Pourquoi comparer deux ouvrages récents sur la gestion des risques d’inondation ?
La parution récente de deux ouvrages consacrés à la gestion des risques d’inondation offre la possibilité de comparer les avantages et les inconvénients des approches systémiques et non systémiques de la question. Ces deux ouvrages se recoupent en ce qu’ils portent sur un thème très voisin, puisqu’ils concernent soit exclusivement (dans le cas de l’ouvrage de Nadia Dupont) soit partiellement (dans le cas de celui de Graeme S. Cumming) la gestion des risques liés aux inondations à l’échelle de bassins-versants. Cumming a d’ailleurs eu l’occasion de développer encore plus cette thématique dans un article de synthèse, publié la même année que son ouvrage Spatial resilience in social-ecological systems. Chacune des démarches suivies par les différents auteurs impliqués est justifiée par des choix méthodologiques qui sont inhérents à leurs disciplines. De surcroît, Nadia Dupont coordonne un ouvrage pluridisciplinaire, alors que celui de G. S. Cumming cherche à promouvoir un courant de pensée issu de l’écologie, qui est celui des chercheurs du groupe resilience alliance (Gunderson et Holling, 2002 ; Walker et Salt, 2006). Ce groupe de chercheurs s’est fédéré autour des travaux de Holling (1973) : ses travaux sur les écosystèmes forestiers d’Amérique du Nord, transformés par l’exploitation du bois, ne sont pas sans rappeler l’histoire de l’écologie. L’un des fondateurs de cette discipline, Karl Möbius, a réfléchi sur les relations entre villes et environnements, en cherchant à interpréter un problème liant l’économie et l’écologie (Drouin, 1993). En se référant aux « systèmes socio-écologiques » (Walker et Salt, 2006, p. 164), Holling (1973), comme les chercheurs du groupe resilience alliance, confirmèrent ainsi le caractère très contestable du découplage entre les écosystèmes « naturels » et les sociétés humaines. Ils identifièrent surtout la résilience comme la capacité d’un système à conserver ses structures fondamentales en cas de perturbation.
L’intérêt de la comparaison nous paraît donc surtout porter sur le fait que les deux ouvrages mobilisent deux approches différentes, systémiques et non systémiques, pour traiter de problèmes similaires. La seule lecture des titres l’annonce : d’un côté semble dominer une approche classique, que certains nomment aléa centrée, de l’autre, une approche délibérément systémique. Que peut nous apprendre cette différence de choix méthodologique, qui semble majeure, au moins en première lecture ?
Dans les deux cas, la comparaison permet d’illustrer comment, quels que soient les choix de départ, nous retrouvons non seulement les limites dans les argumentaires, mais surtout leur complémentarité. Cela confirme bien qu’il s’agit de démarches complémentaires, et que, sur le fond, aucune des deux ne devrait ignorer la voisine, comme le rappelle d’ailleurs l’ancienne distinction entre les visions cartésiennes et pascaliennes du monde. De surcroît, ces limites ne sont pas sans incidence sur la récupération géopolitique possible des travaux qui sont menés, comme nous le verrons ci-dessous. Le recul critique sur les démarches et leurs limites nous paraît alors appartenir pleinement au domaine de la recherche universitaire. Là encore, une démarche comparative a l’avantage de plus faire ressortir ces différents conditionnements. Exposer les différences des démarches, leurs apports et leurs limites permet de faire ressortir leurs conditionnements géopolitiques et institutionnels au moins partiels.
De la lecture aléa centrée à la lecture proto-systémique.
