Sans refaire ici l’historique des musées et de la muséologie, rappelons simplement que les musées publics en France doivent leur existence à la nationalisation des œuvres par le gouvernement de la Convention. L’accumulation de ces œuvres, principalement issues des collections royales et des églises, fut alors répartie en dépôts puis en musées dont le Muséum central des arts [1]. Ces collections se sont progressivement enrichies avec les butins de guerre, politique à laquelle Napoléon appliqua une ampleur européenne. Ainsi, dès sa création, le musée s’est construit comme lieu démonstratif de l’identité. Identité d’un territoire, d’une nation, d’un pouvoir. Sans être formulé, le message politique transparaît de façon sous-jacente. André Desvallées [2] rappelle que, bien souvent, les musées avaient tendance à servir les intentions politiques des souverains, principalement les musées d’histoire, comme ce fut le cas pour le musée de Versailles, consacré à toutes les gloires de la France par le roi Louis-Philippe en 1832, ou le musée des Antiquités Nationales de Saint-Germain en Laye créé par Napoléon iii.
Le musée du 19e siècle était destiné à un public éclairé et fort restreint. De nos jours, cette institution participe plus largement à l’éducation et sert à l’apprentissage de connaissances, ce qui l’a conduit à développer ses systèmes de diffusions. Ainsi, le musée public englobe-t-il différents acteurs exerçant de nombreuses activités au sein de l’institution, les deux principales étant la conservation et l’exploitation, autrement dit, protéger, garder les traces du passé et donner à voir, montrer, exposer. Ces deux activités impliquent des opérations de sélection, de classement ainsi que des modalités d’expositions, de mises en scène, qui en aucun cas ne peuvent être considérées comme neutres mais procèdent de choix. À travers la mise en place de ces choix et de constructions visuelles, l’espace muséal suscite un regard attentif qui lui confère un pouvoir de valorisation. Ainsi comme lieu de construction et de transmission d’un savoir, le musée devient-il le plus souvent un lieu de représentation et d’énonciation dans laquelle la dimension politique joue un rôle non négligeable.
Au printemps 2007, les Parisiens pourront assister à l’ouverture de la Cité de l’histoire de l’immigration dans l’ancien palais des colonies, devenu ensuite le Musée National des Arts d’Afrique et d’Océanie. Cette « Cité » comprendra entre autres une médiathèque, des éditions et bien sûr, un musée. Un musée qui, pour le moment, ne comporte aucune collection, mais qui aura comme principale mission de « constituer des collections représentatives de l’histoire de l’immigration en France, en faisant appel à l’extrême diversité des patrimoines, de les conserver, les enrichir, les étudier et les diffuser en les présentant au public. » [3].
Comment constituer de telles collections ? Quels professionnels doivent en être responsables ? Quand doit-on considérer le début de l’histoire de l’immigration ? Quelles traces, quels objets peuvent être choisis pour signifier l’immigration et son histoire ? Les questions qui surgissent sont sans fin ! Sans prétendre apporter des réponses, hors de mes compétences, je souhaite seulement ici susciter la réflexion des individus qui sans être acteurs du musée, le fréquentent.
Les dynamiques migratoires en direction de l’hexagone se sont de tous temps inscrites dans des démarches variées. Pour les individus quittant leur pays, les raisons sont diverses ; en revanche, pour la France qui les accueille, il s’agit avant tout d’intérêts économiques. Les mouvements successifs de populations ont naturellement influé sur le développement de la France sans que cela ne se limite au domaine économique. Aussi, afin de réhabiliter l’histoire de ces migrations de travailleurs, au-delà de leur rôle de main-d’œuvre, les responsables du musée ont pour projet de mettre en avant le rôle de ces hommes et de ces femmes dans la construction de la société française. S’agit-il alors pour ce musée de construire l’histoire qui contribuera à cette démarche ? Quels seront les acteurs de cette Cité et pour quel public ?
L’Avant-projet scientifique et culturel [4] dénonce le lieu de mémoire ou le monument commémoratif au profit d’une histoire des migrations étrangères depuis le 19e siècle. Cependant, les responsables des collections souhaitent privilégier largement « la collecte de sources orales et les trajectoires individuelles ». De même qu’il apparaît nécessaire d’interroger la présence des objets dans un musée, il semble utile de questionner les éléments qui permettront de représenter l’histoire de l’immigration et non une mémoire nationale de l’immigration.
Sera-t-il possible de conserver sans figer, d’exposer en apportant toujours un regard nouveau au fil des années ? Peut-on envisager des collections comme formes de représentation d’un passé, comme présence d’une chose absente ?
Les témoignages individuels, les sources orales apparaissent avant tout comme des éléments de mémoire. Sans rien enlever à leur valeur et à la nécessité de leur présence, il semble indispensable de les reconnaître comme tels. C’est peut-être à cette condition qu’il sera possible de les inscrire, de les figer, de les enregistrer afin de les constituer en archives et de les consulter pour écrire l’histoire. L’histoire comme reconstruction de ce qui n’est plus. Mais alors, l’immigration serait-elle un phénomène révolu ? Ou s’agit-il seulement de son histoire ?
Image : Clio, muse de l’histoire.