Paris est la première destination touristique du monde. Pour l’année 2012, l’Office du Tourisme et des Congrès de Paris estime à 15 millions le nombre de visiteurs et à 37 millions le nombre de nuitées (OTCP 2013). Les touristes sont attirés par la variété des sites touristiques, de l’offre culturelle et les grandes possibilités en matière de shopping. De plus, la capitale française jouit d’une image exceptionnelle, qui joue sans aucun doute un rôle dans le choix de séjour des touristes.
Paris occupe une place de choix dans les recherches en tourisme. Une attention particulière a été portée à la dimension spatiale du tourisme et des pratiques touristiques dans la ville. Par exemple, Pearce (1998, 1999) a travaillé sur les districts touristiques à l’intérieur de la ville ; Duhamel et Knafou (2007) ont mis en lumière la centralité du tourisme et la concentration des activités liées au tourisme en reprenant le concept de « Central Tourist District » (CTD) (Burtenshaw et al. 1991). Cependant, le tourisme parisien ne se résume pas seulement à un tourisme de masse dont les flux se concentrent dans un nombre limité de sites majeurs. Un débat existe sur l’extension réelle du tourisme au sein de la métropole parisienne et donc au-delà des limites administratives de Paris (voir par exemple le projet « Paris métropole touristique 2030 » dirigé par Maria Gravari-Barbas). En outre, dans Paris intra-muros, un nombre croissant de touristes (en particulier ceux qui viennent à Paris pour la seconde fois ou plus, les repeaters) a tendance à explorer la ville en dehors des sites touristiques majeurs, hors des sentiers battus. Les repeaters semblent être intéressés par la rencontre avec la population locale et le fait de connaître et partager sa vie quotidienne. Selon Freytag (2010), ils sont particulièrement attirés par l’Est parisien. Cependant, ces affirmations ne sont appuyées que sur une enquête à petite échelle, des entretiens avec des experts et des observations.
Pour réaliser une étude empirique plus précise des mobilités touristiques à Paris, nous avons mené une enquête visiteurs combinée à un recueil de données GPS, en mai et juin 2013, grâce au financement de l’office allemand d’échanges universitaires (DAAD) et du ministère des affaires étrangères français, au sein du programme PROCOPE. Le recueil de données GPS permet de connaître la position exacte des touristes dans le temps et l’espace (Shoval et Isaacson 2007). Notre échantillon est composé de 129 touristes (à l’exclusion de personnes en voyages d’affaires ou en visite à la famille ou à des amis), passant trois ou quatre jours à Paris (les jours utilisés seulement pour l’arrivée ou le départ n’étant pas comptabilisés). Les entretiens ont été menés au sein de l’Office du Tourisme et des Congrès de Paris (25, rue des Pyramides). Nous avons proposé aux personnes interrogées d’utiliser un GPS (Qstarz BT-Q1000XT et i-Blue 747A+) pour que nous puissions suivre leurs déplacements lors de leur séjour à Paris. Le niveau de participation a été, de façon inattendue, très élevé, avec en moyenne un taux de refus compris entre 10 et 20 %. De nombreuses personnes n’ont pas été retenues, car elles ne correspondaient pas aux critères de sélection définis (voir ci-dessus). Le niveau de participation a été plus ou moins haut en fonction de différents facteurs, comme les conditions météorologiques (en cas de longues périodes de pluie, beaucoup de touristes étaient de mauvaise humeur et moins susceptibles d’accepter de participer à l’enquête) ou le moment de la demande (le nombre de réponses positives était généralement plus élevé le matin que l’après-midi). Dans quelques cas seulement, le refus était lié à la barrière de la langue (en particulier pour des touristes italiens et espagnols ne parlant ni anglais, ni français, ni allemand). La plupart des personnes interrogées ont été d’une grande aide, parfois même heureuses de pouvoir participer à notre projet de recherche (voir Figure 2). Ce faisant, nous pouvons supposer le sérieux et l’entièreté des données recueillies.
Les touristes renvoyaient leur GPS par courrier à la fin de leur séjour grâce à une enveloppe timbrée fournie lors de l’entretien. Quelques envois ont été faits depuis les pays d’origine des touristes, avec un mot expliquant qu’ils avaient oublié de poster l’enveloppe en France avant leur départ. Par conséquent, le temps de circulation des GPS a parfois été considérablement augmenté, l’appareil ne pouvant être remis aux participants suivants que bien après la date prévue.
Notre échantillon regroupe des touristes venus de 25 pays différents. Les participants étaient âgés de 16 à 77 ans. L’âge des participants n’a pas constitué de biais dans le fait d’accepter de prendre part à l’enquête, à l’inverse de ce qui peut se produire avec d’autres méthodes de recueil de données GSM, comme avec les téléphones portables (Olteanu Raimond et al. 2012). Les touristes venant à Paris pour la première fois représentent 51,1 % de notre échantillon. Le fait d’avoir abordé les touristes pour réaliser l’entretien et leur confier les GPS dans les locaux de l’OTCP participe sans doute au fait que les touristes visitant Paris hors des sentiers battus sont moins présents dans l’échantillon.
