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Sérendipité.

L’identité nationale : discréditer « l’autre » pour renforcer le « nous ».

Gérard Noiriel, À quoi sert « l’identité nationale », 2007.

Image1Cet ouvrage de l’historien Gérard Noiriel est une véritable mise au point du concept d’« identité nationale », remise au goût du jour par Nicolas Sarkozy dans sa politique actuelle.

L’auteur, l’un des pionniers de l’histoire de l’immigration et de la formation de l’État-Nation, tente ici de donner quelques pistes pour nous éclairer sur l’évolution historique et sociologique de l’identité nationale.

La création d’un « ministère de l’Immigration et de l’identité nationale » a soulevé des polémiques, entraînant notamment la démission de huit historiens de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, dont Gérard Noiriel lui-même.

À travers une étude minutieuse, l’auteur nous livre ses doutes et ses craintes concernant l’instauration mais surtout l’appellation de cette institution, trop encline à conforter l’image et les préjugés négatifs liés à l’immigration. Basant son analyse sur un survol historique des différentes époques mettant en scène l’identité nationale, l’auteur nous rappelle les prémisses de la logique identitaire née au 19e siècle, dont certains aspects sont repris par les discours politiques d’aujourd’hui.

Les prémisses d’une définition.

Empruntant à Ricoeur ses concepts d’ipséité (correspondant à la conscience de soi, prenant place dans la continuité et la mémoire) et de mêmeté (la possession de caractéristiques propres aux membres d’une nation, leur permettant de se différer des autres nations), l’historien met en parallèle deux niveaux de compréhension de la « question nationale ». Le premier définit « le national » comme étant le peuple, synonyme, en 1789, de « tiers état ». Cette définition, née pendant la période révolutionnaire, reste au centre des conflits politiques jusqu’à la fin du 19e siècle, mettant en scène les monarchistes contre les républicains, fervents défenseurs de la nation. Le second niveau de compréhension s’inscrit dans les États allemands dans lesquels se développent les idées de Herder, Fichte et Jahn, donnant ainsi naissance au concept « d’identité nationale » (Volkstum). Ces militants révolutionnaires, en lutte contre l’aristocratie, le décrivent comme étant le « critère fondamental qui définit la nation, c’est l’étincelle de la vie, c’est-à-dire l’intelligence qui lui donne sa personnalité ». (p. 15). Ce terme sera, par la suite, repris en France sous la forme de « nationalité ».

L’implication des historiens dans l’illustration concrète de ce terme est indéniable : ce sont eux qui, à travers la sélection de récits nationaux illustrés par des événements épiques vont contribuer à l’imposition des grandes figures nationales, renforçant ainsi le « principe de nationalité ».

Qui sommes « nous » et qui est l’autre ?

La distinction des dualités, à savoir qui sont les « étrangers », qui sont « ceux qui posent problème », semble être le fil conducteur de l’analyse de Noiriel. Ainsi, on cerne qu’au 19e siècle, le discours sécuritaire et le discours national n’étaient pas entremêlés, comme ils le sont aujourd’hui. Seules les « classes laborieuses » étaient considérées comme dangereuses.

L’histoire des identités nationales va prendre de l’importance dans toute l’Europe avec la guerre de 1870, date à laquelle l’État-Nation se développe. L’ampleur de ce tournant fondamental est expliqué par l’auteur comme le renforcement des dualités entre la nationalité qui forme le « nous » et celle des autres. Dans la même optique, les définitions de la nation en France comme en Allemagne renforcent leurs significations, notamment avec la fameuse conférence de Renan donnée à la Sorbonne en 1882, qui combine à la fois « sentiment de la patrie » et « volonté de vivre ensemble ».

À la même époque, de nombreux changements institutionnels se mettent en place, en vue de la démocratisation de la vie politique. Le concept de citoyenneté, et par extension, celui de fidélité à l’État, émergent, définissant ainsi l’attachement aux lois élaborées par ces mêmes individus et la défense de leurs institutions.

Ce concept de citoyenneté se voit renforcé avec l’adoption en 1889 de la première loi sur la nationalité française et avec le droit de vote octroyé à tous les hommes français adultes. La nationalité devient un enjeu capital, redéfinie comme appartenance à l’État, loyauté à la communauté et mobilisation en temps de guerre.

Le nationalisme de Barrès et le patriotisme de Jaurès.

Le paroxysme de la ferveur patriotique est atteint lors de la 3e République. Les symboles de la nation deviennent visibles sur tous les fronts : représentation de la France sur les cartes géographiques, imposition de héros nationaux par l’École de Jules Ferry ; la Marseillaise devient l’hymne national et le 14 juillet, une fête nationale. Tous ces éléments renforcent les consciences et l’identification des individus à leur nation.

Or, l’auteur distingue de manière flagrante à travers les exemples de Barrès et de Jaurès, les diverses conceptions qu’a pu prendre l’identité nationale. Ainsi, face aux menaces de l’Allemagne, la France se devait de ressouder la population de son pays. Définir au plus vite l’identité nationale était donc vital. Barrès propose deux voies pour renforcer le sentiment national : ce que Noiriel nomme la « haine du voisin » ainsi que la référence au passé à travers les commémorations afin de souder les vivants aux morts. L’identité nationale se résume donc au rejet de l’étranger « qui n’aime pas la France ». Cette haine prend forme dans les préjugés raciaux qui sont au fondement de l’œuvre de Barrès.

