Le temps du chercheur et celui du politique coïncident parfois, même si c’est trop souvent de manière fortuite. L’ouvrage dirigé par Bernard Jouve, Vincent Spenlehauer et Philippe Warin, La région, laboratoire politique, en est l’illustration, car tout en étant le fruit « d’échanges parfois anciens », il arrive à point nommé pour éclairer le débat relancé notamment par le Rapport Mauroy sur l’action publique locale. Car sans que cela soit le but explicitement poursuivi par ses auteurs (vingt-cinq chercheurs pour la plupart travaillant en région Rhône-Alpes), on trouvera dans ce livre de quoi alimenter la réflexion autant sur les questions les plus actuelles, comme la démocratie de proximité, que sur les plus « anciennes », comme l’évaluation des politiques publiques ou l’aménagement du territoire. Sa thèse centrale résumée par le titre, présente en effet le Conseil régional de Rhône-Alpes comme un « laboratoire politique » capable de « proposer des solutions originales […] à des problèmes nationaux », notamment d’animation ou de régulation de l’action publique.
Cohérence de l’action publique.
Deux raisons principales fondent l’analyse. D’abord, Rhône-Alpes est parmi l’ensemble des régions administratives françaises un objet d’étude exemplaire. Il s’agit d’une région « pauvre » en unité culturelle, historique, ou géographique mais « riche » par son PIB, le deuxième de France, ce qui ne la rend comptable d’aucun passé tout en lui donnant les moyens d’innover en tant d’entrepreneur politique. Ensuite, sous la présidence de Charles Millon notamment, elle a su saisir cette « opportunité » pour conquérir une légitimité autant vis-à-vis de l’État ou de l’Union européenne que des communes et des départements avec lesquels elle fait « territoire commun ». Plusieurs exemples d’initiatives régionales – faisant l’objet de chapitres autonomes – illustrent cette thèse. Ainsi en matière d’aménagement du territoire, la mise en place des « contrats globaux de développement », à destination des espaces ruraux, des « contrats de fonctions majeures » visant les agglomérations ou les modalités de gestion de la « régionalisation ferroviaire » témoignent selon les auteurs de la manière dont le Conseil régional occupe les « interstices » laissés libres par les lois de décentralisation. Mieux, il permet de donner de la cohérence à l’action publique éclatée en une multiplicité d’acteurs comme l’illustre le thème récurrent de la « gouvernance ».
Ce ne serait cependant pas faire justice à cet ouvrage que d’en faire une présentation trop monolithique. Ses nombreux contributeurs sont riches de parcours divers et de ce fait amenés à mettre en évidence des représentations contrastées de la région. L’épisode tumultueux par exemple de la réélection de Charles Millon à la présidence de la région en 1998 et plus largement l’évaluation de son rôle depuis 1988, fait l’objet d’analyses dont le lecteur devra réaliser la synthèse – et c’est tant mieux – pour se constituer une opinion. Il en va de même pour les enseignements plus généraux à tirer du cas de Rhône-Alpes, tel qu’il nous est présenté. À cet égard, Jean-Louis Quermonne pose en début d’ouvrage la question qui demeure ouverte à la fin : « la rationalité socio-économique qui a présidé à l’invention de Rhône-Alpes […] suffira-t-elle à l’avenir, à légitimer la pérennité de la région ? ». Elle déploie semble-t-il beaucoup d’efforts pour cela.