Quels desseins poussent les régions à se lancer sur les chemins de la prospective ? C’est la question qui traverse cet ouvrage écrit à plusieurs mains. Au cours de la dernière décennie, à l’instigation de conseils régionaux, de conseils économiques et sociaux régionaux, plusieurs régions se sont lancées dans une démarche de prospective régionale. Cette recrudescence offre l’opportunité à Guy Loinger de faire partager sa passion pour la prospective en jetant un regard rétrospectif sur l’évolution récente de la prospective régionale.
Pour rendre compte de la pratique actuelle, huit régions françaises (Provence-Alpes-Côte d’Azur, Midi-Pyrénées, Aquitaine, Poitou-Charentes, Limousin, Bretagne et Nord-pas-de-Calais) et une région belge (la Wallonie) témoignent. L’ouvrage est une nouvelle occasion (plusieurs ouvrages ont paru sur ce sujet ces dernières années) de retracer le parcours de la prospective, notamment sous l’égide de la Datar : de son « âge d’or » (années 60-70), au renouveau actuel « de plus en plus territorialisé », en passant par sa traversée du désert (80-90). C’est pour la Datar un moyen de « relancer la prospective territoriale » [1]. Il est aussi l’occasion de redéfinir la prospective et de faire le distinguo entre ses différentes formes (stratégique, sociétale…) et la prospective territoriale, spécifiée comme « un terrain particulier de la prospective générale », une forme dérivée, autonome, sans en être un « clone » et qui s’émancipe ces dernières années.
À quoi sert la prospective territoriale ?
Qu’a-t-elle de particulier ? La prospective régionale, pas plus que la prospective (générale), « ne fournit de recette miracle » ; elle est plutôt un « état d’esprit » qui permet de « penser autrement », de « se poser les bonnes questions pour faire émerger les enjeux régionaux » et les facteurs d’influence exogène et endogène. C’est un « révélateur » qui fait émerger une vision commune du territoire et du monde susceptible de faire évoluer les représentations, de rompre avec les idées reçues et d’amener un changement qui conduit décideurs et citoyens à « effectuer des choix explicites et non plus implicites » pour bâtir leur avenir. La particularité actuelle, c’est l’entrée en scène d’un nouvel acteur, le citoyen. Longtemps, l’apanage des institutions, les différentes expériences montrent que la prospective régionale intègre de plus en plus la société civile.
Pourquoi s’engager dans une démarche de prospective régionale ? Les raisons d’entreprendre une prospective régionale sont aussi diverses que le nombre de témoignages, même si, l’origine est souvent une démarche territoriale (Sradt, Cper…).
Il ne s’agit pas forcément, comme le souhaitent certains, de produire des résultats, d’avoir « une visée opérationnelle ». D’aucuns disent d’ailleurs que telle ne doit pas être la fonction de la prospective. Elle n’est qu’« un maillon entre la réflexion et l’action ». Les acteurs estiment qu’imaginer ensemble l’avenir est déjà un exercice en soi porteur, qui décloisonne les modes de pensée. L’intérêt est dans la dynamique produite et dans la capacité à développer une intelligence collective qui produit de la connaissance. Elle est un « support majeur pour le débat et les échanges » entre les acteurs territoriaux pour éclairer les enjeux du futur — une nouvelle agora. C’est vraisemblablement dans la capacité à faire vivre cette agora que se situent ses possibilités de pérennisation. Mais, entrer en prospective relève du défi, défi intellectuel d’acculturation, de mobilisation des intelligences, défi de mise en forme d’une réflexion, ne serait-ce que pour ne pas reproduire l’existant. Le paradoxe est de parvenir à se « mettre à distance », éloigner l’horizon pour libérer les esprits, tout en étant pragmatique et concret. Ce défi, comme le montre les témoignages, est notamment relevé par le renouvellement et l’innovation de l’ingénierie territoriale mise en œuvre à dessein.
Prospective, gouvernance et démocratie.
De fait, la prospective régionale est une méthode utilisée par les territoires régionaux pour prendre leur destin en main. Elle concrétise leur émancipation, consécutive à la décentralisation, et renforce l’affirmation du fait régional. Elle témoigne de leur responsabilisation et de leur maturité. Considérée comme « un passage obligé », « un espace légitimant l’action régionale », il n’est pas dit toutefois comment font les régions qui ne l’empruntent pas, ni quelles sont les difficultés rencontrées en chemin.
Il faut reconnaître que l’ouvrage est plutôt un panégyrique de la prospective territoriale, entendue comme une « nouvelle philosophie de l’action collective », pour laquelle Guy Loinger s’essaierait bien à fonder une « théorie générale », regrettant qu’elle ne soit pas (encore) considérée comme une « problématique scientifique ».
Au-delà de la (simple) lecture factuelle, la prospective régionale apparaît, en filigrane des témoignages, comme l’essor de la démocratie locale : « la demande de prospective régionale s’inscrit dans un mouvement profond de transformation de la démocratie… vers plus de proximité…» et du renforcement de la relation entre les acteurs. Elle s’impose ainsi comme outil de gouvernance.
In fine, l’intérêt d’un tel ouvrage est de permettre une lecture à plusieurs niveaux : une lecture de mise à jour des pratiques ; une lecture synthétique ; mais aussi une lecture pédagogique (les témoignages), susceptible d’intéresser un public néophyte ou moyennement averti.
La prospective régionale, de chemins en desseins, Guy Loinger (dir.), Éditions de L’Aube, 2004. 274 pages.