Le transport et la mobilité sont des éléments constitutifs de la ville, puisque les déplacements sont essentiels à la vie urbaine pour l’accès à l’emploi, aux besoins essentiels de la vie urbaine, etc. (Godard et Tarnier, 1992, p. 242). Ils sont aussi nécessaires à son fonctionnement, notamment à ses fonctions de production et d’échanges aussi bien internes que nationaux ou supranationaux. L’efficacité d’une ville se mesure le plus souvent par l’efficacité de ses échanges que conditionnent les déplacements et le transport à l’intérieur de la ville et avec son arrière-pays. L’impact d’un bon système de transport sur le développement économique et social de la ville n’est donc plus à démontrer (Godard et Teurnier, 1992 ; Diaz, Plat et Pochet, 2002 ; Ravalet, 2003). Le transport constitue, alors, un enjeu socio-économique important par les ressources qu’il mobilise, les emplois qu’il crée et la cohésion nationale qu’il permet à travers sa connexion avec les différentes régions d’un pays.
La satisfaction des besoins essentiels de la vie urbaine engendre des besoins de déplacements urbains qui auraient pu trouver leur place dans les Objectifs du Millénaire pour le développement (Omd) [1] qui mobilisent la communauté internationale dans les pays pauvres. Ces Omd, dont l’objectif ultime est la réduction de la pauvreté, sont, aujourd’hui, présentés par les agences de développement comme le but principal des politiques de développement de ces pays. La Banque Mondiale qui joue un rôle prépondérant dans la production de doctrine [2] de réduction de la pauvreté aborde cette problématique sous l’œillère d’une meilleure structuration du secteur des transports dont celui qui se passe en milieu urbain.
À Niamey, plusieurs politiques ont été mises en œuvre par les pouvoirs publics pour améliorer la mobilité dans la ville. Cependant, le constat qui peut être fait aujourd’hui est que ces différents projets et programmes ont eu des impacts positifs très faibles dans la mobilité des Niaméens. On peut même sans risque affirmer que la ville de Niamey traverse aujourd’hui une crise dans le domaine des transports, à cause de l’insuffisance des équipements et du parc automobile : nombre réduit de routes bitumées, d’autobus, la prédominance des taxis collectifs dont les tarifs quoique bas sont prohibitifs en regard des revenus ménages, vétusté du parc automobile dominé par des automobiles jetées au rebus par l’Occident et qui retrouvent ici une seconde vie, etc.
La question du transport est dès lors devenue une préoccupation aussi bien pour les pouvoirs publics que pour la population pour qui le besoin de se déplacer ou de déplacer les choses est un véritable casse-tête du fait de la dégradation continue des conditions de transport, de l’étalement de la ville et de la sous-intégration des quartiers périphériques mal reliés à la ville. L’analyse de la densité des équipements et infrastructures urbains notamment celle du transport montre qu’elle décroit du centre vers la périphérie. Cette situation entraîne un renchérissement des coûts de transport du centre vers la périphérie. Et ce sont les ménages pauvres qui en paient le plus lourd tribut car leur mobilité se trouve réduite ce qui les exclut des opportunités de toutes sortes que la ville peut leur offrir. Selon l’Ins (2009), les ménages de Niamey consacrent parfois près du cinquième de leurs revenus au transport qui occupe le troisième poste de dépense dans le budget des ménages après le logement et l’alimentation.
Jacques Levy et Michel Lussault (2003) définissent l’offre de transport comme un ensemble de possibilité effective pour relier deux lieux par un déplacement. Partant de cette théorie, il est clair que le système de transport doit assurer l’accessibilité à tous les habitants d’une ville. Ce qui n’est pas le cas dans beaucoup de villes africaines, où les grandes entreprises de transport tendent à disparaître laissant la place à un vide comblé par le transport informel (Gordard et Teurnier, 1992). Au-delà de son objectif majeur qui est d’assurer le déplacement des biens et des personnes, un système de transport est aussi un puissant facteur d’aménagement de l’espace (Mérenne, 1995).
Le transport est aujourd’hui un problème pour les citadins plus particulièrement pour les habitants des quartiers périphériques qui sont très loin du centre-ville de Niamey (qui concentre les fonctions commerciales et administratives) comme Talladjé, quartier spontané périphérique sous-intégré [3] de la ville de Niamey et dont les habitants souffrant de la défaillance du système de transport ont imaginé et mis en œuvre un système de transport original pour faciliter leur accès à Niamey.
Talladjé et son cadre géographique.
