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Sérendipité.

L’heuristique photographique.

Sylvaine Conord (coord.), « Arrêt sur images. Photographie et anthropologie », Ethnologie française, 2007

Image1La livraison de janvier 2007 d’Ethnologie française consacre son dossier aux relations entre photographie et anthropologie. Ce recueil permet de faire le point sur l’apport de la photographie en tant que processus de compréhension et de restitution des réalités sociales, sur un plan tant théorique que méthodologique.

Dans son texte d’introduction, Sylvaine Conord, responsable scientifique du dossier, fait un rapide bilan des travaux qui ont pu marquer l’histoire des rapports des sciences sociales à l’image fixe, et conclut, mises à part quelques avancées au cours des deux dernières décennies dans le monde anglo-saxon, à un usage de la photographie qui ne dépasse guère le stade de l’illustration. Et pourtant, la recherche en sciences sociales, longtemps méfiante envers un registre de l’enregistrement du visible qui aura pu être suspecté de déformer les réalités sociales par le plaquage arbitraire de stéréotypes en tous genres, aurait beaucoup à gagner à se livrer à cette pratique qui, et ce dossier en témoigne, recèle tous les ingrédients nécessaires à devenir une véritable discipline.

Néanmoins, la photographie, mais aussi le cinéma et la vidéo, procédés d’enregistrement du visible accessibles et aisément manipulables, ont la particularité de ne pas toujours être utilisés en toute connaissance de cause. Ce qui ne pose pas de problème pour un usage « vernaculaire » risque d’en poser lorsqu’il s’agit de le transposer dans une logique de production de sens. À la lecture du dossier me revient en tête cette phrase d’un photographe (Lequel ? Serait-ce Philip Lorca di Corcia ?) qui dit que la photographie c’est un peu comme une langue étrangère qu’on a l’impression de parler couramment. Cet état de fait imprègne tous les articles de ce dossier, soucieux d’éclaircir, par un ensemble de références stabilisées (Malinowski, Collier, Becker, Peirce, Barthes) et de méthodes adaptées aux contextes étudiés, la pratique de la photographie. Ces éclaircissements touchent la totalité du processus photographique : nature du médium, pratique et posture opératoire, lectures et proposition d’interprétation d’image.

Piette et Laplantine condensent, dans leurs articles respectifs, bon nombre d’éléments qui permettent d’évaluer, d’un point de vue structurel, l’apport de la photographie aux sciences sociales. Sans les passer tous en revue, citons néanmoins : le « caractère isomorphique » de l’enregistrement photographique lié à sa nature indicielle (Piette) ; la possible interprétation sur le mode de la trace d’une réalité sociale donnée et non plus seulement sa représentation, et de là l’ouverture vers une pensée en image (Laplantine) ; la force de restitution des détails qui, dans les situations réelles, sont maintenus dans une faible visibilité, accèdent ici à une fixité qui renforce leurs possibles interprétations (Piette). Becker quant à lui, en posant la question d’apparence saugrenue « Les photographies disent-elles la vérité ? », amène à interroger ce qu’il convient d’attendre des informations que transmet une photographie : « Devant n’importe quelle photographie, demandez-vous à quelle(s) question(s) elle pourrait répondre » ; « On peut considérer que les réponses, à la fois précises et générales, qui se trouvent dans une photographie sont les propositions dont elle affirme la vérité ». Cette manière d’aborder l’épineux problème de la vérité de l’image présente l’avantage de contourner l’approche de celle-ci, en évitant de repousser l’évidence visuelle sous prétexte de suspicion à l’égard du matériau qui la véhicule.

Accorder une place à la photographie dans une recherche suppose de constituer un corpus adéquat. La production de documents visuels impose bien souvent au chercheur de mener lui-même à bien ce travail et l’amène à se glisser dans la position de l’opérateur, quitte à ce que cela provoque des questions au sein du milieu ainsi observé. L’expérience relatée par C. Papinot au sujet d’une recherche à Madagascar, au cours de laquelle sa pratique photographique a déplacé sa méthode, incite à mieux percevoir l’intérêt de ce moyen d’enquête qui, parce qu’il démultiplie les points de vue, place le chercheur-opérateur dans une position interprétée par les enquêtés de manière inattendue mais très productive. Inattendues aussi les réactions de ses enquêtés face aux photographies proposées à leur interprétations, révélant que les détails, isolés par les images à l’aide de cadrages serrés, devenaient inintelligibles en l’état. Loin d’abandonner et de rejeter l’impact de la photographie dans son travail, il prit acte de ces aberrations (dans le sens où ce terme peut-être utilisé pour qualifier des optiques produisant des dérives des rayons lumineux) qui l’amenèrent sur des pistes insoupçonnées de son enquête.

