La harat souika de Sétif (Algérie) se compose de deux ensembles, la harat et la souika :
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La harat (pluriel harate) est à l’origine une habitation coloniale qui s’est transformée en une habitation conforme aux pratiques locales. Sur le plan morphologique et architectural, la harat est un système compact et introverti. Elle se caractérise par une enveloppe homogène et un espace structurant, découvert, appelé haouche (cour intérieure).
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La souika dérive directement du souk, un marché à ciel ouvert. La souika est un petit souk et donc un petit marché à ciel ouvert.
Plusieurs harate ont vu, avec le temps, leur haouche dévier subtilement de leur fonction initiale. Dans cet espace, on trouve aujourd’hui des petites boutiques, des locaux d’artisanat et même des classes de cours de soutien pour les lycéens et les collégiens. La harat, par le biais de son haouche, établit alors un nouveau rapport avec la rue. Une nouvelle hiérarchie entre les espaces vient s’installer et quelques statuts sont dérangés. Le haouche n’est plus cet espace privé mais un espace ouvert au public, ce qui lui vaut l’appellation de souika. La porte d’entrée, ouverte pendant la journée seulement à l’époque où le haouche était haouche, est condamnée à rester tout le temps ouverte. La souika est donc l’espace du haouche dévié de sa fonction initiale, et son statut d’espace privé cède la place à son nouveau statut d’espace public.
Il existe deux sortes de harat souika :
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la harat souika donnant sur la rue, avec une entrée commune pour le public et les habitants (dans ce type de souika, l’entrée contient des escaliers qui mènent aux espaces habitables, disposés dans un espace en forme de chicane) ;
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la harat souika située dans un angle, avec des entrées séparées.
Les deux habitations que nous présentons ici sont très vétustes. Malgré l’état de délabrement avancé, les habitants refusent de les abandonner ou de partir, non pas parce qu’ils n’ont pas où aller mais parce qu’ils ont fini par s’approprier des espaces à leur convenance, des espaces qui leur assurent une vie de voisinage, une vie organisée. Ils ont fini par développer et nouer des relations sociales avec les voisins, les clients et les marchands.
Cette harat souika est située rue des Frères Meslem (ex-rue du Cardinal Lavigerie). Les propriétaires sont au nombre de trois. Le rez-de-chaussée de cette habitation était consacré à des espaces habitables qui étaient loués à des ménages. Ces derniers les ont quittés pour des raisons d’exiguïté. Les propriétaires ont détourné les espaces habitables en espaces de commerce et de service. Un des propriétaires a créé un atelier de confection de vêtements ; un autre a aménagé un espace pour un tailleur. Un des fils des propriétaires a utilisé un espace pour un taxiphone. Les locaux du club Internet, du café et du buraliste sont loués à des particuliers.
Cette harat souika se caractérise par une organisation horizontale de l’espace. Longue de 36,4 m et large de 17 m, elle a une superficie de 618,8 m2.
Le public et les habitants transitent par la même entrée. Un long couloir mène à la souika, une cour centrale, à ciel ouvert, qui se trouve au rez-de-chaussée. La souika est, aujourd’hui, entourée de locaux de service et d’ateliers de confection de vêtements. Les vêtements sont parfois exposés le long du couloir, agrémentant ainsi l’espace de l’entrée.
Trois locaux de commerce donnent sur la rue. Des escaliers, disposés à gauche de l’entrée, mènent à l’étage, où vivent cinq ménages. Chaque ménage dispose de deux bouyoute [1], d’une cuisine et de toilettes. Certains bouyoute sont continus (c’est à dire qu’ils s’ouvrent sur des pièces) alors que d’autres sont contigus ou en enfilade (voir plan de l’étage). L’ensemble est desservi par une longue satha, ou coursive, qui donne sur la souika.
La Harat El Hofra [2] est située à l’angle de la rue des Frères Habache (ex-rue du Général Sarrail) et de la rue Djebel Boutaleb (ex-rue Henry Gauthier). C’est une copropriété. Il existait dans la cour intérieure de la harat des dépôts et des débarras qui appartenaient aux propriétaires. Aujourd’hui, la cour intérieure contient des espaces de commerce et de service. Quelques espaces de commerce et de service appartiennent aux propriétaires ; d’autres sont loués à des particuliers.
