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Sérendipité.

TLFi.

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La Distinction reloaded. Une nouvelle initialisation des données.

Bernard Lahire, La culture des individus. Dissonances culturelles et distinction de soi, 2004.

« Wahrlich, ich rate euch : geht fort von mir und wehrt euch gegen Zarathustra ! Und besser noch : schämt euch seiner ! Vielleicht betrog er euch […] Man vergilt einem Lehrer schlecht, wenn man nur der Schüler bleibt. » [1]

Also sprach Zarathustra, Nietzsche, von der schenkenden Tugend.la-distinction-reloaded-une-nouvelle-initialisation-des-donnees-1

Éthique de la discussion.

Ethnologue : Tous les commentateurs l’ont consciencieusement noté, l’enquête de Lahire s’inscrit, vingt-cinq ans après La Distinction, dans la lignée de la sociologie de la culture de Pierre Bourdieu, qu’elle questionne cependant de manière critique, posant qu’il est parfois plus intéressant scientifiquement, par cumulativité critique, d’affronter une théorie (dominante) de manière frontale plutôt que de développer un autre paradigme — ailleurs, en terrain moins miné et pour des coûts moins élevés en production de « nouveauté ». Ainsi, et ne serait-ce qu’au niveau du style, on sent une grande tension dans l’argumentaire de Lahire où chaque mot — surtout au début de l’ouvrage — semble adressé implicitement à, c’est-à-dire contre Bourdieu [2]. On ne peut alors s’empêcher de penser à cette phrase de Flaubert vis-à-vis de Sainte-Beuve contre lequel celui-ci s’opposait (phrase relevée par Bourdieu, décrivant Sainte-Beuve pour Flaubert comme « un de ces lecteurs anticipés que tout écrivain porte en lui et pour qui il écrit même et surtout lorsque c’est contre eux qu’il écrit ») : « J’avais fait L’éducation Sentimentale en partie pour Sainte-Beuve. Il est mort sans en connaître une ligne » [3]. Et si cela vaut pour le nouvel ouvrage de Lahire, on ne peut pas dire que Bourdieu ait été pour autant plus prolixe vis-à-vis des ouvrages précédents de Lahire, même avec ceux qui pourtant le concernaient au premier chef [4], faisant montre ainsi d’un singulier manque de générosité dans la discussion intellectuelle, ne daignant nommer personne. Par exemple dans les Méditations pascaliennes, critiquant ces « auctores » un peu trop hâtifs qui caricaturaient ses concepts pour « dépasser » plus facilement les fantoches qu’ils avaient eux-mêmes créés [5], Bourdieu, dans un geste très sociologiste, réduisait toute critique à un crime de lèse-majesté, à une pure stratégie d’arrivisme symbolique (gagner de la renommée en s’attaquant à plus grand que soi, or comme sa propre position était dominante…).

Cependant, de Bourdieu à Lahire on passe à une sorte de détente [6] dans la discussion pour une reprise de son éthique, une remise en marche salutaire de la pensée qui se situe au-delà du renvoi aux prises de positions sur les positions. Et si chaque scientifique dévore bien ses prédécesseurs, en même temps il les perpétue par la poursuite de sa pratique et non à l’image de ces embaumeurs qui ne perpétuent que l’identique stérile qui n’est plus (définition bourdieusienne de l’arrière-garde). Cette pacification n’est d’ailleurs pas nécessairement contradictoire à la théorie des champs : si celui-ci est combat de tous contre tous pour la domination spécifique, il est aussi solidarité organique de tous avec tous et ayant besoin de tous dans la croyance à la même libido, illusio, credo… par exemple dans le combat — ou la défense — contre d’autres champs un peu trop impérialistes !

Centralité de la marge et du flou.

E : Ceci étant précisé, l’apport principal de l’enquête de Bernard Lahire est certainement d’avoir ramené la marge au centre de l’analyse, cette marge si massive qui — comme le montre Lahire — constitue quasi systématiquement, statistiquement, plus de la majorité des cas, les différences discriminantes entre les groupes représentant toujours une minorité de cas dans chaque groupe… Lahire poursuit sa critique de la méthode des archétypes et de l’analyse statistiques des données qui s’orientent toujours par rapport aux pôles les plus extrêmes, les plus « purs » et pourtant les plus improbables, critique qu’il complète ici vis-à-vis de Bourdieu par une critique de la méthode d’analyse de la correspondance multifactorielle des données mettant en avant des principes de différentiations parfois très minoritaires par rapport à l’ensemble de la population étudiée. Ce faisant, il ramène le mêlé, le mélangé, l’hétérogène, qui est en même temps le cas statistiquement le plus probable, au centre de l’analyse.

Et l’ambition est manifeste quand il parle alors de « véritable défi scientifique lancé aux sciences sociales » (p. 13). La culture des individus suit ainsi exactement le programme que son auteur s’était donné dans sa critique du concept d’habitus chez Bourdieu, à travers un autre ouvrage (Lahire, 1999), où il posait déjà que l’utilisation de la statistique pouvait parfaitement appuyer une analyse de la pluralité individuelle en indiquant les discriminants pertinents mais aussi parce que les structures binaires de discrimination sont statistiquement moins représentées que les mixtes hétérogènes, majoritaires.

Prenant le cas des étudiants, par exemple, Lahire avait déjà souligné comment ceux-ci oscillaient entre pôle hédoniste et pôle ascétique, en suivant des degrés divers, variables selon les moments, ne serait-ce que sur un plan symbolique (l’ascète désirant la vie du bohème, le bohème ayant mauvaise conscience de ne pas assez travaillé…), insistant sur le fait que ces différences de pôles dépendaient aussi des moments, des contextes…

Habitus et disposition : ce que dissoner avait pu aussi vouloir déjà dire.

Principes de la dissonance.

Géographe : Il me semble important de revenir en quelques mots sur cette question d’une pratique d’ouverture d’un espace de discussion. À cet égard, il faut remarquer à quel point La culture des individus est marquée sur un plan générationnel. Ce travail renvoie à sa manière à un contexte où la figure tutélaire défunte de P. Bourdieu reste prégnante, non pas de manière fortuite ou strictement liée à sa personne, mais parce qu’elle caractérise une situation beaucoup plus générale, au moins française, du déclin de la figure de l’intellectuel charismatique, d’écoles de pensée articulées autour d’un maître-penseur. C’est aussi par rapport à ce vide laissé assez béant par les disparitions de M. Foucault, P. Bourdieu, I. Joseph, G. Canguilhem ou G. Deleuze pour ne citer que ceux-ci, que se construit le travail de Bernard Lahire, souvent organisé en contrepoint. Il faut alors retracer de manière succincte sa démarche de fond pour mieux en saisir les tenants et aboutissants. Celui-ci souhaite en effet inscrire son approche à la croisée de deux chemins : d’une part, du souci d’interpréter les pratiques et préférences culturelles dans des sociétés différenciées, et d’autre part d’observer le monde social par le prisme de l’individu.

