Cette Traverse inaugure officiellement le partenariat scientifique entre EspacesTemps.net et le grand programme interdisciplinaire de recherche PostCarWorld, soutenu par le Fonds national suisse (FNS, 2014-2016).
Comme on peut le voir en parcourant les articles déjà publiés dans le dossier, certains textes sont apparus avant même le démarrage du projet, parfois écrits par des auteurs actuellement membres de l’équipe de PostCarWorld. Cela signifie simplement que, dans une revue de sciences sociales qui prend au sérieux l’espace habité et l’urbanité, il est parfaitement logique de s’intéresser à la mobilité. Cependant, cette convergence thématique ne suffit pas à expliquer pourquoi cette revue et ce projet unissent leurs forces.
PostCarWorld s’est donné comme objectif premier de présenter une simulation d’un système de mobilité post-automobile. Pour y parvenir, les chercheurs impliqués dans le projet s’efforcent d’abord d’analyser, au moyen d’enquêtes qualitatives et quantitatives, les changements possibles dans la demande structurelle de mobilité, car ils envisagent une société post-automobile comme le résultat d’un choix politique positif, conscient et volontaire, et non comme le simple effet de forces et de contraintes extérieures. Du côté de l’offre, personne ne peut plus contester ce que de nombreuses études, disciplinaires ou interdisciplinaires, ont montré : le caractère indissociable des réseaux de mobilité et de l’espace habité dans son ensemble. Si nous imaginons une dynamique qui modifierait profondément l’offre, la demande et l’équilibre entre les deux, nul doute que cela impliquerait des mutations essentielles en matière d’attitudes, de pratiques, de modes de vie. En fait, une société post-automobile serait une autre société que celle dans laquelle nous vivons. De même que le monde de l’automobile peut être identifié comme un « fait social total » au sens que lui donnait l’anthropologue Marcel Mauss, le dépassement de cette situation constituerait un basculement spectaculaire, un événement social total, quelque chose comme une révolution.
Compte tenu de l’attachement que des milliards de personnes à travers le Monde ressentent pour leur voiture dans un environnement socio-politique souvent décrit comme conservateur et réticent à toute réforme d’envergure, cette simulation scientifique serait-elle autre chose, en réalité, qu’un exercice abstrait, voire la triste revanche de militants contrariés ? Loin de là et pour une bonne raison. L’enjeu d’une société post-automobile apparaît clairement dans la vie sociale d’aujourd’hui : dans l’impressionnant renouveau de la place des transports publics dans l’urbanisme, dans la « ringardisation » croissante de la civilisation automobile au sein des jeunes générations au Japon, en Europe et en Amérique du Nord et, bien sûr, dans la place de la mobilité parmi les thèmes de débat public liés aux environnements naturels et au développement durable. Sur l’automobile comme sur d’autres enjeux de société, de minuscules changements visant simplement à résoudre des problèmes pratiques, des signaux faibles annonçant des inflexions futures ou de lentes mutations paradigmatiques caractérisent les processus complexes d’invention des futurs possibles dans les sociétés d’acteurs multiples.
C’est pourquoi ce dossier, qui s’enrichira progressivement des productions du projet PostCarWorld, porte à la fois sur les mondes post-automobiles et sur le changement social en général.