Réaction d’Hervé Le Bras.
En jugeant une carte publiée par Ouest-France, Loïc Rivault estime qu’elle est insuffisante parce qu’elle rapporte le nombre d’infirmiers à la population totale. « En effet il faudrait diviser le nombre d’infirmières par rapport aux plus de soixante ou soixante-quinze ans et non à la population totale. Les écarts seraient alors certainement moins importants, car les départements en marrons foncé et clair sont ceux où les personnes âgées sont les plus nombreuses » estime L. Rivault. Ce jugement est incorrect. En effet, si l’on divise le nombre d’infirmiers par la population âgée de plus de 60 ans, on obtient quasiment la même carte comme on peut le vérifier ci-dessous où l’on a retenu les mêmes conventions pour les deux cartes (la corrélation entre les deux est de 0,942).
Ceci s’explique aisément : la proportion de personnes âgées a un coefficient de variation beaucoup plus faible que la proportion d’infirmiers. Quand on divise une variable par une autre, celle qui impose son classement (donc sa carte) est celle qui a le plus fort coefficient de variation. Les géographes connaissent bien cette propriété et sans doute aussi les journalistes d’Ouest-France qui ont eu raison de ne pas diviser par le nombre de personnes âgées comme le recommande L. Rivault car cela n’apporte aucune information supplémentaire tout en introduisant une hypothèse supplémentaire (les infirmiers soigneraient les personnes âgées, ce qui est peut-être juste d’ailleurs mais inutile en l’occurrence). En traçant la carte de la proportion de personnes âgées en 2006 (avec les données Insee des enquêtes de recensement), on constate qu’elle ne correspond pas bien à celle de la proportion d’infirmiers (r=0,556 soit 30% de variance « expliquée »). On voit aussi que, contrairement à ce qui est affirmé, des départements « en marron » ont une proportion de personnes âgées voisine de la moyenne : Bouches du Rhône, Gard, Hérault, Finistère par exemple.
Deux autres remarques : L. Rivault recommande de passer à une autre échelle, cantonale notamment pour différencier les zones rurales et urbaines. Il écrit que « Ces cartes existent, on peut les consulter sur le site de l’Union Régionale des Caisses d’Assurance Maladie de Bretagne par exemple ». En fait, sur le site en question, on ne trouve une telle carte que pour la Lorraine (la caisse bretonne l’a empruntée à la caisse lorraine), ce qui limite la portée de la remarque et d’autre part, la différence entre cantons urbains et ruraux n’y est pas nette. Ajoutons que les géographes savent que des causes différentes agissent souvent à des échelles différentes ce qui ne permet pas de privilégier une échelle sur une autre. En conclusion, il n’y a pas d’analyse sérieuse de ces cartes puisque le rôle des personnes âgées puis celui des différences urbain/rural vient d’être minimisé. Avant de chercher la paille dans l’œil du voisin, la sagesse populaire recommande de regarder la poutre dans le sien.
Réponse de Loïc Rivault.
Le raisonnement d’Hervé le Bras est juste et sa critique très constructive. Je souhaite donc poursuivre dans ce sens et parler d’un ou deux points concernant son travail.
Mon raisonnement ne portait pas sur la carte qui est pertinente mais sur l’utilisation de cette carte et notamment sur les écarts entre départements. Ce rapport entre minimum et maximum est une des mesures de dispersion (avec la variance et l’écart type…) qui permet de mieux comprendre la série statistique cartographiée. Sur la carte de gauche en prenant le nombre d’infirmières par rapport à la population totale les écarts entre départements sont important : de 1 à 8 entre les deux extrêmes (37,28 pour la Seine St Denis et 307,77 pour la Corse du sud). Sur la carte de droite d’Hervé Le Bras, il n’y a pas de légende et donc il n’y a pas moyen de voir si les écarts entre départements ont diminué ou pas !
J’ai refait la carte (voir ci-dessous) et cette fois, si on prend la variable du nombre d’infirmières par rapport aux plus de soixante ans, les écarts sont seulement de 1 à 5 pour mille (4,95 exactement) entre le plus faible et le plus fort, à savoir 2,49 pour la Nièvre et 12,32 pour la Corse du Sud. Dans le premier article j’indiquais : « il faudrait diviser le nombre d’infirmières par rapport aux plus de soixante ou soixante-quinze ans et non à la population totale. Les écarts seraient alors certainement moins importants ». C’est bien le cas et cela ne change que partiellement la répartition du phénomène. On voit donc qu’avec une autre variable les écarts seraient seulement de 5 et donc les inégalités spatiales seraient peut être moins criantes… et la mise en avant de ces inégalités spatiales pour justifier les nouvelles mesures deviendrait moins urgente…
Carte retravaillée par Loïc Rivault (octobre 2008), incluant les légendes. Les écarts se resserrent entre les départements.
À travers cet exemple et grâce à la carte d’Hervé Le Bras, il ressort qu’il ne faut pas oublier les fondamentaux d’une discipline. Quand on fait une carte, il faut penser au « Tole » (Titre, Orientation, Légende, Echelle), la légende permettant de vérifier le travail scientifique du cartographe…
En septembre sur le site de l’Union Régionale des Caisses d’Assurance Maladie de Bretagne il y avait les cartes de Bretagne… elles semblent avoir effectivement disparu…