Sur ce point, il semble s’inscrire en contrepoint vis-à-vis de tous les travaux qui ne cessent de dénoncer l’inégal accès à la culture et les inégalités des groupes sociaux devant la culture. À partir de là, Lahire se donne deux objectifs : scruter les différences internes à chaque individu, de toutes les variations qu’il appelle « intra-individuelles » et qui font que l’individu n’est pas une monade homogène et forcément cohérente, mais également les différences inter-individuelles qui renvoient aux différences et aux variations entre les classes. La problématique d’ensemble s’inscrit en parfaite continuité avec tout le travail de sociologie qu’il a déjà pu réaliser dans une série de publications : il s’agit bien pour lui d’exhiber la « prise » dont des individus peuvent disposer sur eux-mêmes et sur leurs contextes sociaux, d’insister sur leur capacité à s’affranchir, au moins verbalement, des pressions et des cadres culturels.

La dissonance, idée centrale relativement simple, d’où, sans aucun doute, sa rapide popularité, renvoie alors précisément à cette capacité des individus à faire cohabiter différentes pratiques a priori hétérogènes et même contradictoires […].

: Mais, n’est-ce pas la nouvelle donne contemporaine qui pousse à cette dissonance, devenant, certes, alors, une capacité ?

: Oui, bien sûr, il est certain que les productions scientifiques sont inextricables de leurs contextes sociaux, ce qui signifie que si Lahire parle de dissonance c’est aussi parce que, mutatatis mutandis (pour reprendre ce mot cher à Bourdieu !), le contexte n’est plus le même, et c’est aussi bien d’abord cela, me semble-t-il, le rôle des sciences sociales : rendre les sociétés visibles à elles-mêmes. Par contre, il me semble que le fait de repérer une dissonance est une chose, en tirer la conclusion d’une capacité en est une autre et non une conclusion logique de la première proposition. En ce sens, Lahire réalise une série de conclusions dont au moins trois points m’apparaissent fondamentaux. Tout d’abord, il note que l’écart entre la haute et la basse culture ne différencie pas seulement les classes, mais également les différentes pratiques et préférences d’un même individu, incitant à considérer le déplacement de l’activité de distinction à l’intérieur même de l’individu, partagé entre diverses exigences d’univers culturels.

Puis, que si la dissonance est majoritaire dans l’ensemble des classes sociales, elle l’est néanmoins davantage probable au niveau des classes aisées plutôt que populaires (p. 13). Il est à cet égard étonnant que, dans l’ensemble du volume, Lahire ne revienne jamais complètement sur cette conclusion : pour quelles raisons cette différenciation persiste ? Enfin, que la cause de dissonance est plus celle qui se réalise « par le bas », c’est-à-dire à faible légitimité (voire illégitime) que celle « par le haut » (légitimité). Ce dernier point signifie que ce ne sont pas les oeuvres légitimes (haute culture) qui participent à la dissonance, mais les œuvres de « rang inférieur », les productions standardisées accessibles à tous.

E : Il y a cependant des cas de dissonances par le haut. Que l’on pense à cet usage inattendu de la télévision que constate Lahire : ce sont les plus importants consommateurs — qui ont par ailleurs des pratiques culturelles sinon illégitimes ou tout au moins inexistantes — qui font en même temps partie des plus grands consommateurs d’émissions culturelles ! Quand certains « lettrés » qui doivent lire toute la journée peuvent « se laver la tête » avec des films d’actions, bien moins exigeants !

G : Non, il s’agit bien ici d’évoquer l’origine de la dissonance, ses « supports » culturels et, en ce domaine, Lahire souligne bien un déséquilibre : le fait qu’il y ait davantage une appropriation par les classes aisées de productions illégitimes, que des productions légitimes par des classes populaires. C’est en cela que la dissonance par le bas est plus forte que par le haut, ce qui n’est pas très convaincant.

De l’habitus aux épreuves de disposition.

G : En fait, Lahire propose (et propose seulement) de déplacer le sens des pratiques culturelles vers leur réalisation, de saisir la pratique en train de se faire en tant qu’elle participe simultanément à constituer l’individu et non pas tellement en la considérant comme une déclinaison mécanique de « prédispositions » socialement accumulées et imposées. Pour cela, comme vous l’avez d’ailleurs souligné, il se positionne à de multiples reprises implicitement et explicitement dans un débat, notamment vis-à-vis de Bourdieu. Or, [pour Lahire, la complexité des patrimoines dispositionnels est liée à une pluralité de cadres socialisateurs (et non à un seul) qui mettent à l’épreuve l’individu, l’obligent à des ajustements incessants (famille, État, crèche, école, influences conjugales et amicales…) et dont le résultat est précisément d’amoindrir les effets structurants joués par chacune de ces sphères. De plus, il souligne à partir de l’ensemble des exemples à quel point les comportements culturels varient d’un contexte de pratique à l’autre (selon qu’ils s’inscrivent dans un cadre privé ou public, si le marché est franc ou tendu etc.).

Néanmoins, il n’explicite à aucun moment pour quelles raisons et sous quelles conditions une personne peut être sous l’influence d’une autre, pour quelle raison un univers de socialisation aurait sans doute plus d’efficacité qu’un autre. Sur ce point, on a bien du mal à accepter de considérer sur un même plan l’ensemble des facteurs de socialisation. En particulier, considérer l’influence amicale (ou conjugale) comme un déterminant social, n’est-ce pas peut-être aussi pratiquer une forme de métalepse, une inversion de la cause et de l’effet, l’influence amicale étant sans doute également bien davantage une détermination déterminée et déterminante, une structure structurée et structurante ! Cette approche par les univers de socialisation apparaît incomplète, parce qu’elle écarte a priori l’idée qu’il puisse y avoir différents niveaux de socialisation, en matière de culture comme en général pour d’autres domaines de pratiques.]

Sur ce plan, il n’est pas d’ailleurs pas si évident que le propos de Lahire présente une réelle originalité par rapport aux travaux de Pierre Bourdieu, au-delà des interprétations inefficaces qui ont pu en être faites, allant parfois jusqu’à la caricature [7] et qui renvoient en réalité à des conflits de champs. En l’occurrence, je pense vraiment que la théorisation que Bourdieu a pu réaliser des « effets de champs » c’est-à-dire l’idée que l’habitus produit des comportements différents selon le champ social auquel il est exposé, lui permettait d’avancer une définition nettement plus nuancée de la « disposition » [8] que celle qu’on peut (ou veut) donner à sa notion d’habitus, une distorsion que, sans doute involontairement, Lahire participe à stabiliser.

Variation des contextes, variation des structures, un saut logique.

G : En fait, et cela tient sans doute à ce que son souci soit davantage de travailler en surface au sens fort du terme (« il n’y a pas de sciences sociales que du caché », p. 117), Lahire délaisse une première partie de la dimension structurelle des pratiques culturelles et [cela n’est pas sans conséquences, au moins à deux niveaux. D’abord, parce que dans son analyse, en reprochant subtilement à Bourdieu de caricaturer le réel, il a d’ailleurs lui-même tendance à… caricaturer Bourdieu, par exemple lorsqu’il critique l’idée de « maîtrise du code » (p. 66), il révèle une erreur d’interprétation sur le sens même de « code ». En effet, Bourdieu parle moins concernant les dominants d’une maîtrise infaillible des œuvres culturelles que d’un savoir être et d’un savoir dire qui permettent de donner l’illusion de cette parfaite maîtrise : « L’instituteur parisien ou même provincial qui peut l’emporter sur le petit patron, le médecin de province ou l’antiquaire parisien dans les épreuves de pure connaissance, a toutes les chances de leur paraître incomparablement inférieur dans toutes les situations qui demandent l’assurance ou le flair, voire le bluff propre à dissimuler les lacunes, plutôt que la prudence, la discrétion et la conscience des limites liées au mode d’acquisition scolaire : on peut confondre Buffet et Dubuffet et se montrer tout à fait capable de masquer l’ignorance sous les lieux communs du discours de célébration ou sous le silence entendu d’une moue, d’un hochement de tête ou d’une pose inspirée… » [9].