Le bénéfice du chercheur à se placer en situation d’opérateur se traduit par un déplacement de son image sur le terrain. Manipuler l’appareil photo, présenter des photos à des enquêtés, permet d’accéder autrement aux réalités sociales analysées. La contribution de Louveau de Guineraye et Arlaud concernant le travail photographique réalisé à l’occasion d’une recherche sur le quartier de la Goutte d’Or à Paris, permet de mesurer les capacités des technologies d’enregistrement du visible à placer le chercheur-opérateur dans une posture où l’interaction avec le milieu enquêté est un prérequis essentiel. La posture du photographe leur a permis de s’immiscer dans un environnement d’habitués et de négocier sur le temps long l’amorce d’un travail de tournage cinématographique. La question de l’image de soi agit dans ce contexte des deux côtés de l’appareil photo.

Parmi les raisons qui motivent la présence de la photographie dans une recherche, la fonction imageante de ce médium est dans tous les cas la plus recherchée. La production d’une image, entendue comme une image matérielle, physique, sur papier ou sur écran, peut se faire pour des raisons variées : stocker une information, mémoriser une situation, constituer un repérage de formes, etc. Reste que l’image photographique n’est pas simple à interpréter et présente des niveaux de lecture parfois diffus. Quand bien même la maîtrise formelle assurerait une relative stabilité, certaines situations ne deviennent parfois intéressantes que parce que les images sont lues d’une manière inattendue. Par conséquent, la lecture d’une image photographique demeure une étape singulière du processus. Laplantine, en situant sa contribution pour une bonne part dans le cinéma, et plus précisément par l’évocation du film Blow-up d’Antonioni, pose la question de la lecture de l’image photographique. L’énigme, qui sert de prétexte à ce film (un meurtre dans un jardin en Angleterre) et qui n’est pas résolue mais traitée par l’image (c’est le rôle du personnage de Thomas, le photographe), conduit à s’interroger sur le réel lui-même. L’image photographique ne représente pas le réel mais lui donne une autre dimension. Comment dès lors la faire parler ? Est-il d’ailleurs souhaitable de le faire ? « La photographie n’est nullement un langage, si ce n’est précisément par l’abus de langage qui la transforme en discours avec des mots, une grammaire et une syntaxe, c’est-à-dire en ce qui est aphotographique. Elle est culturelle mais n’est pas langagière. Ce qu’elle crée est une forme d’expérience et un mode de connaissance non verbal dans lequel il y a bien de la pensée, mais de la pensée qui n’est pas organisée de manière discursive. Cette pensée du sensible est résolument adiscursive et aconceptuelle. Elle n’est concernée, comme l’ethnographie, que par la singularité concrète» (p. 51). Dès lors comment s’y prendre ? Laplantine aborde la nécessité d’une véritable pensée en image, qui prendrait en charge une production de sens autre que celle que permet l’écriture. Sans vraiment nous mettre sur la voie d’une méthode possible, il attire néanmoins notre attention, en citant Serge Daney, sur une distinction nécessaire entre le visuel et l’image, le premier étant entendu comme un objet clos, fini et construit sur des logiques discursives, qui s’oppose à l’image, par nature inachevée et incomplète. L’image ouvrirait des portes que le visuel fermerait.

Concluons sur ce rappel, qui apporte une note détonante, mais aussi vivifiante. Les sciences sociales sont marquées par l’émergence des « studies » en tous genres depuis quelques décennies, dont les « visual studies » participent. Comment dès-lors, en tenant compte de la distinction visuel/images, poursuivre la voie ouverte par les études visuelles, dont l’un des apports est de favoriser l’interdisciplinarité ?

Sylvaine Conord (coord.), « Arrêt sur images. Photographie et anthropologie », Ethonologie française, Puf, Paris, 2007, n°1, 192 pages.

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La livraison de janvier 2007 d’Ethnologie française consacre son dossier aux relations entre photographie et anthropologie. Ce recueil permet de faire le point sur l’apport de la photographie en tant que processus de compréhension et de restitution des réalités sociales, sur un plan tant théorique que méthodologique. Dans son texte d’introduction, Sylvaine Conord, responsable scientifique ...

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