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Résumé | Bibliographie | Notes

Sérendipité.

Autogéobiographie.

L’enquête dont rend compte ce texte consiste à approcher par la construction d’une cartographie systématique des spatialités mesurables, d’échelle biographique, d’un individu. Cet individu se trouvant être le chercheur, une discussion préliminaire sur la pertinence d’une telle autocartographie s’avère nécessaire.

À partir des cartes ainsi obtenues, il s’est alors agi de construire des analyses sur ce cas singulier en essayant de les rendre transférables à n’importe quel autre cas. Enfin, des questionnements généraux sur ce que nous dit des habitants la longue durée de leur trajectoire spatiale sont proposés, en tirant partie à la fois de la banalité et de l’unicité du cas étudié.

Ce travail possède donc une forte composante descriptive. Comme toute description, il utilise inévitablement des cadres de pensée préexistants, et notamment des catégories permettant de découper les réalités étudiées. Cependant, ce qui caractérise ce type d’approche, ce sont les dispositifs qui permettent le mieux de se laisser déranger par le réel. Cela suppose de ne pas chercher à étalonner les données sur la base d’études portant sur des objets comparables mais distincts et, au contraire, de créer des « catégories d’accueil » de ces données inédites qui soient suffisamment ouvertes pour que le surprenant et l’étrange puissent se faire une place. C’est d’autant plus nécessaire lorsque le chercheur et l’habitant ne font qu’un et que des biais spécifiques pourraient affecter la construction et le traitement de ces données.

Le singulier par le banal.

Dans une société d’individus (Elias 1992), les moyennes cessent d’être l’approximation statistique de l’Idealtyp (Weber 1922), autrement dit l’expression acceptable d’un modèle théorique. Nous sortons des configurations sociales dans lesquelles un cas observé directement ou résumant, par le biais d’une opération mathématique, un grand nombre de situations pourrait être représentatif de l’ensemble.

Nous devons nous habituer à aborder des réalités sociales singulières, à toutes échelles. C’est vrai pour n’importe quel objet d’étude, de l’individu à la société. Dans la dimension spatiale du social, les spatialités, c’est-à-dire le monde de l’action, méritent ainsi d’être regardées comme un ensemble de réalités uniques qu’on perdrait beaucoup à réduire à un ou à un petit nombre de « types ». Les cartes de ces identités exigent un travail d’un nouveau genre (Calbérac et al. 2019). La géobiographie se concentre sur les spatialités considérées à l’échelle de la vie entière d’un individu.

Considérer que nous avons affaire à des objets singuliers n’implique pas de renoncer à penser ces objets ensemble.  Nous pouvons approcher ces constellations, avec leurs ressemblances et leurs différences. Simplement, nous renonçons au mythe d’un « homme moyen » dont les humains réels s’écarteraient plus ou moins.

Au contraire, nous partons d’une dispersion initiale de l’information et nous acceptons de construire une théorie qui en rende compte. Ce ne sera pas une théorie stochastique : les phénomènes sociaux se déploient à l’intérieur de collectifs, d’organisations, d’institutions et surtout de sociétés, qui constituent les environnements des agirs individuels et l’influencent fortement comme ils sont à leur tour influencés par eux (Lévy 2021), et tout cela produit des cadres communs, des ressemblances et des convergences.

Par ailleurs, le monde social n’est pas constitué de mouvements aléatoires. Lorsque l’on s’intéresse à la trajectoire d’un individu, il faut donc s’attendre, d’une part, à des logiques qui modèlent cette trajectoire et à des relations fortes entre ces logiques et celles des environnements dans lesquels agit cet individu. Autrement dit, les individus ne sont pas réductibles à un modèle unique ou à un petit nombre de modèles qui seraient déduits d’un principe d’organisation simple, comme des « structures » sociales homéostatiques ou des constantes naturelles qui piloteraient des opérateurs réduits à l’état d’agent. Le paradigme de l’acteur part au contraire de l’idée que les individus humains peuvent se construire une autonomie significative au sein de l’environnement préexistant et contraignant d’une société, y compris à l’échelle stratégique, qui pourra être approchée empiriquement dans l’analyse biographique.

