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Sérendipité.

Luther contre le protocole de Kyoto ou le retour des « indulgences ».

Le 16 février 2005 a marqué la mise en œuvre du Protocole de Kyoto. En fait, depuis l’annonce par la Russie, le 25 octobre 2004, de sa décision de ratifier ce protocole, l’affaire était entendue. Menacé depuis le refus des États-Unis, l’un des plus grands pollueurs de la planète, de ne pas le ratifier pour des raisons purement économiques alors que ce pays produit à lui seul 40 % des gaz à effet de serre (ges), l’accord survenu à Kyoto en 1997 est enfin entériné et chacun d’applaudir à cette avancée importante pour la protection de notre environnement. Rappelons que, dans les années 1980, il est apparu de plus en plus clairement que les émissions de ges générées par les activités humaines avaient une influence désastreuse sur le climat de la planète. À la suite de négociations internationales au sein de l’Onu, fut établie la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques qui posa comme objectif fondamental la stabilisation des concentrations atmosphériques de ges à des « niveaux sûrs ». Elle fut ouverte à la signature en juin 1992, au Sommet de la Terre de Rio de Janeiro, et est entrée en vigueur en mars 1994. Aujourd’hui, 186 pays ainsi que l’Union européenne, sont parties à cette Convention. Estimant l’objectif de la Convention insuffisant, notamment pour les pays industrialisés, historiquement responsables des émissions de gaz à effet de serre, les parties à la Convention entamèrent un nouveau cycle de négociations qui aboutit à l’adoption du Protocole de Kyoto en décembre 1997.

L’une des dispositions les plus intéressantes de ce protocole concerne la réglementation de la production des ges. En effet, une « bourse » des pollueurs sera créée, de manière à permettre aux plus gros pollueurs d’échanger des « points » contre ceux qui respecteront le mieux les nouvelles contraintes. En soi, ce système ne fait qu’étendre le principe de la régulation par le marché à la production de ges, ce qui fera à n’en pas douter le bonheur des « courtiers » de ce nouveau marché.

Ce système d’échange de « permis de polluer » est présenté dans l’espace médiatique comme une innovation majeure qui permet, une fois de plus, à la « main invisible du marché » de résoudre nos problèmes collectifs en répartissant avec le plus d’efficacité possible les ressources entre les individus, les groupes sociaux, les firmes et les Etats. On substitue le principe du « pollueur-payeur », qui a longtemps été à la base de nombreuses réglementations environnementales à travers le monde, par celui du « pollueur-pénitent », inspiré directement par le système des indulgences mis en place par l’Église catholique au cours du Moyen-Âge. Rien de très nouveau donc.

En effet, si l’on se fie à l’Encyclopedia Universalis, le terme « indulgence » désigne à l’origine « la remise d’une pénitence publique imposée par l’Église, pour une durée déterminée, après le pardon des péchés. À la suite d’une lente élaboration, la notion d’indulgence en est venue à signifier aujourd’hui une intercession particulière auprès de Dieu accordée par l’Église en vue de la rémission totale ou partielle de la réparation (ou peine temporelle) qu’on doit acquitter pour les péchés déjà pardonnés ». L’une des particularités historiques des « indulgences » est d’avoir donné naissance à un véritable marché économique de la pénitence, les personnes les plus aisées rétribuant, sous une forme monétaire ou non, d’autres personnes afin qu’elles expient à leur place leurs péchés. Pour échapper aux croisades ou aux pèlerinages censés contribuer à la « rémission totale ou partielle de la réparation », il était de pratique courante de payer une tierce personne pour effectuer ces actes de foi. L’exemple est même venu de Rome qui, au début du 16e siècle, finança la reconstruction de la basilique Saint-Pierre en octroyant des indulgences aux « généreux donateurs ». Cet épisode est d’ailleurs considéré comme celui qui marqua l’origine de la Réforme protestante conduite par Martin Luther. Celui-ci s’opposa publiquement, le 31 octobre 1517, à l’archevêque Albrecht de Mayence qui avait apporté sa caution à l’opération voulue par le Vatican. Luther demanda la tenue d’un débat sur les notions d’indulgence et de pénitence et remis en question l’autorité du Pape en dénonçant les pratiques mercantiles et la non-soumission de l’ensemble des croyants au jugement de Dieu.

Image1À l’évidence, presque cinq siècles plus tard, la mise en place de la « bourse » des pollueurs par le Protocole de Kyoto s’inspire directement des indulgences pontificales, qui n’ont pas, encore, trouvé leur Luther contemporain. Dans la première de ses Quatre-Vingt-Quinze Thèses de 1517 « sur la vertu des indulgences », Luther énonçait : « Quand notre Seigneur et Maître Jésus disait : Faites pénitence…, il entendait que la vie entière des croyants devait être une pénitence. » Si les sociétés occidentales se sont sécularisées, elles ont néanmoins pris soin de cultiver le principe selon lequel il est possible d’expier les fautes, individuelles et collectives, par le biais du marché. Pourtant, ce sont ces mêmes protestants, pourfendeurs des indulgences, qui, à partir du 19e siècle, constitueront le principal groupe social vecteur du capitalisme en Europe et en Amérique du Nord. Ultime renversement, c’est le premier producteur de ges, les États-Unis, dirigés par une « secte protestante », pour parler comme Max Weber, qui refuse actuellement d’appliquer le Protocole de Kyoto et conteste ainsi la primauté du marché comme instrument de répartition optimale des ressources. Luther, réveille-toi, ils sont devenus fous.

Image : Helmolt, H.F., ed. History of the World. New York: Dodd, Mead and Company, 1902. Site de la University of Texas Librairies.

Résumé

Le 16 février 2005 a marqué la mise en œuvre du Protocole de Kyoto. En fait, depuis l’annonce par la Russie, le 25 octobre 2004, de sa décision de ratifier ce protocole, l’affaire était entendue. Menacé depuis le refus des États-Unis, l’un des plus grands pollueurs de la planète, de ne pas le ratifier pour ...

Bibliographie

Notes

Auteurs

Bernard Jouve

Titulaire de la Chaire de recherche du Canada en étude des dynamiques territoriales, professeur adjoint au département de géographie de l’Université du Québec à Montréal, il travaille depuis plusieurs années sur la gouvernance urbaine dans une perspective comparée. Directeur scientifique du site www.metrolab.net Travaux récents : (dir., avec Christian Lefèvre) Horizons métropolitains. Politiques et projets urbains en Europe, Lausanne, Ppur, 2004 ; La gouvernance urbaine en questions, Paris, Elsevier, 2003 ; « Gouvernance métropolitaine : vers un programme de recherche comparatif », Politique et sociétés, vol. 22, n°1, 2003.

Catherine Labeaumont

Professeure d’histoire-géographie au Collège Stanislas, Montréal.

Partenariat

Sérendipité.

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