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Résumé | Bibliographie | Notes

Sérendipité.

La nation et l’État belge existent-ils ?

Réflexions épistémologiques sur les constructions de l’objet géographique.

« Il n’y a jamais eu de nation belge à proprement parler. La Belgique est un État artificiel. »

Hervé Hasquin, L’Express, 17 Juillet 2001.

Cette déclaration à l’hebdomadaire L’Express du Ministre-président de la Communauté Wallonie-Bruxelles a de quoi interpeller les géographes sur l’utilisation qui est faite des concepts de « nation » et d’« État » par les acteurs politiques dès l’instant qu’ils sont spatialisés. Loin des appréciations communément admises, une fois appliquées au contexte belge, cette déclaration semblait indiquer une transformation profonde, ou plus sûrement une interprétation jusqu’alors erronée de la part des acteurs censés participer de la compréhension de ces objets spatiaux « Belgique » et « nation belge ». Ces transformations profondes ou ces interprétations erronées interrogent alors sur l’évolution des configurations spatiales et sociales (le territoire, l’ethnie, le peuple, les institutions, etc.) qui matérialisent habituellement ces objets spatiaux (l’État, la nation) [1].

Pour répondre à ces questionnements, et au-delà pour réfléchir au concept d’objet géographique, l’ensemble de la démarche proposée ici tournera autour d’une réflexion sur les liens efficaces entre objet spatial et configuration territoriale qui interfère dans la construction de cet objet géographique. En effet, l’objet géographique relève selon cette démarche d’une mise en tension entre l’objectivité a-temporelle de l’objet spatial et l’objectivation située, datée, socialisée de la configuration territoriale. Celle-ci concourt à réfléchir :

1. aux relations entre les processus d’objectivation des objets spatiaux et d’auto-référence des configurations territoriales. L’objet spatial est ici compris comme une catégorie scientifique hors du temps, hors des lieux et hors des groupes sociaux qui le constitue, alors que la configuration territoriale doit être interprétée comme la matérialisation tout à la fois, ou seulement partiellement, située, datée et socialisée d’une figure, qu’elle soit plutôt spatiale (un territoire) ou plutôt sociale (un collectif) ;

2. aux transformations référentielles du champ sémantique associé habituellement et jusqu’à présent aux objets géographiques utilisés (ceux d’État et de nation belges); c’est-à-dire en quoi le sens des référents spatiaux se trouve déplacé par ce à quoi il réfère habituellement dans leur matérialité contextuelle, et en quoi la transformation de la référence rend obsolète ou non l’objet géographique qui le désignait jusqu’alors. C’est notamment le cas si l’on pense aux transformations des États souverains en des entités territoriales à forte subsidiarité ou à une nation une et indivisible qui se transforme en des collectivités territoriales multiculturelles. Les résultats efficients rendant abscons l’objet géographique jusqu’alors opératoire ;

3. aux structurations et aux agencements des configurations territoriales associées à ces objets géographiques, que cela soit dans leur forme spatiale, sociale ou temporelle. En effet, une fois l’objet géographique ré-ajusté au territoire qu’il représente communément pour ceux qui le manipulent (l’État souverain devenu États-régionaux ou la nation une et indivisible devenue multiple, nations-communautés), l’objectivation ne s’applique plus forcément aux mêmes objets : l’histoire n’a plus le même pas de temps, l’espace n’a plus la même étendue, la société n’a plus la même dimension agrégative.

L’intérêt de la déclaration d’Hervé Hasquin, qui sera le fil rouge de ce développement, est qu’elle se place justement dans un entre-deux : se trouve d’une part l’objectivation des objets géographiques dans l’analyse de leur spatialité et de leur historicité contemporaine (la nation et l’État belge) ; d’autre part leur politisation en tant que configurations territorialisées, en tant que récits ajustés à une nouvelle conscience historique des uns et des autres au sein de la Belgique d’aujourd’hui. En effet, la carrière politique d’Hervé Hasquin fait suite à une carrière universitaire d’historien. Si son discours se veut objectivant et fondé sur une analyse scientifique du passé (marquée par de très nombreux ouvrages sur le sujet), son projet politique tend à impulser un futur ne prenant plus en compte les mêmes configurations territoriales (la région plutôt que l’État ; la communauté plutôt que la nation) et donc ne s’appliquant plus forcément aux mêmes objets géographiques. En quelque sorte, le contenu de son discours se veut l’effet de sa cause car, derrière celui-ci, c’est moins la vérité scientifique qui s’énonce que le projet politique qui s’élabore.

Pour lui, ce qu’il faut trouver pour comprendre le problème belge, celui des fractures et des tensions communautaires, est justement l’inverse de ce que l’on a toujours cherché et cela justement car on s’est trompé d’analyse. Ce sont moins les objets géographiques qui posent problèmes, puisque l’on peut penser qu’il y avait une nécessité de créer des États et des nations dans cet endroit de l’Europe, que les configurations territoriales auxquelles on s’est référé : un seul territoire là où deux, trois voire quatre auraient été nécessaires. Si l’État ou la nation interroge, c’est avant tout à travers l’étendue, la communauté et le pas de temps, qui en matérialisent la réalité spatiale, sociale et historique. C’est donc moins l’objet géographique qui doit nous aider à comprendre le territoire que les configurations territoriales qui doivent nous révéler la valeur, en forme et en sens, de l’objet géographique.

Cette mise en perspective, qui éclaire ce nouveau sens, n’est cependant pas anodine dans le contexte du discours d’Hervé Hasquin, car elle est le fait d’un acteur censé représenter politiquement un sous ensemble de la société, dela culture à laquelle il se réfère. La Communauté Wallonie-Bruxelles correspond en effet ni plus ni moins à la communauté francophone de la Belgique et ses pouvoirs se sont progressivement étendus (notamment aux niveaux sociaux, culturels et éducatifs) etautonomisés vis-à-vis de l’État-nation « Belgique » depuis la nouvelle constitution élaborée par les divers parlements en 1993, puis mise en application depuis 1995 [2].

Le cas de la Belgique permet de réfléchir aux liens entre objet spatial et configuration territoriale car il met clairement en évidence [3] :

1. le processus d’objectivation qui a amené Hervé Hasquin à dématérialiser ces référents communément admis qu’étaient la nation et l’État belge, et à les rematérialiser en de nouvelles configurations de formes et de sens. Pour ce faire, j’étayerai mon discours à partir des travaux qu’il a lui-même effectués en tant qu’historien sur L’historiographie et la politique en Belgique ([1981] 1996) et je montrerai comment ses travaux s’inscrivent dans la transformation profonde d’un discours de l’intelligentsia francophone, et plus particulièrement wallonne (en tout cas auto-proclamée comme telle), qui traite de ce sujet en Belgique depuis une quinzaine d’années au sein de l’Institut Jules Destrée [4]. Le dernier objectif de cet Institut est de réfléchir, de façon similaire aux travaux de la Datar, à la « Wallonie 2020 » à partir d’« une offre de réflexion citoyenne » et d’« une démarche participative ».

