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Résumé | Bibliographie | Notes

Sérendipité.

Le continent inexistant.

Andreas Faludi, Cohesion, coherence, cooperation: European spatial planning coming of Age?, London, Routledge, 2010.

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Il est des sujets arides dont nous n’attendrions pas qu’ils prennent la teneur d’un roman à clés. C’est pourtant le sentiment qu’engendre la lecture de l’ouvrage qu’Andreas Faludi consacre à la planification spatiale en Europe. Sous l’apparence d’une étude d’évaluation de politique publique, ce livre donne la mesure d’une passion déçue. Au fil des chapitres, nous voyons se dessiner quelques scènes du drame européen. Déjà difficile à pratiquer dans l’Europe des Six, la solidarité territoriale est progressivement devenue utopique. Les instruments d’analyse forgés au cours du dernier demi-siècle semblent peu à peu laissés en jachère. Faute d’avoir débouché sur des décisions politiques fortes, la planification spatiale-territoriale reste un élément fragile de la construction européenne. De fait, la possibilité de gains liés au développement de la cohésion des territoires entre États a été négligée au profit d’une concurrence tenue pour l’aiguillon du progrès. Certes, les services de la Commission européenne ont synthétisé les travaux de groupes actifs pour penser les territoires et les réseaux urbains. Mais l’Europe est plus que jamais menée par les gouvernements, qui se méfient des initiatives de la Commission : une « renationalisation » des politiques est en cours. Dans ce contexte, la « cohésion territoriale » peut bien être régulièrement invoquée, elle n’implique pas une politique d’organisation territoriale à l’échelle de l’Union. Bien plutôt, ses preuves restent à faire dans le cadre de processus transfrontaliers, comme dans le cas de la coopération autour de la Baltique.

Une vision d’ensemble pour l’Europe est-elle possible ?

L’auteur nous guide dans cette histoire complexe sans masquer son regard. Des « espérances balayées » jusqu’à « la machine à apprendre », l’ouvrage se donne comme une phénoménologie de l’esprit européen et de son dévoilement. Au long de ce périple, il apparaît que nécessité ne fait pas loi… et pas davantage savoir. Le principal enseignement de l’ouvrage est donc bien que la construction européenne, justifiée par la nécessité de rompre avec une logique continentale durablement suicidaire, et qui ne manqua pas d’apôtres ni de personnalités de valeur, a vu sa dynamique proprement entravée par la myopie et les contraintes liées à l’exercice des pouvoirs nationaux. L’Europe serait donc, selon notre auteur, le lieu où une rationalité continentale s’est vue mise en échec par le peu d’intérêt des peuples et des gouvernements pour tout ce qui suppose d’accepter une mutualisation des moyens et des efforts [1].

Le calendrier est clairement en cause : ce qui n’aura pas été tenté avant 1989 ne refera pas surface ensuite. Les compétences d’analyse assez limitées des États ayant adhéré récemment, et qui ne sont par ailleurs pas modérément nationalistes, rendent de plus en plus difficile une politique européenne digne de ce nom. Faludi fait donc le portrait d’un nain politique aux ambitions incompatibles avec la rencontre d’une réalité historique plutôt rude : ses propres orientations ne parviennent pas à devenir opérationnelles. Bon avocat, il indique cependant qu’une Europe limitée au domaine des études et des rapports pourrait encore avoir un rôle moteur — mais cette dimension même est aujourd’hui en question. La faiblesse de la prospective territoriale européenne actuelle est gravement préjudiciable à toute projection raisonnée dans l’avenir. Au fond, constate-t-il sans l’expliciter tout à fait, les pères de l’Europe furent des visionnaires et l’époque des gestionnaires n’a pas créé les coopérations durables dont rêvaient ces euro-optimistes. Sans un cadre intellectuel suffisamment exigeant, comment surmonter les cultures locales et les égoïsmes ? Ce déficit reste longtemps invisible, mais ses effets n’en sont que plus redoutables : on sait d’autant moins y remédier qu’on ne le mesure pas. Toute démarche volontariste représente assurément un coût politique pour chaque gouvernement, et aucun d’eux ne sera particulièrement crédité de ses bénéfices ultérieurs. Mais, faute de « vision », notre continent est revenu à l’époque des politiques nationales au service desquelles chaque État mobilise des appuis communautaires : c’est un retour à l’époque d’avant Jacques Delors. Le bilatéralisme fut de longue date la pratique allemande, notamment vis-à-vis de ses voisins centre-européens dès avant leur intégration à l’Union européenne, à travers le Conseil de l’Europe. Ce pragmatisme semble avoir l’avenir pour lui. Comme l’a clairement dit Angela Merkel en juin 2012, il ne saurait exister de politiques communautaires sans abandons de souveraineté, ce qui confirmerait que la réalité du pouvoir européen est entre les mains de l’acteur le plus puissant dans un secteur donné. Seule une vision de long terme partagée entre plusieurs peut faire exception.

