Conscients qu’il leur fallait rompre avec les modèles traditionnels académiques, les artistes s’ouvrirent à de nouvelles formes d’expression dès la fin du XIXe siècle. Certains virent dans l’art populaire, mais aussi dans les dessins d’enfants, dans « l’art des fous », l’automatisme ou les graffitis, les moyens de régénérer un art devenu obsolète. Jean Dubuffet était de ceux- là. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, Dubuffet se mit à étudier les travaux réalisés par les pensionnaires d’hôpitaux psychiatriques et les marginaux de toutes sortes – autodidactes, prisonniers, inadaptés divers – dont il admirait la créativité spontanée, libérée du carcan de ce qu’il appelait « l’asphyxiante culture ». Les œuvres d’Art Brut sont imprégnées d’une force d’indépendance et d’originalité, relativement « dépourvues » des influences issues de l’art dit culturel ou traditionnel. Elles relèvent d’un système d’expression réellement élaboré et témoignent d’une syntaxe plastique personnelle et désintéressée de la création et d’une puissante créativité rebelle aux carcans normatifs. Les auteurs d’Art Brut transgressent les frontières entre les disciplines artistiques et leurs créations y sont clairement irréductibles.
Les productions d’Art Brut demeurent comme des adresses suspendues : leur art fait vibrer un questionnement irrésolu. Ce sont réellement des œuvres « ouvertes » au sens où l’entend Umberto Eco, c’est-à-dire qu’elles offrent des perceptions plurielles et sollicitent l’intérêt de chacun. C’est à cette réflexion au-delà des disciplines et des canons arbitraires de la production d’œuvres et de connaissances que nous invite Lucienne Peiry dans cette conférence, entre emprunt, détournement, bricolage et radicale inventivité. Une invitation au dialogue entre art et science autour de l’interdisciplinarité.
Le Centre Interdisciplinaire de l’Institut Universitaire Kurt Bösch accueille Lucienne Peiry pour une conférence consacrée à ces questions. Docteure en histoire de l’art de l’Université de Lausanne, elle a signé la première thèse consacrée à l’Art Brut. De 1987 à 2001, elle travaille en tant que journaliste culturelle à la Radio romande et est commissaire d’expositions indépendantes. Elle succède en 2001 à Michel Thévoz à la direction de la Collection de l’Art Brut à Lausanne et donne un nouveau souffle au musée, notamment en produisant des films documentaires sur les créateurs et en développant le programme destiné au jeune public. En décembre 2011, Lucienne Peiry quitte la direction de la Collection de l’Art Brut, elle est nommée directrice de la recherche et des relations internationales. Elle multiplie les projets pour rendre visible l’Art Brut à l’étranger, découvre des œuvres aux quatre coins du monde et développe les études sur les créateurs de la collection. Elle est l’auteure de diverses publications sur le sujet, en particulier de l’ouvrage de référence intitulé L’Art Brut paru chez Flammarion en 1997 (4 rééditions).