Cela signifie aussi que, même si le cas étudié est peu représenté, son intérêt reste intact pour penser les outils descriptifs et explicatifs qui pourront s’appliquer à d’autres cas. Ses spécificités peuvent même constituer une ressource pour repérer des processus qui sont moins caractérisés et donc moins visibles chez d’autres. Dans l’esprit de divers types de travaux qui se démarquent du structuralisme, l’intérêt pour le singulier ne doit pas être vu comme un renoncement à des constructions théoriques amples, mais comme une approche plus rigoureuse pour y parvenir.

Pour toutes ces raisons, la singularité doit être vu comme le contraire de la généricité mais pas de la banalité. Beaucoup des actes effectués par les individus contemporains sont banals, en ce qu’ils relèvent de catégories descriptives simples et pertinentes pour tous. Dans la recherche sur cinq cents jours de spatialités personnelles (Lévy 2019), que cette enquête prolonge à certains égards, j’avais limité la mesure à des typologies élémentaires de lieux fréquentés (domicile, travail, privé/public, fixe/mobile). Il suffisait de dénombrer et de localiser ces différentes activités spatiales pour construire un profil géographique qui montrait des spécificités très marquées. Dans la recherche biographique présentée ici, les cadres proposés (voir plus loin) se limitent à expliciter la notion de lieu, à un classement des durées de séjour et à un découpage biographique à la fois cardinal (définition de seuils temporels permettant de distinguer différentes périodes) et ordinal (calcul des présences cumulées dans un lieu). Or, comme on le verra par les résultats obtenus, cette étape simple suffit à donner une idée assez précise du profil biographique de l’individu étudié, d’en identifier certains traits singuliers et même de proposer des principes et des notions applicables à un grand nombre d’autres individus.

Individualité et objectivité.

Ce travail est réalisé par un chercheur, Jacques Lévy, qui est l’auteur de cet article et un cartographe, Sébastien Piantoni, qui a réalisé les cartes. Il porte sur un individu, Jacques Lévy (nommé dans la suite JL). Le fait qu’on retrouve la même personne dans deux fonctions pose un problème : peut-on mener dans des conditions raisonnables une recherche à visée scientifique sur soi-même ?

Autant les autocartographies de la courte durée ont eu du succès dans les arts plastiques (Lévy 2019), autant lorsqu’on passe à l’échelle biographique, c’est plutôt la littérature qui répond présent. L’autobiogeography (Wolf-Meyer et Heckman 2002) est devenu un genre littéraire, une branche ou une composante de l’autobiographie où fiction et documentaire se combinent dans un registre avant tout esthétique. Les « topologies of the self » (Regard 2003) sont analysées à partir d’un corpus d’autobiographies de personnalités de différentes époques qui possèdent toujours une dimension littéraire marquée.

La cartographie autobiographique apparaît aussi comme une famille d’exercices didactiques menés à différentes étapes de la formation en s’inspirant de la « carte mentale » (Lynch 1960), qui a pour but d’explorer la dimension affective de la personnalité géographique d’un individu. Peter Gould et Rodney White (1986) ont décalé l’approche de Kevin Lynch en partant de cartes dessinées par des individus puis en les « traduisant », c’est-à-dire en les géoréférençant après coup. Cela permet à l’observateur d’identifier les écarts entre carte « mentale » et carte « normale » pour faire ressortir les « déformations » du réel qu’engendreraient la mémoire, l’imaginaire et les biais politiques ou esthétiques. Dans tous ces cas, la géographie dont rend compte la carte est définie comme subjective et autoréférentielle.

Inversement, le travail auquel je me suis livré a pour principe une autoanalyse à visée objective portant sur soi-même, grâce à des méthodes et des techniques disposant d’une pertinence extérieure au sujet.

Reconnaissons qu’il n’existe pas de consensus sur la possibilité d’une autonomie cognitive au sein de l’univers psychique d’un individu. Il existe plusieurs courants qui mettent en cause les compétences de réflexivité – ce qu’on appelait traditionnellement la « conscience ». La psychanalyse freudienne fait du moi conscient un champ de bataille entre deux forces (les pulsions biologiques et les normes sociales) qui dominent l’Inconscient. Les travaux des neurosciences ont surtout affirmé que c’est le « cerveau » (et non l’individu) qui développe une vision stratégique organisée tandis que l’« être humain » ou le « sujet » seraient la proie de leurs émotions. Les tentatives de sortir du dualisme cognitif/affectif (Damasio 1995) par l’analyse du système nerveux confirment que les porosités entre les deux domaines existent mais non que l’autonomie de chacun d’entre eux soit inexistante.