Certes, la démarche critique qu’il engage n’est pas sans fondement notamment lorsqu’il précise que le seul cas de pluralité dispositionnelle envisagé par Bourdieu est celui du transfuge de classe, critique à partir de laquelle il explore les grands mais aussi les petits déplacements (sociaux — ceux des parents —, scolaires et professionnels) qui ont forcément des effets sur la socialisation et qui expliquent, nous dit-il, en partie l’abondance statistique des profils dissonants (« Retour sur la Distinction », p. 166 et suiv.).]

Mais si repérer une capacité « universelle » des individus à dissoner est intéressant, cela n’implique pas pour autant de fait une capacité à dissoner également répartie, d’une part, ni ne renseigne a priori sur les origines et le capital de dissonance. De plus, la dextérité socialement constituée des individus à dissoner peut s’inscrire dans des stratégies qui ne prennent pas des sens identiques selon les positions sociales acquises. La dissonance dans les classes populaires est en ce sens frappante : la plupart des entretiens (p. 362-408) révèlent un puissant souci de la part des individus de prendre appui sur un savoir et sur les instruments représentatifs de ce savoir (Sciences et vie, l’Express) pour se hisser au-delà de ce qu’ils se représentent comme leur situation sociale. Ainsi, l’archétype, c’est bien sûr le « dictionnaire » : « c’est vachement bien d’avoir un dictionnaire » (p. 368), un rapport symbolique fort au livre emblématique complètement dénué de sens dans le cadre d’autres stratégies propres aux classes aisées, par exemple. Il est dommage que des micro-situations comme celle-ci, incroyablement signifiantes, soient laissées de côté par l’ouvrage.

Deux grands absents : conditions de production et d’appropriation.

G : [Lahire ne s’engage donc pas dans une théorie sociologique de la réception des produits culturels, autrement dit une approche permettant de comprendre le sens, l’ethos, les principes cognitifs engagés dans la perception et la pratique culturelle (lecture de la littérature policière, pratique du football, fréquentation de l’opéra, des musées d’art, etc.). Il met davantage l’accent sur la distribution des goûts et des pratiques dans la population en donnant une faible part à l’analyse des modes spécifiques d’appropriation (nettement mise en œuvre par ailleurs dans ses autres ouvrages) [10]. Pour comprendre avec efficacité pourquoi « une même personne peut aller à l’opéra, jouer aux boules, lire Nietzsche et être accro à “C’est mon choix” [11], pourquoi les cadres supérieurs ont, comme il le constate, une pluralité de goûts et de pratiques culturels, il faudrait rappeler plus précisément comment cette population, très différenciée, est socialement et scolairement produite, de manière à voir ce qui s’engage dans les goûts et les dégoûts culturels déclarés, au risque de ne réaliser qu’un simple enregistrement des préférences culturelles en leur donnant un vernis interprétatif. Comment se vit une expérience esthétique face à une œuvre d’art, face à un ouvrage littéraire ? Que signifie exactement « s’intéresser à la littérature policière » quand on est cadre supérieur, ouvrier autodidacte ? Quelles compétences interprétatives, esthétiques engage-t-on quand on lit ce type de produit ?

Par ailleurs, c’est le contexte en tant que tel de production et de réalisation de ces pratiques, bref, leurs conditions de possibilité, qui sont un autre absent de taille du travail de Lahire, ce qu’il reconnaît lui-même à plusieurs reprises. On attendrait en effet une démarche d’élucidation que Bourdieu pouvait décrire en ces termes : « comprendre les goûts, faire la sociologie de ce que les gens ont, de leurs propriétés et de leurs pratiques, c’est connaître d’une part les conditions dans lesquelles se produisent les produits offerts et d’autre part les conditions dans lesquelles se produisent les consommateurs. Ce qui signifie que le même goût aurait pu, dans un autre état de l’offre, s’exprimer dans des pratiques phénoménalement tout à fait différentes, et pourtant structurellement équivalentes » [12]. De fait, Lahire oblitère notamment l’injonction sociale et les effets de disqualification qui peuvent en résulter, les contraintes normatives qui pèsent sur les individus, le poids et l’hégémonie des productions culturelles, de la connaissance obligée de « ce qui se fait », qui fait que tous ont ou plutôt (se) doivent d’avoir un avis sur tout. Et pourtant, celles-ci apparaissent à plusieurs reprises dans les entretiens, notamment lorsque Hervé, avocat, est en quelque sorte honteux par rapport à la classe qu’il pense devoir représenter, d’avouer qu’il survole à peine la musique classique et le jazz (p. 279). Ou dans un autre entretien au cours duquel l’individu interrogé déclare qu’il aime la musique classique au même titre que d’autres musiques et que l’enquêteur, en visitant plus tard sa bibliothèque voit que cela n’est pas tout à fait le cas. La mise à l’épreuve est alors celle-là même de l’entretien, qui fait que, malgré la relation de confiance, celui-ci se transforme en particulier pour les jeunes, en un moment de démonstration et d’affirmation d’une capacité à poser des jugements et à avoir (en apparence) des prises sur ceux-ci. Il est à cet égard très regrettable que la situation d’entretien soit insuffisamment exploitée dans cette direction comme un événement interactif ayant à révéler de telles logiques (cf. infra).

Éloge d’un certain relativisme culturel : contre le légitimisme.

E : Il y a cependant, à mon avis, quelque chose de très sympathique dans la démarche de Lahire, ce que l’on pourrait qualifier d’un certain — et très sain ! — relativisme culturel et qui consiste à ne pas prendre « la » domination (culturelle) au mot, de ne pas lui accorder plus qu’elle n’a déjà, dans tous les cas moins qu’elle ne prétend (par exemple sur son domaine effectif d’influence) et encore moins, comme l’a fait le dernier Bourdieu (qui en avait pourtant démonté l’arbitraire dans un moment précédent de sa recherche), ne lui accorde-t-il l’universalité ! Au contraire Lahire ramène « la » domination culturelle aux institutions d’imposition de cette légitimité et rappelle au moins trois choses. Tout d’abord que ces institutions sont plurielles et concurrentes, que leurs effets peuvent donc être contradictoires (par exemple la culture télé qui dévalorise constamment la culture savante « prise de tête »), qu’il n’y en a qu’une seule — d’où son importance centrale — qui a un public captif : l’école, quand toutes les autres doivent captiver leurs publics, enfin que la légitimité culturelle est un ordre de valeur qui dans le combat de la réussite sociale n’est pas forcément le plus prédominant à la faveur du capital économique ou scolaire (diplômes). Lahire évoque ainsi quelque cas de capitalistes de ces deux dernières sortes un riche bourgeois et un haut diplômé de sciences dures que l’absence de culture légitime ne semble vraiment pas perturber et qui peuvent même développer un vigoureux discours anti-intellectualiste dénué de la moindre mauvaise conscience…

