Pour une très large part, je souscris à ce qui est écrit par Fanny Letissier, mais, indépendamment d’un compte-rendu demandé par la rédaction d’EspacesTemps.net que nous sommes en train d’achever, je souhaiterais replacer cet avis dans le contexte général des colloques et mettre ainsi en regard l’auditrice et l’organisateur, dont les points de vue sont nécessairement différents mais pas forcément inconciliables (si tant est qu’il soit indispensable de les concilier).
Un colloque s’apprécie notamment en confrontant ses résultats à ses objectifs, c’est-à-dire aux intentions de ses organisateurs. Scientifiquement, il s’agissait, après avoir contribué à crédibiliser la recherche dans le champ touristique, de concourir à faire comprendre aux spécialistes de la ville et de l’urbain le caractère intenable de l’absence de regard tourné vers le phénomène touristique; objectif au moins déjà atteint grâce au sujet et à la qualité de la conférence inaugurale de Michel Lussault ; la programmation de cette conférence exprimait une intentionnalité à la fois forte et précise, et constitue le socle d’une entreprise réfléchie qui va se poursuivre. Sur ce chemin, le colloque était donc une étape.
Le monde scientifique a aussi un fonctionnement lié à sa sociologie. Dès lors qu’il s’agissait d’un colloque et non d’un séminaire, cela impliquait un plus grand nombre de participants comme de communicants, le premier étant en partie fonction du second. Notre colloque, de ce point de vue, peut se targuer d’une originalité forte par rapport à beaucoup que j’ai eu à connaître : il y a eu une importante sélection des propositions de communication par le comité scientifique et ce dernier a pleinement joué son rôle en orientant certaines communications afin de tenter de mieux coller à la problématique générale du colloque. Or, faire adhérer un grand nombre de participants à une problématique nouvelle n’est pas chose évidente: du reste, combien n’y ont vu qu’un colloque sur le tourisme urbain, alors même que l’appel à communications se situait largement sur un autre terrain ? Mais il est aussi dans l’ordre des choses qu’un projet nouveau subisse l’attraction des chemins communément empruntés et qu’indépendamment des intentions et des efforts des organisateurs, l’itinéraire finalement adopté soit celui qui exprime le mieux l’état d’une communauté scientifique à un moment donné (cela vaut aussi pour la juste remarque de notre auditrice sur la nécessité de communications « suffisamment conceptualisées »). Aller de l’avant, c’est bien, mais que d’autres participent parce que le sens du mouvement a été compris, c’est mieux ; mais ce n’est pas le plus facile, nous le savons d’expérience.
Nous tenions aussi à rassembler des chercheurs d’âge, d’expérience et de statut différent. En particulier, il paraissait important que des jeunes chercheurs, des doctorants aient la parole, tant à travers des communications que dans la salle (ou dans le hall où nous avons déjeuné ensemble, prolongeant les discussions), car un colloque est un lieu de rencontre et la réussite d’une rencontre est largement fonction de la qualité mais aussi de la diversité des opinions qui s’y expriment. C’est aussi pour cela que la formule du colloque avec intervention des auteurs des communications a été retenue.
On peut également rappeler qu’un colloque n’est pas simplement un événement où l’on met des idées en débat, mais c’est aussi, pour beaucoup, un lieu où l’on vient communiquer pour ajouter une référence à la liste de ses publications. Or ce rappel du fonctionnement de la science ordinaire ne compte pas pour rien dans la mécanique d’un colloque, quelles que soient les ambitions et les précautions des organisateurs. Même encadrée par un comité scientifique, la liberté de l’intervenant n’est pas moins grande – et c’est heureux – que celle de l’auditrice ou, pour rester dans notre thématique, que celle du touriste.
Un autre objectif consistait à rapprocher des disciplines différentes autour d’un objet en formation, la « consubstantialité du tourisme à la ville », comme dit notre auditrice. À la fois pour commencer à faire vivre cette consubstantialité et pour créer les conditions d’une progression de nos approches. Là encore, l’expérience montre que ce n’est pas une chose si facile que d’organiser ces dialogues entre disciplines : car, pour exister, tout rassemblement de ce type exige qu’au préalable aient été créées les conditions de sa légitimité. Et la production de cette légitimité est la conséquence d’un travail. De ce point de vue, le contrat me semble rempli si j’en juge par une retombée directe et tangible du colloque, l’équipe Mit jetant en ce moment même les bases d’un programme pluridisciplinaire d’étude de l’histoire et de la dynamique du tourisme — qui, étonnamment du reste, n’existe nulle par ailleurs en France — ; ce programme vise notamment à analyser la ville et le tourisme sur le temps long et à se pencher sur les conditions et les processus de la mise en tourisme des villes « touristifiées » (Bruges, Florence, Rothenburg ob der Tauber, Tolède, etc.).
Lorsqu’une équipe, comme le Mit, s’implique dans l’organisation d’un colloque, cela signifie, par conséquent, qu’elle est soumise, comme n’importe quelle autre organisation, à des contraintes de fonctionnement liées à la mécanique des colloques comme à la sociologie du monde scientifique, qui peuvent contribuer à rendre plus difficiles à atteindre les objectifs visés. Nous le savions d’autant plus que nous avions l’expérience d’une autre formule, plus radicale, organisée il y a sept ans : un séminaire, précédé de textes à lire, sans aucune communication, tout le temps disponible étant consacré à la discussion, à l’approfondissement et à la confrontation des idées. Mais une telle formule ne peut fonctionner qu’à l’échelle d’un groupe restreint et son profit a été réservé à ses participants qui étaient aussi les communicants, d’autant plus qu’il n’y avait pas d’auditrice et qu’EspaceTemps.net n’existait pas encore. Le colloque sur « les mondes urbains du tourisme » a rassemblé sur deux jours plus de cent-vingt participants, de quatorze nationalités différentes, et a eu un écho bien plus important, en France et à l’étranger. Or, sur ce terrain aussi s’apprécie la performance ou la contre-performance d’une organisation de ce genre, le monde scientifique ne vivant pas hors du Monde. Je ne sais pas si ce colloque fera date et, de toutes façons ce n’est pas à moi de le dire, mais de l’avis de beaucoup de ceux qui y furent, il s’y est passé quelque chose de non entièrement banal et j’espère que le livre qui en sortira saura en rendre compte. Et, à ce moment, l’organisateur ne peut que rejoindre l’auditrice, avec cependant un léger regret, pendant en quelque sorte de son légitime « léger sentiment de frustration » : le regret que notre auditrice n’ait contribué qu’après coup à la vie de l’événement. Mais, ce faisant, nous avons la preuve qu’un colloque peut continuer à vivre après sa clôture. Merci donc à Fanny Letissier et à EspacesTemps.net d’y contribuer.