Voir la carte annexée en format pdf (source : Hadiara Yayé Saidou, 2010).
Talladjé est un quartier de la commune Niamey IV situé à l’est de la ville de Niamey, sur la route de l’aéroport international Diori Hamani. Créé vers 1966, Talladjé est un quartier sous-intégré séparé de la ville par la ceinture verte, longue de 25 km et large de 1 km occupant donc une superficie de 2500 ha. Il est également séparé du quartier périphérique Aviation, sis plus à l’est, par des infrastructures aéroportuaires qui occupent un terrain large de plus de 2 km. Cet isolement et l’insuffisance de moyens adéquats de transport permettant de le relier à la ville ont induit la création d’un mode original de transport en commun constitué d’automobiles de la marque Peugeot 504 et 505 familiales pouvant transporter jusqu’à neuf personnes, communément appelées Talladjé-talladjé. Enfin, on constate que le quartier s’insère entre deux grands boulevards de plus de 50 m de large qui le séparent au sud du quartier informel Pays Bas sis sur des bad-lands et au nord du quartier Bassora en cours de constitution : il s’agit du boulevard du 15 avril et celui du Mali Béro.
Du point de vue morphologique, Talladjé est situé dans la partie orientale du plateau de la rive gauche du fleuve Niger recouvert de sables de faible épaisseur qui lui donnent un aspect moutonné laissant aussi apparaître par endroit une cuirasse ferrugineuse imperméable qui arme le socle. Sur le plan hypsométrique, les terrains sont assez plats ce qui est une contrainte à l’écoulement des eaux de pluie. Cette configuration du site est une contrainte au développement du transport. Ici, les rues sont toutes en terre donc poussiéreuses et ensablées par endroit pendant la saison sèche et bourbeuse en saison des pluies du fait aussi de l’inexistence d’un réseau d’évacuation des eaux de pluie à l’intérieur du quartier.
Naissance et développement du quartier Talladjé.
« Talladjé », qui signifie baobab en peul, a donné son nom au quartier qui est l’un des dix-sept quartiers composant la commune Niamey IV. C’est un des quartiers les plus peuplés et les plus denses de la ville de Niamey. C’est un exemple original d’urbanisation spontanée. Son histoire commença en 1966 quand Soumana Sagayzé, ancien combattant et ancien agent du service des douanes, déchu d’une partie de sa concession et s’estimant à l’étroit dans son village de Saga vint s’installer dans un de leurs champs familiaux. Il rejoignit deux familles apparentées de cultivateurs déjà installées dans leurs champs. Ils vivaient en bonne entente avec les Peuls administrativement rattachés au canton de Saga. Ces Peuls s’étaient installés à Talladjé avec leurs troupeaux, à cause de la proximité des rizières et des jardins de Saga qu’ils fertilisaient en faisant paître leurs animaux pendant la saison morte.
Soumana Sagayzé commença par construire deux cases dans une vaste concession dont les dimensions et les ambitions sont à la mesure du prestige attaché à ses fonctions antérieures. Quelques mois plus tard, il parvint à construire une vaste maison en semi-dur. Ce faisant Soumana Sagayzé déclencha le plus important et spectaculaire mouvement d’auto-urbanisation qu’ait jamais connu la ville de Niamey. En effet, ayant tiré la leçon des expropriations fréquentes, à cette période, des terres coutumières au profit des lotissements urbains publics et généralement sans dédommagement, les habitants de Saga se mirent à vendre et même à donner des terrains gratuits à bâtir sur le terroir de Talladjé autour de la concession de Soumana Sagayzé.
L’administration communale malgré plusieurs appels restés lettre morte ne rencontra qu’une farouche détermination de la part des populations qui considéraient cette voie plus sûre pour acquérir une parcelle, contrairement à la voie officielle caractérisée par la lourdeur administrative et le népotisme. Ces lotissements informels sont pour ces acquéreurs une réponse à la pénurie chronique de logements, aux différentes réglementations qui régissent l’accès à la terre, au laxisme de leurs applications, à l’insuffisance de l’offre de parcelles, et à leurs prix trop élevés.