Un dénouement prévisible.

À remonter le cours de cette histoire, le jeu semblait pourtant ouvert. Les Néerlandais et les Français avaient posé de longue main les jalons d’une pensée géographique avancée pour penser le devenir de l’Europe occidentale et fonder leur participation au Marché commun sur des bases de coopérations de long terme. Les Pays-Bas disposaient dès avant 1940 d’études fonctionnelles concernant les réseaux urbains et pensèrent ensuite le développement spatial depuis les zones portuaires jusque vers le bassin rhénan et prirent l’initiative de la création du Conseil de l’Europe en 1949. Pour les Français, la DATAR [2] sut mettre en œuvre l’aménagement du territoire pour renforcer les dynamiques complémentaires à celles de Paris. Les géographes français surent aussi proposer des schémas pour anticiper les évolutions souhaitables : le désenclavement de la Bretagne fut une exigence des responsables bretons, mais il s’inscrivait dans une dynamique qui fut celle du remembrement agricole, des constructions d’autoroutes et de villes nouvelles. On a pu voir dans l’approche de la Datar une idéologie anti-urbaine et pas simplement décentralisatrice. Là comme ailleurs, les idées deviennent ce qu’en font les acteurs. Si la prise de conscience que le développement économique et urbain londonien, rhénan ou piémontais dessinait un espace dense dont la croissance se faisait à moindre coût, une action volontariste était justifiée pour élargir ce développement à des régions moins centrales. Les Bretons ou les Languedociens ont su en profiter, les courbes démographiques en attestent. Cependant, non seulement ce modèle de développement en réseau n’a pas été soutenu partout – les rivalités entre les agglomérations en Rhône-Alpes en témoignent, mais Andreas Faludi (p. 64) pointe de surcroît le fait que, dans le cas breton, lorsqu’un financement européen pour les régions fut mis en place, les soutiens nationaux se réduisirent proportionnellement à cette aide européenne. Les pouvoirs publics français arguaient du fait que la France, étant contributrice nette, avait en quelque sorte placé son aide au développement régional dans le cadre communautaire sans avoir prévu de l’augmenter. Cet exemple montre bien pourquoi, dès l’origine de la Communauté européenne, les tentatives d’inclure une planification territoriale dans les textes organiques ne passèrent pas le seuil des ultimes versions. Les États entendent développer (ou non) leur propre planification régionale et aménager leur territoire. Ces expériences ont progressivement cessé de galvaniser les énergies sans avoir jamais atteint le point de divergence qui en aurait fait un schéma organique européen intégré. Il faut d’ailleurs remarquer qu’avant même les premiers élargissements [3], la règle du veto obtenue par de Gaulle en 1963 retirait par avance tout pouvoir réel à la Commission pour déployer une politique des régions.

