Didier Chaudet, Florent Parmentier et Benoît Pélopidas, tous trois doctorants en science politique rattachés au Centre d’études et de recherches internationales (Ceri), nous proposent un ouvrage consacré au renouveau de l’idée d’empire en Russie et aux États-Unis en ce début de 21e siècle et, plus particulièrement, après l’éclatement de l’Union soviétique. L’analyse se fait sur le mode binaire, chaque partie comportant un commentaire portant d’abord sur l’Amérique puis sur la Russie. Preuve de la complexité et de la richesse de l’analyse, l’index reprend les noms de 214 personnalités issues de courants spirituels ou politiques cités dans le corps du texte. À travers une analyse historique, cette étude de politique comparée s’intéresse à « des conceptions globalisantes, des visions du monde » (p. 13) et, précisément, à deux mouvements, celui des néoconservateurs aux États-Unis et des néo-eurasistes en Russie. En marge de l’analyse, vingt-deux encadrés renseignent le lecteur sur des mouvements politiques parallèles, des courants spirituels, des guerres ou des révolutions. Le livre est construit en trois parties, une première historique, une seconde consacrée aux idées d’empire et de nationalisme et une troisième qui s’interroge sur le rapport de ces deux pays à l’islam.
L’intention des auteurs est de mettre en parallèle les politiques menées aux États-Unis et en Russie au 20e siècle. Adoptant une méthode hypothético-déductive, ils tentent d’apporter une explication historique à certaines déclarations faites par des dirigeants à l’aube du 21e siècle ou de comprendre ce qui a mené à l’explosion des tours de Manhattan le 11 septembre 2001. La réflexion est une étude de politique internationale, portant à la fois sur l’analyse du vocabulaire utilisé par les politiques de ces deux entités culturelles, et sur une étude analytique du concept d’empire. Ce commentaire restera cependant centré sur l’eurasisme.
Dans une première partie intitulée « Les apôtres de l’empire, généalogies intellectuelles », les auteurs expliquent que les noms actuels des mouvements étudiés, néoconservateurs et néo-eurasistes, peuvent induire le lecteur en erreur du fait de leur évolution au cours du 20e siècle. Un premier chapitre donne des informations historiques sur les néoconservateurs, dont le mouvement apparaît après la seconde guerre mondiale, en réaction au communisme et aux horreurs de la guerre, et occupe le centre gauche du parti démocrate américain. Leur priorité est, déjà à ce moment-là, de combattre la menace soviétique et d’affirmer l’idée du rôle des États-Unis en tant que première puissance planétaire. Ainsi, ils s’opposent à l’idée que les pays du Tiers-Monde soient traités comme les États du Nord, « plus à même de faire régner l’ordre de par le monde » (p. 26). Selon eux, c’est le fait que les pays du Tiers-Monde aient privilégié la notion d’égalité plutôt que celle de liberté qui explique la situation dans laquelle ils se trouvent. Dans les années 1960, le parti néoconservateur s’affirme en tant que tel et glisse vers la droite pour dénoncer, dans les années 1970, l’esprit de détente avec l’Urss. Parallèlement, l’affirmation du référent religieux pour la communauté politique en tant que « ciment indispensable pour la société et facteur d’ordre irremplaçable » (p. 49) prend de l’importance. Ce mélange des idées religieuses et politiques engage les membres du parti à voir l’Urss comme l’Empire du Mal, appellation utilisée pour la première fois par le Président Reagan (p. 40). Ainsi, les auteurs soulignent-ils que le néo-conservatisme est un produit de la Guerre froide : c’est son affirmation de la suprématie américaine et la méfiance envers le monde extérieur qui le conduisent à une légitimation de l’empire comme facteur d’ordre mondial (p. 54).
