Alors même que l’ensemble du personnel gouvernemental et parlementaire est sujet à une relative désaffection de la part des citoyens, les maires français jouissent, on le sait, d’une popularité qui fait d’eux les figures centrales de la scène politique. Au-delà de la décentralisation, qui a souvent renforcé leur image de décideurs, ils ont su tirer parti de la dimension identitaire qui caractérise l’échelon communal pour devenir les acteurs indispensables de la vie locale. Pourtant, si cette thèse est globalement exacte, elle ne rend compte qu’approximativement de l’étendue des éléments qui confèrent aux maires leurs particularités, ce que la sociologie électorale a eu trop souvent tendance à oublier. La figure du maire ne saurait en effet se résumer à un simple archétype. Des différences nettes, tant en terme de perception par les citoyens que d’actions mises en œuvre existent, dépendant à la fois de la taille de la commune et de ses spécificités géographiques (territoire urbain, territoire rural). Ainsi, l’unité qui semble caractériser les maires français est avant tout une unité de statut institutionnel « historique », qui se confronte à la diversité des réalités sociales. D’autre part, la figure du maire est l’objet de nombreux stéréotypes qui ne traduisent pas cette diversité. Il convient donc de prendre en compte les mécanismes de socialisation qui aboutissent à la légitimation et à la reproduction de cette image galvaudée du maire comme unique acteur valable de la démocratie locale.
Gestion sous contrainte.
Reprenant les travaux des plus grands noms de la sociologie politique française (Aghulon, Abélès ou Offerlé), Christian Le Bart propose dans cet ouvrage des éléments de synthèse complétés et actualisés par des études de terrain. Une telle démarche implique dans un premier temps l’analyse du « rôle », au sens sociologique du terme, des maires. L’action publique locale dont ils sont les principaux acteurs se comprend moins en terme d’intentions politiques qu’en terme de gestion de ressources et de contraintes. Le maire est en effet soumis à un ensemble d’obligations tenant tout autant aux attentes exprimées par les électeurs qu’aux cadres juridiques et institutionnels qui imposent une certaine conduite et des modes d’action préétablis. Pour composer avec ces contraintes environnementales et contextuelles, le maire dispose de ressources qui lui permettent de s’ajuster à ce rôle et à le personnifier de façon légitime. Ces ressources sont principalement d’ordre historique (légitimité conférée par le suffrage universel), fonctionnel (pouvoir politique et budgétaire) et social (mise en place de réseaux d’influence). En revanche, leur mobilisation ne peut se faire que sous contrainte : il convient que le maire les inscrive dans l’exécution des missions légitimes d’action, de rassemblement et de développement communal.
C’est à la lumière de ce processus de gestion sous contrainte que l’auteur tente de cerner les éléments qui concourent au développement de la « vocation » de maire. Il convient de remarquer que l’attraction vers le « métier » de maire — à tous égards si particulier — ne se distribue pas aléatoirement mais selon les caractéristiques sociales des individus. Bien que l’on puisse reconnaître dans les faits une multitude de parcours, l’aspiration à exercer ce type de fonctions n’est considérée comme légitime que si l’intéressé dispose de ressources mobilisables à cet effet (notoriété, implantation familiale ou dans les affaires locales, etc.). Ainsi, l’analyse sociologique permet de déconstruire l’image imposée par le droit d’une possibilité d’égal accès de tous à la fonction de maire, remettant par là même en question l’idéal de démocratie locale qu’elle incarne.