2. le processus de transformation des objets géographiques « État » (la Belgique) et « nation » (belge) non en tant qu’ils sont des objets spatiaux, des entités objectivées, mais en tant que leur spatialisation, la structuration de leur forme s’en trouve changée. Ainsi, que cela soit la Flandre, la Wallonie ou Bruxelles-Capitale, ces trois régions revendiquent toute leur progressive autonomie politique, les unes en tant qu’entité fédérée (la Wallonie), les autres en tant qu’entité confédérée voire in fine étatique (la Flandre). La Constitution de 1993-1995 a par exemple créé une séparation modifiant les contours territoriaux des anciens niveaux administratifs. C’est le cas des provinces et notamment celle du Brabant qui s’est vu découpée en une partie wallonne et une partie flamande. On peut donc remarquer que l’objet spatial n’a pas disparu mais sa structuration matérielle et culturelle s’est transformée. Et si le territoire et la nation s’en trouvent à chaque fois réduits dans leurs dimensions spatiales et sociales, cette transformation semble conforter l’unicité de ceux qui les fondent. Ce processus résulte d’une construction qui, bien qu’avant tout imaginée, se matérialise dans la réalité et transforme à son tour les façons de faire et d’être de ceux qui l’ont construite : les langues parlées, les légendes racontées, les drapeaux affichés… et jusqu’aux couleurs des mobiliers urbains utilisés (blancs et rouges en Wallonie ; jaunes et noires en Flandre) !

Petite histoire des constructions référentielles de la nation belge et de ceux qui en parlent !

Il est toujours hasardeux de réécrire l’histoire d’un pays et encore plus celle de sa (de ses) nation(s). Il est alors encore plus hasardeux d’écrire sur cette réécriture, de réaliser en quelque sorte une petite histoire (celle proposée ici) de la grande histoire (celle que propose Hervé Hasquin) ! Sauf peut-être si l’on s’attache seulement aux constructions imaginées dont cette réécriture a fait l’objet (par les historiens contemporains par exemple), c’est-à-dire à la question suivante : en quoi cet objet spatial éclaire-t-il le processus de ces constructions imaginées à travers le temps (depuis que la Belgique existe, si toutefois elle existe !) mais aussi et surtout la conscience historique de celui qui opère cette historicisation de l’histoire, en l’occurrence l’historien lui-même ?

Parler de constructions imaginées, c’est alors concevoir d’une part que la nation est « une communauté politique imaginaire, et imaginée comme intrinsèquement limitée et souveraine » (Anderson, 1996, p. 204) et qu’elle existe seulement « quand un nombre significatif de membres d’une communauté considère qu’ils forment une nation ou se conduisent comme s’ils en formaient une » (Seton-Watson, 1977, p. 5). D’autre part, c’est accepter l’idée que l’évolution de cette nation qui participe de et à « tous les profonds changements de conscience [de ceux qui la composent à travers le temps] s’accompagne d’amnésies caractéristiques. De ces oublis, dans des circonstances historiques spécifiques, naissent des récits » (Anderson, 1996, p. 204). De ce fait, il faut comprendre que si ces récits sont l’essence même des constructions imaginées de tous les acteurs à travers le temps, ils le sont aussi pour ceux qui font l’historicité de l’objet géographique (l’État, la nation). Car « une conscience historique, qui s’est proposée d’être vraiment concrète, doit se considérer elle-même déjà comme phénomène essentiellement historique » (Gadamer, [1963] 1996, p. 90).

L’intérêt de cette partie ne porte donc pas seulement sur l’objectivation de l’histoire de la Belgique, ou plutôt sur l’objectivation de son récit, mais également sur l’organisation référentielle qui en est faite par les historiens contemporains, et plus particulièrement par Hervé Hasquin, qui est justement l’un de ses plus éminents représentants. Cela permet alors d’un côté d’analyser les points d’inflexion des différentes périodes de constructions référentielles supposées des divers acteurs ayant participé à la fondation de la nation et de l’État belge à travers l’histoire, et d’un autre côté de comprendre comment Hasquin réinterprète l’histoire au travers de sa propre histoire.

De la Belgique zéro et déjà divisée…

Dès l’introduction de son principal ouvrage sur l’historiographie de la Belgique, Hasquin pose les jalons d’une lecture dirigée de la fondation de l’État et de la nation belge. Cette lecture qui questionne répond pourtant avant l’heure à ce qui deviendra quelques années plus tard une certitude. En effet, si l’intitulé du premier chapitre de la première partie de son ouvrage datant de 1996 est en forme d’interrogation : « Un État artificiel ? », il y répond par l’affirmative quelque années plus tard dans sa déclaration à L’Express : « La Belgique est un État artificiel ». De même que la réponse était déjà dans la question de par sa formulation, on s’aperçoit que pour l’historien, comme pour le politique, qui se cache derrière l’auteur, c’est le chemin qui mène à la nécessité d’ouvrir un champ d’analyse, à défendre tel point de vue plutôt qu’un autre, qui interpelle et montre la pertinence d’accorder de l’importance à tel projet politique, autant qu’à la scientificité ou à la véracité des propos qu’il comporte implicitement. Car, en ouvrant ce champ critique, il déconstruit, défigure, progressivement une configuration territoriale instituée et a contrario reconstruit, reconfigure intentionnellement ou non d’autres configurations territoriales.

Ce choix est ici d’importance puisque qu’il a pour effet de dissoudre dès le début de l’énoncé d’Hervé Hasquin les conditions intrinsèques de l’unité foncière de la nation et de l’État belge et d’établir alors leur séparation comme étant ontologiquement inévitable. Cette explicitation historique se transmet alors logiquement sur le plan de son investissement politique. Pour lui, il n’y a plus de nécessité aujourd’hui ni de perdurer dans l’erreur, dans le pastiche, ni de garder une quelconque nostalgie vis-à-vis de quelque chose qui n’a pas de fondements essentiels. Pour en arriver à cette conclusion d’une désunion foncière de la nation et de l’État belge, il est intéressant de montrer qu’il choisit, à l’inverse de nombreux historiens du 19e siècle, de commencer l’histoire de la nation et de l’État belge en 1830 sans resituer cette naissance dans le contexte de leur avènement potentiellement commun (la nation se surimpose à l’État) ou séparé (la nation ne se surimpose pas à l’État), sans expliciter, en quelque sorte, les conditions qui ont permis qu’ils se réalisent chacun à leur niveau.

Par exemple, au niveau de l’origine de la nation belge, il ne fait aucun cas, comme souvent dans les manuels, les dictionnaires (Le Petit Robert, Le Larousse) ou les encyclopédies contemporaines (Encarta, Encyclopedia Universalis), de l’histoire des peuples celtes, les Belgae, qui auraient donné le nom de Belgique et qui se seraient installés dès le 4e siècle avant jc sur les territoires correspondants à peu de chose près à la Belgique actuelle. Concernant l’État belge, il fait fi des périodes médiévales qui ont vu l’institution d’un véritable État, très proche du territoire actuel, mis en place par les Comtes de Flandre vers la fin du 12e et au début du 13e siècle ou plus encore des onze mois d’existence en 1790 des États-Belgiques Unis créés suite à la révolte brabançonne contre les Pays-Bas Autrichiens. Il ne parlede ce dernier événement qu’au chapitre 7 de son ouvrage consacré à Bruxelles et encore pour en démonter immédiatement la prétendue logique d’édification originelle de l’État belge.