L’histoire du néo-eurasisme en Russie est, elle aussi, complexe et suit la constitution de son précurseur : l’eurasisme. Né en marge de la Révolution bolchévique, l’eurasisme se fonde sur l’idée que la Russie est un univers à part, ni Asie, ni Europe. Selon ses promoteurs, le destin du monde reposerait sur la Russie, ce qui fait du mouvement une forme de nationalisme impérial (p. 55). Considéré comme une nouvelle voie (ni tsariste, ni socialiste, ni capitaliste), l’eurasisme est lié à d’autres idéologies, telles que le panslavisme (engendré par la distinction chez les slavophiles à la fin du 19e et au début du 20e siècles entre un Orient religieux et un Occident rationaliste), le pantouranisme (idée d’unification des peuples touraniens de la Finlande à la Mandchourie, grâce à l’héritage laissé par les invasions turco-mongoles qui ont contribué à la formation de l’État russe) et le scytisme (nationalisme virulent réduisant la part européenne de l’histoire nationale russe au profit de l’héritage asiatique). Les néo-eurasistes de la fin du 20e siècle prolongent le mouvement eurasiste du début du 20e siècle, mais s’en distinguent par un questionnement plus nuancé par rapport à l’Europe et par un refus du capitalisme et une préoccupation de l’influence américaine sur le voisin européen. Par ailleurs, chez les eurasistes, le principe spirituel prend le pas sur l’Église en tant qu’institution. Ainsi, s’ils souhaitent l’avènement d’une culture orthodoxe, ils n’en tolèrent pas moins le paganisme des peuples chrétiens et se sentent également proches des bouddhistes et des musulmans (p. 65). Les auteurs notent que l’eurasisme ne prônait pas d’idées nationales, tandis que le néo-eurasisme souhaite éviter un démembrement de l’Eurasie sous l’influence de l’ethnocentrisme russe, en mettant en avant une nouvelle forme de souveraineté, tant pour les ethnies et les nationalités de la Fédération russe que pour les anciennes républiques soviétiques (p. 66). Depuis le début des années 1990, deux figures du mouvement se dégagent : Alexandre Prokhanov, qui promeut l’eurasisme « en tant qu’idéologie permettant d’unir l’opposition spirituelle » (p. 69) et prône l’alliance avec le monde arabo-musulman contre l’Occident, et Alexandre Dougine (voir aussi Laruelle, 2001 c) qui est sans doute le plus connu des deux à l’étranger. À la chute de l’Urss, ce dernier prône des idées proches du fascisme, s’inspirant de pensées réactionnaires ou conservatrices. Devenu conseiller du président de la Douma en 1998, il critique le rapprochement russo-américain. En effet, face à l’affaiblissement de la Russie, les néo-eurasistes désignent comme adversaire la puissance impériale américaine et affirment leur volonté de s’allier avec les peuples arabes et d’autres non-occidentaux. En conclusion, les auteurs notent que la différence fondamentale entre l’eurasisme et le néo-eurasisme se situe dans sa relation à l’Europe : si le premier s’est constitué dans les années 1920 en réaction à la civilisation romano-germanique, le second en appelle à présent à l’Europe pour équilibrer la dimension impériale des États-Unis (p. 76). Ainsi, par exemple, le parti Rodina (« Patrie ») réclame un retour aux frontières antérieures à l’année 1991, en excluant cependant les États baltes, qui ne font pas partie de l’ensemble slave (p. 78) et y avaient été rattachés sous la contrainte après la Seconde Guerre mondiale.