Il n’avait pourtant pas manqué de travaux intelligents pour souhaiter davantage d’intégration, tels ceux impulsés par Nikolaus Sombart dans le cadre du Conseil de l’Europe. Dans ce cas précis, une animation allemande qui revendiquait un cadre intellectuel à la française pouvait s’appuyer sur des dynamiques néerlandaises. C’était à la fois élégant et synthétique. Le rapport qui en est issu, La planification régionale, un problème européen (1968), dessine un cadre puissant pour une planification spatiale centrée sur la nécessité de remédier aux déséquilibres de la croissance économique, démographique et urbaine et de favoriser la mobilité des populations. Mais son sort sera aussi instructif que ses contenus : divers groupes de travail formuleront au long des années des recommandations impeccables, selon Faludi, dont l’application sera toujours différée. Les thèmes sont ceux d’une période de croissance propice à des évolutions dynamiques. Ce rapport mise sur le renforcement des régions administratives des divers États, mais identifie clairement le concept de région transfrontalière. Il s’agit là de tirer parti de complémentarités géographiques pour rétablir des liens affaiblis par les frontières politiques. Ce rapport insiste à la fois sur les incitations à coordonner le développement régional et sur la cohérence dans l’affectation des espaces à des fonctions de longue durée : l’aménagement du territoire inclut alors des visées de protection de la nature et du patrimoine, tout comme il fait cas des gains de croissance issus de l’allègement des frontières nationales. Il repère l’importance future des mouvements de population — attirées par le climat méditerranéen. Cela est vrai non seulement du tourisme, mais s’étendit aux centres de recherche et d’ingénierie (la technopole de Sophia-Antipolis en France par exemple). L’idée de coordonner les politiques nationales jusqu’à aboutir à une planification européenne intégrée semble alors la voie à suivre.

Chaque instance européenne eut l’occasion de publier ses principes. Le Comité des régions du Parlement européen mandata ainsi Henri Gendebien dont le rapport, adopté le 25 décembre 1983, recommandait le développement d’un « Schéma européen d’aménagement du Territoire ». Le cadre d’action proposé à la Commission européenne visait à coordonner les politiques existantes en éliminant leurs incohérences, à promouvoir un développement régional équilibré et intégré, et à s’engager durablement à protéger le patrimoine européen sous toutes ses formes. Le problème évident tient cependant au fait que les régions n’ont pas de statut officiel dans le Traité de Rome et que les politiques régionales ne relèvent pas des prérogatives de la Commission. L’idée d’un Schéma européen de planification régionale relèverait ainsi d’une anticipation institutionnelle destinée à influencer les décisions des États membres, ce dont le rapport Gendebien envisage la possibilité à travers la promotion des niveaux d’action intermédiaires : nous sommes dans un cadre de « subsidiarité » qui vise à renforcer les régions dans le dialogue avec l’Europe, au détriment des États. Même si Faludi voit dans l’actuelle stratégie pour les pays riverains de la Baltique un effet indirect de ces réflexions (pp. 167-168), il faut dire que le Rapport Gendebien n’a jamais été suivi de décisions quelconques de la part de la Commission. Il reviendrait à Jacques Delors d’intégrer les questions de planification régionale aux débats intergouvernementaux. Cependant, le même scénario allait se répéter : après une période d’initiatives intelligentes, les décisions attendues ne furent jamais prises. En pratique, les États, la Commission et le Parlement se contrecarrent davantage qu’ils ne convergent.

La résistance étatique aux initiatives de Bruxelles, constante de la politique européenne.

Malgré tout, portée par un groupement permanent actif, l’idée de solidarité dans le développement spatial européen vit son heure arriver. L’insistance française sur l’horizon de cohésion définissait un projet européen acceptable pour les populations qui y sont associées. Bien qu’abstraite aux yeux de certains, cette idée donnait un cadre englobant à des politiques marquées du sceau des particularismes. Tel fut le projet de la présidence Delors. Déjà conscient des risques d’écartèlement entre une Europe sociale et une Europe de l’innovation, Jacques Delors mit en œuvre un ambitieux programme de synthèse. Mais les années 90 virent les Européens s’enferrer dans des contradictions sans nombre, en particulier du fait d’un futur élargissement qui diluerait nécessairement les bénéfices politiques de chacun des membres de l’Union.