La surface de la parcelle est de 1281 m2 (35 m × 36,6 m).
L’organisation spatiale de cette harat souika est assez singulière. Deux ailes de différentes épaisseurs entourent la souika, la cour centrale, disposée à un niveau inférieure au niveau de la rue. L’entrée du public à la souika est indépendante des entrées des habitants. Elle est remarquable par sa petite porte qui reste tout le temps ouverte. De forme rectangulaire, elle contient des marches qui mènent aux niveaux –1,6 m et 0 m de la souika.
À l’état initial, la souika avait une superficie de 460 m2 (23 m de long par 20 m de large).
Aujourd’hui, la souika est transformée. Six locaux occupent sa partie centrale. Au niveau –1,6 m se trouvent des ateliers de travail et des locaux de service. Au niveau 0 m, les locaux, qui autrefois étaient des dépôts, sont aujourd’hui des salles de cours de soutien pour les élèves du secondaire. Ils sont desservis par une coursive.
Les habitants disposent de trois entrées : deux entrées sur la façade est et une autre sur la façade nord. Chaque entrée est matérialisée par la présence d’un escalier qui prend pied au niveau du rez-de-chaussée de l’habitation. Le rez-de-chaussée est consacré au commerce et l’étage est occupé par six ménages. Chaque ménage possède deux pièces polyfonctionnelles, une cuisine et des toilettes. Une coursive en forme de L donnant sur la souika est utilisée par les habitants comme prolongement de leur espace habitable.
Les façades sur les rues sont simples. Celles donnant sur la souika, par contre, font l’objet d’un traitement décoratif au niveau des coursives. Les coursives, faisant saillie sur la cour centrale, reposent sur un plancher sur poutres en bois apparentes avec panneaux inférieurs lambrissés. Ce traitement décoratif au niveau des coursives confère à la souika un cachet assez particulier.
La harat souika n’est donc pas une simple maison dont le rez-de-chaussée est affecté à une activité familiale. C’est une unité urbaine compacte qui associe un espace habitable et une souika. La souika se trouve au rez-de-chaussée. Elle est constituée d’espaces de commerce, de service et d’artisanat qui permettent de répondre aux besoins et aux exigences de la vie quotidienne. À l’étage plusieurs familles occupent des bouyoute desservis par une satha ou coursive. Un béite et une cuisine forment, toute proportion gardée, l’équivalent d’un appartement de l’immeuble.
La harat souika ne doit pas être confondue avec un caravansérail. Le caravansérail « est un bâtiment carré en forme de cloître renfermant des chambres, des magasins et des boutiques pour les marchands »(Raymond, 1985, pp. 248-249).Le caravansérail sert essentiellement au grand commerce et au commerce de gros. C’est la demeure du négociant et l’espace du négoce.
La harat souika représente un mode original de vécu social. Elle constitue un micromilieu de vie, d’activités et de relations qui est utile à la ville. Elle permet de reconstituer, sur une parcelle donnée, une tranche d’habitat, « une sorte de vie locale globale, une population animée socialement » (Barel, 1982, p. 143). C’est une organisation d’un petit territoire qui permet à des habitants de vivre ensemble, de fabriquer dans leurs ateliers des produits locaux, de développer une vie relationnelle avec les voisins et les clients et de favoriser l’animation urbaine de la rue. C’est la demeure d’un groupe de familles, l’espace de la socialisation, de la pratique commerciale, de l’échange domestique, de la production traditionnelle et artisanale. Elle est donc « une structure morphologique évolutive » (Bochet et Da Cunha, 2003, pp. 83). Et, ce qui produit l’animation, selon le point de vue d’Yves Barel, que nous partageons, « c’est moins tel objet ou service spécifique mais plutôt un tissu global ou globalisant des rapports sociaux et interindividuels »(1982, p. 144).
La harat souika se distingue par son entrée, un espace dynamique, dont la porte d’accès reste tout le temps ouverte. Le statut privé de l’entrée cède alors la place au statut public. Les habitants n’éprouvent aucune gêne à ce qu’elle soit utilisée par les marchands. Le mur de l’entrée est exploité pour exposer des vêtements ; le lieu contigu à la porte d’entrée est utilisé pour étaler de la marchandise.