Ce livre de la criminologue Murielle Anteo est le premier publié en langue française sur le stalking si l’on excepte les travaux encore inédits de Virginie Léon (2004). Comme le rappelle l’auteure, le terme est emprunté à l’anglais to stalk (hanter, rôder), et désigne un comportement menaçant, initié par un individu dont l’objectif conscient ou inconscient est l’objectivation de sa victime à des fins de domination. L’agression prend différentes formes : harcèlement moral, sexuel, économique, juridique, intrusion dans la vie privée et professionnelle, menaces explicites ou implicites, manipulations des tiers, calomnie et dans certains cas, homicide. Cependant, l’auteure se distingue légèrement des études de Marie-France Hirigoyen et autres (Jean-Paul Deslierres, Virginie Léon, etc.) sur le harcèlement en se focalisant sur les méthodes d’ingérence dans la vie privée. C’est dans le cadre de la recherche illégale d’une victime, d’où d’ailleurs le terme anglo-saxon « stalking » utilisé dans le droit belge notamment, afin de traduire le harcèlement moral et vraisemblablement hérité des techniques de chasse, qu’elles sont commises. L’auteure s’appuie essentiellement sur les cas de harcèlement commis dans le cadre des violences conjugales qui sont depuis une quinzaine d’années mieux documentés.
[1], la durée d’un stalking serait de deux ans à plus de 10 ans (10% des cas). En passant en revue différents témoignages, l’auteure commente le harcèlement à domicile, pour lequel peu de moyens de preuves sont offerts aux citoyens. Le chapitre intitulé « Quelques rappels sur la violence conjugale » nous informe notamment du fait que les femmes sont exposées davantage aux violences d’un conjoint en le quittant qu’en restant avec lui (p. 98). Ce fait nous semble important à mentionner dans la mesure où, pour le public sous-informé, il semble aberrant de rester en présence du conjoint malveillant. En outre, il est intéressant de signaler que de nombreuses violences sont commises à l’encontre des hommes, bien que les femmes soient sept fois plus exposées que les hommes (p. 101). L’auteure ne manque pas de signaler avec raison qu’il y a à peine quinze ans les officiers de police affirmaient qu’ils ne pouvaient rien faire avant que l’agresseur ne passe à l’acte (p. 115). Même à une époque où le stalking est pris en considération dans certains pays, il est malheureusement encore peu valorisé par la police du fait des difficultés, pour le plaignant, d’en fournir la preuve. L’hypothèse psychiatrique est valorisée dans bien des cas. L’ouvrage que nous présente Murielle Antéo est d’avantage le fait des violences conjugales que du stalking comme tel. En effet la dimension de poursuite comme telle est assez peu évoquée, si ce n’est lorsque l’auteur écrit : « Les hommes mariés ou conjoints qui traquent leur partenaire ou ex-partenaire, présentent un risque quatre fois plus élevé d’agresser physiquement cette dernière, et six fois plus élevé de l’agresser sexuellement, en regard de la population masculine mariée en général » (p. 111). Dans le chapitre sur les conséquences du stalking, l’auteure relève les différents points soulevés en général par des études anglo-saxonnes : anxiété, culpabilité, honte, problème de sommeil, attitude paranoïaque, plus grande agressivité, relations aux autres plus contrôlées, etc. (p. 121). L’auteure cite Gérard Lopez évoquant un discours policier fort répandu ces dernières années : « Les victimes qui percent les intentions criminelles des agresseurs, ont le plus grand mal à être reconnues, entendues. Elles passent régulièrement pour folles, menteuses, paranoïaques, à tort persécutées » (p. 123). Cette affirmation du psychiatre, expert à la Cour d’appel de Paris s’appuie sur la longue expérience clinique de Lopez, et qui corrobore nos observations dans le cadre d’un étude menée entre 2002 et 2006 sur des victimes de Nancy nous révélant les réactions du corps policier à leur endroit. L’auteure termine en recommandant aux lecteurs les moyens de se protéger, tout en informant de la position de la justice dans ces affaires. Elle conclut qu’en général la magistrature est sous-informée quant au phénomène du stalking et mentionne que faute de cadre légal en France, le harcèlement moral dans la vie privée doit être réprimé en vertu des articles 222-16 du Code pénal 226-1, les violences rubriquées à l’article 222-13, R624-1 et R625-1, la mise en danger d’autrui de l’article 121-3 et la dénonciation calomnieuse, art. 226-10 à 12.
En somme l’étude d’Anteo mériterait une diffusion plus importante. Nous la considérons davantage comme une étude sur les violences conjugales et le harcèlement moral dans la vie privée qu’une étude du stalking proprement dite, même si le harcèlement moral dans la vie privée est commis par le recours au stalking. En effet, le stalking est une technique de poursuite d’une ou plusieurs personnes et ne donne pas toujours lieu à du harcèlement, mais peut aussi être pratiqué en vue de commettre un cambriolage, un vol à l’arrachée, un vol d’identité, etc. Cette perspective de l’auteure est à notre avis induite par le fait qu’elle considère le stalking comme une ingérence psychique et une prédation plutôt qu’une technique de poursuite dans laquelle elle est conduite.
Il semble pertinent d’inscrire l’ouvrage de la criminologue dans l’évolution récente de l’actualité juridique touchant au harcèlement moral. Notons par exemple que la Commission européenne, en partenariat avec les associations professionnelles et les syndicats européens, ont signé en avril 2007 le premier accord de dialogue social sur le harcèlement et la violence au travail. La Cour d’arbitrage de Bruxelles s’est prononcée quant à elle le 10 mai 2007 sur la question du harcèlement, traduit à tort par stalking, qui n’est en fait qu’une forme de harcèlement. La question préjudicielle de la Cour d’Appel d’Anvers en 2006 a permis de soulever différents points notamment le fait que l’article 442bis du Code pénal ne violait pas les articles 10 et 11 de la Constitution isolément ou combinés avec les articles 6 et 7 de la Convention Européenne des droits de l’Homme et l’article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. La Cour a aussi considéré la question de la répétition des actes de harcèlement. En ce qui concerne le fait que pour qualifier un comportement de harcelant il faut qu’il soit répété ou incessant, nous avons des réserves. Dans le cadre de violences conjugales ce type de qualification nous semble pertinent, mais dans le cadre de harcèlement émanant d’organisations criminelles ou d’un harcèlement au travail ou à l’école impliquant plusieurs employés ou confrères de classe, la question de la répétition est à reconsidérer (nous sommes alors dans des cas de stalking organisationnel). Ensuite, la position d’un individu dans la relation conflictuelle change également la problématique. Ainsi une relation de domination dans laquelle la position de l’employeur discriminateur peut susciter un sentiment d’injustice suffisamment important pour provoquer un comportement de harcèlement chez l’employé est très différente d’une série d’actes pervers commis par le dominant pour fragiliser un subalterne. Toutes ces questions très peu discutées dans les débats sur le harcèlement montrent que le droit français et le droit belge ne sont encore qu’à leurs balbutiements en matière de prise en considération de ces infractions.
Murielle Anteo, Le Stalking, De la prédation tolérée par la société, Maurepas, Association AJC, 2006, 201 pages.