Hasquin revient également très peu sur l’édification des neufs Provinces que l’on connaissait en Belgique jusqu’à la nouvelle Constitution de 1993-1995 (qui a divisé la province du Brabant en deux : le Brabant-Wallon et le Brabant-Flamand) et qui résultait en grande partie de l’annexion de la Belgique à la France en 1794. Quasi tous les chefs-lieux des provinces correspondant d’ailleurs à ceux que l’on connaît aujourd’hui (sauf Hasselt et Arlon remplacé à l’époque par Maastricht et Luxembourg). Ces oublis sont essentiellement dus à une position de principe de la recherche en histoire contemporaine. Sa volonté est d’effacer toute lecture génétique ou ontologique dans l’analyse de la création d’un État ou d’une nation, et d’éviter alors d’interpréter ces créations comme relevant d’évidences logiques, comme si cet État et cette nation avaient toujours déjà été présents dans leurs fondements actuels et avaient en quelque sorte attendus le coup de pouce du destin pour se révéler dans leur réalité actuelle.

Cependant, on peut s’interroger sur la pertinence de cette position concernant Hasquin. En effet, en quoi un État artificiel (ce qu’Hasquin dit de la Belgique depuis qu’elle existe) a plus de poids que les artifices des lectures historiques communes que fournissent les littératures grises de moindre importance (manuels, dictionnaires, encyclopédies). Elles en ont plus si on balaie la force du mythe qu’elles supposent. Dès lors, le mystère de l’institutionnalisation de la nation et de l’État doit faire place à la contemporanéité de sa construction. Mais de ce fait, le flux et le reflux des limites spatiales et sociales de l’objet géographique sont conditionné par le flux et le reflux des constructions territoriales qui s’élaborent au gré des consciences (des inconsciences ?) historiques.

De la Belgique une et indivisible…

Si la Belgique de la révolution de 1830 est une Belgique une et indivisible, c’est essentiellement, selon les historiens, parce que sa nation se construit de concert contre les anciens envahisseurs et l’idéologie qu’ils représentent : l’orangisme protestant des Pays-Bas de Guillaume 1er (empire auquel appartenait ce nouvel État) et l’anticléricalisme de la France certes devenue monarchiste mais conservant, au regard des Belges, des idées républicaines datant de 1793 (empire auquel avait appartenu toujours ce même nouvel État de 1795 à 1815). Toutefois, il est clair que cette opposition commune, de façade et de principe, est déjà distincte, pour certains édiles de l’époque, entre ceux qui s’opposent fermement aux Pays-Bas et aimeraient se rattacher à la France (c’est le cas des Réunionistes wallons de la Province de Liège) et ceux qui s’opposent fermement à la France et veulent se rattacher aux Pays-Bas (c’est le cas des Orangistes flamands de Gand et d’Anvers notamment). Cette opposition croisée qui paraît relever uniquement de considérations idéologiques a aussi et surtout des motivations économiques : l’ouverture des marchés français et hollandais pour les industriels et commerçants des régions wallonnes et flamandes les plus actives en ce domaine.

Pour nier cette dualité persistante, l’unilinguisme francophone reste de rigueur dans l’économie et l’administration belge. Les couches aisées de la Flandre parlent le Français et seuls les paysans de ces contrées utilisent encore un patois proche du Néerlandais. La préservation d’une seule langue nationale doit, selon les édiles du nord comme du sud de la Belgique, ancrer la nation dans une unité efficace. Ainsi, avant même sa formation en tant qu’État, Willems, chantre du mouvement flamand (mais à l’époque, et on l’oublie souvent aujourd’hui, plus pour son opposition aux Néerlandais qu’aux francophones), déclarait que « consacrer le principe d’une égalité de droit entre deux langues d’un même pays, c’est alimenter ces haines nationales […] Aussi les gouvernements bien constitués de l’Europe se gardent-ils de suivre un principe si destructif de l’ordre public » (cité par Hasquin, 1996, p. 30).

Pour autant, il ne faut pas oublier que cet accord apparent entre les bourgeoisies francophone et néerlandophone, relève surtout de la position majoritaire des premiers sur les seconds au suffrage censitaire de l’époque. La bourgeoisie francophone ne pouvant concevoir qu’il y ait une autre langue officielle que le français. D’ailleurs, dès 1840, des pétitions dénoncent les injustices linguistiques et demandent un bilinguisme dans l’administration et l’enseignement en Flandre. Indépendamment des dialectes différents (langue thioise pour les Flamands et romane pour les Wallons) que parlent les uns et les autres, les arguments positifs de l’union ont également du mal à naître au sein de communautés socio-économiques très différentes : la Wallonie industrielle (bassin houiller et sidérurgique, textile) et la Flandre plus agricole. Au milieu du 19e siècle, cette dualité est pourtant niée par les historiens, fervents patriotes d’une Belgique unitaire, et cela en montrant le caractère racial et religieux unique des Wallons et des Flamands.

En ce qui concerne la race, en 1867, le comte de Liedekerke affirme : « Ainsi donc, la nation belge, dans ses limites actuelles, bien qu’elles ne soient pas exactement tracées par des montagnes ni par des fleuves, constitue un être moral, vivant d’une vie qui lui est propre, formant un tout compact et homogène solidement attaché à sa dynastie, à ses institutions et à son indépendance. Si les Wallons et les Flamands diffèrent par la langue, ils sont frères par le sang, car les uns comme les autres sont issus de la même race germanique. Cette identité d’origine malgré les apparences contraires, est attestée par les documents historiques les plus irrécusables » (cité par Hasquin, 1996, p. 36-37).

En ce qui concerne la religion, il est clair que « dès l’origine de l’État belge, l’Église s’est affirmée comme le meilleur rempart contre l’irrédentisme français et l’orangisme, car elle ne voudra plus entendre parler des protestants hollandais ni de la France anticléricale. Ce rôle, l’Église continuera à le jouer. Les milieux qui lui sont favorables affirmeront que la spécificité de la “nation belge” est sa religion » (Hasquin, 1996, p. 38). Et cela alors que nombre de régions wallonnes sont infiltrées par les idées révolutionnaires de la France de 1789.

Ce caractère uniciste de la race et de la religion est raillé par Hasquin. Il en déconstruit très clairement l’idéologie faite selon lui de « convictions » émises non par des historiens mais par des « autodidactes ou des érudits sans formation scientifique, soucieux avant toute chose de trouver dans le passé des motifs d’exalter la fierté et l’unité nationales » (Hasquin, 1996, p.38). Pour lui, la construction imaginée de l’époque met en lumière la germanité supposée de l’ensemble de la Belgique et cela en exacerbant l’histoire des Comtés de Flandre et en minimisant celle des principautés wallonnes. Pour étayer son discours, il insiste sur les années 1875 qui voient selon lui naître l’objectivation de l’histoire. A cette époque, on assiste à une mise en perspective par les historiens d’une dualité raciale, linguistique, religieuse de la Belgique. Cette nouvelle conception va alors transformer profondément l’organisation socio-politique du pays. Mais Hasquin n’éclaire pas les effets induits des uns (le changement de point de vue des historiens sur l’histoire de la Belgique) sur les autres (le changement des représentations socio-politiques de la nation belge). Car si l’histoire affine ses recherches dès 1875, celle-ci se fonde également sur l’exacerbation de données immanentes ayant plus de rapport avec l’intuition qu’avec l’objectivation scientifique. Vanderkindere, l’un des plus éminents historiens de l’époque, en fait implicitement la démonstration : « En thèse générale, la distinction des deux fractions de la population belge est frappante, et ce qui le prouve avec évidence, c’est la différence de leurs mœurs, de leurs aspirations, de leur manière de penser et d’agir, en un mot, de tout leur caractère » (cité par Hasquin, 1996, p. 42).