Ce qu’on peut observer de la dynamique de l’individu dans les sociétés contemporaines, c’est que son émergence comme acteur s’accompagne de l’autonomie en son sein de ses différentes composantes psychiques : autonomie de l’action rationnelle, de l’action esthétique, des orientations éthico-politiques et des relations affectives interpersonnelles. C’était moins le cas lorsque les agents individuels encadrés par leur communauté n’étaient pas en situation de construire directement des interfaces avec le reste du monde social tant ils étaient contraints par des médiations obligatoires : castes ou ordres, religion, tradition… Désormais, ce sont les découpages que la société définit justement, ceux qui distinguent le cognitif de l’affectif et l’objectif du subjectif, qui s’imposent à celui qui veut se voir reconnaître une place en son sein. Ces découpages distinguent tendanciellement des « sphères » de pertinence (Walzer 1997) qui sont partie intégrante d’une société « ouverte ». Par contraste, la fongibilité d’un genre dans l’autre (par exemple entre la science et l’art ou entre les sentiments personnels et les choix politiques) est vue comme antithétique avec les principes de respect d’autrui, d’évaluabilité et d’égalité. Et de fait, la compétence stratégique et la réflexivité argumentative, qui sont au fondement de la possibilité d’une composante cognitif-objectif de l’action humaine relativement protégées de ses autres composantes sont caractéristiques de l’individu contemporain. L’autonomie affective est aussi une caractéristique de cette émergence, mais cela ne veut pas dire que l’une se fonde dans l’autre. Les visions unitaires du type « tout est dans tout et réciproquement » apparaissent stimulantes mais appauvrissantes au regard de ce qu’on peut observer des individus contemporains.

Dans cette perspective, quatre principes permettent de définir la démarche adoptée ici.

  1. Étudier l’individu peut se faire dans une perspective d’objectivité comme pour n’importe quel objet de recherche. Dans le monde social, il y a toujours du subjectif (dans l’univers cognitif comme dans l’univers affectif) et le travail du chercheur consiste à construire de l’objectif sur n’importe quel objet.
  2. Par ailleurs, chaque individu est capable de connaissances objectives tout autant que d’esthétique, d’éthique ou de sentiments. Il n’y a pas de raison d’associer individu et absence d’objectivité.
  3. Un individu possède sur lui-même des connaissances exclusives et constitue donc une source d’information difficilement substituables par d’autres.
  4. Demander à un individu de rendre compte aussi objectivement que possible de ce qu’il fait pose des problèmes spécifiques (le risque de « conflit d’intérêt » entre différentes sphères de sa personnalité), mais ces problèmes ne sont pas pour autant sans solution.

Une cartographie descriptive.

Toute description suppose de définir des cadres extérieurs et préalables à la description, qui permettent de ranger les données collectées et les rendre ainsi utilisables pour l’analyse et l’interprétation. Dans le cas de cette recherche, pour laquelle il n’était pas facile de se caler sur les acquis d’un état de l’art, il a été considéré qu’un cadre lâche, peu restrictif sur les découvertes possibles était la meilleure option.

Il a donc été décidé de cartographier des couples lieux/instants à deux échelles spatiales, celle du pays (États ou espaces disjoints, tels que les territoires dépendants ou les îles) et celle de la localité. Les informations ont été classées selon la position dans un temps conventionnel (en années), la durée des séjours, et le cumul en nombre et en durée. Ces informations simples n’étaient pas l’objet d’une coloration ou d’une hiérarchisation effectuée par JL. Ces mesures quantitatives élémentaires étaient destinées à faciliter les comparaisons avec d’autres géobiographies.

Cela s’applique au statut des lieux : les lieux de vie les plus présents sont traités comme les autres et peuvent leur être comparés sur la base des temps de séjour.

Ces informations peuvent donc être recueillies sans crainte excessive de biais. C’est d’autant plus vrai que leur collecte ne recourt que marginalement à l’anamnèse personnelle de la biographie étudiée. La grande majorité de ces informations provient de sources à visée pratique (agendas, CV, références de photographies… fournis par JL) sur lesquels l’intéressé n’a plus prise et donc relativement peu sujettes à des biais significatifs et orientés. Le croisement de ces sources permet un travail d’archives robuste.