L’ouvrage que coordonne Nadia Dupont mobilise avant tout les apports de plusieurs disciplines à l’interprétation des inondations concernant le bassin-versant de la Vilaine. Cinq au moins de ces disciplines sont présentes ici, même si la contribution de l’histoire est manifestement majeure. On vérifie assez rapidement, et de manière classique, que les approches de sociologues ou de psychologues de l’environnement, telles que celles de Coanus et alii (2004), peuvent présenter des différences d’angle d’attaque substantielles avec celles de certains géographes, tout particulièrement s’ils viennent de la géographie physique, ce qui souligne leurs affinités avec les géologues. Travailler sur les risques liés aux inondations en centrant sur les processus physiques incite à moins prendre en compte, voire à ne pas prendre en compte, que ces processus physiques interagissent, coévoluent, avec les peuplements humains. Certaines formules ne trompent pas, en particulier celles qui dissocient l’aléa de la société, dans une approche qui est aujourd’hui officiellement souvent décriée, mais qui persiste dans les têtes comme dans les écrits. On voit apparaître à la fois dans cet ouvrage une approche aujourd’hui dite aléa centrée, de facture plus ou moins explicitement naturaliste : « agir face à la menace c’est en premier lieu identifier le risque présent et notamment l’aléa » (p. 12), mais également des références « aux interactions » (p. 226) entre le cours d’eau et des aménagements dont on ne peut ignorer ce qu’ils doivent aux choix des sociétés humaines. La distorsion est d’ailleurs exposée, très explicitement, par les apports des historiens : « la forte demande d’entretien des cours d’eau est en contradiction avec la perception de l’inondation comme le fruit du débordement naturel des eaux lors d’une crue » (pp. 114-115).
Ce problème n’est pas nouveau, il a été déjà abordé à de nombreuses reprises (Morin, 1977 ; Pigeon, 1994, 2005 ; Gilbert, 2009). Il est enraciné dans les choix méthodologiques comme les histoires des différentes disciplines, et, surtout, il n’est pas sans implication politique. Là encore, on ne manque pas d’efforts de réflexion sur les relations entre les recherches de responsabilités et l’affirmation institutionnelle de la naturalité, qui s’appuie plus ou moins clairement sur l’approche aléa centrée. Cela donne une tonalité particulière aux phrases que nous avons lues :
Inscrire les politiques de gestion dans un espace propre à la circulation de l’eau peut favoriser la compréhension des phénomènes naturels par l’ensemble des personnes concernées. Ainsi l’identification de l’espace bassin-versant comme un espace de gestion associé à un acteur propre (l’iav) conforte la naturalité des inondations par les acteurs institutionnels (pp. 92-93).
La lecture naturaliste des risques est portée par une vision qui prétend que la « crise est produite par l’événement naturel » (p. 10), dissuadant, au moins potentiellement, les recherches de responsabilités. Elle repose sur la définition du risque par la « rencontre d’un phénomène dangereux (que l’on nomme souvent l’aléa) et d’un certain nombre d’enjeux humains » (p. 7), dans une démarche qui suppose l’absence de relations entre les processus physiques (l’aléa) et les enjeux avant la reconnaissance officielle des dommages. Certes, les recherches récentes sur le changement climatique poussent à reconnaître la capacité humaine à anthropiser les processus physiques à échelle planétaire. Les représentations du Groupe International des Experts du Climat (reprises par Pigeon, 2012, par exemple,) le montrent explicitement, et les travaux sur les hydrosystèmes, notamment ceux menés par Jean-Paul Bravard, démontrent combien la contribution de la géographie physique à l’étude des risques ne se limite pas à une lecture purement aléa centrée. Il n’en reste pas moins que les modèles dominants, notamment dans la bibliographie anglo-saxonne sur les risques, tels ceux que développent Wisner et alii (2007), continuent à dissocier très explicitement l’aléa de la vulnérabilité. Une preuve édifiante en est fournie par la représentation du modèle Pressure and Release (par) (Wisner et alii, 2007, p. 89) : elle n’indique qu’une relation simple de cause à effet entre l’aléa et la vulnérabilité au moment d’un désastre, et aucune relation antérieure avant la réalisation de cet événement. Pourtant, ces auteurs ne sont pas nécessairement issus de la géomorphologie ou de la climatologie.
Les représentations continuent à survaloriser ainsi certains facteurs qui, contribuant aux inondations et aux dommages associés, peuvent éventuellement être qualifiés de naturels, en ce sens où ils influent sur les sociétés humaines sans pouvoir être transformés en retour. Nadia Dupont mentionne ainsi la « présence massive des schistes briovériens » (p. 17) qui influent sur les conditions de l’écoulement, notamment en rapport avec la « faiblesse du stockage souterrain » (p. 24). Mais il ne peut s’agir que d’une partie des facteurs qui contribuent à expliquer les dommages observés. En déduire, implicitement ou pas, que la nature continuerait à contraindre les sociétés humaines présumées passives, selon une démarche qui tend à réduire l’interprétation des dommages à une simple relation entre cause (aléa) et effet (l’enjeu affecté), demeure aussi classique que contestable. Du reste, la contestation de la naturalité est justifiée par la reconnaissance des travaux pluriséculaires aménageant le cours d’eau et à plusieurs échelles, concernant ici le bassin-versant de la Vilaine. Ils concernent alors « un territoire en tant que système d’acteurs où s’emboîtent différentes échelles de gestion » (p. 11). L’aléa est alors intégré à ce système, il en devient l’un des facteurs qui interagit, au moins en partie, avec d’autres. Et nous trouvons aussi cette lecture-là dans l’ouvrage que coordonne Nadia Dupont.