Malheureusement, Lahire se reprend point par point dans sa conclusion où il écrit (p. 672) : « Que le “haut” (la “haute culture”, la “grande culture”, la “Culture”) ne soit pas perçu comme enviable par tous à tout moment, qu’il soit même dénigré (“culture de vieux”, “culture chiante”, “culture morte”, etc.) par ceux qui en sont tellement éloignés qu’ils n’ont guère d’intérêt à lui rendre un quelconque hommage en dehors des situations d’obligations scolaires, ne remet pas en cause les rapports de forces objectif entre arbitraires culturels dominants et dominés ». Étrange légitimité objective qui semble flotter au-delà de la transformation des pratiques et des jugements que décrit et recueille très minutieusement Lahire ! Si l’on rapporte ce rapport de force objectif à ses conditions de production, à savoir les différentes institutions culturelles qui concourent entre elles, on peut pourtant se demander si, pour toutes les raisons qu’invoque Lahire (entre autres, la nouvelle prédominance des capacités scientifiques sur les littéraires dans la sélection sociale), ce rapport de force n’est pas en train de basculer et si la « haute culture » et ses virtuoses ne deviennent pas des « artistes de la faim » à la Kafka qui n’intéressent progressivement plus personne parce que plus personne ne se retrouve en eux. Ou pour le dire avec Walter Benjamin : si Baudelaire nous parle encore, c’est qu’il est encore dans le même moment historique que nous. On peut se demander si la transformation des conditions de vie contemporaine ne rend pas plus pertinente et tendanciellement reconnue comme telle, c’est-à-dire légitime, une culture mass-médiatique dans toutes ses modes et ses formes aux dépens d’une haute culture artistique et littéraire qui correspondait grosso modo à la société de la fin du 19e siècle…

G : Oui, il me semble qu’ici vous soulignez précisément l’effet paradoxal du relativisme qui participe en réalité à établir une certaine forme de légitimation. Il faut bien souligner à cet égard que Lahire reste pris entre le marteau du légitimisme et l’enclume du relativisme, ce qui pose des questions non-résolues sur la définition des catégories du légitime et de l’illégitime. S’en remet-il à la pure opération de classification des agents sociaux (est légitime ce que les individus qualifient comme tel) ? Définit-il lui-même a priori le légitime et l’illégitime ? Adapte-t-il une différenciation officiellement reconnue, institutionalisée, entre les deux catégories ? Se reporte-t-il sur le « sens commun »…? Lahire n’est jamais vraiment très clair sur ce point et semble osciller en permanence entre les quatre attitudes, notamment lorsqu’il parle de l’« effet produit par la légitimité » (mais qu’elle est-elle donc ?), p. 33-35, qu’il confond avec les « effets de légitimité ». On peut « faire légitime » sans être pour autant légitime…certes, mais par rapport à quoi ou à qui ? Ce flottement me semble problématique. Pour prendre un exemple, à partir de quels critères peut-on considérer une émission culturelle de la chaîne Arte comme représentante de la culture légitime ? Tout ceci nous renvoie à une compétition pour définir le légitime et ce qui ne l’est pas, des instances concurrentes visant à imposer cette distinction, de tout un jeu qu’il importerait également de rendre visible.

E : J’ajouterai qu’il y a d’ailleurs également un certain flou dans la qualification même en légitimité de certains produits culturels qui peuvent être évalué parfois plutôt du côté légitime, parfois non (et comment peut-on considérer Zebda comme de la « variété » ?!)

Culture et civilisation : limite de la comparaison, limite de l’ambition du projet.

E : Revenons sur le rapport Bourdieu – Lahire. Malgré l’apport important de la description précise des consommations culturelles dans leur hétérogénéité, on doit cependant s’inscrire en faux contre ceux qui voient dans La culture des individus — ne serait-ce que par son côté massif, sa « masse » critique de presque huit cents pages — une réplique trait pour trait de La Distinction. Une réplique, en particulier, qui poursuivrait une même ambition que l’ouvrage originaire : celle d’aspirer à construire, on s’en souvient et nullement par hasard en termes kantiens, une critique — sociale — du goût.

On doit en effet bien constater un certain bluff dans le titre de l’ouvrage de Lahire, qui nous promet La culture des individus et qui nous donne pour finir seulement ce que les « portraiturés » pensent en bien ou en mal du jeu de boule ou des films d’auteur…

On peut même se demander s’il n’y a pas une certaine régression dans ce retour à la définition de la culture comme produit de consommation culturel, quand l’avancée scientifique en ce domaine avait été de considérer la culture « in a anthropological sens » et « as a wohle way of life » (Raymond Williams et plus généralement la Birmingham School) et non plus comme des productions symboliques séparées, il est vrai alors, seulement légitimes. C’est précisément ce que les Allemands ont appelé — par rapport à la France et pour la discréditer — la Zivilisation, contre laquelle ils opposaient justement la Kultur, comme vie « authentique » du peuple contre les lettres et les arts (Elias, 1992). Or, la « Zivilisation » de Lahire inclut désormais également les productions illégitimes.

Que Bourdieu, étant lui-même passé par l’anthropologie, se soit inscrit dans l’analyse « totale » des styles de vie, c’est une évidence lorsqu’on repense aux tableaux culturels des différents groupes développés dans La Distinction. De la nourriture aux manières de manger, du sport à la politique, des consommations symboliques aux stratégies matrimoniales des différents groupes sociaux, l’angle (anthropologique) de la démarche est beaucoup plus vaste que chez Lahire — et de ce fait, ils parlent au fond l’un et l’autre de choses différentes.

Pour autant, le prudent Lahire — et la prudence est aussi une vertu épistémologique ! — laisse entendre qu’il adopterait un angle d’analyse nettement plus large. La comparaison qu’il opère des individus avec des suites mathématiques composées de plusieurs variables distinctes pourrait tout à fait s’allonger avec des variables qui n’ont pas été abordées dans le livre. Le constat resterait identique : plus la chaîne s’allonge, plus la probabilité de l’hétérogénéité en légitimité des suites individuelles, ne serait-ce que par le fait de la limite des capacités, des compétences effectives individuelles, devient grande. Mais c’est tout : hormis ce pronostic d’absence de pronostic, lié à la critique de la notion bourdieusienne d’homologie mécanique dans les différents domaines (cohérence de l’habitus), Lahire nous renvoie sagement à… plus de recherches concrètes sur ces sujets !

Une des conséquences politiques de cette hétérogénéisation des individualités est toutefois évoquée par Lahire dans une interview pour le quotidien Libération : « Il est en effet de plus en plus difficile de faire sentir aux gens que, par-delà leurs différences réelles, ils ont des propriétés sociales communes et des intérêts en communs, qu’ils partagent souvent les mêmes problèmes. Sur le plan social, politique, symbolique, il y a beaucoup à faire pour donner aux acteurs sociaux l’impression qu’ils ne sont pas atomisés, qu’ils ne sont pas des individus singuliers parmi d’autres individus singuliers. C’est un défi politique énorme pour tous ceux qui considèrent qu’on a balayé un peu trop rapidement les représentations de la société différenciée selon les conditions matérielles et culturelles d’existence de ses membres » [13]. Ce en quoi l’on peut voir l’envers individuel de la désaffection politique que Bourdieu avait plutôt interprétée comme renfermement du politique sur lui-même et conversion au néolibéralisme, diversion médiatique vers le trivial et le divertissement et déclin des grands mouvements structurants comme le mouvement ouvrier.