Sans aller jusqu’à montrer que cette différenciation provient du cadre physique [5], on peut se demander jusqu’à quel point Vanderkindere naturalise les différences entre Wallons et Flamands sur des caractères comportementaux impalpables, avant même de trouver les arguments qui en matérialisent la scientificité. C’est d’ailleurs l’un des hiatus de l’historiographie proposée par Hasquin car sa critique première des argumentations historiques n’est pas superposée avec une critique seconde sur sa propre argumentation. Plusieurs fois, Hasquin éclaire ainsi la scientificité de certains historiens plutôt que celle d’autres pour appuyer et dévoiler sa propre mise en scène de l’histoire — la vraie ! — mais aussi ses positions politiques.

De la Belgique deux et unifiée…

A partir de 1875, les discours d’unicité immanente et « prétendue » de la race et de la religion catholique vont progressivement être abandonnés. L’unicité constitutive du peuple belge et de la Belgique va progressivement laisser place à l’union dans les différences. De ce fait, les référents territoriaux, ceux de la langue, de la race et de la religion vont se métamorphoser, de l’unicité une et indivisible en une unité dans la dualité. Tout d’abord, celle des langues, avec en 1873 « la reconnaissance au plan légal du caractère bilingue du royaume » (Hasquin, 1996, p. 41) jusqu’alors unilingue de langue française ; ensuite, celle des races, avec l’abandon de la généalogie prétendument germanique du peuple belge et sa substitution par une démonstration ethnologique que « la population de la Belgique est en partie celtique [les Wallons], en partie germanique [les Flamands] » (Vanderkindere, 1872) ; enfin celle des conceptions philosophiques, très religieuses en Flandre, mais plutôt laïques, voire athées dans la Wallonie industrielle.

Cette évolution institutionnelle vers un État bilingue va renforcer l’idée d’une dualité ontologique du peuple belge. De ce fait, les catégories explicatives de l’objet spatial se transforment et amènent certains historiens majeurs de l’époque comme Godefroid Kurth ou Henri Pirenne, à abandonner toute référence généalogique, historique, pour refonder l’unité par le projet commun qu’avait institué la constitution du royaume et les constructions territoriales des uns comme des autres sur les mêmes axiomes fondamentaux : « nulle part, en Belgique, l’on ne croyait qu’il fallût parler la même langue pour avoir la même patrie. Ce qui constituait la nationalité, ce qui reliait entre eux les citoyens d’un même pays, ce n’était pas l’idiome qu’ils parlaient, c’était l’attachement au même principe et aux mêmes institutions, c’était la jouissance des mêmes droits civils et politiques, c’était la profession du même culte et l’amour du même foyer » (Kurth, 1898, p. 15).

Cette époque inscrit donc l’unité de la nation sur un respect mutuel de l’État (ces principes, ces institutions) et non sur l’unicité supposée du sang, de la race, de la langue des différentes communautés.

De la Belgique multiple et divisée…

Mais dès l’instant où l’État et ses institutions vont s’affaiblir, les conflits ethno-linguistiques vont progressivement redevenir des éléments d’achoppement entre les Flamands et les Wallons. Cet affaiblissement de l’État sera criant à partir de 1950, suite à « la question royale ». Celle-ci fait suite à l’attitude ambiguë de Léopold 3, roi des Belges, durant la seconde guerre mondiale. Celui-ci capitule sans condition le 28 mai 1940 et refuse de suivre le gouvernement belge en exil qui rompt politiquement avec lui. A la fin de la guerre, le parlement décide d’installer le frère de Léopold 3, le prince Charles, comme régent. Cette régence dure jusqu’en 1950 où un référendum national exacerbe les oppositions entre les Flamands favorables au retour de Léopold 3 et les Wallons qui y sont fortement opposés. La surreprésentation démographique des Flamands lui assure cependant la possibilité d’un retour mais le Parlement s’y oppose. Après de nouvelles élections, il peut enfin revenir mais des grèves, des manifestations bloquent progressivement le pays au bord de la guerre civile. Il doit donc abdiquer pour son fils Baudouin un mois après son retour.

Cette « question royale » est en fait le résultat d’un ensemble complexe de conditions qui prennent corps à la fois dans des ressentiments et des systèmes de valeurs différents. Tout d’abord, la différence de traitement des Allemands vis-à-vis des populations flamandes et wallonnes est stigmatisée par ces derniers qui la jugent à eux défavorable, du fait selon eux de la collusion des Flamands avec de nombreux mouvements fascistes pro-allemands. Ensuite, l’opposition socio-politique entre des Flamands monarchistes et catholiques et des Wallons républicains et athées s’exacerbe. En 1954, la mise en lumière de la collaboration avec les Allemands des partis traditionnels flamands participant au gouvernement belge finit de décrédibiliser le pouvoir de l’État unitaire. Les scissions communautaires se succèdent alors rapidement et une frontière linguistique sépare la Belgique dès 1962. Celle-ci modifie alors le statut linguistique des communes (notamment à Bruxelles) et entraîne la modification des tracés de deux provinces, celle du Hainaut (qui récupère la commune de Mouscron) et du Limbourg (qui récupère celle des Fourons). En 1968, suite à des affrontements entre Wallons et Flamands, l’Université de Louvain est scindée en deux universités, la partie francophone est délocalisée sur un site créé ex nihilo en Wallonie : Louvain-la-Neuve.

Jusqu’à la fin des années 1980, le pays s’évertuera tant bien que mal à conserver son identité fédérale née de la révision de la Constitution de 1972. Mais cette identité fédérale sera essentiellement liée à la souveraineté nationale représentée par la monarchie, l’armée et les relations internationales au sein des différentes organisations européennes ou mondiales. Car pour le reste, la stigmatisation des distinctions ethno-linguistiques, culturelles et économiques s’accroît. Tout ce qui peut renforcer le repli communautaire et l’unicité de la nation est instrumentalisé. Les remarques de Raymond Dubuisson, journaliste, au Premier Congrès La Wallonie au Futur organisé par l’Institut Jules Destrée, à propos de ce qu’il intitule « La voie sans issue du bilinguisme » montre combien l’argumentation soutient l’institutionnalisation d’une unicité référentielle entre langue, culture et nation et donc le rejet de tout autre forme de chaîne référentielle, celle de la diversité des langues, de l’interculturalité associée au sein d’une nation et d’un territoire commun : « La méconnaissance du français est unanimement déplorée en Wallonie. Elle est selon le corps professoral, la cause principale des échecs dans l’enseignement. […] Le professeur Renard (Faculté de Langues à la Faculté polytechnique de Mons) était tout aussi catégorique : “Le plus essentiel n’est pas de savoir deux ou plusieurs langues mais bien de posséder celle qui servira toute la vie de véhicule à la pensée.” […] Le professeur Verheyen (Université de Gand) a démontré que les petits Bruxellois soumis au bilinguisme scolaire accusaient un retard considérable dans la connaissance de leur langue maternelle par rapport aux enfants unilingues du reste du pays. Constatation confirmée en Suisse, au Pays de Galles, au Canada… »