La mise en valeur des terrains continua imperturbablement, malgré les mises en garde de la municipalité qui poussa les acquéreurs à construire nuitamment leur maison sur des parcelles appelées « carrés » auxquelles on s’efforça de donner généralement une forme rectangulaire en faisant appel aux services d’un topographe. Ces parcelles mesuraient approximativement 25 m sur 25 et coûtaient 15 000 f Cfa ; mais, du fait du nombre élevé des clients, les prix de cession ne tardèrent pas à monter : le prix de la parcelle passa de 15 000 f en 1966 à 30 000 f en 1969, 40 000 en 1975, 50 000 f en 1976 et plus de 100 000 f à la fin des années 1980. Les acquéreurs étaient de toutes origines et de toutes conditions sociales, mais on y recense beaucoup d’ouvriers du fait de la proximité de la zone industrielle, des petits et moyens commerçants, des fonctionnaires à revenu modeste (policiers, infirmiers, douaniers, plantons, etc.).
Soumana Sagayzé fut le véritable fondateur de Talladjé. Pour ce faire, il a été nommé chef du quartier par l’autorité municipale. Son rôle et son importance dans le quartier sont dus à son extraordinaire talent d’organisateur et de sauveur de tous les frustrés de Niamey qui élirent domicile à Talladjé. Il mourut en 1999 ; son neveu Idé Hamani lui succéda et règna pendant 8 ans. À la mort de ce dernier en 2007, Hassane Soumana, fils du fondateur de Talladjé, fut nommé chef du quartier.
Le quartier Talladjé ayant ainsi été constitué au nez et à la barbe de la municipalité, les services techniques du ministère en charge de l’urbanisme préconisèrent, en 1973, trois solutions (Poitou D., 1985) :
– la destruction pure et simple du quartier qui n’avait aucune existence légale,
– ignorer son existence et l’abandonner à son triste sort,
– entreprendre sa restructuration sans attendre.
C’est la troisième solution qui fut finalement retenue. Des dispositions furent prises dès 1975 pour tenter de bloquer l’extension du quartier vers l’est, en deçà de ce que l’on appelait autrefois « la voie des 50 mètres » et aujourd’hui le boulevard Mali Béro. Des instructions fermes furent aussi données afin, d’une part, que les morcellements cessent à l’intérieur du quartier et qu’aucune construction nouvelle n’y soit entreprise et, d’autre part, qu’au delà du boulevard aucun lotissement informel ne soit effectué. Devant la lourdeur de la mise en œuvre de la restructuration, le mouvement d’urbanisation du quartier reprit lentement avec le relâchement dans la surveillance. Ce n’est qu’en 1979 que l’administration municipale se décida de résoudre en partie les problèmes de Talladjé.
C’est ainsi que toutes les constructions au-delà de « la voie des 50 mètres » furent rasées sans que leurs propriétaires ne puissent prétendre à un quelconque dédommagement. Ensuite, quelques artères furent percées dans le quartier ; les maisons se trouvant sur leur tracé furent rasées et les propriétaires durent se loger ailleurs. Ces percements entrainèrent un désengorgement du quartier qui permit d’une part d’avoir quelques espaces libres, d’autre part l’installation d’un réseau d’adduction d’eau potable et d’électricité et enfin d’avoir, dans la partie sud-ouest du quartier, une voie tampon de sécurité entre les habitations et les dépôts d’hydrocarbures, large de 100 m.
Cette restructuration partielle du quartier eut pour effet de lui donner l’aspect des quartiers traditionnels tels que définis par Motcho [4] (1991) et de le doter de certains équipements indispensables à la vie des habitants du quartier : établissements scolaires, formations sanitaires, marché de plein air [5] et services de proximité en nombre insuffisant. Le quartier dispose, en effet, d’une dizaine d’écoles primaires, dont deux relevant du secteur privé, d’un Collège d’Enseignements Secondaires, d’un collège franco-arabe. Hormis ces infrastructures scolaires, on y trouve un centre de santé intégré de type 2 (composé d’un dispensaire et d’une maternité) et une pharmacie populaire. Le quartier dispose aussi d’un marché quotidien, d’un commissariat de police, d’une antenne de la caisse nationale de sécurité sociale, d’un centre culturel (maison de la Samaria). Il abrite aussi la direction des deux grands distributeurs de carburant du Niger, une fabrique de crème glacée, une usine de fabrication de tôle et d’ustensiles en aluminium sis sur le boulevard du 15 avril. Il ne dispose en son sein d’aucune voie aménagée facilitant la circulation interne, ni d’un système d’évacuation des ordures, ni de caniveaux, présents seulement le long du boulevard Mali Béro.