Une approche potentiellement systémique est donc aussi esquissée par une partie des auteurs de ce livre. Notamment, à partir des multiples témoignages historiques, qui prouvent l’ancienneté de l’anthropisation concernant l’écoulement de la Vilaine et de ses affluents. Le livre que coordonne Nadia Dupont mobilise de nombreux plans et cartes qui fournissent le même message. Ils attirent d’abord l’attention sur les enjeux associés aux usages multiples, souvent conflictuels, de l’eau. La plurifactorialité est alors forcément reconnue par le biais de la « diversité des enjeux, des attentes des différents acteurs » (p. 9). C’est ici que l’on trouve les pages qui incitent certainement le plus à la réflexion dans ce livre, par exemple en ce qui concerne les transferts involontaires de risques. Sont ainsi développés les liens partiels entre les inondations et la construction de nouveaux quartiers de Rennes sur le lit majeur de la Vilaine à la suite de l’incendie de 1720 : cette construction modifie les conditions de l’écoulement des eaux, et donc aussi les dommages associés aux inondations. Apparaissent également des rétroactions : « l’urbanisation engendre donc une demande de protection des habitants qui devient une évidence » (p. 138), et on ne tarde pas à voir mentionnées les limites des travaux de protection : « la présence de digues protégeant des terrains non habités est remise en cause » (p. 176).
Il nous paraît donc utile d’attirer l’attention du lecteur sur ce que peuvent nous apprendre les archives que mobilisent ici les chercheurs historiens. Ces derniers sont d’ailleurs frappés par l’ancienneté des problématiques pourtant actuelles, en particulier en ce qui concerne les difficultés de « limiter l’urbanisation dans les zones inondables » (pp. 176-181). Même si ce bilan ne doit pas pousser à l’anachronisme, on peut admettre que « les travaux de protection des zones urbanisées apparaissent comme une lutte sans fin contre les inondations de la Vilaine » (p. 180). Et que, dans ces conditions : « l’identification du risque sur un territoire doit intégrer cette dynamique » (p. 227). On rejoint ici, au moins en partie, les réflexions de November (2010) sur le territoire, comme les efforts de formalisation de ces dynamiques, cette fois explicitement systémiques, qui ont pu être proposés déjà ailleurs (Dupont et Pigeon, 2008 ; Lopez et Pigeon, 2011). On peut également mieux comprendre pourquoi, à rebours de ce qui est habituellement présenté, les bilans des historiens incitent à remettre en question, au moins à échelle locale, l’hypothèse généralement admise, sans grand recul critique, d’une augmentation actuelle de la vulnérabilité. On lit « si les sommes déclarées sont aujourd’hui beaucoup plus importantes quel que soit le secteur considéré, il n’est pas certain que la vulnérabilité économique globale soit plus forte, bien au contraire « (p. 75).
Au final, le livre que coordonne Nadia Dupont semble inciter à des lectures systémiques, qui, certes, sont abordées, mais très incidemment, et très rarement en se présentant comme telles. Cela ne réduit pas l’intérêt des apports de ce livre à la compréhension des risques liés aux inondations.
Les avantages et les conditionnements de l’approche systémique: la résilience et la panarchie.
On pourrait donc espérer trouver dans le livre de Graeme S. Cumming un complément à ces approches disciplinaires qui peuvent apparaître plus classiques. En effet, cet ouvrage est délibérément voué à la promotion des socio-écosystèmes. On en attend de mieux comprendre, et de mieux gérer aussi, les risques notamment associés aux bassins-versants des cours d’eau. Une phrase présente clairement le défi : « the feedback from human action to the environment, and from the environment back to human action, lies at the heart of socio-economic system theory and represents its primary domain » (p. 36). Ces rétroactions engagent plusieurs groupes de paramètres ou systèmes qui coévoluent à plusieurs échelles. Les historiens qui participent au livre de Nadia Dupont sur la gestion des risques liés aux inondations dans le bassin-versant de la Vilaine, proposent la même interprétation sur la durée historique. Mais, dans le livre de Graeme S. Cumming, l’anthropisation des écosystèmes, à différentes échelles, et leurs coévolutions sont immédiatement reconnues.