Enfin, la possibilité de géolocaliser aisément des toponymes et de construire un tableau de données transformable en langage cartographique rend le temps de traitement raisonnable. Dans notre cas, même si quelques oublis sont probables (évalués à ≤1%) et si quelques inexactitudes de différents ordres (≤5‰) ou pures inventions (≤1‰) ne peuvent être exclues, on a dans l’ensemble affaire à un jeu de données solide. Il en résulte deux tableaux de données, qui seront à disposition des lecteurs intéressés sur simple demande.

Enfin, on peut critiquer le choix d’avoir procédé à une territorialisation automatique des localités : les séjours dans les différentes localisations au sein d’une aire urbaine, telle qu’elle a été constituée par les pratiques de l’individu, sont traités comme relevant d’un lieu unique. La prise en compte de toutes les unités spatiales avec un seuil de séjour de quelques minutes, qui avaient fait l’objet de l’étude portant sur cinq cents jours de spatialités (Lévy 2019), fait ici défaut, en partie pour des raisons d’accessibilité : la collecte d’informations portant sur l’ensemble des déplacements internes à une agglomération aurait été impossible à réaliser sérieusement sur des périodes anciennes de la vie de JL. La méthode adoptée est également cohérente avec des raisons de principe : la société locale n’est pas seulement l’agrégation de localisations ou de quartiers mais constitue bien une unité pertinente. Les deux approches, locales et infra-locales, apparaissent donc comme complémentaires. Dans le cadre de cette recherche, les seules informations infra-locales retenues sont les résidences principales internes à une aire urbaine au titre de leur signification générale sur la trajectoire biographique. Les principales mobilités, qui génèrent des lieux mobiles de séjour ont été incluses (Cartes 5 et 6).

Au-delà des commentaires qui suivent, on peut considérer que le dossier de cartes offre des ressources interprétatives suffisamment ouvertes pour qu’on puisse le considérer comme une source indépendante. Il comporte treize cartes résumant le travail de description des spatialités et constituant à son tour un corpus dont l’interprétation peut tirer avantage du langage cartographique

Des spatialités lisibles.

La recherche portait sur les 70 premières années (octobre 1952-octobre 2022) de spatialités de JL. Le nombre des lieux fréquentés est d’environ 130 pays et 1500 localités.

Approche synthétique.

Les six premières cartes (Figures 1 à 6) répondent à une approche synthétique, synchronico-diachronique. Elles présentent les pays ou les localités fréquentés, selon un langage euclidien ou d’un cartogramme-population, en modulant les figurés selon la présence cumulée et le moment de premier séjour.

On aurait pu se fonder sur un découpage déterminé par l’âge « d’état-civil » en créant des classes d’égale durée en années ou en reprenant les découpages habituels du « cycle de vie » (enfance, adolescence…). La périodisation adoptée conserve l’idée d’un découpage indépendant de la série de données, afin de rendre plus facile les comparaisons avec d’autres cas. Cela se traduit par un nombre significatif de classes et une facile identification des moments les plus évidents comme la petite enfance et l’entrée dans la vie professionnelle.

La périodisation se laisse néanmoins inspirer par les inflexions biographiques telles que se les représente JL (degré d’autonomie, choix professionnels, choix de vie), ce qui a pour conséquence de détailler les premières périodes (trois classes se partagent les trente premières années) et de laisser unie une longue classe, la dernière entre 2000 et 2022 où, selon JL (voir ci-dessous), confirmé par les données, la continuité l’emporte.

  1. 1952-1959 : dépendance totale vis-à-vis des choix de la famille ;
  2. 1960-1969 : choix familiaux partiellement influencés par les attentes de l’individu (enfant et adolescent) ;
  3. 1970-1983 : spatialités indépendantes relevant de la sphère des loisirs ;
  4. 1984-1999 : spatialités intégrant la vie professionnelle ;
  5. 2000-2022 : spatialités marquées par des projets professionnels d’exploration explicites.

Figure 1. Pays, Monde, euclidien.

Figure 2. Pays, Monde, cartogramme.

Figure 3. Localités, Monde, euclidien.

Figure 4. Localités, Monde, cartogramme.

Figure 5. Localités, Europe, euclidien.

Figure 6. Localités, France et alentours, euclidien.

Les cartes donnent à voir des proximités diverses, selon plusieurs métriques qui définissent une accessibilité par voisinage topographique (distances kilométriques) et topologique (réseaux de mobilité et les voisinages qu’ils engendrent). La France et l’Europe incarnent bien cette différence de style entre spatialités à dominante territoriale ou réticulaire.