En définitive, on constate d’une part que le quartier est encore sous équipé et sous-intégré à la ville ce qui pousse ses actifs à l’abandonner quotidiennement pour aller chercher quelques sous pour faire vivre leur famille et d’autre part qu’en 1981, le quartier qui s’est imposé aux autorités locales grâce à la concertation, à la détermination, au dynamisme et à la solidarité de ses habitants a été finalement reconnu par les autorités municipales. Il s’étend d’est en ouest sur près de 2 km et du nord au sud sur 1,2 km. Il couvre près de 180 ha répartis en près de 2 000 parcelles de 500 à 600 m2 environ. Aujourd’hui, la voie de sécurité de 100 m a été de nouveau recolonisée sous le regard indifférent, voire bienveillant de la municipalité.
Évolution de la population du quartier Talladjé.
À sa création, Talladjé était peu peuplé, mais au fil des ans, sa population s’est accrue rapidement. En 1975, il comptait 5 000 habitants, 6 000 en 1976, 22 747 habitants en 1983 soit une densité de 132 hab/ha pour une superficie de 172,4 ha. Cinq ans plus tard, en 1988 on y dénombrait 28 336 habitants, soit une augmentation de plus de 5 000 personnes en cinq ans qui fit passer la densité à 160 hab/ha. Cette densité reste cependant en-dessous de celle des quartiers du centre-ville. La répartition de la population par sexe et par âge donne 14 267 hommes et 14 150 femmes, soit un rapport de masculinité de 100,8 pour 100 femmes. Le quartier comptait 4 010 ménages. En 2001 la population était évaluée à 36 033 habitants et le taux de croissance annuel à 1,8 %. Le rapport de masculinité qui est passé à 103 pour 100 femmes, montre une chute des effectifs des femmes due sans doute à l’importance des ménages célibataires aux revenus modestes qui y ont élu domicile. L’effectif des ménages en 2001 était estimé à 5 579 unités soit une croissance moyenne annuelle de 2,5 % qui est plus rapide que celle de la population du quartier, confirmant ainsi la prédominance des ménages célibataires.
La croissance rapide de la population de Talladjé est due non seulement à la facilité d’accès au foncier, au prix relativement modeste du loyer qui attire un flux de jeunes en provenance surtout de l’intérieur du pays, des villages et quartiers environnants tels que Gamkallé, Saga, Nouveau marché, mais aussi à la forte natalité enregistrée dans le quartier.
Talladjé est un quartier dont la structure par âge et par sexe ressemble à celle de la ville traditionnelle caractérisée par la jeunesse de la population qui entraîne une augmentation de l’indice de dépendance participant au maintient des ménages dans la pauvreté. La prédominance de ménages jeunes est cause aussi de la forte fécondité enregistrée dans le quartier, de l’ordre de sept enfants en moyenne par femme. Cette forte fécondité est due aussi à la présence d’un nombre important de ménages polygames très jeunes.
Enfin, il faut noter que la population du quartier est cosmopolite même si on y note une prédominance des Zarmas du fait de l’implantation de Niamey en pays Zarma. Les autres ethnies du Niger y sont également présentes, de même que les ressortissants des pays limitrophes. Du point de vue sociologique, avec les différentes crises économiques que le Niger a traversé et qui a entraîné la fermeture de maintes entreprises publiques et privées d’une part, et l’hypertrophie du secteur informel d’autre part, Talladjé est aujourd’hui majoritairement peuplé de travailleurs indépendants qui opèrent dans le centre-ville de Niamey et qui ont donc besoin de s’y rendre quotidiennement. C’est pour favoriser le déplacement de ces petites gens de leur quartier de résidence vers le centre-ville ou vers le quartier Aviation qu’un mode de transport collectif suburbain original appelé Talladjé-talladjé fut initié dans les années 1970.
Grandeur et décadence des taxis collectifs Talladjé-talladjé.
Né vers les années 1970, les taxis collectifs suburbains Talladjé-talladjé c’est-à-dire littéralement « destination Talladjé », ont bouleversé les modes de transport urbains dominés à l’époque par les bus de la Société Nationale des Transports Nigériens (Sntn) et les taxis urbains communément appelés « tête rouge » à cause de la couleur orange de leur toiture. Pendant un quart de siècle, ils étaient pratiquement les seuls moyens de transport des populations des quartiers périphériques de Niamey.
Origine et mode de fonctionnement.
