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Résumé | Bibliographie | Notes

Sérendipité.

Dictionnaire.

Des premiers glossaires, constitués à partir des annotations marginales ou interlinéaires portées sur les manuscrits afin d’expliciter les termes latins difficiles, aux multiples dictionnaires qui ne cessent de paraître aujourd’hui, qu’ils soient de langue ou de science, de mots ou de concepts, extensif ou sélectif, encyclopédiques ou fixant simplement des définitions, à destination d’une mince fraction de la société ou à vocation universelle, via les glorieux ancêtres — par exemple, pour la France, le Dictionnaire des mots et des choses de Pierre Richelet (1680) premier dictionnaire intégralement monolingue, ou le Dictionnaire universel (1690) d’Antoine Furetière —, que trouver de commun ? Les usages de lecture, les systèmes de production et de diffusion concourent à faire de chaque opus qui peuple ce vaste domaine du dictionnaire une entité singulière pour celui qui l’utilise, née d’un contexte social précis, et qui, par métonymie finit par s’exprimer tout entière dans le nom de son auteur, qui parfois devient même une marque générique ; mais il n’en reste pas moins que ces ouvrages participent d’une même logique, manifestent une même volonté, une tension commune à l’œuvre chez tous ceux qui ont voulu affronter l’ascèse (l’exercice) de la rédaction d’un dictionnaire. Cette logique repose sur deux principes-clefs.

Tout dictionnaire est un acte de foi dans les pouvoirs du langage. Les mots visent les choses et les visent juste, ils font advenir comme réalités discutables des phénomènes qui sans cela flottent dans le marais indécis du vécu et de la perception. Si tous les dictionnaristes ne partagent pas, loin de là, les mêmes épistémologies (les réalistes positivistes pensent que les termes sont réglés sur les objets-en-soi qu’ils désignent, d’autres que les objets sont plutôt réglés sur les lexiques qui procèdent d’un régime de connaissance donné, d’autres encore que mots et choses, dans leurs articulations changeantes, composent le troisième terme de la réalité contextuelle etc.), tous communient dans la confiance de la langue à dire, sinon le, à tout le moins un monde — et en l’occurrence un monde d’action, celui des individus en société.

En même temps tous pensent qu’il faut, justement parce que le langage joue ce rôle éminent, policer le lexique, stabiliser les usages par la définition précise et stricte, mettre à jour les trahisons des faux-sens, souligner les réseaux sémantiques qui lient les mots en famille, définir les relations cohérentes entre les termes. Ainsi, tout dictionnaire, à sa manière, est un double coup de force : il impose un système légitime de mots et une organisation des jeux de langages possibles qui expose, plus ou moins explicitement, une conception d’un ordre légitime des choses du monde sociale — soit une dogmatique, un ensemble de prescriptions tenues pour vraies.

Mais ce coup de force n’est pas à tant à dénoncer qu’à louer : sans cet exploit d’arraisonnement du sens, cette audace presque ingénue (ce coup qui est plutôt un tour de force, de ceux qu’on prête aux athlètes et aux héros) , il n’y aurait pas d’interlocution réglée et régulée possible, mais le libre jeu de l’arbitraire de chaque locuteur « idiot », c’est-à-dire confiné au sein de son seul univers de signification, et la véritable violence qui va avec. Avec un dictionnaire le sens se publicise et devient le carburant de l’agir communicationnel.

Il est parfois de bon ton de fustiger l’impérialisme des définitions des dictionnaires. La liberté et la créativité imposeraient qu’on se dédouanât des carcans sémantiques. Certes, les sociétés se réinventent en permanence en inventant des nouveaux usages lexicaux et des nouveaux mots. Mais ce travail collectif de sémantisation n’est vif que parce qu’il est social, partagé et échangeable, qu’il naît du et dans le sens déjà fixé par le dictionnaire. S’il s’agit seulement de ne pas vouloir, par pose ou par paresse, se fonder sur ce trésor (ce thésaurus), ce capital (à la fois un stock, historiquement constitué, et une compétence) et se targuer d’une utilisation sans contrainte du mot, alors, très souvent menace l’imbécillité du renoncement au sens, à sa complexité et à l’indispensable compréhension de sa généalogie et de sa fabrique.

Parce qu’un bon dictionnaire rend intelligibles les mots, les choses, parfois les relations des uns aux autres, voire les fondements de la production du vocabulaire et le procès de sémiose, il rend le lecteur intelligent. Il le pousse à s’interroger sur les faits (idéels ou matériels) et leurs lexiques, à chercher les raisons — puisque rien n’est jamais sans raison dans un dictionnaire ; outre le plaisir purement littéraire et poétique du jeu avec les mots, il active généreusement la réflexion, il appelle la critique, car parce qu’il fixe la signification du vocabulaire, il permet qu’on la conteste, qu’on la déconstruise. Il est de ce point de vue, un des instruments essentiels, pour qui adhère à cette conception du processus de connaissance que Michel Foucault mettait en exergue : « Le travail de la pensée n’est pas de dénoncer le mal qui habiterait secrètement tout ce qui existe, mais de pressentir le danger qui habite tout ce qui est habituel, et de rendre problématique tout ce qui est solide. L’“optimisme” de la pensée [] est de savoir qu’il n’y a pas d’âge d’or » [1]. Un bon dictionnaire est donc le nécessaire viatique de l’heureux désespéré qui ne renonce pas à chercher et parfois trouver, en le construisant, du sens.

Jacques Lévy & Michel Lussault (dir.), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Paris, Belin, 2003. 1032 pages. 30 euros.

Résumé

Des premiers glossaires, constitués à partir des annotations marginales ou interlinéaires portées sur les manuscrits afin d’expliciter les termes latins difficiles, aux multiples dictionnaires qui ne cessent de paraître aujourd’hui, qu’ils soient de langue ou de science, de mots ou de concepts, extensif ou sélectif, encyclopédiques ou fixant simplement des définitions, à destination d’une mince ...

Bibliographie

Notes

[1] Michel Foucault, « À propos de la généalogie de l’éthique : un aperçu du travail en cours », Dits et écrits, Paris, Gallimard, p. 1428-1450, p. 1431. 1ère parution du texte, 1984.

Auteurs

Michel Lussault

Professeur à l’université François-Rabelais de Tours. Membre du jury de l’agrégation de géographie, du comité national d’évaluation de la politique de la Ville, il dirige l’Action Concertée Incitative « Terrains, techniques, théories : travail interdisciplinaire en sciences humaines et sociales » du Ministère chargé de la recherche et des nouvelles technologies. Il a notamment publié Tours : Images de la Ville et Politique urbaine, Collection Sciences de la Ville Publications de l’Université François-Rabelais, Tours, 1993 ; avec Christian Calenge et Bernard Pagand, Figures de l’urbain. Des villes, des banlieues et de leurs représentations, collection Sciences de la Ville, Publications de l’Université François-Rabelais, Tours, 1997 ; avec Thierry Paquot et Sophie Body-Gendrot, La ville et l’urbain, L’état des savoirs, La Découverte, 2000 ; avec Jacques Lévy, Logiques de l’espaces, esprit des lieux. Géographies à Cerisy, Actes du colloque international de Cerisy, Collection Mappemonde, Belin ; Des légendes et des hommes, (dir.) Éditions Autrement, 2001. Il dirige, avec Jacques Lévy, le Dictionnaire de géographie et de l’espace des sociétés, aux Éditions Belin (2003).

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