En France, la Datar se saisissait de la perspective européenne pour commander un rapport à Roger Brunet, qui fut suivi d’autres scénarios élaborés sous la responsabilité de Jean-Louis Guigou, délégué général de cette délégation. Pour l’essentiel, ces élaborations mettaient l’accent sur le risque de voir la compétitivité française s’amoindrir en comparaison de l’évolution de l’axe européen central, de Londres à Milan en passant par le Benelux et l’Allemagne capable de se projeter vers l’Est. Un hypothétique développement méditerranéen (porté par Lyon et Barcelone) peut bien se dessiner à la fin des années 1980 : nous savons aujourd’hui cette idée ruinée pour longtemps par les impasses financières espagnoles, françaises et italiennes, au grand dam de ses concepteurs français. Parallèlement, la capacité d’anticipation hollandaise fut amputée par le retour des questions de cohésion interne sur la scène politique nationale et par l’échec du référendum de 2005. Quant à l’Allemagne, elle se concentra sur les nouveaux Länder tandis que les anciens craignaient de voir leurs prérogatives amoindries tant par l’État fédéral que par la Commission. En conséquence, les positions allemandes allèrent à des schémas « bottom-up » plutôt qu’à des plans européens d’intégration : on constate que les États ont élaboré depuis quinze ans des stratégies nationales parallèles, certes en partie compatibles entre elles, mais notablement plus rivales que coopératives. Faludi pointe (p. 123) que les orientations préconisées à l’issue de toute concertation représentent les intérêts de ceux qui la promeuvent.

La présidence Delors mettait l’accent sur le lien entre la dynamique européenne, la cohésion et la cohérence, permettant ainsi à la stratégie territoriale de retrouver une place éminente. En effet, on peut aisément imaginer des politiques cohérentes et coopératives visant des buts bien éloignés de la cohésion européenne, par exemple au nom de la concurrence mondiale. Il fallait donc une démarche explicite pour lier la cohésion sociale et territoriale à la compétitivité des territoires européens conçus comme un tout. Cela exigeait non seulement une vision continentale à long terme, mais également un projet démocratique d’égal accès aux ressources et aux chances offertes en Europe. Idéalement, il s’agirait de rendre effective une vision coopérative pérenne entre Européens (p. 95). Le levier de cette action fut constitué par l’attribution de financements européens complétant des projets locaux d’intérêt pour ces dynamiques. Les programmes de la Commission sont donc étroitement liés à des objectifs généraux, mais ils exigent de constants progrès pour assurer « la stabilité, la compétitivité et une distribution équitable des ressources » (Delors, cité p. 100). Mais au lendemain du vote difficile du Traité de Maastrichten en 1992, le moment Delors s’estompait déjà. Les Européens allaient bientôt rejeter le Traité constitutionnel et se contenter d’une coordination intergouvernementale à géométrie variable. Dans le processus politique européen, il est frappant de constater que chaque nouveauté doit être rapidement relayée par des initiatives nouvelles pour ne pas perdre sa finalité, tant les stratégies d’acteurs les détournent vite des intentions premières : l’Europe ne vit que du mouvement. Sur ce point, Faludi conclut que la dynamique impulsée par Delors aura par contrecoup accru la méfiance des eurosceptiques envers une Commission tenue pour invasive, et que cette dernière, cependant, manque absolument des moyens qui lui permettraient de s’imposer par les résultats qu’elle pourrait obtenir d’elle-même.