L’apparition des taxis collectifs suburbains Talladjé-talladjé coïncide avec la période où Niamey commença à s’étaler du fait de son explosion démographique. Motcho K. H. (1991, p. 46) montre que la très forte croissance, tant démographique que spatiale, rendit inopérant le plan d’urbanisme de 1967 qui était une extension de celui de 1964. En 1972/73, la population de la ville passa de 108 000 à 200 000 habitants suite à la sècheresse qui frappa les pays sahéliens. En 1974, une redéfinition territoriale divisa la ville en dix-sept arrondissements. Niamey, désormais, s’étend dans toutes les directions, y compris sur la rive droite grâce à la construction du pont Kennedy et du domaine universitaire et au transfert du quartier Gaweye de Niamey bas à son emplacement actuel. Sur cette rive inondable par endroits, la ville, progressivement, annexa les villages de Nogaré, Lamordé, Karadjé et Kirkissoye de sorte que le tissu urbain de la rive droite est composé de noyaux villageois jouxtant d’une part des lotissements produits par la communauté urbaine de Niamey et d’autre part par des espaces d’occupation spontanée issus des morcellements entrepris par les propriétaires fonciers coutumiers. Sur le plateau, Talladjé se peupla davantage ainsi que le quartier Aviation.
La très forte croissance démo-spatiale de la ville n’engendra malheureusement pas une réponse des pouvoirs publics aux attentes des populations dans le secteur des transports. La réponse vint plutôt du secteur informel notamment, dont quelques artisans virent un moyen d’y gagner quelques sous. En effet, ce moyen de transport est vite apparu comme le gagne-pain de quelques retraités du quartier et de jeunes sans emploi employés comme chauffeurs ou rabatteurs.
Le premier propriétaire et aussi conducteur de taxi Talladjé-talladjé était un militaire à la retraite surnommé Niameyzé, c’est-à-dire natif de Niamey. Ce surnom est tout un symbole car il sous entend qu’en tant que natif de Niamey, il y disposait d’un capital de relations qui était à cette époque un atout pour entreprendre une activité de transport. Ce surnom, synonyme d’insertion dans la ville et donc de débrouillardise, lui avait aussi permis d’obtenir un permis de conduire qui n’était pas, à cette époque, donné à tout le monde. En tant qu’ancien militaire, il bénéficiait de la bienveillance des agents de la police en charge de la circulation routière, ce qui le mettait à l’abri de tracasseries, notamment des contrôles intempestifs des pièces du véhicule et/ou de surcharge des passagers. Son initiative fut couronnée de succès et Niameyzé multiplia le nombre de ses taxis et embaucha des chauffeurs. Il fut bientôt rejoint par d’autres retraités militaires ou paramilitaires qui virent dans cette activité un moyen pour arrondir leur maigre pension. Le nombre de taxis Talladjé-talladjé explosa dès lors, augmentant ainsi le trafic entre Talladjé ou le quartier Aviation et le Grand Marché.
Ces taxis collectifs sont des automobiles de marque Peugeot 504 ou 505 familiales mises en circulation en Afrique respectivement en 1968 et 1979. C’était à l’époque des véhicules solides adaptés aux rues cahoteuses des villes et campagnes africaines. À leur solidité s’ajoute leur capacité de charger normalement huit personnes mais le plus souvent neuf en Afrique. C’est donc naturellement que ces véhicules furent utilisés comme moyen de transport en commun intra et/ou interurbain. Pendant longtemps, ils furent avec les autobus de la Sntn les seuls moyens de transport reliant le quartier Talladjé au centre-ville à Niamey ou au quartier Aviation.
La bienveillance dont bénéficiaient ces anciens militaires ou paramilitaires explique sans doute pourquoi, même devenues des épaves auxquelles les maisons d’assurance refusaient toute garantie, les Talladjé-talladjé continuèrent à circuler allègrement durant toute la période d’activité de ces premiers promoteurs, anciens militaires et conducteurs de leurs propres taxis, c’est-à-dire jusqu’à l’aube du 21ème siècle qui coïncida aussi avec l’arrêt de la production de ces véhicules.
