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Résumé | Bibliographie | Notes

Sérendipité.

Espace-temps à la chinoise.

Florence Hu-Sterk, La Beauté autrement. Introduction à l’esthétique chinoise, 2004.

Image1C’est une « introduction » qui va droit aux principes, et les illustre superbement. Un très beau livre, donc, mais où c’est le propos qui guide le choix des images, non l’inverse. S’il s’agit pleinement d’esthétique, et si l’on passe en revue les principaux domaines de l’art — calligraphie, peinture, poésie, musique… —, Florence Hu-Sterk a placé l’espace et le temps au centre de sa réflexion, et c’est cette réflexion qui ordonne tout le reste. Dans un effectivement central (p. 121-139) et quasi cosmogénétique cinquième chapitre, « Les métamorphoses de l’espace », elle se demandera donc par exemple comment « L’espace prend forme » (p. 121-129) ; développement où l’on verra entre autres comment on est passé en Chine « de la nature au paysage » (p. 125-130). Eh bien, c’est quelque dix siècles avant l’Europe que « la nature devient paysage et l’expression de l’espace suivra désormais intimement ses métamorphoses » (p. 125). Mais curieusement, à côté de différences abyssales, certaines analogies apparaissent avec ce qui s’est passé de ce côté-ci de la planète. Par exemple, ce qui ne surprendra personne, « Les éléments naturels envahissent progressivement l’espace pictural jusqu’alors réservé aux figures humaines » (ibid.) ; et même, nous rappelant que, chez nous aussi, « le paysage est entré par la fenêtre » (Alain Roger), on voit le poète Xie Tiao (464-499) découvrir que celle-ci — résume Florence Hu-Sterk — « impose un ordre ; elle découpe la nature infinie pour n’en retenir qu’un fragment qui vaut totalité. En l’isolant de l’ensemble, le poète se l’approprie comme un tableau » (p. 127). Car, à la différence de l’Europe, ce sont les poètes plutôt que les peintres qui les premiers ont vu la nature comme paysage… Et le moindre intérêt de ce livre n’est pas de s’interroger, justement, sur des choses telles que « La spatialisation de la poésie » (p. 166-169) et, réciproquement, « La temporalité de la peinture » (p. 169-177), dans un chapitre (le septième) dont le titre, « L’espace temporel et le temps spatial », devrait allécher tout amateur d’Espaces Temps ! D’autant que l’interrogation ne se borne pas aux arts du pinceau (ce que sont en Chine peinture et poésie, toutes deux subordonnées à la calligraphie) : elle touche aussi, par exemple, aux plans de villes, montrant comment, du plan de Chang’an capitale des Han de l’ouest (-206 / + 24) à celui de Chang’an capitale des Tang (618-907), « la construction de l’espace a mûri » (p. 128). Mûrissement qui, du reste, devait attirer ces commentaires équivoques du grand poète Bo Juyi : « Des centaines et des milliers de maisons : un échiquier / Les douze grandes rues : un jardin potager » (ibid.)…

Image2L’ouvrage se complète d’une orientation bibliographique, de deux index avec sinogrammes (un regret : que n’y figurent pas nombre d’expressions chinoises, recensées dans le texte, qui sans leurs sinogrammes sont obscures), et de l’indispensable table des dynasties. Bref, un excellent guide pour aborder l’espace-temps chinois. On termine sur l’image de cette Courge, encre sur papier de Xu Wei (1521-1593) illustrant la technique du « halo d’encre » (moyun), laquelle « représente le critère ultime de l’appréciation d’une peinture monochrome » car « pour réussir un halo d’encre, il faut qu[e le peintre] soit “aidé par le divin” […]. Tout comme le Dao, l’encre se diffuse d’elle-même pour créer un halo et le peintre n’a plus prise sur elle. La main de l’homme laisse alors à la Nature, ou au divin, le soin d’achever son geste » (p. 207).

Florence HU-STERK, La Beauté autrement. Introduction à l’esthétique chinoise, Paris, You-Feng, 2004, 225 pages. 38 euros.

Le caractère di (terre) inscrit dans le « cadre aux neufs palais » (jiugongge), structure de base de la calligraphie, mais aussi du carroyage des terres (p. 177). Merci à la Librairie Yu-Feng pour cette reproduction.

Résumé

C’est une « introduction » qui va droit aux principes, et les illustre superbement. Un très beau livre, donc, mais où c’est le propos qui guide le choix des images, non l’inverse. S’il s’agit pleinement d’esthétique, et si l’on passe en revue les principaux domaines de l’art — calligraphie, peinture, poésie, musique… —, Florence Hu-Sterk ...

Bibliographie

Notes

Auteurs

Augustin Berque

Géographe et orientaliste, directeur d’Études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales. Parmi ses livres : Écoumène. Introduction à l’étude des milieux humains (2000) ; Les Raisons du paysage, de la Chine antique aux environnements de synthèse (1995) ; (dir.) Dictionnaire de la civilisation japonaise (1994) ; Du Geste à la cité. Formes urbaines et lien social au Japon (1993) ; Le Sauvage et l’artifice. Les Japonais devant la nature (1986).

Partenariat

Sérendipité.

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