Dans le cas de l’espace français, les localisations qui pourraient relever de logiques aléatoires se trouvent lissées par la multiplication des séjours, qui crée une présence continue en surface. Ce phénomène de territorialisation produit un remplissage des espaces topographiquement les plus proches à partir de Paris comme point-origine.

L’Europe se présente comme un ensemble de nappes à l’Ouest (qui prolonge la territorialité nationale), de grappes et d’axes sur les littoraux et d’un maillage relativement dense partout ailleurs. Le pourtour de la Méditerranée constitue lui aussi un réseau, circulaire, seulement interrompu en Libye, qui est une constellation de séjours courts, suggérant qu’elle opère comme un « terrain de jeu » touristique privilégié.

À toutes les échelles et sur tous les continents, les grandes villes constituent un réseau « magistral », exprimant un tropisme majeur de JL à l’échelle de sa vie. Cependant, les petites localités extérieures aux aires urbaines sont également partout présentes créant, notamment dans les zones les plus denses, un maillage capillaire.

Enfin, des vides significatifs apparaissent, dans les zones polaires mais aussi en Afrique subsaharienne et en Asie centrale.

Approche diachronique.

Les cinq cartes suivantes (figures 7-11) sont construites selon les mêmes principes mais en isolant chaque période pour mieux en saisir les caractéristiques.

De cette deuxième série de cartes, on tire le constat d’une pratique précoce du voyage, y compris à longue distance. L’espace franco-suisse est, sans doute par hasard (mais cela mériterait analyse) à la fois présent très tôt et très puissant entre 2004 et 2017.

Figure 7. Pays, Monde, euclidien, 1952-1959.

Figure 8. Pays, Monde, euclidien, 1960-1969.

Figure 9. Pays, Monde, euclidien, 1970-1983.

Figure 10. Pays, Monde, euclidien, 1984-1999.

Figure 11. Pays, Monde, euclidien, 2000-2022.

Cette pratique multiscalaire du voyage se maintient et se développe de manière d’autant plus notable que les motivations changent. Les informations et les analyses fournies par JL,  permettent aussi d’écarter les effets de niveau de vie. La période 1984-1999 se caractérise en effet par des revenus faibles mais cela ne semble pas affecter sa propension à voyager. De même, la période 1977-1995 caractérisée par des contraintes familiales fortes (enfants jeunes) ne semble pas non plus affaiblir les dispositions aux voyages. Ces périodisations, économique ou « familiale », n’ont d’ailleurs pas été proposées par JL comme pertinente.

Noyau dur ?

Les cartes 12 et 13 résultent d’une sélection des cumuls de présence les plus significatifs et font apparaître une concentration forte dans un ensemble qui, sans surprise, inclut l’Europe, mais aussi le continent américain avec six villes représentées (New York, Los Angeles, São Paulo, Mexico, Buenos Aires). Ce qui caractérise cet espace, c’est la diversité des motivations qui y conduit JL : vacances, exploration, travail ou un mélange des trois. On note la différence avec l’Asie : la fréquentation de la Chine, de l’Inde, de l’Asie de l’Est et de l’Asie du Sud-Est est forte mais sans lieu concentrant une intensité aussi nette. Le fait que JL maîtrise quatre langues parlées en Amérique (anglais, espagnol, portugais et français), mais ni le mandarin, ni aucune des langues d’Inde (hors anglais) ou d’Asie orientale peut jouer son rôle. On peut en tout cas parler d’un noyau dur euro-américain comme d’une polarité significative dans les spatialités d’échelle mondiale de JL.

Figure 12. Noyau dur, Monde, euclidien.

Figure 13. « Noyau dur », Euroamérique, euclidien.

Une double interprétation.

Du point de vue du chercheur, cet ensemble de treize cartes fait écho au niveau élevé de mondialité, d’européanité, et d’urbanité qui caractérise le profil de JL tel qu’on peut l’appréhender de l’extérieur. Ce portrait corrobore ce qu’on peut en savoir sur ses activités cognitives (ses orientations de recherche) et affective (l’imaginaire auquel il aimerait faire correspondre sa biographie effective, ses orientations éthico-politiques publiques). Elles sont plus précisément cohérentes avec les projets de recherche de JL, notamment celui consistant à explorer un grand nombre de grandes villes et spécialement toutes celles de plus de 10 millions d’habitants (un objectif presque réalisé en 2022).