La production des 505 s’était, en effet, arrêtée en 1992 et celle des 504 familiales, effectuées en Europe, fut stoppée en 1996. La berline 504 fabriquée à l’usine de Kaduna au Nigéria fut à son tour arrêtée en 2005. Désormais, l’activité confrontée aux problèmes de pièces de rechanges, à la vétusté du matériel roulant, au décès des premiers promoteurs qui disposaient de solides amitiés dans la police, au rajeunissement des éléments de la police, au prix prohibitif du carburant, entre autres, périclita. Entre 2001 et 2010, le nombre de taxis Talladjé-talladjé chuta de 45 à 20. Véritables épaves, ces véhicules offrent, cependant, 180 sièges à leurs passagers à chaque rotation. En moyenne, ce type de taxi faisait une vingtaine de rotations par jour au temps de leur grandeur. Aujourd’hui, extrêmement peu peuvent soutenir ce rythme à cause des pannes qui les obligent à faire souvent des crochets sinon à séjourner plusieurs jours dans les garages. Ils sont donc peu performants ; on estime que la moitié seulement de la flotte est mobilisable chaque jour. Dans un tel contexte, le résultat est une lutte pour la survie de l’activité. La vétusté des véhicules combinée aux pannes fréquentes et aux difficultés à obtenir des pièces détachées ont poussé certains propriétaires à vendre leurs véhicules à la casse où ils sont dépiécés. Ces pièces usagées permettent de redonner un second souffle aux tacots encore en activité.
Promu par des habitants du quartier dans le but de se faire quelque argent mais aussi d’apporter une réponse aux besoins de déplacement de leurs concitoyens, les taxis Talladjé-talladjé ont connu leur heure de gloire et de prospérité entre 1972 et 1998. Ainsi pendant plus d’un quart de siècle ils étaient pratiquement les seuls à assurer le transport des habitants de Talladjé vers le Grand marché et le marché Wadata. Leur succès était tel qu’ils firent des émules dans d’autres quartiers périphériques comme Saga, sis à l’est de la ville le long du fleuve Niger, Goudel et Tondibia sis à l’ouest, également le long du fleuve. Au total, cinq lignes, Talladjé, Aviation, Saga, Goudel et Tondibia étaient desservies par près d’une centaine de ces taxis. À la même période, les quartiers périphériques sis dans la partie au nord de la ville, Lazaret et Foulan koira koiratégui, étaient desservis par des Peugeots 404 bâchées communément appelés Lazaret-lazaret. Ces véhicules assuraient plusieurs liaisons par jour entre ces quartiers périphériques et le centre-ville au prix de 75 f Cfa la course par client soit 675 f Cfa le trajet. Le renchérissement du coût du carburant va sonner le glas de cette activité artisanale du fait des trajets à couvrir pour de si modeste somme, de la vétusté de ces véhicules à forte consommation de carburant et surtout du décès des pionniers qui avaient leurs entrées, autrefois, à la police et à la mairie.
La distance séparant les stations de ces taxis, le marché Kokorbado à Talladjé et le Grand marché en centre-ville variait entre 4 km et 5 km au gré des déguerpissements [6] de la station du Grand marché. Il faut noter que Talladjé et Aviation se partageaient les mêmes taxis collectifs et avaient par conséquent le plus grand parc automobile mais étaient aussi ceux qui étaient les plus confrontés aux tracasseries de la municipalité consécutives aux plaintes de voisinage au niveau de la tête de ligne du Grand Marché. C’est ainsi qu’au gré des déguerpissements, tantôt leurs stations étaient à quelques encablures de ce marché tantôt elles en étaient éloignées. La distance Marché Kokorbado–Wadata étaient plus réduite : entre 2 et 3 km. Celle de la ligne Petit marché–Saga étaient longues de 4-5 km contre 5-6 km pour la ligne Petit marché–Goudel. La ligne Petit Marché–Tondibia qui est la plus distante, près de 10 km, coûtait naturellement plus cher : 100 f Cfa la course par passager.
Aujourd’hui, il existe encore quelques spécimens de ces taxis dans la ville qui tentent vaille que vaille de maintenir cette activité informelle entre le quartier Aviation et le marché Wadata. Ils ne pénètrent plus dans le quartier Talladjé mais le longent en empruntant le boulevard Mali Béro. Là, ils déposent ou prennent les clients du quartier Talladjé.
La chute des effectifs de Talladjé-talladjé est aussi due à l’émergence en 1999 des taxis Faba-faba minibus de 19 places de marque Toyota en meilleur état et plus économes dans la consommation de carburant. Plus compétitifs, ces minibus ont sonné le glas des Talladjé-talladjé dont l’activité n’est plus rentable aujourd’hui. Ils sont devenus une activité de survie, un palliatif au désœuvrement et une activité plutôt sociale qu’économique. Ces minibus, bien que vétustes sont de redoutables concurrents aux épaves que sont devenus les Talladjé-talladjé. Avec les taxis « tête rouge » qui parcourent maintenant le quartier Talladjé, ils ont expulsé hors de ce quartier les Talladjé-talladjé du fait aussi du bitumage en 2005 du boulevard Mali béro au nord qui vient s’ajouter à celui du 15 avril au sud pour rendre ainsi le quartier plus accessible aux taxis « tête rouge ». La pénétration de ces derniers dans ce quartier a été favorisée par le bitumage en 2005 du boulevard Mali béro qui a permis de désenclaver la partie nord du quartier. Rappelons que la partie sud est drainée par le boulevard du 15 avril. Ces deux routes et les voies en terre percées lors de la restructuration du quartier en 1973 ont rendu le quartier plus accessible aux véhicules.
