot « Peut-on encore écrire des poèmes après Auschwitz ? »

[2] L’ancien rebelle et actuel premier ministre ivoirien Guillaume Soro fut secrétaire général de la Fesci (Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire) en 1995. C’est Blé Goudé, le leader des « patriotes » qui lui a succédé.

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