Les hébergements des touristes de notre échantillon sont répartis dans tout Paris. Un tout petit nombre de touristes ont choisi de loger en dehors de la ville (voir Figure 3). La qualité des hébergements varie, couvrant une large palette de possibilités, de l’hôtel pour petits budgets à l’hôtel de luxe.
On peut observer, en analysant la carte regroupant l’ensemble des données GPS recueillies, que la grande majorité des touristes reste dans Paris intra-muros (voir Figure 4). Hors de Paris, nous n’observons que deux sites particulièrement importants : le palais de Versailles et Disneyland, à Marne-la-Vallée. Si on regarde la carte plus finement, on peut également noter que de vastes espaces de Paris intra-muros ne sont pas fréquentés par les touristes de notre étude. Les limites de l’aire la plus fréquentée par ces touristes sont Montmartre au Nord, l’Arc de Triomphe à l’Ouest, le Panthéon au Sud et la place de la Bastille à l’Est. Quelques sites, fréquentés par quelques membres de notre échantillon, se situent en dehors de ces limites, comme le cimetière du Père-Lachaise et les Catacombes de Paris.
À l’intérieur de la ville de Paris, plusieurs sites touristiques clés se voient clairement (voir Figure 6). Ce sont les lieux où les touristes se rendent de façon quasi systématique et où ils passent un temps important. Ces lieux très fréquentés sont la Tour Eiffel, le Louvre, le Sacré-Cœur (Montmartre) et Notre-Dame. En lien avec ces hauts lieux touristiques, nous pouvons identifier plusieurs axes majeurs pour les mobilités touristiques, comme les Champs-Élysées, la rue de Rivoli, l’avenue de l’Opéra ou encore, dans une moindre mesure, le Boulevard Haussmann. Certaines zones de la capitale peuvent être considérées comme des zones touristiques, sans pour autant être structurées par un haut lieu touristique ou traversées par un axe de mobilités touristiques, comme le Quartier Latin (au bord de la Seine, au sud de Notre-Dame) et le quartier du Marais, au sud-ouest du Centre Georges Pompidou.
Les résultats de notre enquête visiteurs combinée au recueil de données GPS confirment largement les limites du Central Tourist District (CTD) identifiées par Duhamel et Knafou (2007). Cependant, cette évaluation fine de la mobilité des touristes dans l’espace et dans le temps permet non seulement de déterminer plus précisément les limites du CTD (en l’occurrence, une zone plus petite en comparaison des postulats de Duhamel et Knafou), mais aussi de distinguer les différents chemins et lieux — à l’intérieur même du CTD — qui concentrent le plus haut niveau de visiteurs. Comme nous l’avons dit plus haut, une série de hauts lieux, d’axes et de zones touristiques peut être identifiée. Ainsi, cette zone touristique centrale définie comme le CTD ne peut être considérée comme homogène. Il s’agit plutôt d’une zone formée et segmentée par des axes et des lieux particulièrement importants dans les mobilités touristiques.
En comparaison avec les résultats d’une enquête similaire menée à Berlin (Freytag et Weber 2012), les mobilités touristiques à Paris montrent un degré particulièrement haut de concentration spatiale. Les modèles de mobilités des touristes correspondent, à Paris, à ce que Keul et Kühberger (1997) appellent les « colonnes de fourmis » dans leur étude des mobilités touristiques à Salzburg, en Autriche. Ainsi, même à l’intérieur du CTD, il existe des endroits que les touristes ne fréquentent pas du tout. Pettersson et Zillinger (2011) les qualifient de « zones mortes » en termes de perception touristique et de marketing territorial.
Au total, notre enquête des visiteurs, combinée au recueil de données GPS, ouvre de nouvelles perspectives pour les recherches en tourisme d’une part et le marketing territorial et touristique d’autre part. Cette connaissance approfondie des mobilités et des activités des touristes dans le temps et l’espace permet d’optimiser les flux touristiques, mais également d’adapter la structure générale de la destination touristique (Huang et Wu 2012, Leask 2010, Xia et al. 2011).
Dans une seconde phase de notre projet de recherches, les données recueillies via notre enquête par questionnaire et par les GPS seront analysées plus en profondeur. En travaillant avec une interface numérique (Bauder 2012), il est possible d’identifier et d’analyser de différents modèles de mobilités, en fonction de différents types de touristes établis à partir des réponses au questionnaire. Alors que d’autres méthodes, comme l’utilisation de données GSM, ne permettent pas une analyse aussi approfondie (voir par exemple Olteanu Raimond et al. 2012), notre approche s’avère être pertinente pour une comparaison de groupes définis de façon empirique (Weber et Bauder 2013). Suivant cette méthodologie, nous prévoyons de présenter nos résultats de façon plus détaillée, en incluant, par exemple, une comparaison entre les mobilités des touristes venant pour la première fois à Paris et celles des repeaters, ainsi qu’une étude de ces mobilités en fonction des conditions météorologiques.