Jaurès, quant à lui, préfère parler de « patriotisme », renvoyant à ceux qui aiment la France. Cependant, la question nationale n’est en aucun cas le pilier de son programme politique : il préfère la subordonner à la question sociale. Pour lui, il est indispensable de lutter par une révolution pacifique contre les injustices économiques provenant de l’exploitation patronale des ouvriers. Ainsi, il cherche à concilier, tout en plaidant pour la paix, la défense de l’intérêt national avec les idéaux universalistes du mouvement ouvrier.

L’importance des médias dans la mise en scène des discours identitaires.

Avec la défaite de juin 1940, l’État crée le premier organisme chargé de la question identitaire. Or, après la seconde guerre mondiale, suite à l’internationalisation des échanges entraînant la diversification des affiliations identitaires tournées vers la consommation, l’obsolescence des références à la nation se fait sentir.

Les événements de Mai 68 mettant au premier plan les revendications de divers groupes jusque-là stigmatisés (le féminisme, le mouvement ouvrier, le régionalisme, l’antiracisme…) vont permettre l’introduction de l’expression « identité nationale » dans le vocabulaire politique français. Celle-ci est ensuite reprise dans les années 1980, par le Front national qui véhicule un discours dénonçant le « communautarisme » islamiste. L’auteur nous montre ici comment, par la logique sécuritaire et la désignation de l’ennemi (ou plutôt l’étranger) tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, les politiques ont tenté, notamment celle de Jean Marie Le Pen, de renforcer le « nous » identitaire. Ces discours abondamment relayés par les médias ont permis aussi de conforter le « nous » de l’audimat. Les sujets pouvant contribuer à l’illustration de ces idées pullulent alors, s’étendant sur trois niveaux récurrents : la guerre au Moyen Orient, le terrorisme islamiste et la délinquance des jeunes des banlieues.

L’identité nationale et l’immigration.

À travers une étude minutieuse des discours de Nicolas Sarkozy lors de son élection présidentielle, Noiriel nous montre comment ce dernier crée un nouveau nationalisme en combinant les définitions de Barrès et de Jaurès. La forme de la menace prend alors la figure du « clandestin », celui qui refuse de parler la langue nationale, qui ne respecte pas les lois de la République, celui qui endosse tous les éléments relevant du communautarisme (liés notamment aux origines ethniques et à la religion).

De la sorte, l’auteur démontre la pratique de démarcation de l’identité nationale par son contraire, forgeant ainsi la distinction classique du « nous » et du « eux ». Mais Noiriel n’en reste pas là et s’insurge contre la création du « ministère de l’immigration et de l’identité nationale » qui ne contribue qu’à perpétuer « l’association “ immigration et identité nationale ” dorénavant inscrite dans la loi […] devenue une catégorie de pensée et d’action qui s’impose à tous, quelque soit l’actualité du jour » (p. 146).

En comparaison de cette forme de nationalisme, l’auteur reprend les propos de la gauche, ceux de Ségolène Royal en particulier, montrant que celle-ci renforce son discours dans la lignée de Jaurès, c’est-à-dire en privilégiant le patriotisme au nationalisme.

Noiriel finit par rappeler que la question de l’identité nationale ne concerne pas seulement les Français, et qu’il est important de ne pas omettre que les populations se définissent les unes par rapport aux autres et que dans ce contexte, il est primordial de cerner l’importance des dégâts causés par les stéréotypes repris par les politiques.

Cet ouvrage engagé intègre approche historique et sociologie. Il est une synthèse intéressante mettant en perspective les propos des politiques à la lumière des sujets d’actualités.

Gérard Noiriel, À quoi sert « l’identité nationale », Marseille, Agone, 2007.

Résumé

Cet ouvrage de l’historien Gérard Noiriel est une véritable mise au point du concept d’« identité nationale », remise au goût du jour par Nicolas Sarkozy dans sa politique actuelle.L’auteur, l’un des pionniers de l’histoire de l’immigration et de la formation de l’État-Nation, tente ici de donner quelques pistes pour nous éclairer sur l’évolution historique ...

Bibliographie

Gérard Noiriel, État, nation et immigration, Paris, Gallimard, 2005.

—, Le creuset français. Histoire de l’immigration, 19e-20e siècle, Paris, Seuil, 2006.

—, préface à Emmanuelle Saada, Les enfants de la colonie. Les métis de l’Empire français entre sujétion et citoyenneté, Paris, Découverte, 2007.

Notes

Auteurs

Julie Alev Dilmaç

Diplômée de sociologie à l’Université Galatasaray (Turquie), est actuellement doctorante à l’Université Paris Descartes (Paris 5) et membre du Gepecs (Groupe d’étude pour une Europe de la culture et de la solidarité).

Partenariat

Sérendipité.

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