La contradiction est manifeste entre l’objectif de dynamiser l’économie européenne dans un cadre libéral et de concurrence exacerbée, d’un côté, et celui d’un aménagement du territoire qui renforce les capacités de coopération au sein de l’espace européen. Même le schéma minimal des « liens manquants » pour créer des gains de compétitivité significatifs ne suffit plus à entraîner l’adhésion des politiques rivés sur les sondages et une popularité souvent gagnée contre l’idée même de solidarité européenne. De là, l’échec du projet de « schéma prospectif », qui devait concrétiser les engagements du Rapport Gendebien, auquel Faludi consacre le quatrième chapitre du livre (pp. 62-73) : élaboré par un groupe de travail à la composition variable au gré des présidences européennes, endossé par la Commission sans avoir été adopté par le Conseil, il encourt toutes sortes de critiques. Chaque pays européen délègue les missions de planification à des instances très diverses et aux compétences peu compatibles entre elles, des États aux communes. Comment faire prévaloir un schéma de renforcement de cohésion territoriale en Europe au moment où le Traité de Lisbonne du 13 décembre 2007 vise prioritairement la compétitivité mondiale ? En définitive, ce document devait mécontenter tout le monde : il ne pouvait désigner aucune région en particulier pour concentrer des investissements, et devait euphémiser ses analyses, la Finlande comme l’Espagne protestant par principe contre toute description en terme de centre et de périphérie. La solution retenue, celle de ne publier aucune carte, ne faisait qu’ajouter au malaise.

Conclusions : pente invincible d’un échec annoncé.

Au fond, cette question de la planification renvoie à une question plus générale. Les exercices de scénarisation forment un préalable pour toute action de long terme. S’il est possible de montrer les coûts supplémentaires engendrés par les processus spontanément à l’œuvre et les avantages immédiats et cumulatifs que représenterait la mise en œuvre d’un processus intégré pour les contrôler, il semble naturel de pousser plus loin l’exercice pour parvenir à des résultats quantifiés portant sur des « modules » particulièrement opératoires. Faludi indique que telle était la voie envisagée par les auteurs de ce rapport. Il devait déboucher sur la création du Réseau européen d’observation pour la planification spatiale (ESPON), devenu ensuite « Réseau européen de développement et de cohésion territoriale », dont les attentes de financement pour des études spécifiques ont été finalement déçues.

La Commission a donc cessé de soutenir le processus de planification intégrée (p. 141), d’autant que son insistance nouvelle sur les questions de cohésion européenne — une perspective qui justifie notoirement sa mission — provoquait fréquemment des résistances. Les États craignent d’être engagés dans des politiques qu’ils ne contrôlent pas. Ceci est particulièrement vrai des États contributeurs nets. Ces derniers  entendent ne se soumettre à aucune automaticité dans le financement de leurs partenaires. Ils préfèrent agir dans le cadre de logiques intergouvernementales plutôt qu’à travers la Commission européenne. Il n’a cependant pas manqué d’efforts pour faire valoir la cohésion territoriale comme objectif central de l’action européenne. Nombre de responsables français ont agi au niveau européen pour fonder ce concept de « cohésion » qui oriente qualitativement le sens de la cohérence et de la coordination. Mais le rejet de la Constitution européenne en 2005 eut des effets négatifs immédiats sur le concept de cohésion, central durant les années précédant cet échec. Le rejet français des idées françaises avait de quoi choquer les responsables européens !

La relance de l’Europe par le Traité de Lisbonne permit à la Commission de s’emparer de la notion de cohésion territoriale comme susceptible de fonder son action future. Il devait en résulter un « livre vert » qui reste à ce jour la charte en vigueur, élaborée dans un contexte nouveau de moindre influence française et d’intégration de cadres venus de pays n’ayant pas participé aux débats antérieurs (p. 158). Faludi insiste pour dire qu’à son point de vue les progrès dans la gouvernance territoriale sont plus essentiels que les transferts financiers (p. 170). Les processus cognitifs à l’œuvre dans l’Union européenne conditionnent l’effectivité des engagements financiers, une opinion qui peut justifier la limitation des soutiens communautaires. Lorsque les processus de gouvernance restent flous, la Commission modère son appui aux territoires pour conserver l’appui des États membres, dont l’exécutif est toujours réticent à renforcer les administrations locales. L’avenir n’est pas écrit, mais Andreas Faludi conclut son ouvrage sur un message sans ambiguïté : là où existe une porosité suffisante pour justifier de progrès partagés, les coopérations régionales transfrontalières seront le modèle d’une mobilisation toujours à relancer.