L’indistinction.

E : Le petit recul que donne le temps passé depuis la publication du livre permet d’ailleurs de constater que sa réception dans les médias a surtout obéi aux lois habituelles du fast reading et des réactions réflexes du type : contre Bourdieu donc bien ! C’est dire que l’ouvrage fût bien accueilli ! On regrettera qu’un tel pavlovisme ait touché jusqu’à des auteurs aussi sérieux que Patrick Cingolani dans La quinzaine Littéraire. Son antibourdieusisme quasi primaire le poussant à louer chez Lahire ce qu’il critiquait à juste titre chez son aîné. Car comment ne pas voir (sic) qu’il s’agit ici et là de la même pensée des places que Cingolani avait déconstruit de Comte à Bourdieu et Castel dans la théorie sociologique. La description est seulement chez Lahire un peu plus minutieuse, car intra-individuelle, et donc le résultat plus confus mais est-ce que cette confusion issue de l’addition de critères hétérogènes suffit vraiment à Cingolani pour se croire en face de subjectivités ? Comment ne voit-il pas que Lahire — tout autant que Bourdieu — est bloqué sur les csp comme principe d’explication, si bien que n’existe tout simplement pas, dans son enquête, de manière caractéristique, ni les chômeurs ni les immigrés ? Et comment comprendre l’éloge par Cingolani des portraits de Lahire autrement que par le fait qu’il ne les a sans doute pas vraiment lus ?… Car ces portraits, autre critique, cette fois concernant leur contenu, ne font que décliner le même questionnaire ad nauseam et ne dévoilent aucune logique subjective intérieure mais seulement des différences de constellations dont la pertinence ne se révèle que par la différence avec les autres constellations… Qui a traversé tous ces portraits ne se distinguant que de manière minuscule dans la constatation fondamentale de la dissonance quasi généralisée ne peut s’empêcher d’éprouver un immense sentiment de vacuité — et d’ennui.

Certes ça dissone. Mais comme presque tout dissone, cela en devient complètement indistinct ! Était-il besoin pour cela de lire les micro-variations de quatre cents pages d’interviews standardisées ? Quelle différence, par exemple, avec les portraits de La misère du monde qui sont pratiquement tous fascinants et qui, valant aussi chacun pour eux-mêmes, partent pour la plupart de la parole des interviewés ? Certes, la logique scientifique et comparative de Lahire est impeccable : on voit le chimiste comparer très exactement ses données dont il contrôle les conditions et variations. Et l’on peut comprendre son désir, dans une attaque contre un paradigme dominant, de montrer toutes ses preuves, de pousser la charge de la preuve jusqu’au bout ! Mais cela ne devient-il pas contre-productif lorsque dans cette grande démonstration d’hétérogénéité on ne distingue plus qu’un immense mélange… indistinct ?!

La complexité comme « effet de méthodologie » ?

G : Pour rebondir un peu plus sur ce point, on peut dire qu’au-delà de l’effet impressionnant provoqué par la somme des entretiens retranscrits, les instruments mobilisés par le travail de Lahire ne convainquent pas forcément sur tous les plans, voire parfois pas du tout ! Autant on peut être enthousiasmé par l’idée proposée de ne pas considérer que la réalité de l’individu est encapsulée, à découvrir par le travail de savants herméneutes dont d’ailleurs, soyons francs, Bourdieu ne dédaignait pas vraiment assumer le rôle, mais qu’elle s’actualise dans la pratique, autant on peut être en effet terriblement déçu par les instruments mis en œuvre pour l’observation de cette pratique (Langages et entretiens, p. 17).

L’instrument de la « dissonance » conserve à travers l’épaisseur lourde des entretiens retranscrits un rôle extrêmement descriptif, en fait de correspondre à un véritable instrument analytique. On touche ici un premier aspect qui concerne les contradictions permanentes auxquelles nous confrontent des individus mis à l’épreuve et la sous-estimation profonde de ces situations liées à une démarche très classique de la sociologie. L’entretien en tant que tel n’y est jamais problématisé comme situation de production et d’interaction, dans toutes ses dimensions, dans sa contexture. Or, malgré toute la « bonne volonté » (terme à la limite du registre normatif que Lahire distribue selon un principe mal identifiable) des enquêteurs, ceux-ci jouent un véritable rôle…d’inquisiteurs, imposent à plusieurs reprises aux enquêtés une évidente violence, contraints d’ajuster et de justifier des choix que, pour certains, ils préféreraient ne jamais avouer, dévoiler avec honte leur « duplicité ».

Démonter la transparence de l’entretien.

G : Cette relation très particulière que j’évoquais avec le cas d’Hervé révèle l’ensemble des systèmes normatifs de référence mobilisés par tous les enquêtés, leur constitution et leur actualisation à travers les jeux de questions et de réponses propre à l’entretien et qui construisent un discours sur « l’action juste ». En ce sens, la bibliographie est révélatrice : aucune référence aux travaux de Laurent Thévenot et Luc Boltanski ou encore à ceux de Paul Ricoeur alors même que les modalités de traitement des données traduisent une grande confiance dans les propos, et la mise en œuvre d’une véritable herméneutique de leur contenu, systématique et scientifique (plus de cent entretiens analysés). On pourrait pourtant considérer que l’entretien est d’abord un moment important d’assomption des individus à eux-mêmes, pour reprendre une belle expression de Lacan, de fabrique discursive au moins provisoire de leur propre cohérence, une dimension qu’il aurait importé de ne pas sous-estimer à ce point en le considérant globalement comme transparent.

Par ailleurs, sur les matériaux même qui ont été privilégiés, plus qu’à repérer le « mélanges des genres » à partir de la liste des invités d’émissions à succès (« tout le monde en parle », du 1er septembre 2001 au 1er juin 2002), il aurait sans doute été intéressant de ne pas traverser superficiellement ces émissions mais de les observer dans les jeux de violence symbolique qu’elles donnent à voir (pourquoi ne pas avoir plutôt davantage exploité l’émission « c’est mon choix », bel exemple d’une lutte très violente entre le légitime et l’illégitime ?). La confrontation a lieu entre différents univers de socialisation parce qu’elle est ainsi organisée, violence imposée, dont la télévision présente un exemple parfaitement visible, un condensé des épreuves de dissonances quotidiennes, apaisées et lissées dans les entretiens, particulièrement avec les jeunes enquêtés.

Enfin, c’est le plan même de l’enquête qui pose problème, parce qu’elle reste conçue comme un mode total et irrécusable, pur produit discursif alors même que, paradoxalement, Lahire avançait le souhait de s’attacher aux « pratiques ». Certes, les méthodologies proposées par l’ethnométhodologie ou les sociologies de la réception sont nettement plus lourdes, exigent des observations en situations qu’avait pourtant déjà mises en œuvre Pierre Bourdieu (observation des visiteurs de musée…), et qui à cet égard laisse complètement ouvert un vaste chantier.

Plus profondément, la démultiplication des entretiens participe à créer un certain brouillage, à rendre plus complexe la complexité des faits sociaux, voire incompréhensible précisément parce qu’ils sont décrits, donnés à voir dans leur profusion et sans réelle pratique de « dénouage », d’identification précise de logiques, une situation sans aucun doute liée au caractère limitatif de la modalité de l’entretien.

Un brouillage problématique.