Dans une seconde partie intitulée « La vocation impériale à l’épreuve du nationalisme », les auteurs proposent une réflexion sur la notion d’empire et d’impérialisme. Selon leur définition, l’empire (pp. 90-96) suppose un ordre du monde unipolaire et a pour objectif d’exercer une domination sur la périphérie, tout en garantissant la paix de ses sujets et en portant l’idée de transformation du monde. Sans transition, les auteurs proposent de différencier le nationalisme pseudo-impérial, qui obéit à une dynamique expansionniste, et le nationalisme hégémonique, qui se limite à un espace défini (p. 99). Le passage de la notion d’empire à celle de nationalisme aurait pu faire l’objet d’un chapitre intermédiaire. Il semble, en effet, que l’eurasisme soit avant tout un positionnement géopolitique qui a des conséquences indirectes sur la notion de nationalisme, du fait de l’assimilation de la nation et de la société dans l’idéologie eurasiste de l’« étaticité » (Laruelle 2001 a, p. 83). Marlène Laruelle, chercheur au Centre d’études des mondes russe, caucasien et centre-européen (Cercec), montre que le mouvement eurasiste d’Aleksandr Panarin « se veut une réhabilitation philosophique et politique de la notion d’empire : l’empire ne relèverait ici ni d’un nationalisme étroit, ni d’un impérialisme agressif, mais d’une forme d’“étaticité” (gosudarsvennost’) reposant sur des valeurs et des principes éthiques et non sur le culte d’une nation » (2001 a, p. 72). En d’autres termes, l’eurasisme est bien un nationalisme, en ce qu’il constitue l’une des formulations possibles du sentiment national russe, mais il se différencie des courants nationalistes contemporains par sa mise en valeur de l’État et non de l’éthnie (Laruelle, 2001 a, p. 83). L’eurasisme est une doctrine qui met en avant la « personnalité symphonique [1] » (Madhavan, 1993, p. 2799) de l’Eurasie, impliquant à la fois l’idée d’unité et de diversité, par exemple à travers la coexistence du bouddhisme, de l’islam et de la chrétienté orthodoxe. En raison des nécessités objectives que représente le déterminisme environnemental et politique, la position géopolitique de la Russie donne à la politique étrangère une orientation multidirectionnelle (Leonid Abakin, cité in Kerr, 1995, p. 986) et à la politique intérieure un caractère multinational (p. 978). Contre l’universalisme (Laruelle, 2001, p. 75), cette idéologie met en avant un « démocratisme civilisationnel » (p. 83) et affirme l’identité de chaque culture.
Les auteurs attirent l’attention du lecteur sur l’Amérique, dont la politique peut être associée, selon l’expression de l’ouvrage, à celle des impérialistes-démocrates. Selon eux, les néoconservateurs veulent se présenter comme de dignes descendants des impérialistes du 19e siècle : « ils ont compris que l’utilisation des valeurs morales justifie toute action à l’extérieur des États-Unis » (p. 108). Les États-Unis seraient cette nouvelle Terre promise, destinée à offrir la liberté au monde. L’histoire de la Russie, en revanche, est liée au continent eurasiatique. Ainsi les auteurs soulignent-ils que la Russie tsariste n’a jamais eu de velléités expansionnistes ailleurs qu’en Eurasie, tant et si bien qu’Alexandre Ier refusa en 1812 de prendre les îles Hawaï sous son protectorat et qu’Alexandre II, pour sa part, vendit l’Alaska aux États-Unis en 1867 (p. 122). Les néo-eurasistes affirment que la Russie pratique une politique impériale plutôt qu’impérialiste. L’idée de tolérance envers les petites nations, héritée des eurasistes, portait en germe la notion soviétique d’amitié des peuples. Les néo-eurasistes vont plus loin : désireux de lutter contre le mondialisme, ce nouvel ordre mondial dicté par des groupes politico-financiers occidentaux qui imposent leurs stéréotypes aux dépens de la diversité (p. 131), ils mettent en avant l’idée d’une alliance de Moscou avec d’autres puissances occidentales pour lutter contre le mondialisme. Le président Poutine lui-même, animé, selon les auteurs, par des idées néo-eurasistes, propose d’aller à l’encontre du rôle du dollar en établissant une bourse d’échange en roubles pour le commerce du pétrole et du gaz (p. 132). Ainsi, sur le plan économique, l’idée de l’« empire libéral » s’appuie-t-elle chez les néo-eurasistes sur un fondement régional apportant une contribution à une économie alternative à la fois à la mondialisation unipolaire proposée outre-Atlantique et au protectionnisme soviétique. Elle ouvre ainsi le choix d’une « troisième voix » (p. 134, voir aussi Laruelle, 2001 b).
La troisième partie de cette ouvrage, intitulée « Géopolitique des invocations impériales : entre cynisme, idéologie et incohérence », est consacrée aux relations que les néoconservateurs et les néo-eurasistes entretiennent avec l’islam. Pour les premiers, l’islam demeure une religion potentiellement dangereuse tandis qu’aux yeux des seconds elle représente une alliée potentielle. Selon les néoconservateurs, l’islam est une religion acceptable lorsqu’elle reste individuelle et n’entre pas dans le domaine idéologique de la politique en prenant la forme de l’islamisme. Même s’il existe des musulmans parmi les néoconservateurs, il n’en demeure pas moins que l’islam garde un caractère suspicieux aux yeux de ces derniers du fait du lien de causalité nécessaire entre islam et islamisme (p. 151). Les néo-eurasistes, en revanche, ne sont pas méfiants vis-à-vis de l’islam et souhaitent même une alliance avec les pays de la steppe (l’Asie centrale) et ceux du désert (le Moyen-Orient). Témoigne de cette volonté la déclaration de Poutine lors du onzième Sommet islamique de Kuala Lumpur, selon laquelle, « depuis plusieurs siècles, la Russie en tant que pays eurasiatique possède des liens traditionnels, naturels, avec le monde islamique » (p. 159).