L’instrumentalisation est ici parfaite puisqu’elle associe références scientifiques (discours de professeurs d’universités), d’origines francophone (Mons), néerlandophone (Gand) et internationales. Cette association référentielle tend donc à légitimer l’absolu de cette position, bien que cette légitimation s’effectue à partir d’exemples de pays où les problèmes linguistiques se surimposent eux aussi le plus souvent à des querelles d’identité régionale, et qu’aucune relativisation ne soit effectuée à partir d’études dont les conceptions sont inverses et les résultats statistiques différents.

Mais cette scission a également besoin de naturaliser les fondements prétendument intrinsèques des distinctions entre Flamands et Wallons, d’historiciser en quelque sorte leurs valeurs particulières. Et cela sans tomber pour autant comme au 19e siècle dans l’affabulation historique. L’argumentation se doit d’être plus subtile et d’ajuster un double temps critique et ontologique. Ce passage de la déclaration de Jean-Louis Delaet, historien, archiviste de la Ville de Charleroi, au congrès La Wallonie au Futur de 1987 à propos de la construction de la mémoire collective wallonne est tout à fait explicite de ce double temps : « Le peuple wallon, de formation récente, présente la particularité de n’avoir pas de mémoire collective. C’est vrai, la Wallonie, en tant qu’entité politique, n’a pas de passé ; sa création date de la révision constitutionnelle de 1970 et du fameux article 107 Quater qui crée trois régions en Belgique. Il est aussi des régions riches en culture mais pauvres en sentiment culturel, tant leur environnement renvoie une image vide de sa réalité. Mais les Wallons, les pays wallons ont un long passé composé d’un riche patrimoine artistique, culturel, scientifique ».

On voit bien comment le passage d’un paragraphe à l’autre organise un transfert référentiel de la critique à l’ontologique. Le peuple wallon est de formation récente mais les Wallons ont un long passé. Le peuple wallon n’a pas de mémoire collective mais les Wallons ont un riche patrimoine artistique, culturel, scientifique. Ce passage du critique à l’ontologique relève en fait progressivement du tautologique : Le peuple wallon n’est pas mais les Wallons existent en leur nation ! Tautologique car c’est le territorial qui se substitue à l’historicité.

Tautologique mais aussi doublement paradoxal car l’analyse objective contemporaine du passé doit faire place au récit mythique contemporain du présent : le peuple wallon n’existe pas car il devrait alors se subordonner et tirer sa substantifique moelle des lois constitutionnelles unicistes de 1970. En revanche, la nation et l’État wallon existent par le fait même de leur devenir en construction. Nation et État cherchent à bâtir leur légitimité dans la structuration unitaire de l’évanescence mythique du patrimoine de chacun de ses membres. Et cette nation existe car de plus en plus de Wallons s’inscrivent territorialement dans cette configuration sociale et spatiale imaginée. Certes, le « un » ontologique du peuple wallon a peu de légitimité historique mais le « un » qui se construit entre « les » Wallons, entre « les » pays wallons se donne enfin une conscience de son devenir historique. La Wallonie, c’est le futur, c’est 2020, c’est l’excellence de l’inventivité au revers de son passé glorieux qu’il faut oublier. Et cette inventivité, c’est tout simplement la construction de nouveaux nationalismes (celui des Wallons et donc de fait celui des Flamands que l’on construit par distinction) au sens où Ernest Gellner signale que « le nationalisme n’est pas l’éveil à la conscience des nations : il invente des nations là où il n’en existe pas » (1964, p. 169).

Pourtant, si l’unité dans la diversité se construit et se trouve préservée quand l’influence est proportionnelle à ce qui est dû à chaque communauté, à chaque nation, et à chacun de ses membres auto-proclamés, elle se détruit et se déstructure quand certains de ses membres n’ont plus l’impression de recevoir assez, en fonction de ce qui leur est dû, ou de ce qu’ils croient leur être dû (mais en l’occurrence cela revient au même). Dès lors, pour la retrouver, ils tendent à en modifier les fondations, c’est-à-dire à restructurer les référents territoriaux qui vont avec ce qu’ils conçoivent être cette nation. Cette restructuration est essentiellement un renforcement matérialisé des distinctions, celle du territoire (dans ses limites), de la langue (dans l’exclusive linguistique), de l’économie (dans l’autonomie des budgets). Le recul démographique et l’affaiblissement économique de la Wallonie par rapport à la Flandre nourrissent aujourd’hui ce renforcement d’une autonomie politique, linguistique, économique. Par exemple, le partage des fonds publics pour la sécurité sociale est jugé défavorable par les Flamands. Ces derniers voudraient donc une régionalisation complète des matières budgétaires alors que pour les Wallons, celle-ci inscrirait la fin de l’État belge, voué à ne plus être pour eux qu’une coquille vide lors des représentations politiques sur la scène internationale.

Le cadre référentiel comme légitimation du territoire.

Ce besoin de séparation qu’anime l’idée d’une confédération à la manière tchécoslovaque a réactivé d’anciennes catégorisations que l’on croyait oubliées et qui ne font que renforcer les discriminations, les distinctions chaque jour plus ontologiquement instituées, tout d’abord par une Constitution du Royaume qui se révise partiellement depuis vingt ans à peu près tous les cinq ans, mais aussi par les discours et les pratiques des uns et des autres. Dans cette volonté séparatiste, la légitimité politique n’a plus cours car comme le rappelle Gilbert Larochelle : « l’idéologie ne sert à l’argumentation de la relation entre un problème et une solution qu’en limitant l’interrogativité du premier au profit de la seconde. Elle saborde la chance de son pluralisme et circonscrit la polyvalence de son historicité. Bref, l’idéologie ferme le problème en le posant » (1995, p. 119). C’était bien le cas du titre en forme de question déjà solutionnée de Hasquin dans son ouvrage sur l’historiographie de la Belgique : « Un État artificiel ? ».

La capacité à capter l’opinion fait donc fi d’une critique fondamentale des enjeux induits par ce qui est en train de se décider et de se faire. Car cette captation, qui réactive des sentiments contraires au bien-être des intéressés, mobilise plus que toute démonstration, la plus objective qui soit. La conscience de l’autre, dont on veut se séparer se recroqueville sur l’immédiateté des désagréments tout en oubliant la valeur des bénéfices antérieurs ou à venir. On retrouve ces penchants séparatistes notamment en Espagne (Pays Basque, Catalogne) voire en France (Bretagne, Savoie). À l’inverse, ce n’est pas parce qu’économiquement le Nord-Pas-de-Calais est en déclin que le reste de la France veut s’en séparer. L’inhérence ontologique de la langue, de la race, de l’histoire s’impose en effet encore d’elle-même dans les discours politiques bien qu’elle soit comme tout autre élément d’appréciation liée à une construction imaginée.

