Face aux incertitudes, liées aux évolutions des problématiques urbaines, les différents acteurs sont amenés à replacer la norme juridique au centre de leurs interventions afin de rétablir une situation de stabilité et de confiance. Le droit au sens large du terme — loi, contrat, syndic de copropriété, règlement du lotissement… — apporterait donc les moyens de l’adaptation à l’incertitude vécue. Cet ouvrage, rédigé par sept auteurs, sociologues et urbanistes, regroupe les contributions en trois thèmes de recherches.
Le premier, intitulé « Négociation de l’ordre du projet », étudie l’influence d’une décision publique (modernisation du port de Gênes, restructuration du centre ville de Marseille) sur l’ordre urbain existant. Le second, « Transaction autour des règles juridiques », évoque les conflits liés aux problématiques urbaines (bruit, zonage) et leur gestion. Enfin sont étudiés sous le titre « Construction collective d’un ordre privé » les espaces privés collectifs de type copropriété, et les normes qu’ils sécrètent. Si les études d’exemples français et étranger révèlent une influence certaine du droit dans la recherche du rétablissement de la confiance, face aux incertitudes posées en matière urbaine, la notion de droit traitée dans les études est polymorphe, ce qui met à mal la cohérence des études réunies dans l’ouvrage.
Le droit, un instrument de restauration de la confiance.
L’acteur urbain (habitant, promoteur, copropriétaire, locataire, riverain) subit les incertitudes liées à l’imprévisibilité des contextes démographiques (disparition de l’hétérogénéité sociale et culturelle des populations). Cette perte de repères stables est également liée à la situation économique (spéculations immobilières), à l’inefficacité des normes applicables (zonage, règles de copropriété, lutte contre le bruit). Le droit apporte aux acteurs urbains une réponse en se posant en donnée de référence. Il constitue une règle du jeu présente à leur niveau. En cela, il « relocalise » les relations sociales (J. Dubois).
Cette fonction s’exerce à trois niveaux. Le droit constitue d’abord une clef de compréhension et d’interprétation de la situation vécue. Ainsi, au Portugal, les locataires du Lotissement 25, intégrant les données juridiques de leur situation, ont créé leur propre syndic de copropriété, afin de combattre l’insalubrité de leurs immeubles (J.P. Nunes). Le droit joue également le rôle d’instrument de résolution des conflits, par la voie judiciaire ou de la médiation : transaction au Québec suite à l’échec des zonages urbains ; négociation à Tours et Lyon dans le cadre de la lutte contre le bruit (A. Germain et P. Melé)… Le droit est enfin un garant de l’engagement dans l’action, en assurant un ordre permettant un futur maîtrisé (voir A. Bourdin concernant les grands projets urbains français).
Le droit entendu dans une acception large et diffuse.
Les auteurs n’ignorent pas pour autant que le droit à lui seul ne suffit pas toujours à restaurer la confiance. D’autres notions plus sociologiques interviennent, telles que la « réputation » évoquée notamment par J. Dubois concernant Euroméditérranée, à Marseille. Ainsi l’acteur, intervenant dans un projet urbain est appelé à travailler sur d’autres projets avec les mêmes partenaires et soigne donc sa prestation et sa fiabilité. Le rôle de « pionnier » ou d’habitant « originaire » d’une ville ou d’un quartier (E. Duhau), confère parfois à ces acteurs, tout au moins à leurs yeux, une légitimité les habilitant à intervenir sur l’ordre urbain local.
Surtout, le droit est perçu, dans les différentes études, dans une acception très large. La norme envisagée embrasse aussi bien la loi ou le code civil, que les contrats de droit privé ou un règlement de copropriété. Des actes à l’effectivité juridique incertaine se voient également reconnaître toute leur place dans la restauration de la confiance. C’est le cas des Chartes et commissions consultatives, dont Patrice Melé reconnaît pourtant qu’elles « mime(nt) la production juridique ». En définitive, les règles de droit évoquées sont rarement des normes juridiquement efficaces inscrites dans des systèmes cohérents. La subjectivité de la norme, le sentiment d’opinio juris prend toute sa place, dans le droit, tel qu’entendu par les études.
À côté de cette acception assez vaste de la notion de droit, l’ouvrage donne l’impression d’un foisonnement de recherches dénué de lignes directrices. Les auteurs admettent d’ailleurs que les études ne sont pas strictement comparatives et qu’ils n’ont pas cherché à uniformiser ni les objets ni les instruments d’analyses (introduction, p. 17).
Cette option de recherche induit donc une juxtaposition d’études sans véritable cohérence entre elles, et ce malgré la grande qualité des contributions. Une situation qui est aussi révélatrice de la difficulté à déterminer une clef de lecture homogène face aux multiples formes du droit intervenant dans le jeu urbain.
Alain Bourdin, Marie-Pierre Lefeuvre, Patrice Melé (dir), Les règles du jeu urbain : Entre droit et confiance, Paris, Éditions Descartes et Cie 2006, 18 euros, 316 p.