Si on adopte maintenant le point de vue de JL en lui demandant de commenter ces cartes, il admet que ces documents montrent dans l’ensemble une réelle conformité avec l’image qu’il se faisait de ses spatialités, mais ses réactions comportent aussi une part de surprise. C’est, au passage, la confirmation qu’il n’y a pas de « complaisance » dans cette cartographie.

JL insiste en effet sur la dimension de l’expérience par rapport à celle du projet dans sa trajectoire géographique telle qu’il la découvre. Le hasard, plus ou moins « apprivoisé » en sérendipité, est perçu par lui comme une force majeure et positive. Il se réjouit de voir que sa vie n’est pas un « roman » pré-écrit que l’individu se contenterait de dérouler. En ce sens, ses étonnements ne constituent pas une déception mais une occasion de prendre conscience des limites de la volonté et de la projection explicite comme force propulsive de sa biographie. Ainsi, le poids considérable de la France et de l’Europe de l’Ouest dans l’ensemble des localisations n’est, pour JL, que partiellement le résultat de désirs mais aussi, pour une bonne part, la conséquence de proximités topographiques et topologiques qui jouent dans le choix des lieux de vacances ou dans la composante mobile de ses interactions professionnelles. Il se sent en partie « englué » dans ces proximités subies alors qu’il aurait souhaité « déscalariser » (davantage s’affranchir de contraintes d’échelle) son exploration du Monde. En ce sens, il se découvre un peu moins acteur qu’il ne le souhaiterait.

Par ailleurs, JL voit comme un échec, à ses yeux provisoire, l’ « angle mort » que constitue une bonne partie de l’Afrique occidentale et centrale et le « trou noir » de l’Asie centrale. Il en identifie les causes par un accès difficile à des sociétés marquées par la violence et les clôtures communautaires, qui rendent plus étranger l’étranger, à moins qu’il ne prenne le temps (et parfois cela aussi est impossible) de s’immerger sur une longue durée dans le monde social qu’on voudrait connaître. Il constate aussi que ces difficultés ont elles-mêmes leur histoire et que les fenêtres d’opportunité peuvent se fermer : il a ainsi « raté » l’Afghanistan dans les années 1970 ou l’Afrique subsaharienne dans les années 1980 et 1990, quand il avait envisagé de s’y rendre et que c’était alors relativement facile d’y séjourner dans de bonnes conditions. Il en conclut que ces lacunes ne sont pas définitives, qu’il faut rester à l’écoute et rester à l’affût d’opportunités pour réaliser un jour son rêve de se rendre à Lagos et à Kinshasa « sans avoir besoin de gardes du corps ».

Enfin, JL voit dans le « noyau dur » euro-américain une zone de convergence de différents types d’immersions, allant de la simple exploration à un ancrage significatif (voir plus loin). Avant de voir les cartes, il en sous-estimait l’importance mais il en confirme la réalité dans ses spatialités.

Hypothèses sur les spatialités biographiques.

Quel est le projet théorique pour lequel cette étude de cas pourrait être un exemple utile ? À la suite de ce travail sur les spatialités d’échelle biographie d’un individu, on peut formuler quelques hypothèses d’une visée plus générale.

L’homme spatial pluriel.

Les cartes réalisées pour cette recherche n’épuisent pas le sujet. Les phénomènes cartographiés ne sont qu’un aspect de la relation aux lieux. Un premier angle mort est constitué par les cospatialités : passer « verticalement » d’une couche spatiale à une autre dans le même lieu apparent ne compte sur les cartes que comme un prolongement du séjour alors que, si les corps ne bougent pas, cela ne veut pas dire qu’il y ait immobilité. Nous ne disposons pas d’instruments de mesure de ces distances verticales qui permettraient d’approcher des changements d’espace sans changement de lieu.

Manquent aussi les présences télécommunicationnelles, qui se sont énormément développées depuis la pandémie de 2020-2022 et qui constituent désormais un socle considérable d’interactions multilocalisées. Elles peuvent apparaître comme pauvres, mais elles n’en permettent pas moins un contact avec l’ailleurs.