Jusqu’à preuve du contraire bien sûr, tout message séparatiste semble saugrenu car nul ne peut détacher des éléments d’autorité qui construiraient cette différenciation territoriale. Pour autant, la Flandre française ou la partie française du sillon houiller (sillon qui va de Lens à Cologne en passant par Mons, Charleroi et Liège, les trois principales villes industrielles wallonnes), pourrait revendiquer l’union de leurs intérêts dans de nouvelles configurations régionales en instrumentalisant les référents communs que sont la langue (le flamand comme patois de la Flandre française) ou le tissu socio-économique de leurs habitants (même passé ouvrier des mines, de la sidérurgie ou de la construction automobile pour le Valenciennois). Nouvelles configurations (que l’on nomme aujourd’hui transfrontalières) qui s’épanouiraient dans une Europe des Régions, polycentrique, ayant restructuré ses frontières mais qui ne transformeraient pas foncièrement les référents appliqués aux idées de nation et d’État. Pour certains prospectivistes wallons, il en est tout autrement. Dans son allocution intitulée « Quel statut pour la Wallonie » prononcé au Congrès La Wallonie au Futur : Vers un nouveau paradigme, Edgar Berger, ingénieur industriel, déclare à ce sujet : « Il est difficile et sujet à de faciles critiques sur des points particuliers, de préjuger ce que serait exactement la situation économique de la Wallonie intégrée à la France. On peut cependant souligner quelques points fondamentaux :

– l’identité de langue élimine le genre de problèmes que nous causent les Flamands et permet une mobilité totale des individus dans cet espace français ;

– la France reste une puissance mondiale, avec en conséquence le rôle qu’elle joue dans les instances internationales. La Wallonie, intégrée à celle-ci, participerait à cette puissance et même la renforcerait par ce qu’elle peut apporter de territoire, de population et d’activités tant économiques que culturelles ;

– le rattachement à la France permet de bénéficier de l’effet de taille ; ceci est particulièrement valable pour la politique industrielle de l’ensemble, la recherche, le soutien d’activités nouvelles, etc. »

En revanche, à l’idée même de séparation de la Belgique qui se fondait historiquement sur une opposition « légitime » entre Flandre et Wallonie, s’est adjoint depuis peu une nouvelle entité —la région Bruxelles-Capitale. Cette dernière ne possède pourtant pas a priori les bases de la légitimité « habituelle » pour pouvoir être considérée comme une région autonome. Elle n’a ni unité linguistique (les deux langues s’y parlent et cela même si le nombre de francophones y est bien plus important), ni unité de race (car au-delà du mythe racial consistant à dire que le Bruxellois est un Flamand francisé, le nombre d’étrangers de la Communauté Européenne ou du Maghreb est important), ni de mythes fondateurs pour en naturaliser l’unité historique (comme c’est le cas des Flamands qui voient dans la commémoration de leur victoire à la bataille des Éperons d’or (1302) les signes de leur autonomie politique et culturelle vis-à-vis de la France). Ses élus, appartenant initialement aux deux autres communautés, tentent donc, non d’objectiver l’unicité historique de la région, mais bien plutôt d’institutionnaliser l’efficace régional bruxellois au sein d’un projet européen. En effet, la légitimité régionale, que veut lui octroyer l’ensemble des acteurs politiques francophones et flamands, découle de l’idée de centralité européenne qu’entendent jouer ou plutôt lui faire jouer les édiles belges.

Ce consensus s’appuie sur l’impossibilité qu’ont les deux autres régions de concevoir la présence de ce joyau économique et politique comme pouvant appartenir à l’autre région. Cette région de Bruxelles-Capitale, auto-proclamée capitale des États-Unis d’Europe à l’image du district fédéral de Washington dc pour les États-Unis d’Amérique, joue donc progressivement de son autonomie, notamment par l’unicité figurative de son territoire autour de Bruxelles (aire d’influence) mais aussi par sa centralité supposée unificatrice de l’ensemble de l’Europe… politique tout au moins (aire d’attraction). Le récit proposé aux habitants est donc un récit d’avenir, celui du multiculturalisme européen certes mais d’abord… belge.

Cette nouvelle légitimité de Bruxelles-Capitale en tant que région a également induit une transformation récente de la dénomination politique de la Communauté Française de Belgique dont M. Hasquin est ministre-président et qui a pour vocation de s’occuper des compétences que recouvre l’unité linguistique francophone de la Belgique (éducation, culture). Celle-ci se nomme désormais « Wallonie-Bruxelles ». Elle confirme, s’il était encore nécessaire, la réalité de cette séparation par l’évolution du référent envers quoi se rapporte ce qui est désigné. « Depuis le 13 juillet 1999, Hervé Hasquin est Ministre-Président de la Communauté Wallonie-Bruxelles, chargé des Relations internationales. Il peut ainsi poursuivre son objectif d’épanouissement des francophones de son pays. Au terme Communauté française, le gouvernement qu’il préside privilégie désormais la terminologie Communauté Wallonie-Bruxelles, qui témoigne davantage de l’existence d’une solidarité forte entre les francophones des deux régions »

Il est intéressant de noter que c’est bien l’indexation qui fait le sens du référent et non l’inverse car sinon comment comprendre que « Wallonie-Bruxelles » témoigne de plus de solidarité que « Francophone ». Il y a reproduction des logiques argumentatives de la fin du 19ème siècle sur l’utilité d’une solidarité entre la Flandre et la Wallonie. Il y a aussi de fait reconnaissance de deux entités autonomes pourtant historiquement communes. Reconnaissance qui performe la discontinuité des deux régions, non pas dans la mesure où l’on découvre de nouveaux éléments concrets qui permettent de mieux justifier cette dualité, mais bien plutôt au sens où la construction de la réalité semble inévitablement mener à ce dualisme et aux discontinuités qui en assurent physiquement l’expression.

Cette dualité voulue par les deux parties (Wallons et Bruxellois) s’inscrit d’ailleurs dans l’emplacement différent de leur capitale régionale, bien évidemment Bruxelles pour la région Bruxelles-Capitale, et Namur pour la Wallonie. Et cela alors que la Flandre a pris elle aussi Bruxelles comme capitale politique plutôt qu’Anvers (Antwerpen) ou Gand (Gent), villes qui symbolisent sûrement bien mieux leur région, mais qui internationalement n’ont ni la même représentation politique ni le même poids économique. Cela est d’autant plus surprenant que la Flandre est bien plus séparatiste que la Wallonie, et que cette sécession signifierait la mise hors territoire de sa capitale. Cette ambiguïté tient ainsi d’une volonté délibérée des politiques flamands de reflamandiser la capitale belge (essentiellement francophone quoique bilingue) et d’empêcher à terme la possibilité d’un rattachement à la Wallonie. Car enlever les conditions, c’est aussi enlever la possibilité qu’un effet puisse se produire !