: [Enfin, par son souci excessif de rendre compte de la complexité du monde social, Lahire paraît se diriger soit vers une théorie impossible à atteindre qui représenterait une reproduction à l’identique de la réalité empirique ou, soit vers une approche assez similaire à celle des ethnométhodologues purs — en fait démissionnaire — consistant à se cantonner de décrire les descriptions, de rendre visible les réalités sociales dans leur foisonnement énigmatique et de s’arrêter là. Ce qui explique peut-être une certaine tendance à prendre un peu trop Bourdieu au premier degré. L’ouvrage participe ainsi assurément à entretenir un effet de brouillage, ne serait-ce que techniquement déjà, aussi paradoxal que ce soit pour une démarche à caractère aussi systématique et scientifique : on en sort avec la vision d’un monde social à ce point complexe qu’on ne peut plus identifier les effets des causes, que toute généralisation devient impossible, qu’il n’y a plus de facteurs explicatifs (ou plutôt, qu’il y en a tellement que le résultat est le même, à savoir…qu’il n’y a plus d’explication). Le risque est donc bien que la complexité vienne remplacer la pensée magique pour empêcher toute tentative de rationalisation des goûts et des préférences, tout effort de clarification analytique sur lequel l’ouvrage a de quoi décevoir. Puisque les mobiles apparents sont savamment cachés, nous pouvons retrouver toute l’innocence de notre rapport désintéressé à l’art et considérer les catégories populaires user de leurs biens culturels de deuxième ordre, en toute liberté de consommation.]

E : Je serais moins catégorique et intempestif, ou plutôt dans une autre direction. Même si l’on peut s’accorder sur le fait de considérer l’usage et la méthode des entretiens comme très problématiques, la démarche de Lahire est bien hyperméthodique et analytique. Méticuleusement il réduit les agrégats dans ses éprouvettes à leurs conditions de possibilité, établissant dans un tableau les différentes combinaisons d’influences, la famille et l’école, l’âge et le sexe, le partenaire et la trajectoire sociale, les contextes et les modes de l’usage, le métier et la localisation géographique, etc. etc., tous ces éléments se combinant successivement en de nouvelles constellations explicatives des pratiques concrètes. Mon problème, j’insiste, est davantage l’effet paradoxal d’indistinction heuristique suscité par la répétition des portraits en même temps, plus fondamentalement, que le sentiment que ces additions de conditions manquent l’activité de mise en cohérence subjective des pratiques (que rendraient peut-être mieux des analyses de styles de vie que Lahire récuse).

G : Oui, tout à fait, mais on rejoint ici la limite de fond liée à la fois à la méthodologie, mais également à cette approche très sectorielle et autonomisante du champ des pratiques culturelles qui apparaît chez chaque individu comme un monde à lui-même alors qu’il ne peut se penser que par rapport aux autres domaines de pratiques à l’intérieur desquels il prend sens, au sein du même individu. Cela pourrait permettre d’ouvrir un débat sur la complexité sectorielle….Néanmoins, et là je le concède absolument, cette traversée assez complète des domaines de pratiques, Lahire l’avait déjà réalisée de manière convaincante dans Portraits sociologiques renforçant un peu plus, à mon sens, le statut problématique de cette dernière somme.

Les ambiguïtés d’un double travail de légitimation.

G : Autre chose : le travail de Lahire opère non seulement à travers son contenu, mais également par sa production et sa diffusion en tant que telle, une double légitimation dont nous avons pu évoquer déjà un des aspects. […]

Légitimer l’individu comme objet sociologique.

G : Lahire sait qu’une fois de plus, même si cette enquête comme il le précise s’inscrit dans le prolongement de ses précédents travaux, que son travail devra être soumis à l’épreuve de la carte d’identité disciplinaire, prouver que travailler sur l’individu, c’est aussi faire de la sociologie. Un long passage dans la première partie du volume construit une justification, qu’un lecteur habitué aurait certainement des raisons fondées de trouver bien répétitive tout au long de ses différents travaux. Malgré l’annonce d’un dépassement de la dualité individuel/social, elle refait toujours surface, retour permanent d’un refoulé prégnant qui fait subsister l’étude de l’individu en sociologie comme illégitime [14]. Elle exprime en réalité ce décalage permanent entre les déclarations d’intention et les pratiques effectives propres aux champs scientifiques que traduisent les phrases sceptiques prononcées dans les colloques « mais, l’individu, est-ce bien de la sociologie, ça ? ». Car il s’agit pourtant bien d’engager un « raisonnement sociologique sur des réalités sociales sous leurs formes individualisées » (p. 19), pour remettre en cause la théorie de la légitimité culturelle à partir de la prise en compte de sa composante individuelle. Le domaine des pratiques culturelles se présente donc pour lui comme une nouvelle occasion de poursuivre son idée de fond sur sa critique de la pesanteur d’un passé pris comme un bloc déterminant nos conduites (orientation critique vis-à-vis de la psychanalyse), afin d’interroger l’actualisation (ou la non-actualisation) de dispositions et de compétences incorporées en situation. D’où l’idée de variation des comportements individuels en fonction des domaines de pratiques, des propriétés de contextes d’action ou de circonstances singulières. En ce sens, son ouvrage s’inscrit pleinement dans une stratégie de reconnaissance et d’acquisition pour l’individuel, d’un réel statut en sociologie.

E : On peut d’ailleurs ajouter que le post-scriptum de l’ouvrage se détache de l’affrontement avec Bourdieu pour s’attaquer au père fondateur même, Durkheim, dans le partage qu’avait implicitement accepté ce dernier entre la sociologie et la psychologie : à la première les réalités collectives, à l’autre l’intériorité et l’individualité. Lahire, toujours plus à l’aise dans le théorique, démontre magistralement ce qu’a de pipé un tel partage, déconstruit ce que peut avoir de métaphysique la conception d’un « collectif détaché » chez Durkheim et revendique en effet de l’autre côté l’individu pour la sociologie, postulant avec Bourdieu que le plus intérieur est en même temps le plus extérieur, que l’individu est du social plié !

Légitimer une certaine vision normative des champs sociaux.

G : Néanmoins, Lahire participe également du même coup à conférer une légitimité à des objets dits illégitimes, sans pour autant basculer dans le registre normatif. On a du mal à retrouver ici un Lahire plus prompt à penser et objectiver l’implication sociale du sociologue (Lahire, 2002), et il importe ici d’élucider précisément les conditions de l’engouement pour son travail. Certes, tout un chacun se retrouvera certainement d’une manière ou d’une autre comme en miroir dans les séries de portraits, y trouvant une forme de caution de ses pratiques ce qui explique sans doute aussi le succès qu’on lui connaît et la reconnaissance médiatique acquise.