Un modèle de taxi break de marque Toyota, fait son apparition depuis moins d’une dizaine d’années, avec le sobriquet Bassora-bassora. Il relie le marché Wadata au nouveau quartier Bassora sis à la limite Nord de Talladjé. Ces taxis sont plus légers, moins gourmande en carburant et en meilleurs état que les Talladjé-talladjé ce qui leur permet de se faufiler entre les arbres de la ceinture et d’affronter les voies cahoteuses de ce quartier en cours de formation. Ce nouveau mode de taxi collectif périphérique est conduit non pas par ses propriétaires mais par des chauffeurs soumis à un versement journalier des recettes aux propriétaires des véhicules.
Emergence des minibus Faba-faba mais domination des taxis urbains.
Les minibus Faba-faba sont des minibus d’une vingtaine de places qui ont fait leur apparition en 1996. Ils ont asséné le coup de grâce aux taxis Talladjé-talladjé ainsi qu’à la Société Nationale de Transport Urbain (Sntu) moribonde depuis 1996 et qui disposait d’une trentaine de bus de 70 places dont seulement neuf en état de marche, pour une ville millionnaire en population et dont la superficie dépasse les 15 000 ha.
L’histoire de la Sntu a débuté en 1963, lorsque le Gouvernement décida de la mise en place d’un système de transport de ses fonctionnaires aux heures de pointes et de descente des commerçants et ménagères entre ces heures. En 1977, avec l’exploitation de l’uranium et les besoins importants de transport de l’uranate et du soufre, une société plus grande fut constituée regroupant en son sein le transport urbain, le transport interurbain de voyageurs et le transport de marchandises : la Société Nationale des Transports Nigériens (Sntn). Mais la chute du cours de l’uranium, dans les années 1980, précipita le Niger dans une crise économique qui l’obligea à se désengager de maintes entreprises étatiques. La Sntn fut scindée en 1996 en deux entreprises bien distinctes : la Sntn s’occupant du transport de marchandises et des voyageurs et la Société des transports urbains de Niamey (Sotruni). Cette restructuration n’a pas permis à la Sotruni de répondre à la demande croissante en transport d’une population en croissance rapide. Le taux moyen de la croissance démographique de la ville de Niamey est de 5 % soit un doublement tous les 14 ans. La flotte au lieu de s’étoffer est au contraire devenue une peau de chagrin du fait de la mauvaise gestion et de l’état des routes. Aujourd’hui, il est hasardeux de compter sur les autobus pour se déplacer à Niamey.
C’est donc naturellement que la place laissée vide par les Talladjé-talladjé et les autobus fut progressivement occupée par les minibus Faba-faba qui transportent une vingtaine de personnes dans des conditions pénibles entre le centre-ville et les quartiers périphériques. Ils sont donc une réponse à la demande de transport mais aussi une opportunité commerciale pour une multitude de promoteurs (conducteurs-producteurs, salariés et commerçants) ne possédant le plus souvent qu’un taxi. Ces promoteurs relevant du secteur informel sont difficiles à appréhender et à organiser du fait de leur atomisation.
Les taxis Faba-faba sont aussi peu organisés. Cette inorganisation est due à l’absence d’arrêts bien précis sur leur itinéraire et d’horaires de passage, à des tarifs variant selon la distance, à la surcharge des véhicules au mépris de la sécurité, à la jeunesse des conducteurs mal formés et contraints d’effectuer plusieurs navettes dans la journée afin de réunir la somme à verser au propriétaire du véhicule. Rapide et souple, ces minibus permettent toutefois le déplacement des habitants des quartiers périphériques sur les axes les plus fréquentés répondant en partie aux besoins de mobilité de ces populations. Le reste du trajet à l’intérieur de ces quartiers périphériques se fait à pied, parfois sur de longues distances et pendant des heures, à la limite de la dignité humaine et vice-versa pour emprunter ces minibus en vue de se rendre dans le centre-ville.