La transformation du nom de la Communauté française en Communauté Wallonie-Bruxelles relève d’un principe identique. Car en changeant le nom, on transforme l’unicité matérielle du référent en une dualité ontologique. Celle-ci est d’autant plus pertinente qu’une autorité reconnue en institue la réalité et le sens. Cette autorité reconnue est ici instrumentalisée par Hasquin lui-même, président de la Communauté qui devrait pourtant a priori faire fi des distinctions régionales puisque s’établissant sur le catégorème linguistique (les Francophones). Autorité d’autant plus légitime qu’elle est portée par un personnage dont le pouvoir scientifique est reconnu par ses pairs (les historiens) mais aussi par l’ensemble de la communauté universitaire (Hervé Hasquin a été Recteur de l’Université Libre de Bruxelles pendant quatre ans).

C’est en ce sens que l’on peut se demander si les politiques, mais aussi les scientifiques et tous les acteurs s’auto-proclamant ou auto-proclamés porteurs d’une voix autre que la leur (les « Fürsprecher » de Heidegger), n’ont pas uniquement pour vocation de contrôler le sens, et dès lors d’historiciser des référents qui ne sont que territoriaux plutôt que d’objectiver les objets spatiaux qu’ils utilisent. Car à travers l’utilisation des référents qu’ils mobilisent, manipulent et instrumentalisent, ces acteurs légitiment des discrétisations, des discriminations, des délimitations que l’opinion embrasse avec plus ou moins de ferveur critique. Cette distance que chacun opère vis-à-vis de ce que l’on pourrait appeler la communication territoriale des acteurs – porteurs de voix, inscrit alors l’idée d’une dimension ontologique de l’appareillage référentiel. Une dimension d’autorité qui tente constamment de naturaliser les attitudes et le sens commun du plus grand nombre.

La construction de l’objet géographique est d’abord référentielle donc territoriale.

Le référent territorial, c’est ce par quoi l’acteur situe son monde autour de lui, selon les différents ordres de réalités auxquels il accède. En cela le référent, par son utilisation, conforme le monde de l’acteur, c’est-à-dire le matérialise, lui donne chair et informe alors ceux qui coexistent avec lui des conditions de cette conformation, c’est-à-dire des délimitations et des différenciations fonctionnelles et symboliques dont il use, pour signifier son monde, lui donner du contenu, et discriminer l’idée même du monde des autres. En ce sens, par l’acte même de matérialiser l’objet géographique, l’acteur le rend ipso facto territorial. Par exemple, l’objet géographique —État — n’est plus un objet spatial en soi, dès l’instant où un acteur le manipule selon ses préoccupations et ses intérêts, et le matérialise en lui donnant une place au sein de son discours —l’État belge. Car cet objet spatial n’est plus « nulle part », il est territorialement situé, daté et socialisé.

Une fois qu’il est territorialisé, l’objet spatial devient l’artefact de la logique discursive de celui qui l’utilise, il se matérialise en objet géographique. En cela, il perd de sa substance idéelle tout en gagnant de la substance matérielle. Car, si l’objet spatial porte en soi un champ sémantique qui tend à objectiver, à typologiser la diversité des phénomènes observés dans le réel, une fois qu’il est territorialisé, il n’est plus que l’apparaître de ce qui doit être compris au travers de celui qui s’exprime (le discours est situé, daté, socialisé) et l’apparaître de ce qui est compris par celui qui s’exprime au travers la relation que ce dernier effectue avec l’objet spatial (le discours situe le monde de celui qui s’exprime en le délimitant, le différenciant, le discrétisant).

Ainsi, l’intérêt d’une analyse en terme de constructions imaginées est de ne pas s’intéresser aux référents en tant que tels, mais de les considérer dans l’au-delà et l’en deçà de la relation que peut effectuer potentiellement l’acteur avec eux par ses discours. Le problème est en fait de structurer l’idéalité, la valeur qui est assignée au référent et non pas d’émettre ipso facto par un principe normatif une valeur à ce référent. Si la Flandre et la Wallonie sont des référents, des constituants spatiaux qui paraissent aujourd’hui plus génériques pour les habitants que celui que constitue la Belgique, c’est avant tout parce que les politiques belges tendent justement à en renforcer la prégnance matérielle et idéelle par la mise en place d’une législation confédérale poussant clairement au séparatisme. Pour autant, cela ne renforce pas forcément la prégnance structurante sur les représentations territoriales de ces habitants. En découle l’aveu en forme de camouflet d’Hervé Hasquin : « L’opinion francophone reste unitaire et royaliste. L’homme politique doit donc être prudent » (2001).

Car s’il n’y a de référent que ce à quoi se rapporte un récit, pour l’instant, le récit politique semble ne pas encore avoir eu le temps de sédimenter les référents et les habitus qui lui correspondent dans l’opinion publique francophone. Il est cependant remarquable de voir comment les Wallons, anti-monarchistes et séparatistes après-guerre sont devenus au fil des ans monarchistes et unitaires, la monarchie restant pour eux le meilleur garant d’une unité représentant aujourd’hui la sauvegarde socio-économique de la Wallonie.

L’exemple de la Belgique s’inscrit pleinement dans une réflexion sur les configurations et les re-configurations des objets géographiques. Ils se nourrissent des liens entre les objets spatialisés (nation et État, dont parle Hervé Hasquin) et les référents territoriaux qui les ont matérialisés successivement au fil de l’histoire contemporaine. En effet, le référent de l’objet « État belge » s’est dématérialisé dans ses limites, ses institutions, sa représentation politique pour se rematérialiser dans de nouvelles limites, de nouvelles institutions et de nouvelles représentations politiques. De même, le référent de l’objet « nation belge » s’est successivement unifié puis différencié en trois (voire quatre ou cinq) nouvelles unités référentielles.

Transformation du référent de l’objet qui a transformé alors l’objet lui-même puisque l’État et la nation ne peuvent plus être pensés de la même manière qu’auparavant. De nouvelles formes politiques se font jour à mi-chemin entre un État fédéral, confédéral et des États autonomes et souverains. De même, de nouvelles formes sociétales remplacent l’idée de nation belge en se fondant sur le jeu protéiforme des langues (le français, le néerlandais, l’allemand), des patois (le picard de Tournai, le wallon de Charleroi, le wallon de Liège, le lorrain d’oïl d’Arlon) des cultures (agricole, industrielle, commerciale), des communautés (italienne, polonaise, turque, maghrébine), etc.

L’objet géographique joue donc des matérialisations —des processus de reconfigurations—, comme des matérialités —des configurations sédimentées— qui semblent toujours déjà instituées. Mais ce jeu ne relève pas simplement d’un rapport de causalité entre ce qui est et ce qui est en train de se faire puisque le système n’est jamais totalement fermé au point de n’offrir qu’un passage de l’un à l’autre. Les matérialités offrent simplement de nouvelles conditions potentielles et l’actualisation de l’une d’entre-elle ou de la composition de plusieurs d’entre-elles reconfigure à terme de nouvelles matérialités et potentialise de nouvelles conditions. Ce jeu entre matérialisation et matérialité démontre la performativité de penser l’objet géographique et le référent territorial, certes à des niveaux d’interventions différents, comme des artefacts.

