Gris moyen : lumière réfléchie à 18% et non à 50% comme l’adjectif « moyen » pourrait le faire croire.
Il s’agit d’un gris « perçu » par un humain selon une échelle logarithmique et non linéaire. Par ailleurs, le gris moyen n’est pas le gris neutre.
Gris neutre : les couleurs rouge, verte et bleue ont une présence identique. En photographie, le gris neutre permet d’effectuer la balance des blancs. Ici, l’adjectif neutre ne porte pas de connotation d’uniformité comme l’est une note élevée pour un film sur la plateforme en ligne IMDb mais signale la présence simultanée de l’ensemble des différences.
Le gris dit moyen ne qualifie que la lumière quand le gris dit neutre ne renvoie qu’aux couleurs. Il est ainsi possible d’avoir un gris à la fois moyen et neutre. En bref, si nous nous dispensions du terme gris, il conviendrait de définir « une lumière perçue moyenne » et « des présences colorimétriques égales ».
Ces deux gris photographiques appartiennent à deux répertoires absolument différents qu’il convient de distinguer.
(…) On se sent faible et fort,
On est petit et grand ; (…)
(Hugo 1846)
La littérature scientifique qualifie deux types différents de productions : la littérature blanche et la littérature grise. Il existe enfin à l’extrême le black hole material (Chillag, 1993) qui ne fait pas partie de la littérature dite scientifique. Le black hole material peut être traduit littéralement par la « matière de trou noir », mais plus efficacement par le néant qui est « ce qui n’est pas » et pour lequel nous utilisons dans le langage le préfixe in- im- il- (inexistant, inestimable, imparfait, immoral, illégitime). Le black hole material serait ainsi une littérature « inscientifique » au mieux ou une illittérature au pire.
L’analogie entre les gris en photographie et le type de littérature scientifique est pour le moins périlleuse. Pour la photographie, les gris qualifient l’ensemble des possibles. S’il s’agit de qualifier la lumière réfléchie, le gris se situe entre une réflexion complète de lumière, le blanc, et une absence complète de réflexion de la lumière, le noir. La matière réfléchissant le plus de lumière est l’Ultrawhite BaSO4, développée par l’équipe du Prof. Xiulin Ruan (Purdue University). Aussi, affirmer que les fabricants de lessive cherchent à laver « plus blanc que blanc » ne constitue pas en soi une publicité mensongère. La matière réfléchissant le moins de lumière a été entre 2012 et 2019 le Vantablack, à 99.96% d’absorption de lumière (VANTA est l’acronyme de Vertically Aligned NanoTube Array). Les droits d’utilisation du Vantablack sont détenus par l’artiste Anish Kapoor. En 2019, le Vantablack a été dépassé par The Redemption of Vanity, matériau noir produit par l’artiste Diemut Strebe, le Prof. Brian L. Wardle, Dr Luis Acuan et Dr Estelle Cohen au sein du Massachussets Institut of Technology (MIT). Il atteint 99,99% d’absorption de lumière.
Dans la littérature scientifique par contre, le blanc et le gris représentent l’ensemble des possibles du sous-ensemble scientifique de la littérature et le noir ne qualifie que ce qui n’en fait pas partie. Au sein même de la littérature scientifique, la littérature grise « (…) correspond à tout type de document produit par le gouvernement, l’administration, l’enseignement et la recherche, le commerce et l’industrie, en format papier ou numérique, protégé par les droits de propriété intellectuelle, de qualité suffisante pour être collecté et conservé par une bibliothèque ou une archive institutionnelle, et qui n’est pas contrôlé par l’édition commerciale. » (Schöpfel 2012). Elle comprend les actes de colloques, les rapports ou les dossiers d’études. A l’opposé, la littérature blanche possède les premiers attributs mais pas le dernier ; elle est intégrée à l’édition commerciale et profite ainsi d’une diffusion simplifiée et élargie. Elle comprend les livres publiés et les revues scientifiques.
La distinction entre ces deux types de littérature scientifique semble ne porter que sur le mode de diffusion du savoir. Pourtant, il n’est pas absurde de s’interroger non seulement sur la qualité de ces deux littératures ou encore sur le public qui en est destinataire. Diffuser consiste précisément à « porter une nouvelle, une idée à la connaissance d’un public » (dictionnaire Larousse) et ce qui est scientifique est « ce qui est conforme aux exigences d’objectivité, de méthode, de précision de la science » (dictionnaire Le Robert). Il s’agit alors de savoir si le gris dans le cas de la littérature scientifique s’applique à des sous-répertoires différents (mode de production, mode de diffusion, public concerné) comme le gris le fait en photographie (lumière, couleurs).
Productions blanches ou grises.