Moins d’une quarantaine en 2000, les Faba-faba dépassent aujourd’hui 300 véhicules qui font plus de dix navettes par jour. C’est le moyen de transport principal pour joindre les périphéries de la ville de Niamey. Ils offrent 6 000 sièges à leurs usagers, autrement dit, ils transportent plus de 120 000 passagers par jour.
Ces véhicules, quoiqu’en meilleur état que les Talladjé-talladjé et les autobus, ont été achetés d’occasion et présentent les inconvénients suivants : ils engendrent, du fait du mauvais comportement des chauffeurs, la congestion sur les axes qu’ils empruntent, congestion due aussi à la faible densité du réseau de routes bitumées ; le mauvais entretien, l’utilisation d’huile de vidange et ou de filtre à huile ou à gasoil de mauvaise qualité ainsi que le nombre élevé de rotations par jour usent vite leur moteur diesel qui émet des gaz d’échappement.
Le moyen de transport le plus utilisé à Niamey est le taxi urbain communément appelé taxi « tête rouge ». On en dénombre 4 200 aujourd’hui contre 3 000 il y a seulement un an, soit un taux de progression de 28,6 % en un an. 70 % de la flotte sont loués à la journée à des chauffeurs. Le reste est conduit par les propriétaires. L’absence de données fiables ne nous permet pas d’identifier qui sont les propriétaires des taxis « tête rouge ». On peut toutefois sans risque affirmer qu’hormis les propriétaires-conducteurs, ils sont soit des salariés de la fonction publique ou du secteur privé ou des opérateurs économiques. Ces propriétaires, généralement, possèdent entre un et trois taxis d’occasion de marque Toyota pour la plupart, sauf un opérateur qui dispose d’une vingtaine de taxis neufs de marque Renault.
Chaque véhicule offre cinq places assises au lieu de quatre, avec l’autorisation des services municipaux, sous prétexte que le coût du carburant est élevé. Ensemble, la flotte de taxis offre 21 000 sièges soit 78 % de la capacité du transport collectif. Cette flotte opère surtout sur les circuits les plus lucratifs et est pour son promoteur une opportunité commerciale.
Taxis urbains, Faba-faba, Talladjé-talladjé et assimilés, et autobus opèrent de façon complémentaire et/ou concurrentielle pour satisfaire les besoins en mobilité des Niaméens. Ces moyens de transport collectifs ne représentent, selon Baltagi (2002), que 49% des déplacements en véhicule. Le reste des voyages intra-urbains s’effectue en voitures particulières (36%) ou avec les véhicules à deux roues (15%). La marche à pied reste le moyen de déplacement le plus utilisé par la population à cause des faibles performances de ces taxis, de l’état des routes et du cout élevé du prix de la course par rapport aux revenus des ménages, du prix élevé du carburant et du coût d’achat des véhicules même d’occasion. En effet, les usagers des transports collectifs sont souvent contraints de marcher sur de longues distances pour avoir un taxi ou pour rejoindre leur domicile.
La rapidité et l’ampleur de la croissance démographique et spatiale urbaine n’ont pas permis aux pouvoirs publics de doter l’agglomération de Niamey de l’ensemble des infrastructures collectives nécessaires à la vie quotidienne des Niaméens. Cette carence est particulièrement inquiétante dans plusieurs domaines dont celui des transports collectifs qui, mal organisé, a un parc extrêmement limité et vétuste. Les quartiers périphériques, à la fois marqués par la rareté et la mauvaise qualité de la voirie et mais aussi par l’insuffisance de la couverture spatiale en transport collectif, sont, de ce fait, difficiles à rejoindre.
C’est dans ce contexte que naquirent les taxis Talladjé-talladjé, un mode de transport artisanal et informel, pour satisfaire les besoins des habitants des quartiers Aviation et Talladjé. Ce mode de transport informel était composé de Peugeot 504 et 505 familiales.
Le présent article a permis de montrer que Niamey, capitale politique, administrative et économique mais aussi principal centre urbain du Niger, bénéficie d’un avantage certain sur le reste du pays dans l’allocation des ressources budgétaires et dans l’attribution des infrastructures et équipements urbains. Malgré ces avantages, l’analyse du système des transports intra-urbain montre que celui-ci reste défaillant et inefficace. Cette situation conjuguée à la rapidité de la croissance démo-spatiale de la ville a engendré un système de transport original mais atomisé relevant du secteur informel : les taxis collectifs Talladjé–talladjé qui pendant un quart de siècle ont comblé le vide créé par l’absence de tout système de transport dans les quartiers périphériques.