Si la Belgique est un État artificiel, il en est aussi de la Flandre, de la Wallonie, de Bruxelles-Capitale comme de toutes les entités territoriales qui se construisent.Ces proto-États sont également des artefacts car ils sont la résultante des configurations territoriales qui les ont matérialisés au jour d’aujourd’hui. Ces artefacts sont datés, situés, socialisés. Ils sont tout à la fois institués et constitutifs de raisons d’être et d’agir qui sont autant de « constructions imaginées ». Mais à côté de cela, le chercheur, qu’il soit géographe ou historien, investi politiquement ou pas, doit conserver à l’idée que le cœur de son objectivation est un artefact de la science dans laquelle il travaille, du contexte de son existence, de sa généalogie. Son objectivité ne peut donc ignorer ses propres constructions imaginaires. En elle, la raison d’être et d’agir scientifique participe déjà d’une construction imaginée du chercheur car ses référents sont d’un type et d’un mode situé, daté et socialisé de la science.

De ce fait, si l’objet géographique peut parfois sembler chevaucher le référent territorial et inversement, il faut comprendre que ce n’est pas bien entendu l’objet géographique qui chevauche le référent territorial mais bien plutôt celui qui l’utilise comme référent de sa construction scientifique qui l’institue plus ou moins comme tel et selon les circonstances, pour fonder le territoire et son cortège de références identitaires comme catégorie de l’entendement de ceux qui l’habitent. Philippe Destatte, historien, Directeur de l’Institut Jules Destrée, rappelle implicitement cette emprise territoriale qui peut surseoir à l’objectivité de l’objet spatial, lorsqu’il pose une réflexion sur les liens entre démarche historique et conscience collective : « Le Professeur Hervé Hasquin rappelait lors de l’inauguration officielle du Centre d’Histoire de la Wallonie et du Mouvement Wallon, à Namur, en juin 1987, que le discours de nombreux historiens allait s’adapter au grand tournant dans l’histoire politique contemporaine que constitue la fin de l’État unitaire belge et la reconnaissance de l’existence de communautés et de régions. Le premier titulaire d’un cours d’Histoire de la Wallonie dans une université concluait : “C’est évident que […] tous les anciens complexes sont abandonnés et plus aucun historien n’a le sentiment de faire de l’histoire anti-scientifique, reproche qu’on formulait encore à leur égard il y a vingt ans, quand ils s’occupaient spécifiquement de problèmes d’histoire wallonne” (interview accordée à la Rtbf le 3 juin 1987) »

En ce sens, on peut conclure avec Hervé Hasquin sur l’idée que la Belgique n’existe plus ni en tant qu’État, puisque son histoire officielle a disparu, ni en tant que nation, puisque plus personne n’en fait son récit. La Belgique est artificielle non parce qu’elle n’a pas d’histoire ni de conscience historique mais parce que ses hommes politiques créent l’artifice qu’un autre mode territorial, qu’un autre artefact territorial serait plus approprié au devenir historique de leurs concitoyens.

Résumé

Cet article pose une réflexion sur les constructions territoriales et idéologiques qui s’établissent autour des objets géographiques « État » et « nation », à partir d’une déclaration du Ministre Président de la Communauté Française de Belgique indiquant qu’il n’y avait jamais eu ni nation ni État belge à proprement parler.

Autour de l’exemple de la Belgique, de son évolution institutionnelle au fil de l’histoire contemporaine, entre une Belgique une et indivisible et une Belgique confédérale séparée en régions de plus en plus indépendantes les unes des autres, notre réflexion concerne le sens des références (historiques, culturelles, économiques) que les discours des politiques et des historiens donnent à ces objets géographiques. Ces surplus de sens ont pour but de faire évoluer ces objets dans leur substance spatiale, sociale et temporelle et, au-delà, de changer leur matérialité géographique et l’idée de ce qu’ils représentent symboliquement pour les populations.

L’idée n’est donc pas ici d’analyser l’instrumentalisation des objets géographiques « État » et « nation » pour eux-mêmes, puisqu’en l’occurrence ils ne sont pas remis en cause, mais bien de travailler sur les instrumentalisations des référents spatiaux, sociaux et temporels qui leur donnent corps.

L’auteur tente ainsi de décrypter les formes d’instrumentalisation construites autour de l’histoire territoriale de l’État-nation dans ses différentes époques. Cette instrumentalisation a pour rôle soit de naturaliser, et donc de légitimer, des constructions idéologiques de la nation et de l’État selon les nouvelles configurations territoriales ; soit d’enjoindre les populations à reconnaître de fait la légitimité que conférerait la vérité de l’histoire sur ce que doit être la fondation optimale de leur nation actuelle. On assiste alors à deux phénomènes conjoints : un réajustement de fait des fondements politiques de l’État, et des fondements sociaux de la nation aux configurations des territoires nouvellement découpés ; et un réajustement des constructions territoriales individuelles et collectives fondatrices de la nation selon de nouvelles distinctions sociales et de nouvelles différenciations spatiales dans les pratiques et les discours des différents habitants du pays.

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Notes

[1] Je renvoie le lecteur pour la question de l’État et de la Nation aux ouvrages de Benedict Anderson, 1996 ; de Roger Brunet et alii, 1992 ; du groupe Gemdev, 1999 ; de Jean-Michel Hoerner, 1996 ; et Hugh Seton-Watson, 1977.

[2] Depuis cette date, « la caractéristique du fédéralisme belge est de superposer, en principe du moins, un fédéralisme classique s’appliquant aux domaines de compétence qui relèvent de l’aménagement du territoire, des infrastructures et de l’économie et qui distingue trois “Régions” (Région flamande, Région wallonne, Région bruxelloise) et un fédéralisme “culturel” qui s’applique à ce que le vocabulaire officiel appelle “matières personnalisables” (la langue, la culture et l’éducation, partiellement la santé et la protection sociale) et qui distingue trois “Communautés” (Communauté flamande, française, germanophone) » (Poche, 1996, p. 237).

[3] L’ensemble de notre démarche doit beaucoup aux travaux de Poche, notamment sur la Belgique, voir en particulier : 1992, p. 23-26 et 1996, p. 236-243.

[4] Cet Institut a regroupé environ 350 personnes lors des divers congrès « La Wallonie au Futur » qu’il a organisé depuis 1987. Ces diverses intervenants « qui détiennent une capacité de réflexion ou d’action là où ils vivent, à travers leurs engagements et leurs responsabilités, qu’ils se situent dans la sphère de la société civile et du monde associatif, dans celle de l’économie et des entreprises oudans celle de l’État, de l’enseignement et de l’Université » (Institut Jules Destrée : www.wallonie-en-ligne.net), ont participé à 14 groupes de prospective qui traitent plus particulièrement des aspects sociaux-économiques (6 groupes), d’enseignement et de formation (2 groupes) et de culture (5 groupes).

[5] Comme le souligne hardiment un siècle plus tard le géographe Robert Sevrin à propos des langues : « La limite linguistique correspond à peu près avec la limite, soulignée par les alignements de buttes-témoins, entre les plaines au nord et les bas-plateaux du glacis plio-pléistocène, les régions hercyniennes et les cuestas lorraines au sud » (1980, p. 52).

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