Mais plus profondément, il faut aussi reconnaître avec honnêteté intellectuelle que les orientations prises par l’ouvrage ont largement de quoi satisfaire et apaiser les réticences propres à de nombreux chercheurs face à la théorie de la distinction de Pierre Bourdieu, les renforcent dans leur grande difficulté à admettre qu’il y ait du « collectif », du social, dans nos choix et nos comportements les plus intimes, un état de choses conçu comme une humiliation insupportable renvoyant à une impossible maîtrise totale de nos comportements. [En ce sens, on aurait aussi apprécié que Bernard Lahire soulève un peu plus les tenants idéologiques qui se dissimulent derrière cette opposition du social et de l’individuel, et les éventuels glissements normatifs liés à son contenu. On imagine en effet sans trop de difficulté la certaine satisfaction (illusoire !) que provoque ce qui correspond de fait à la caution d’une idée comme celle d’imaginer que nous puissions disposer d’un rapport personnel, qui soit tout à fait nôtre à l’art, au « beau » etc. [15] Quels sont ces objets culturels pris pour cible par la recherche de Lahire ? Quelles sont les conditions sociales de la production artistique dans nos sociétés contemporaines, sinon que le marketing des productions culturelles devient effectivement plus créatif que les produits culturels qu’il est censé vendre ? [16]]

On aurait attendu que B. Lahire explicite davantage cette mise en garde en direction d’une caution de cet ordre dans lequel le générique se multiplie et vient brouiller les anciennes frontières de la culture légitime. [À plusieurs reprises, d’ailleurs, ses entretiens soulignent mais sans aucun doute trop en pointillé, comment une élite parvient à s’y retrouver sans accepter de consommer des sous-produits culturels dévalorisés et jugés dévalorisants : l’uniformisation des pratiques culturelles qui transparaît de manière récurrente à travers l’ensemble du parcours des profils dissonant ne peut pas s’estimer en valeur absolue, mais toujours en valeur relative !]

Mise en perspective d’Allemagne : Luhmann/ Beck/ Schultze…

E : Pour achever, quelques remarques plus générales. Pour un lecteur de Lahire ayant un peu connaissance du champ de la sociologie allemande, on notera que bon nombre de thèmes du Français ont été déjà abordés depuis un certain moment de l’autre côté du Rhin. Si la différenciation sociale en sphères distinctes était développée sous l’angle fort critiquable d’un processus immanent par le fonctionnaliste Niklas Luhmann, le même constat aboutit chez Ulrich Beck (que cite Lahire mais seulement pour le classer du côté des chantres idéologiques de l’individualisme…) à une description des conséquences individuelles de l’incessante traversée des différentes sphères qui constituent cette société complexe et qui nous poussent toujours plus à de nouveaux rôles quasi simultanés : « client » des différentes administrations, « élève » dans les institutions de formation toujours plus permanente, « citoyen » vis-à-vis des institutions politiques, « consommateur » par rapport à toutes les entreprises économiques, « spectateur » des produits culturels mais éventuellement « militant » dans une association, sans oublier l’engagement dans sa carrière professionnelle toujours plus chaotique (ce qui veut dire aussi de plus en plus : « chômeur »), la fondation d’une famille (elle-même de plus en plus recomposée) liés également à d’autres rôles etc. On accordera à Lahire que la description de Beck, malgré le titre de son livre le plus connu — Risikogesellschaft / La société du risque — insiste surtout sur la plus grande liberté qu’offre cette multiplication des rôles — même si les risques ne sont pas ignorés.

Mais le sociologue allemand le plus intéressant par rapport à l’entreprise de Lahire est sans aucun doute Gerhard Schultze qui dans sa Erlebnisgesellschaft [17] s’inscrit également dans la perspective de la sociologie culturelle de Bourdieu pour analyser les pratiques culturelles de la société allemande contemporaine. Cependant, critiquant lui aussi la logique de la distinction qui alignerait sur un même axe verticale les pratiques et la hiérarchie des groupes sociaux de la légitimité à l’illégitimité (la distinction comme capacité de classer, de classement, sur un fond de concurrence hiérarchique des classements) Schulze, statistiques à l’appui, constate de son coté, toujours dans une perspective de comparaison entre groupes, une pluralités de centres culturels des goûts. De plus, au lieu d’une concurrence « classante », il repère plutôt une relative indifférence des groupes entres eux selon leurs pratiques culturelles distinctes: le fan de rock indépendant ou de musique de club d’avant-garde est vraiment indifférent à la dernière interprétation d’un quatuor de Schubert. Et réciproquement. Ce qui ne signifie plus qu’une des deux cultures est plus légitime que l’autre. C’est la seconde perspective développée par Schultze : la transversalité des valeurs médiatiques qui rend, par exemple, le goût classique plutôt vieux jeu et le transforme en ghetto… À côté de la description précise de cinq milieux relativement autonomes, Schultze développe une intéressante théorie de la consommation culturelle : par la multiplication régulière des expériences culturelles, le consommateur tend à développer une moindre attente pour la sortie particulière et « calcule » sa satisfaction plutôt par rapport à une moyenne de sorties.

Schultze reconnaissait la pertinence de la théorie de la distinction dans un état étroit de la proposition culturelle — qu’il constatait dans l’Allemagne des années 50. Lahire de son côté parle plutôt de la fin du 19e siècle… Si l’on pouvait penser que la déhiérarchisation des pratiques culturelles constituait une particularité de l’Allemagne, c’est-à-dire une société beaucoup plus horizontale que la France du fait, entre autre, du point zéro de la reconstruction allemande d’après la Seconde Guerre Mondiale, l’enquête de Lahire, qui constate également de telles évolutions, pousse à penser à une tendance beaucoup plus générale.

…et de France : la « plurisocialisation », un appel aux sciences sociales de l’individu.

G : Ce que vous évoquez m’apparaît important parce qu’invitant à engager un véritable travail sur les pratiques individuelles qui tente d’évaluer les effets de contextes institutionnels, historiques et socio-économiques sur ces pratiques. En ce sens, et ad intra (en sociologie), le travail de Lahire produit un premier type d’ouverture. Par ailleurs, ad extra (entre sciences sociales), les pages de suggestions placées en addenda constituent un condensé extrêmement synthétique et dense d’une série très stimulante de propositions au cœur de laquelle se situe l’idée d’une plurisocialisation. Celle-ci présente à notre sens un double intérêt. Tout d’abord, de prendre à revers les théories normatives de l’individuation en replaçant celui-ci comme un produit d’une multiplicité de domaine de socialisation. Reprenant cette idée majeure qui ne subsiste malheureusement que dans une position d’arrière-fond à travers l’ensemble de son travail, Lahire renvoie à tous ces univers de pratiques constituant l’ensemble des conditions de possibilité du phénomène individuel comme fait social total. Ni agent strictement agi, c’est-à-dire simple déclinaison mécanique des structures sociales, ni individu autonome à partir duquel la société se produit comme une simple conséquence des individualités cumulatives, l’individu y est placé dans un statut de réalité prismatique, constitué d’une multiplicité de faces sur lesquelles il ne dispose donc que d’une conscientisation et non a priori, d’une soumission ou d’une maîtrise. Il rejoint certainement sur ce point Norbert Elias auquel il se réfère (Elias, 1997), saisissant l’individu et la société comme configuration, c’est-à-dire comme deux figures distinctes surgissant de manière concomitante. Cette évocation des univers de pratiques constituantes, deuxième aspect, ouvre de vastes perspectives et un appel non seulement à la sociologie mais plus largement aux différentes sciences sociales, pour qu’elles s’emparent — quitte à devoir construire du même coup la légitimité d’une interrogation de ce type par rapport à leurs champs scientifiques respectifs ! — de l’individu dans ses pratiques de socialisation. Mais pour cela il s’agit de s’affranchir en particulier de certains cadres cognitifs sectoriels évoqués précédemment, qui rendent impensable l’analyse des pratiques culturelle isolément d’autres univers de pratiques. En ce sens, on peut penser au rôle joué par les différentes formes de rapport au temps et à l’espace, aux pratiques spatiales qui ne renvoient pas seulement à un individu autonome, mais à l’individu comme produit de structures sociales incorporées et transformées en compétences d’usage et d’appropriation des lieux, disposant d’un capital spatial (Haegel, Lévy, 1997). Dans ce processus itératif auquel renvoie l’énigmatique terme de disposition, l’individu est disposé, mais également dispose, socialement. C’est peut-être d’ailleurs autour de cette notion de disposition, certes, prise toutefois dans des acceptions assez différentes, irréductibles mais non incompatibles, que pourraient s’articuler de fructueux travaux en sociologie, et plus largement dans les sciences sociales.

