Plusieurs expressions se font concurrence pour identifier la scène politique locale : démocratie locale, démocratie de proximité, démocratie délibérative, démocratie participative…. sans doute parce qu’aucune d’entre elles n’est vraiment consacrée soit par le droit, soit par les faits, en particulier dans un pays comme la France qui, depuis 1789, ne conçoit la démocratie que comme politique, nationale et unitaire. Cela se traduit au plan local par une démocratie à la fois représentative et administrative. La situation néanmoins change depuis peu. En premier lieu, les élections locales sont désormais considérées comme « politiques » par le Conseil constitutionnel — même si les collectivités territoriales relèvent toujours de l’administration du territoire. En second lieu, émerge une véritable citoyenneté locale fondée sur un droit politique particulier, qui reconnaît le droit de vote aux ressortissants communautaires ou qui impose le consentement des électeurs concernés avant tout changement institutionnel, comme c’est le cas dans les collectivités d’outre-mer. En troisième lieu, les moyens de pression et d’expression des habitants sur les décideurs locaux s’accroissent avec leur consécration par la loi, puis par la Constitution, dans le cadre d’un mouvement à la fois mondial et européen, qui se traduit notamment par la ratification de la Convention d’Aarhus en matière d’environnement.
De ce triple fait, la scène politique locale se développe et se structure pour tenir compte à la fois de « ces étrangers qui votent », selon le sous-titre de l’ouvrage dirigé par Bernard Delemotte, Citoyens d’Europe, et de la volonté des habitants de peser davantage sur la décision, comme le restitue deux ouvrages du même titre, La démocratie participative, l’un de Michel Falise, qui relate sa (riche) expérience lilloise d’adjoint au maire, en la matière, l’autre de Mathias Le Galic, qui a étudié la cas nantais.
Le vote et l’influence.
Le rapprochement est paradoxal : certains étrangers votent, mais ne décident pas vraiment compte tenu du petit nombre de ressortissants communautaires inscrits sur les listes électorales, tandis que les personnes associées à la « démocratie participative » influencent la décision, mais ne votent pas, puisqu’il ne sont que consultés par les élus en place. Le rapprochement est néanmoins fécond parce qu’il restitue une évolution importante de la scène politique locale en en valorisant la spécificité : la nécessité de prendre en compte le réel, du fait de la proximité du pouvoir politique avec les habitants, au-delà de toutes les catégories du droit.
Sans doute cette prise en compte dans le cadre de la « démocratie participative » est-elle d’une « étonnante diversité » qui laisse parfois « perplexe » (Michel Falise). On distingue en effet au moins quatre stades de la participation : l’information, la consultation, la concertation, la participation au pouvoir. Ils constituent ensemble une alternative au cinquième stade, la co-décision par le vote, soit impossible juridiquement, soit inutilisée du fait de la montée de l’abstention. Cette participation n’en est pas moins réelle et mérite d’être relatée, tant la recherche des « bonnes pratiques » en la matière est importante pour que la vie politique locale regagne de sa crédibilité. La démocratie participative se présente en effet comme une réponse à la montée de l’abstentionnisme en Europe, souligné par l’ouvrage dirigé par Bernard Delmotte. Or, il n’y a pas vraiment d’exception locale en la matière, sauf dans les collectivités territoriales comme Lille, Nantes, Strasbourg ou Francfort, dans lesquelles des instances consultatives qui incluent à la fois les catégories de la population qui ne peuvent pas voter, comme les mineurs ou les étrangers, ou qui ne vont plus voter, permettent d’impliquer davantage tous les habitants dans la vie de la cité. Comme le souligne Michel Falise à propos du cas lillois, on constate en effet que la proximité ne se traduit pas ipso facto en participation, surtout quand, y compris au plan local, « la démocratie représentative devient de moins en moins représentative », ainsi que le rappelle Serge Depaquit dans Citoyens d’Europe.
« L’avancée en démocratie participative » ne peut en effet se produire dans le cadre d’une démarche « descendante » de la collectivité publique vers les habitants, qui si le projet est sincère et qu’une méthodologie rigoureuse est déployée. La volonté de faire effectivement participer à la décision doit en effet être réelle et claire. Toute hésitation en la matière altère en effet gravement le projet aux yeux des habitants et peut donc conduire, selon Mathias Le Galic à propos du cas nantais, à une « impasse » dont il est difficile de sortir. La simple information des habitants ou leur « consultation » non suivie d’effets constituent alors des formes de participation vouées à l’échec parce qu’elles suscitent en définitive plus de découragement que de mobilisation locale.
Prendre la participation au sérieux.
Mais en plus d’une volonté politique affirmée, la participation implique la mobilisation d’un « savoir-faire » qui ne s’improvise pas et dont les ouvrages de Michel Falise et de Mathias Le Galic soulignent toute l’importance. Il en va de la crédibilité même de la démarche. Pour le premier notamment « compte tenu du contenu vague et potentiellement trompeur du terme participation, c’est au travers des procédures que l’on peut lui donner une authenticité, un contenu, une efficacité ». Sans doute peut-on craindre de cette formalisation de la participation qu’elle devienne un obstacle à son expression. Or c’est semble-t-il le contraire qui se produit pour peu que les élus prennent cette participation au sérieux. Comme le montre bien le cas lillois, la procédure suivie crédibilise l’ensemble du dispositif pour les habitants, à la fois parce que leur positionnement est clair et qu’ils savent qu’elle engage les élus locaux. Ceux-ci doivent en effet, non pas à suivre tous les avis donnés, mais les prendre en compte, sur la base de décisions d’acceptation ou de refus à la fois explicites et motivées. C’est bien ce que prévoient les règlements adoptés par la commune lilloise pour ses conseils de quartiers comme pour son conseil municipal de concertation.
C’est ce niveau d’implication, difficile à atteindre, qui explique en partie que l’expérience française de la « démocratie participative » soit limitée, et ce d’autant plus que la Constitution en borne strictement la portée, même si la réforme du 28 mars 2003 en élargit quelque peu les bases. Comme le rappelle Michel Falise, on est loin des « budgets participatifs » de Porto Alegre développés depuis 1989. Ceux-ci ne constituent plus cependant l’expérience exotique et marginale que certains peuvent y voir encore, parce que de nombreux pays s’en inspirent désormais pour tenter d’aller plus loin vers des formes de démocratie directe au plan local. En Europe, le cas de Berlin est sans doute le plus significatif du fait de la mise en place en 2001 de « jurys citoyens » qui débattent et décident de l’utilisation par quartier d’environ demi-million d’euros tous les deux ans.
« On ne participe durablement à la chose publique que si l’on dispose d’un pouvoir », selon Serge Depaquit. Berlin en est alors une expression concrète, bien que mesurée, à partir du moment où la démocratie participative n’est qu’un chemin de plus de l’expression démocratique, mais sans doute un chemin devenu nécessaire.
Bernard Delemotte (dir.), Citoyens d’Europe. Des étrangers qui votent, L’harmattan-Licorne, 2004. 218 pages. 17 euros. Mathias Le Galic, La démocratie participative, le cas nantais, L’Harmattan, 2004. 222 pages. 21 euros. Michel Falise, La démocratie participative, promesses et ambiguïtés, L’Aube, 2004. 200 pages. 18 euros.