Voici l’un des enjeux soulevés lors des printanières 2017 d’EspacesTemps.net, des 8 et 9 juin 2017, qui ont permis, au travers des interventions de l’historienne de l’art Véronique Mauron et du professeur Jean-Michel Tobelem, de s’interroger sur la notion d’exposition, et sur le type d’objets susceptibles d’être soumis au regard du public lors d’une exposition.
Si l’exposition des sciences et techniques fait partie du corpus des expositions – et ce depuis les prémisses des musées –, notamment en constituant les scientifica des cabinets de curiosités (Wunderkammer), les sciences sociales ne bénéficient pas de cette antériorité, sauf à considérer les exotica, relevant pour partie de l’ethnographie. Ce n’est pas tant le contenu scientifique produit qui les a privées longtemps d’exposition que les formes d’objets, qui ne correspondaient pas alors au format que l’on considérait comme étant « exposable ». Essentiellement composées d’écrits, les sciences humaines et sociales avaient davantage leur place dans les bibliothèques que dans les musées.
Pour mieux comprendre comment les sciences humaines et sociales ont peu à peu intégré les expositions, Véronique Mauron nous invite à faire deux détours, le premier par la notion d’imaginaire, le second par la notion de dispositif. L’imagination est pour Charles Baudelaire (1976, p. 329) « une faculté (…) qui perçoit tout d’abord, en dehors des méthodes philosophiques, les rapports intimes et secrets des choses, les correspondances et les analogies ». Ce qui compte n’est pas tant de signifier les idées par des formes seulement illustratives que de les susciter. Le dispositif, quant à lui, a été décrit notamment par Giorgio Agamben dans son ouvrage éponyme, ou par Michel Foucault (1994, p. 299), pour qui « il est toujours inscrit dans un jeu de pouvoir mais toujours lié aussi à une ou des formes de savoir, qui en naissent, mais tout autant le conditionnent ». Ainsi, une exposition apporte des éléments de « soulèvement », au sens du rapport de force foucaldien autant qu’au sens du développement des idées. À ce titre, Aby Warburg est sans doute un précurseur dans le type de dispositifs mis en œuvre dans une exposition, son apogée étant atteinte dans le projet Mnémosyne, voulu comme un atlas mettant en relation des objets iconographiques de formats différents et a priori disparates, et laissant le regardeur se les approprier et les relier entre eux. Il ne s’agit de rien de moins que de proposer un au-delà de la lecture en surface des objets.
Dans un second temps, Jean-Michel Tobelem, proposant un large panorama de musées existants relatifs aux sciences, insiste sur le fait que la nécessaire qualité des expositions ne tient pas tant aux types d’objets montrés qu’aux thématiques, qui doivent être proposées avec précision et auxquelles l’exposition doit apporter des éléments d’éclairage. Cette règle vaut tout autant pour les expositions des « sciences dures » que pour les expositions de sciences humaines et sociales. En d’autres mots, la question précédemment posée ressurgit : de quel « soulèvement » ou de quelle impérieuse nécessité cette exposition est-elle l’objet ? Si l’on peut répondre à cette question et moyennant des dispositifs ad hoc, peu importe alors le domaine scientifique, l’exposition sera vue et la fréquentation au rendez-vous, et ce quelle que soit la taille du musée où du lieu d’exposition. Notons, à titre d’exemple, la réussite tout à fait significative du Musée d’ethnographie de Neuchâtel.
Il n’en reste pas moins que, les sciences humaines et sociales posant par essence des questions de société, il n’est pas toujours facile de trouver un lieu acceptant que toutes les thématiques y soient traitées, et il est notable qu’une exposition dont le thème est « le capital » est plus difficile à proposer que des thèmes moins sujets à controverses. Les lieux d’exposition, et notamment les musées, devraient pourtant, on peut en émettre l’hypothèse, être les espaces privilégiés pour aborder les sujets de controverse.