Bernard Lahire, La culture des individus. Dissonances culturelles et distinction de soi, Paris, La Découverte, 2004. 778 pages. 29 euros.

Résumé

La publication du dernier travail de recherche de Bernard Lahire consacré aux pratiques culturelles de l’individu n’est pas passée inaperçue, ne serait-ce déjà qu’à cause de l’ampleur de l’ouvrage proposé au lecteur potentiel. S’agit-il pour autant d’un opus strictement sociologique, destiné d’abord et avant tout à des sociologues ? Ce n’est pas l’avis d’un ethnologue et d’un géographe qui, à travers un dialogue soutenu, tentent de convaincre sans déférence ni révérence que La culture des individus mérite d’être pris au sérieux par les différentes sciences sociales. Trois perspectives y sont plus particulièrement soulignées : la position (statut) et la situation (filiations) de ce travail de recherche dans la sociologie et le champ intellectuel en général des réflexions sur l’individu social, la portée de la démarche méthodologique privilégiée par l’auteur, mais surtout les apports et limites du concept central qui y est défendu tout au long du texte, celui de dissonance, auquel son auteur souhaite faire restituer l’une des formes majeure de l’agir individuel.

Bibliographie

Ulrich Beck, La société du risque. Sur la voie d’une autre modernité, Paris, Flammarion, 2003.

Pierre Bourdieu, Les règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire, Paris, Le Seuil, 1992.

Pierre Bourdieu, La distinction, Paris, Éditions de Minuit, 1996.

Pierre Bourdieu, Questions de sociologie, Paris, Éditions de Minuit, 1994.

Pierre Bourdieu, Méditations pascaliennes, Paris, Le Seuil, 1997.

Norbert Elias, Über den Prozeß der Zivilisation. Soziogenetische und psychogenetische Unter-suchungen. Erster Band: Wandlungen des Verhaltens in den westlichen Oberschichten des Abend-landes, Frankfurt am Main, Suhrkamp Taschenbuch Wissenschaft 158, 1992.

Norbert Elias, La société des individus, Paris, Pocket, 1997.

Florence Haegel, Jacques Lévy, « Urbanité, identité spatiale et représentation de la société », in Collectif (dir. Christian Calenge, Michel Lussault et Bernard Pagand), Figures de l’urbain. Des villes, des banlieues et de leurs représentations, Maison des Sciences de la ville, Tours, 1997.

Bernard Lahire (dir.), Le travail sociologique de Pierre Bourdieu. Dettes et critiques, Paris, La Découverte, 1999.

Bernard Lahire (dir.), À quoi sert la sociologie ?, Paris, La Découverte, 2002.

Bernard Lahire, Portraits sociologiques. Dispositions et variations individuelles, Paris, Nathan, 2002.

Bernard Lahire, L’homme pluriel. Les ressorts de l’action, Paris, Nathan, 1998.

Gerhard Schultze, Die Erlebnisgesellschaft. Kultursoziologie der Gegenwart, Campus Verlag, Frankfurt, New York, 1996.

Notes

[1] « En vérité, je vous conseille : éloignez-vous de moi et défendez-vous de Zarathoustra! Et mieux encore: ayez honte de lui ! Peut-être vous a-t-il trompés. […] On n’a que peu de reconnaissance pour un maître, quand on reste toujours élève. » De la vertu qui donne, §3.

[2] Jusqu’à l’opposition pure et simple de certains titres de chapitre : « Il n’y a pas de science sociale que du caché », « La jeunesse n’est pas qu’un mot », etc.

[3] Flaubert, « Lettre à Caroline Flaubert », 14 octobre 1869 (Bourdieu, 1992, p. 150).

[4] Ainsi, le travail collectif dirigé précisément par Lahire (Lahire, 1999).

[5] « En présentant l’habitus comme une sorte de principe monolithique (alors que j’ai à maintes reprises évoqué, notamment à propos des sous-prolétaires algériens, l’existence d’habitus clivés, déchirés, portant sous la forme de tensions et de contradictions la trace des conditions de formation contradictoires dont ils sont le produit), immuable (quel que soit le degré de renforcement ou d’inhibition qu’il aura reçu), fatal (conférant au passé le pouvoir de déterminer toutes les actions futures) et exclusif (ne laissant en aucun cas aucune place à l’intention consciente), on se donne les gants de triompher sans peine de l’adversaire caricatural que l’on a soi-même produit. » (Bourdieu, 1997, p. 79)

[6] Passagère entorse à cette nouvelle règle de fair play, la stratégie de l’élimination par anticipation qui consiste à réduire l’originalité de l’adversaire en la ramenant à des perspectives antérieures ressemblantes : ainsi Lahire avance, p. 33, l’improbable Edmont Goblot comme précurseur de la théorie de la distinction de Bourdieu… Sur cette stratégie un peu douteuse et comme une réponse anticipée – et comme d’habitude cinglante – de Bourdieu, cf. note 5 (Bourdieu, 1992, p. 252-253). On remplacera simplement habitus par distinction…

[7] Cf. l’article consacré par Alexis Libaert dans l’hebdomadaire Marianne, 16 Février 2004.

[8] Cf. sur ce point son intervention à l’Iep de Bordeaux en 1994.

[9] Bourdieu, 1996, op. cit., p. 100.

[10] Par exemple dans L’Homme Pluriel (Lahire, 1998).

[11] « Le sociologue peut étudier les cas les plus atypiques », entretien avec Jean-Baptiste Marongiu, Libération, édition datée du 26 février 2004.

[12] Cf. l’article « La métamorphose des goûts » (Bourdieu, 1994, p. 161).

[13] Cf. Libération, op. cit.

[14] Même si l’on peut noter de nettes avancées récentes dans les sciences sociales sur cette question. On en vaudra pour preuve le récent colloque international de sociologie de langue française (congrès Aislf sur « l’individu social, Tours, juillet 2004), ou encore de géographie (« Espace et société aujourd’hui », colloque de géographie sociale, Umr Eso, 2004).

[15] Déjà La Rochefoucauld (Bourdieu, 1994, p. 156) notait que « notre amour-propre souffre plus impatiemment la condamnation de nos goûts que de nos opinions ».

[16] Cf. Bourdieu, « Questions aux vrais maîtres du monde » in Le Monde, édition datée du 14 octobre 1999, « Les chances de survie de la culture »

[17] Gerhard Schultze, Die Erlebnisgesellschaft. Kultursoziologie der Gegenwart, Campus Verlag, Frankfurt, New York, 1996. Je ne crois pas que ce livre ait été déjà traduit ce qui constitue d’ailleurs un grand manque.

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