De plus, l’approche systémique permet de mieux éclairer l’une des questions que se posent les auteurs que regroupe Nadia Dupont, et que nous avons mentionnée plus haut. Comment comprendre que « la valeur économique des dégâts a fortement augmenté » (pp. 78-79) alors que « la capacité des individus à faire face et à survivre à l’inondation semble plus forte » (ibid.) ? Cette question, envisagée à l’échelle purement locale, recoupe celle, paradoxale, qui est posée par l’augmentation statistique des catastrophes à l’échelle mondiale, alors que l’urbanisation ne s’est pourtant jamais autant intensifiée qu’au cours du siècle passé (Pigeon, 2012). Elle nous pousse à admettre que l’urbanisation à la fois favorise la vulnérabilité et des mesures qui cherchent à contrer son augmentation, notamment en mobilisant toujours plus d’acteurs politiques à différentes échelles. Formulé selon l’approche que défend Graeme S. Cumming, l’urbanisation a la capacité de produire essentiellement les conditions de son intensification, tout en conservant ses structures fondamentales. Et ce sont les limites des politiques qui anticipent les futurs dommages, sans jamais pouvoir totalement les éliminer, qui constituent l’un des moteurs principaux de cette intensification, paradoxale en première lecture.
Nous trouvons ici l’intérêt de la notion de résilience. Elle est définie comme « a convenient general concept that captures something important about the ability of a complex system to persist » (p. 13) ; la notion désigne « [a] dynamic capacity to cope with disturbance » (p. 21). La résilience définit alors tout ce qui permet de prévenir les catastrophes, dans un sens très voisin de celui que l’unisdr (2005) promeut. On retrouve ici les définitions de base que proposent les chercheurs de resilience alliance pour définir la résilience, par exemple chez Walker et Salt (2006) : « Resilience is the capacity of a system to absorb disturbance ; to undergo change and still retain essentially the same function, structure and feedbacks » (p. 32). Autrement formulé, cela nous permet de comprendre pourquoi, malgré le fait que l’urbanisation augmente au moins mécaniquement les pertes en cas de survenue d’un événement, comme cela devrait être le cas notamment à Rennes, ces pertes soient relativisées, compensées, et, en partie, anticipées par les politiques mises en œuvre. Aucune politique de prévention des risques ne permet d’éliminer les dommages liés aux inondations, ce qui est a posteriori démontré par les apports des historiens comme des géographes à la question. Mais, malgré leurs limites, que la lecture systémique permet de mieux comprendre, ces politiques contribuent à réduire l’intensité des dommages, à éviter les catastrophes. Et elles contribuent à expliquer que les peuplements puissent conserver essentiellement leurs structures fondamentales tout en s’intensifiant. Dans ce mode de pensée, qui dépasse alors très clairement les seuls risques associés aux inondations, le dommage, tout comme la fragmentation qu’aborde Cumming, sont donc à la fois résultats et facteurs des processus sociaux : « physical fragmentation is both a frequent driver and a frequent consequence of social dynamics » (p. 186). Ils deviennent des moteurs d’évolution et même d’intensification de l’urbanisation, précisément parce que les politiques qui cherchent à anticiper les dommages sont aussi nécessaires que nécessairement limitées.