Fait enfin défaut l’immense domaine des interactions idéelles avec les lieux : imaginaires à forte composante subjective, qu’elle soit émotionnelle ou esthétique ; projets non (encore) réalisés, connaissances de toutes sortes sur la géographie du Monde et de ses parties. En ce sens, nous sommes tous, toujours, les habitants de tous les lieux.

Cette remarque met en perspective un trait qui apparaît sur les cartes : le polytopisme (Stock 2006) n’est pas une simple somme de séjours, mais une combinaison de différents types de rapports aux lieux, qui s’incarnent à chaque fois dans une ou plusieurs localités. Bernard Lahire (1998) a insisté sur la diversité des mondes sociaux disponibles et sur le fait que l’hétérogénéité des socialisations accompagne d’une manière ou d’une autre tous les processus d’individuation. C’est dans le cadre théorique de cet assemblage variable d’éléments divers qu’il convient de se situer si l’on veut approcher les spatialités contemporaines. Pour JL, l’Arc lémanique est, depuis sa petite enfance, un ensemble de pratiques qui mêlent, parfois successivement, parfois simultanément, déplacement de loisirs, lieu de vacances, résidence principale, poste de travail, observation participante, terrain d’étude en science du social. L’ensemble n’est pas une somme mais un système en mouvement, un complexe d’habiters en recomposition permanente, passant sans cesse d’une dominante ou d’une tonalité à une autre.

Figures d’habitants.

Parmi les principes de différenciation des situations, le couple découverte/habitude peut constituer un point de départ (Équipe MIT 2002 ; 2005 ; 2011). Si l’on se situe dans le registre du tourisme, l’habitude apparente peut cacher la staycation (par exemple : passer quelques jours à l’hôtel dans la ville de sa résidence principale) ou le locatourisme (utiliser son temps libre dans un décor familier). Inversement, on se situe dans une pratique « homotope », lorsque l’individu mobile emporte avec lui le maximum d’éléments de sa vie courante dans un contexte différent, par exemple lors de vacances dans un camping (composé aujourd’hui surtout de bungalows), un resort ou un club qui offrent un environnement social confortable, contrôlé et stable et réduisent le niveau de dépaysement. La quantité de lieux collectionnés apparaît bien orthogonale avec l’intensité de l’exploration. Ainsi, comme l’ont montré ces travaux (Équipe MIT 2002 ; 2005 ; 2011),  les back-packers qui écument l’Asie du Sud-Est n’ont pas moins que les touristes « d’agence » la pratique ou même la visée de se retrouver entre eux dans les spots de visite et les hôtels.

Inversement, l’hétérotopie peut être maximale lorsque le projet s’efface devant l’expérience, lorsque l’absence de maîtrise du parcours active des ressources perceptives dissociées de l’action : l’être-ici l’emporte sur le traverser (Bernier 2013) et la cognition sérendipienne peut prendre son envol. L’habiter sort alors de la logique de l’attribut (celles par exemple des points d’intérêt listés par les guides) pour entrer dans celle de l’immersion environnementale qui a pour effet que l’habitant est aussi habité par les lieux qu’il habite (Lazzarotti 2006 ; Lévy et Lussault 2013). Au retour du périple, le récit de voyage, censé traduire dans le registre de l’ici l’apport de l’ailleurs ne pourra pas être seulement obéir à un répertoire descriptif standard et à cocher les destinations « faites » mais devra évoquer des micro-événements non significatifs en eux-mêmes et une ambiance à la fois diffuse et puissante. Dans ce cas, les déplacements peuvent être alors limités, voire réduits à rien, mais l’emprise de l’altérité devient majeure. On peut donc être chez soi chez soi et être ailleurs ailleurs, mais aussi être ailleurs chez soi ou être chez soi ailleurs.

Faisons l’hypothèse qu’une géobiographie réussie consiste en la mise à jour d’une combinaison de figures d’habitants dont l’individu est la combinaison complexe. Ces figures croisent séjour et mobilité – sachant que le mouvement génère des séjours spécifiques dans les espaces d’accès au déplacement et dans le déplacement lui-même. On a donc deux familles de pratiques qui ne sont pas indépendantes, mais ne sont pas pour autant réductibles l’une à l’autre.

