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Sérendipité.

Si l’Europe des villes nous était contée.

Céline Rozenblat, Patrica Cicille, Les villes européennes. Analyse comparative, 2003.

Image1L’ouvrage de Céline Rozenblat et Patricia Cicille se présente comme une « réactualisation » d’un travail mené par Roger Brunet à la fin des années quatre-vingt, et qui avait marqué les esprits puisqu’une de ses conclusions devait passer à la postérité sous l’appellation « Banane bleue », d’origine peu contrôlée. Ladite banane, rappelons-le, était en fait une traduction poétique de la carte des concentrations relatives de population urbaine et de certaines fonctions dans un semis de villes moyennes entre le sud de l’Angleterre et le Nord de l’Italie. Traduction qui fut prétexte à toutes sortes de commentaires sur l’importance réelle prise par une grande métropole comme Paris dans l’espace européen, quand, sous ce point de vue, il apparaissait comme une évidence qu’elle en occupait une marge.

La Banane bleue est depuis devenue un fruit confit en même temps qu’elle fut, tout au long des années quatre-vingt-dix, la pomme de discorde de la géographie française. Nous ne pourrons donc que savoir gré aux auteurs de ne pas avoir croqué le fruit défendu par l’ajout d’une légumineuse quelconque à l’étalage des concepts censés résumer l’espace des villes européennes. Cette étude, à défaut d’être tout à fait innovante dans son approche, a au moins le mérite de servir de base à la discussion.

Paris & Amsterdam gagnent.

Voici la recette globale de l’étude. Le fond de sauce est ce que les auteurs appellent le « rayonnement » des villes. Pour chacune de celles qui comptabilisent plus de 200 000 habitants (agglomérations morphologiques de l’Union européenne, de Suisse et de Norvège, plus Metz et Luxembourg), on l’obtiendrait en additionnant le nombre de points obtenus pour chacun des 15 ingrédients suivants : la population des agglomérations en 2000, l’évolution de leur population de 1950 à 1990 (typologie), le trafic de marchandises des ports maritimes en 1999, « le trafic de passagers » (sic) des aéroports en 2001, l’accessibilité des villes à l’échelle européenne en 2002 (fonction du nombre d’allers et retours vers des villes nationales et des villes étrangères, ces dernières comptant double), les sièges sociaux et les chiffres d’affaires des plus grands groupes européens en 2000 (moyenne des classements), les places financières (un nombre de point, 50 ou 20, selon le niveau d’importance, plus autant de points que de banques internationales en 2002), les foires et salons internationaux (moyenne des rangs sur le total et la part des salons et foires réservés aux professionnels), les congrès internationaux (moyenne de trois classements), les musées (« fonction du nombre d’étoiles (N points), du nombre de musées mentionnés par Michelin (pour 1000), du nombre de musées de renommée internationale (10 points par musées), du nombre de musées de renommée nationale (5 points par musée) »), le nombre de nuitées touristiques en hébergement marchand, les sites culturels (« fonction du nombre d’étoiles cumulé par les sites recensés dans chaque agglomération, auquel a été rajouté 100 points par site exceptionnel, 30 par grand festival ou grand carnaval, 10 par grande manifestation, 30 par étoile pour la ville-même, 10 pour les villes sans étoiles (premier classement) et du nombre de sites touristiques dans chaque ville (second classement) »), les étudiants (moyenne des rangs sur le total et la part des étudiants dans la population), le nombre de revues scientifiques éditées, et le « nombre d’unités de recherche publiques et privées ayant participé ou participant à un projet européen dans le cadre du 5e Programme cadre de Recherche et Développement technologique » (Pcrdt). Chacun de ces critères est cartographié.

On aboutit alors à un classement des villes, subdivisé en 7 classes. Paris en tête, Londres seconde (classe 1), puis Madrid, Amsterdam, Milan (classe 2) ; Béthune, Lens et Mons ferment la marche (classe 7). La carte du classement est donnée. Il s’agit ensuite de savoir si l’intensité de ce rayonnement correspond à la taille démographique de la ville. Après une « cuisson » statistique adéquat, il ressort ainsi que certaines villes rayonnent plus que ne le laisseraient présager leur taille, comme Amsterdam (3 classes d’écart entre le classement selon les 15 critères et celui selon la population), Genève, Grenade, Luxembourg, ou bien encore Montpellier (2 classes d’écart). Au contraire, d’autres villes sont beaucoup trop grosses pour leur rayonnement : Essen (3 classes d’écart), Belfast, Bielfield, Catane, Liverpool, Manchester, Naples, Newcastle, Nottingham, Sheffield (2 classes d’écart). Cette autre classification a également sa carte.

L’assaisonnement porte sur la spécialisation économique des villes, supposée liée à une mise en réseau, relevant la fadeur d’un classement par cumul des points pour valoriser des styles de villes sur la base de la complémentarité de leurs fonctions. L’opération se mène en deux temps : la cartographie d’une typologie hiérarchisée en 11 classes sur la base des 15 critères retenus, et une version plus sobre, synthétique et qualitative, distinguant 5 pôles économiques : « diversifié », « à dominante industrielle », « à dominante d’échanges », « à dominante touristique », « à dominante tertiaire ».