La zone turcophone représente un espace potentiel d’exercice d’une volonté impériale ou hégémonique, suivant que l’on se place dans une perspective néoconservatrice ou néo-eurasiste (p. 166). Selon les néoconservateurs, l’Europe sera musulmane dans moins d’un siècle, processus qu’ils pensent devoir être accéléré par l’entrée de la Turquie dans l’Europe. C’est pourquoi les Américains souhaitent attirer la Turquie dans leur giron, plutôt que de la laisser affirmer son alliance avec la vieille Europe. Cependant, la chute de l’Urss a ouvert de nouvelles possibilités de coopération avec la Turquie, avec laquelle une alliance permettrait à Moscou de s’affirmer en Asie centrale (pp. 168-169). Dans le monde turcophone, il aurait été pertinent de rédiger une note sur la République de Sakha (Iakoutie), dont la majorité est officiellement représentée depuis 2002 par une population de langue turque, les Iakoutes. L’eurasisme prend une teinte particulière en Iakoutie, où il n’est plus utilisé par les Russes avec des vues expansionnistes. Au contraire, les Iakoutes se réapproprient l’idéologie et en font leur propre interprétation, précisément dans le but de revoir les relations entre centre et périphérie, de se rapprocher des peuples turcs d’Asie centrale et de prendre ainsi de la distance par rapport à Moscou (Maj, 2009).
Les auteurs notent que les concurrents à l’influence occidentale américaine sont la Russie, la Chine et l’Iran. Aux yeux du gouvernement américain, si une collaboration avec la Russie et la Chine doit être encouragée dans le domaine de la lutte contre le terrorisme, une coopération est radicalement inenvisageable avec l’Iran (p. 175). La Russie maintient depuis la fin des années 1990 des liens privilégiés avec le monde musulman (p. 177), en consolidant notamment ses relations avec les pays marginalisés par l’Occident, qui les considère comme des « États voyous » (entre autres l’Iran, l’Irak et la Syrie). Les néo-eurasistes craignent qu’après les révolutions dans les républiques post-soviétiques, les forces atlantistes visent un démembrement de la Russie elle-même, en commençant par le Nord-Caucase et la Tchétchénie. Pourtant, le monde musulman n’est pas le seul à attirer les néo-eurasistes. Qu’en est-il exactement des relations entre la Chine et la Russie ? Les auteurs ne jugent pas nécessaire d’y consacrer un chapitre. Ils auraient gagné à se pencher sur le cas de la Chine, qui préoccupe les Russes aussi bien sur le plan stratégique que dans le domaine économique (Kerr, 1995, p. 981). En témoignent le pipeline en construction depuis la Sibérie vers la Chine et le prolongement du Transsibérien, qui devrait s’étendre jusqu’en Corée (Rangsimaporn, 2006).
Les néoconservateurs incluent le Tadjikistan persanophone dans l’ensemble slavo-turque (p. 186), du fait de l’enjeu stratégique qu’il représente pour les relations avec l’Afghanistan et la Chine. Par ailleurs, à la frontière de l’Eurasie, le monde arabo-persique est perçu par les néo-eurasistes comme un allié important contre l’influence atlantiste (p. 191). L’ouvrage ne met pas en évidence la lutte entre les néoconservateurs et les néo-eurasistes pour cette aire géographique. En effet, l’analyse du nouveau vocabulaire dont l’apparition a suivi l’effondrement de l’Union soviétique montre que l’étranger proche désigne les anciens pays faisant partie de l’Urss, comme le Tadjikistan malgré son éloignement, alors que l’étranger lointain est réservé aux autres pays, aussi limitrophes qu’ils soient, au titre desquels on peut citer la Finlande (Simon, 1994. p. 33).