Du côté du séjour, l’écrémage (on peut aussi parler de zapping spatial) consiste à entrer dans une logique de spots, de topos (par opposition à chôra, selon la terminologie d’Augustin Berque 2000), qui associent à une localisation un attribut spécifique consommable qui dispense l’habitant de s’intéresser à la complexité systémique de ce qui est, aussi, un lieu. Le triptyque amarrage/ancrage/enracinement vient du travail de Bernard Debarbieux (2014), qui porte sur des « métaphores » repérées par lui dans divers imaginaires spatiaux, mais dont la pertinence descriptive se trouve confortée par des recherches, notamment celles portant sur les habitants d’espaces à faible urbanité (Rieutort et Thomasson 2015 ; Lévy, Koseki et Sartoretti, 2021 ; Gallardo, Lévy et Sartoretti 2023).

Du côté des mobilités, la prise en compte du nomadisme permet de donner un nom aux pratiques de la pendularité, de la double résidence, toutes deux typiques du modèle fordiste, et de ses multiples variantes tels que les longs séjours, irréductibles à la coupure élémentaire en travail/loisir ou travail/vacances, dans l’une ou l’autre de ses résidences et rendus possibles par les activités numériques. Le travail n’est pas forcément du télétravail (dispositif collectif effectué à distance), mais il peut s’agir d’un travail individuel peu affecté par la localisation du commanditaire ou du destinataire (comme le travail d’écriture scientifique ou artistique) ou encore une multitude d’activités professionnelles mobiles (visites de terrain ou de clientèle, rendez-vous ou déjeuners de travail, etc. …), sans poste de travail assigné. Depuis la pandémie de 2020-2022, ces modes d’habiter ont été propulsés sur le devant de la scène mais ils peuvent être considérés, pour une part au moins, comme une démocratisation partielle de la vieille pratique de la villégiature, qui se caractérisait par une collection de lieux éloignés les uns des autres et où l’on séjournait pendant des périodes assez longues

Le tableau (figure 14) résume cet éventail de figures habitantes. Une case unique résume rarement l’individu dans son ensemble : celui-ci peut changer de case au cours de sa vie ou, plus fréquemment encore, émarger simultanément à plusieurs cases selon les registres de son habiter, comme le travail et la vie personnelle – sans parler des situations à cheval sur plusieurs cases. Dans sa trajectoire biographique, un individu peut alors être défini comme une composition singulière dynamique de ces différentes figures.

Figure 14. Figures d’habitants au croisement.

Si l’on revient sur le cas étudié, on dira que JL est constitué d’un ensemble de figures habitantes plutôt situées dans la case S’ancrer/Exploration mais ce que nous savons de sa vie montre qu’il échappe moins qu’il ne le souhaiterait aux cases S’ancrer/Nomadisme et S’amarrer/Exploration. Enfin, bien qu’il définisse sa relation à Paris comme un ancrage et non un enracinement, la preuve en ayant été apportée par le fait qu’il ait séjourné plusieurs mois ou plusieurs années d’affilée dans d’autres localités, on peut se demander si Paris ne revêt pas pour lui un statut intermédiaire, d’ancrage référentiel, qui, sans exclure les autres ancrages (ce qui serait le cas de l’enracinement), place tous les séjours de longue durée en situation seconde, faisant de Paris un point de repère spécial, une balise biographique unique en son genre.

Un programme de travail.

Cette recherche est un prototype. Elle se veut la démonstration que ce genre d’enquête est possible et qu’il sera de plus en plus aisément réalisable par tout chercheur qui y verrait de l’intérêt. Sans effort excessif, l’archivage automatique des spatialités offrira des ressources fiables de plus en plus massives. Cet accès à des données empiriques associant qualité et quantité peut ouvrir sur des autobiographies mais aussi sur des enquêtes ne portant pas sur les chercheurs eux-mêmes, avec des corpus suffisants pour que des catégories fines et des typologies ambitieuses voient le jour. Le monde de la géobiographie peut commencer.

Résumé

À partir de données précises et fiables, il est désormais possible de rendre compte des spatialités d’un individu à l’échelle temporelle de sa biographie. Une série de treize cartes explore la dimension géographique d’une vaste part de la vie d’une personne, sa géobiographie. Dans ce travail, le chercheur se prend lui-même pour objet, ce qui pose des problèmes spécifiques et ménage des surprises stimulantes. À partir de ce cas spécifique, des figures d’habitants dont l’individu serait une composition singulière sont identifiées. À partir de ce prototype, on peut concevoir d’autres recherches qui permettront des analyses plus systématiques.

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Notes

Auteurs

Partenariat

Sérendipité.

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