Enfin, cerise sur le gâteau, une classification hiérarchisée en 10 types de profils décrivant la composition de l’activité industrielle de villes. 14 secteurs d’activités manufacturières ont ainsi été retenus, dont on a ensuite déterminé la présence ou l’absence dans chaque ville, afin de construire le profil de cette dernière.

Il n’est pas besoin de dire que le bref descriptif qui vient d’être donné ne peut rendre justice ni aux raffinements ni à la richesse des résultats d’une étude passablement roborative. Cela dit, afin de faciliter son articulation avec d’autres traitements de la question, ce travail de qualité mérite quelques mots de commentaires quant aux limites de l’usage que l’on peut en faire, conformément d’ailleurs au souhait des auteurs : « rester modeste et développer des interprétations qui demeurent limitées à ce cadre » (p. 13).

La ville et l’Europe perdent.

Une première remarque a trait aux concepts en général, et à celui de « rayonnement » en particulier. L’ouvrage est en effet agrémenté de commentaires parfois très instructifs, mais où apparaissent ça et là des notions suffisamment fortes et intéressantes pour nécessiter une explicitation, voire un réexamen critique, occasion d’un développement qui fait généralement défaut. Quid, par exemple, des « canaux interurbains » (p. 12), de l’expression « alléger les centres villes » (p. 20), des « infrastructures d’accessibilité territoriale » (p. 28), de la « qualité urbaine » (p. 40), de la « puissance » de Paris (p. 62) ? Ces zones d’ombre font écho à l’absence de définition a priori du « rayonnement » des villes, le lecteur devant comprendre qu’il se définit par la combinaison des indicateurs susnommés.

Le rayonnement d’une ville se mesure ainsi en points, chacun de ces points étant attribué en fonction du rang obtenu dans le classement, selon une combinaison de critères, de l’ensemble des villes ; la somme des points donne le classement final. Le lecteur n’aura pas manqué de noter la complexité du processus, et de s’interroger sur l’adéquation d’une telle mesure à son objet. Il semble en outre que les auteurs aient pris le parti de mêler deux acceptions du rayonnement : celui que l’on attribue à une personne radieuse (sans échelle), et celui qui correspond à la propagation de radiations dans l’environnement (avec échelle). Ce hiatus, visible dans le choix mal justifié des indicateurs, ne fait que renforcer le doute que l’on a nourri en examinant de près les données retenues. En effet, certains assemblages et pondérations statistiques ne sont pas exempts d’a priori quant aux phénomènes mesurés, quand, par exemple, l’accessibilité aux villes étrangères compte deux fois plus que celle concernant les villes nationales. D’une manière générale, nombre d’indicateurs se retrouvent ainsi à mesurer deux choses à la fois, l’une un aspect du « rayonnement » de la ville, et l’autre l’effet sur cette première mesure de structures (spatiales, territoriales) existantes, comme la trame des États.

La seconde remarque concerne la forme du produit, qui articule avec difficulté la carte, en général malaisément utilisable par conception et dont on ne tire en pratique presque rien, sauf en cas de « géographie » très particulière (l’édition scientifique), les tableaux, le principal et bon « produit » de l’étude, et un texte qui n’a pas la rayonnante sobriété de ceux de l’édition précédente dirigée par Roger Brunet, et dont certaines parties pourraient être résumés par des tableaux.

Enfin, on aurait sans doute espéré plus et mieux d’un ouvrage parlant des villes européennes sur les questions de la ville et de l’Europe. La méthode aboutit ainsi parfois à des bizarreries, comme le fait d’associer Toulon à Blackpool et Venise sur la base de sa spécialisation touristique dominante (carte 18). Il semble en fait que le seuil des 200 000 habitants cadre mal avec certains des critères retenus, le tourisme mais aussi l’édition de revues scientifique, excluant Oxford qui « édite 20% du total européen » (p. 44) Quant à l’Europe : « Si l’on y prend pas garde en effet, la dynamique spontanée du système urbain européen peut s’orienter vers une « ville globale » européenne n’intégrant qu’un nombre limité de villes et où seules des classes de population privilégiées participeraient aux activités dominantes. Ce serait comme si la ville globale autour de New York, Tokyo, et Londres décrite par Saskia Sassen (1996) se reproduisait à l’échelle de l’Europe. Les villes petites et moyennes sont menacées par cette concentration croissante des fonctions internationales. » (p. 74). Il faudra probablement nuancer. En attendant, appelons cela le « scénario catastrophe des 15 indicateurs ».

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Voir également notre analyse d’une des cartes de l’ouvrage, La carte du mois, octobre 2003.

Résumé

L’ouvrage de Céline Rozenblat et Patricia Cicille se présente comme une « réactualisation » d’un travail mené par Roger Brunet à la fin des années quatre-vingt, et qui avait marqué les esprits puisqu’une de ses conclusions devait passer à la postérité sous l’appellation « Banane bleue », d’origine peu contrôlée. Ladite banane, rappelons-le, était en ...

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