Résumé

Il est des sujets arides dont nous n’attendrions pas qu’ils prennent la teneur d’un roman à clés. C’est pourtant le sentiment qu’engendre la lecture de l’ouvrage qu’Andreas Faludi consacre à la planification spatiale en Europe. Sous l’apparence d’une étude d’évaluation de politique publique, ce livre donne la mesure d’une passion déçue. Au fil des chapitres, nous voyons se dessiner quelques scènes du drame européen. Déjà difficile à pratiquer dans l’Europe des Six, la solidarité territoriale est progressivement devenue utopique. Les instruments d’analyse forgés au cours du dernier demi-siècle semblent peu à peu laissés en jachère. Faute d’avoir débouché sur des décisions politiques fortes, la planification spatiale-territoriale reste un élément fragile de la construction européenne. De fait, la possibilité de gains liés au développement de la cohésion des territoires entre États a été négligée au profit d’une concurrence tenue pour l’aiguillon du progrès. Certes, les services de la Commission européenne ont synthétisé les travaux de groupes actifs pour penser les territoires et les réseaux urbains. Mais l’Europe est plus que jamais menée par les gouvernements, qui se méfient des initiatives de la Commission : une « renationalisation » des politiques est en cours. Dans ce contexte, la « cohésion territoriale » peut bien être régulièrement invoquée, elle n’implique pas une politique d’organisation territoriale à l’échelle de l’Union. Bien plutôt, ses preuves restent à faire dans le cadre de processus transfrontaliers, comme dans le cas de la coopération autour de la Baltique.

Bibliographie

Notes

[1] Nous aurions pu certes aisément persifler sur ce que comporte de nostalgie une telle vision selon laquelle des technocrates éclairés auraient manqué de peu une révolution spatiale qui resterait à opérer. Mais nous avons choisi un ton strictement descriptif pour rendre compte de cet ouvrage. En effet, sa présentation invite à repousser la critique après le moment de compréhension de l’expérience concrète vécue par l’auteur. Si des naïvetés qui lui appartiennent sont perceptibles dans ce compte-rendu, les laisser telles quelles permet d’approcher un point de vue professionnel au sein de la Commission. Cela appellerait un article vraiment fouillé pour établir une topologie des positions possibles parmi les acteurs européens. Nous pourrions ainsi contrôler l’utopisme de Faludi à partir d’une information validée. Toute critique plus partielle risquerait de ne faire que renvoyer à d’autres partis pris difficiles à justifier. Il nous a donc paru essentiel de donner accès aux réflexions « authentiques » de l’auteur pour saisir les motivations internes des bureaux européens les plus dévoués à cet aménagement du territoire.

[2] Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’action régionale ; il mobilisait l’expertise et les services relevant des différentes administrations au service de politiques volontaristes dans le nouveau cadre régional.

[3] Remarquons ici que les élargissements européens auraient probablement été rendus impossibles par l’adoption d’une telle politique des territoires parmi les acquis communautaires. En effet, si l’adhésion de régions entièrement à développer avait automatiquement signifié la dépossession, pour les pays fondateurs, de l’essentiel de leurs ressources, l’Europe n’aurait fait face ni à la fin des dictatures espagnole et portugaise, ni à la chute du Mur. Paradoxalement, en limitant les objectifs d’intégration, la politique britannique a favorisé l’élargissement. Cette évidence rend assez compréhensible la recherche de coopérations renforcées entre les pays les plus intégrés à l’occasion du règlement de la crise financière actuelle. La difficulté de l’exercice tient au fait que la politique officielle de soutien au budget grec ou espagnol doit en même temps signifier que ces pays cessent d’appartenir au premier cercle intergouvernemental. On comprend pourquoi Mariano Rajoy s’efforce de dissocier le soutien bancaire indispensable et une demande d’aide officielle.

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Sérendipité.

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