On pourra également mentionner l’intérêt que représente la panarchie pour la compréhension et la gestion des risques. Cumming, à la suite des chercheurs de resilience alliance, la définit comme ce qui décrit des « socio-ecological systems as composed of a series of interconnected adaptive cycles at different scales » (p. 38). L’intérêt de la notion est qu’elle attire l’attention sur les transferts de ressources entre différents systèmes, envisagés par exemple sous forme de groupes d’acteurs impliqués dans la gestion des inondations à différentes échelles. Cela nous permet de présenter différemment la gestion des risques associés aux inondations. Ils sont alors liés à des systèmes d’acteurs, qui à la fois favorisent des transferts de ressources en espérant réduire les intensités des dommages, mais provoquent aussi des conflits, notamment autour de l’acceptation des outils liés à la prévention des risques, comme les Plans de Prévention des Risques d’Inondations (ppri). Passer par la panarchie, qui permet de représenter les différents acteurs institutionnels engagés à différentes échelles dans la gestion des risques d’inondation, serait aussi un moyen de répondre à l’un des besoins que souligne Nadia Dupont : « cette discordance entre le vécu admis par les habitants et le zonage réglementaire milite en faveur d’une communication précise sur les objectifs des documents de type ppri » (p. 47). On espère ainsi augmenter leur acceptation, et aussi revenir sur « la non intégration du risque dans l’aménagement et dans les choix de développement d’un territoire » (p. 225), qui est « ancienne » (ibid.). Cette affirmation, qui est quand même sévère (car il existe bien des ouvrages de correction et des zonages qui contribuent à modifier tant l’écoulement que les peuplements), aborde en fait une question aussi classique que fondamentale, celle des difficultés que pose la gestion d’un risque particulier, ici lié aux inondations, dans l’absolu. Quel risque pour qui ? Telle est la question qui devrait d’abord être envisagée, là encore quel que soit le type de risque initialement envisagé. Et, pour la poser, encore faut-il pouvoir raisonner en mobilisant la plurifactorialité, comme le font, du reste, les chercheurs qui défendent l’approche socio-écosystémique. Est-ce à dire que la solution systémique serait sans défaut ? Comme tout choix, celui-ci est limité, et il peut être tout aussi bien le vecteur de défenses d’institution.
Graeme S. Cumming mentionne lui-même que la résilience ne peut en aucun cas désigner un absolu permettant d’éviter toute catastrophe : « systems may become locked in to regimes that are undesirable from a human perspective » (p. 17). Un point de vue qui tempère considérablement l’approche qu’en donnent certaines institutions, comme l’unisdr (2005), qui voient volontiers la résilience comme l’inverse de la catastrophe.
Du reste, la même institution réutilise la résilience en insistant sur la capacité des systèmes locaux à conserver leurs structures fondamentales en cas de perturbation. Cette prédilection pour les systèmes locaux, assimilés aux communautés locales, apparaît explicitement sur la page de couverture du livre de Walker et Salt (2006) : « how can […] communities absorb disturbance and maintain function ? ». Cette approche, que développe également le livre de Graeme S.Cumming, privilégie l’échelle locale, avec l’idée de s’appuyer sur la mobilisation des communautés locales pour prévenir les catastrophes. On voit alors clairement poindre la contestation, néolibérale, du recours aux systèmes à plus petite échelle, notamment nationale, et la remise en cause de la pertinence des politiques publiques que mènent les États afin de prévenir les catastrophes. Ce qui est bien entendu très peu cohérent avec la notion de panarchie. Mais, comme chacun peut le constater, la notion de résilience obtient bien plus de succès institutionnel dans les instances internationales que la notion de panarchie. Est-ce un hasard ?
En troisième lieu se pose la question classique du choix des éléments qui sont retenus par l’analyse systémique, et qui conditionnent les résultats, quand bien même il ne s’agit pas d’un problème spécifique à ce type d’approche. Comme le souligne Cumming : « the system description simplifies the complexity of the real world to capture key aspects of interest » (p. 37). Comment justifier les aspects fondamentaux retenus ?
Au final, on voit combien les démarches systémiques et non systémiques concernant la gestion des risques associés aux inondations sont plus complémentaires qu’opposées. Il est donc regrettable qu’elles soient fréquemment dissociées ou inégalement développées, si ce n’est même considérées comme incompatibles, alors qu’on gagnerait à leur complémentarité. On remarquera combien, pour des raisons de commodité, d’habitude de pensée, ce sont les approches non systémiques qui dominent encore aujourd’hui. Tout particulièrement dans les représentations graphiques des modèles. On reconnaît pourtant les capacités des sociétés humaines à coévoluer avec leurs environnements, à toutes les échelles : cette capacité à l’auto-organisation pose des problèmes de gestion et de compréhension qui justifient plus le recours aux démarches systémiques. Dans les deux cas, toutefois, la comparaison de ces approches permet d’attirer l’attention sur les conditionnements institutionnels et géopolitiques qui sont associés à leurs mobilisations inégales par les différents chercheurs.