L’ouvrage comporte dans son titre le terme « stratégies de puissances ». Cette idée de stratégie ouvrant sur celle du futur, le livre aurait pu s’enrichir d’un chapitre consacré à une critique des modèles de développement politique et social. En effet, l’idéologie de l’eurasisme, qui pose par exemple la question du futur de la Russie en se demandant si l’Europe est bien le futur de la Russie, représente en soi un modèle de progrès (Madhavan, 1993, p. 2799). La Russie souhaite contrer l’image internationale actuelle, qui fait d’elle un pays du Sud du point de vue de développement économique. Pour ce faire, l’eurasisme renverse l’opposition économique entre Nord et Sud, en proposant une bipolarité entre Orient et Occident. Ce discours catastrophiste sur l’humanité rejoint le postmodernisme occidental « par la dépréciation des critères culturels et religieux, ainsi que par son aspect national et polycentrique » (Laruelle, 2001, p. 78).
En résumé, selon les auteurs, la caution néoconservatrice propose un objet téléologique universalisable a priori, alors que celui du néo-eurasisme se cantonne à l’affirmation d’identités culturelles distinctes et autonomes (p. 217). Deux modes de pensée opposent donc le néo-conservatisme des États-Unis, en tant que partisan d’une puissance technicienne et matérialiste, au néo-eurasisme russe, empreint d’un idéal spirituel. Les auteurs conservent une position descriptive, réservant une critique à leur conclusion.
Cet ouvrage s’est attaché à un sujet extrêmement complexe et il peine à en rendre limpide la problématique. Ainsi, le chapitre de conclusion n’est qu’une réflexion sur un thème ouvrant sur ce qu’on pourrait désigner comme une « psychologie des empires » et le lecteur ne peut que déplorer l’absence dans l’ouvrage d’un chapitre synthétique qui lui permette de mettre ses idées au clair. La principale difficulté réside probablement dans le fait que les données et les exemples pris pour chacune des deux parties du monde étudiées sont à chaque fois d’une précision telle que celle-ci rend difficile la compréhension pour le lecteur qui, s’il connaît bien une des deux aires culturelles, n’est généralement pas spécialiste de l’autre. Une conclusion reprenant les différents aspects de l’analyse aurait donc été la bienvenue.
Une autre critique importante concerne la bibliographie. En effet, les auteurs ont choisi de noter en bas de page les ouvrages cités, sans les reprendre tous systématiquement dans la bibliographie, ce qui, en soi, constitue une démarche partielle en sciences humaines. Par ailleurs, ils proposent des « éléments de bibliographie thématique », classés par catégories (« Les États-Unis et les conservateurs », « Histoire générale des Etats-Unis », « La Russie et les néo-eurasistes », « Histoire générale de la Russie », « Le concept d’empire », « Politique internationale », « Références générales »), ce qui rend fastidieuse la recherche des références. La question est aussi de savoir selon quels partis pris une référence ne se trouvera qu’en bas de page ou sera placée dans la bibliographie. Enfin, le sous-classement, à l’intérieur de chaque catégorie, en sources primaires et secondaires, peut paraître étrange pour un ouvrage scientifique.
S’il reste surprenant que la thèse de Marlène Laruelle L’idéologie eurasiste russe ou comment penser l’empire, pourtant publiée en 1999, n’ait trouvé sa place ni au sein des sources « primaires », ni dans la littérature « secondaire », le plus grand reproche qui pourra être fait aux auteurs serait de ne pas avoir assez développé l’étude du rapport des deux grandes entités avec les pays d’Asie du Sud-Est, en particulier la Chine, qui constitue la puissance économique et politique en devenir la plus importante. Enfin, l’ouvrage aurait gagné à comporter quelques cartes de synthèse. Néanmoins, même s’il reste peu accessible à des non spécialistes, l’ouvrage constitue une riche source d’informations. Le lecteur intéressé particulièrement par un approfondissement de la question de l’eurasisme le lira en parallèle du second livre de Marlène Laruelle, publié la même année, constituant un ouvrage de synthèse sur l’histoire de la pensée impériale russe.
Didier Chaudet, Florent Parmentier et Benoît Pélopidas, L’Empire au miroir. Stratégies de puissance aux États-Unis et en Russie, Genève/Paris, Droz, 2007.