Les mémoires de Master comme les thèses de doctorat sont produits au sein des institutions scientifiques référentes : les universités. Lors de leur constitution, les auteurs n’ont pas pour obligation de les prédestiner à un mode de diffusion mais seulement celle de répondre aux exigences académiques. Une thèse de doctorat peut ainsi d’abord être considérée comme de la littérature scientifique grise avant de devenir, après diffusion par les canaux commerciaux, de la littérature blanche. Lors de la production de ce type de document, il relève du seul désir individuel de répondre à un problème universellement partagé ou au contraire à une question qui touchera peu d’entre nous. Ce qui d’ailleurs laisse potentiellement la place à des critiques aisées portées aux travaux des chercheurs qui ne répondraient qu’à des questions que les individus ne se posent pas, ce qui peut être vrai sans pour autant l’être toujours. En effet et particulièrement selon le champ d’expertise, les questions posées peuvent ne connaître qu’un faible nombre de personnes concernées ce qui n’enlève rien aux qualités de cohérence, de méthode, de précision ou d’objectivité. Enfin, les chercheurs ne peuvent pas anticiper l’ensemble des développements possibles de leurs travaux lors de leur production.
Diffusions blanches ou grises.
Les éditeurs ont le pouvoir de rendre très accessibles des travaux scientifiques et ce, quel que soit le public, qui peut être un lecteur isolé ou un réseau de diffusion du savoir comme le sont les bibliothèques. Ils portent simultanément et logiquement la responsabilité de vérification du caractère scientifique de la production diffusée. Engagés dans la sphère commerciale, ils ont intérêt à ce que leurs canaux de diffusion rencontrent un public large qui ne signifie pas nécessairement un public varié. Il convient dans leur activité de transformer le qualitatif en quantitatif sans que le second ne soit une dispense du premier. Précisément, renoncer à la scientificité pour une diffusion élargie est le reproche qui est logiquement le plus adressé aux médias commerciaux. La tension entre qualitatif et quantitatif est un véritable enjeu auquel les auteurs, davantage que les éditeurs, peuvent et doivent répondre.
Publics.
La littérature scientifique grise et la littérature scientifique blanche s’adressent à des publics tout à fait différents. Dans le premier cas, elle est destinée à un public de spécialistes avant tout. Ce public est formé à des outils de recherches spécifiques qui lui permettront d’accéder à ces documents sans grande difficulté. La littérature grise n’est pas soumise aux contraintes quantitatives. Ainsi, pour autant que le document soit protégé par les droits de propriété intellectuelle, de qualité suffisante pour être collecté et conservé par une bibliothèque ou une archive institutionnelle, et qu’il ne soit pas contrôlé par l’édition commerciale, il appartiendra à cette littérature scientifique. Dans le second cas, les contraintes commerciales obligeront les diffuseurs et les auteurs à prétendre à un volume défini de lecteurs qu’ils atteindront pour leur bonheur, ou pas. L’objectif commun de ces deux littératures est de permettre une accessibilité aux publics à qui elles sont potentiellement destinées. Internet a notablement simplifié cette accessibilité mais aussi brouillé les frontières qui distinguaient la littérature scientifique de celle qui ne l’est pas.
Coexistence des répertoires.
Nous sommes sans cesse soumis à des images ou à des textes qui appartiennent à des répertoires fort différents. Il est le plus souvent difficile de conserver une vigilance nous évitant les biais de généralisation excessive ou les sophismes de confusion (Mill 1889). Les images ne sont pas lues par chacun et par tous selon un champ de connaissance unique. Les polysémies deviennent si nombreuses que chaque terme semble devoir être explicité. Ainsi, si le terme gris paraît suffisamment explicite pour être employé de la même façon dans l’ensemble des champs, il ne s’agit pourtant que d’une analogie formelle et aucunement d’une unité sémantique. Lorsqu’un terme ou un propos ne dit pas ce qu’il semble vouloir dire, il est de la responsabilité de chacun et de tous de pratiquer un dévoilement (Boltanski et Thévenot 1991), c’est-à-dire de rendre un propos univoque notamment en rendant visibles les structures sociales cachées. Certes, Marcel Duchamp a indiqué que toute œuvre d’art a deux pôles : » il y a le pôle de celui qui fait une œuvre et le pôle de celui qui la regarde. Je donne à celui qui la regarde autant d’importance qu’à celui qui la fait. » (Duchamp 1976, 122). Au contraire, nous pourrions prétendre que l’univocité relève principalement de la responsabilité des auteurs.
Enfin, devant l’immensité des répertoires possibles ne pourrions-nous nous attacher à ne produire que de simples descriptions sans y chercher aucune connotation.
Mon légionnaire est une chanson écrite par le parolier Raymond Asso en 1989 et interprétée par Serge Gainsbourg. Ce légionnaire était-il conforme à l’ensemble des légionnaires ou répondait-il seulement à un désir standard et peu spécifique d’homme ? Aux deux questions, il serait prudent de répondre : c’est possible mais pas certain. Nous croyons seulement savoir qu’« il était mince, (qu’) il était chaud et (qu’) il sentait bon le sable chaud. (…) Y avait du soleil sur son front, qui mettait dans ses cheveux blonds de la lumière ». Pourtant son auteur nous a dit : « je ne sais rien d’lui ! »