Dans les ensembles résidentiels, la diversité des métiers a fait disparaître une forme de cohésion dans le cadre de l’habitat qui, autrefois, permettait une solidarité plus forte. Lors des crises économiques qui touchaient un corps de métier, tout un quartier réagissait avec des commerçants en aidant les habitants dans un mode de solidarité organique où chacun est dépendant des autres (Durkeim, 1930).
[1] ( !).
Lorsque je me suis installé en mars 2006 dans le quartier rennais du Blosne, je me suis retrouvé, comme c’est le cas pour de nombreux nouveaux habitants, dans une solidarité mécanique, avec un mode de vie individualiste, où chacun peut ou doit mener une vie autonome. Le point commun des habitants de ce quartier est moins lié à l’emploi qu’au non-emploi ou plus largement à des difficultés sociales : familles jeunes, monoparentales, érémistes, population en tutelle ou curatelle, personnes handicapées, doctorants non-financés ( !)… c’est-à-dire des ménages souvent en difficulté sur le marché du travail et plutôt fragiles financièrement, qui rassemblent des critères sociaux facilitant l’exclusion. Habiter en hlm et être écarté de la vie professionnelle s’accompagnent de contacts plus rares et d’un sentiment de solitude ou d’ennui plus marqué, même si Le Blosne abrite une population plus socialisée que la moyenne des zus (zones urbaines sensibles) du territoire national français.
Comme l’a démontré Yves Grafmeyer (1991), il est difficile de parler d’une véritable sociabilité de voisinage dans la mesure où la proximité spatiale n’implique en elle-même aucune obligation de donner, de recevoir ou de communiquer. Ce qui est valorisé, c’est plutôt un voisinage fait d’un mélange de distance et de reconnaissance mutuelle entre résidants qui se prêtent des manières de vivre similaires ou du moins acceptables, même s’ils n’appartiennent pas au même monde. Quand aux fréquentations proprement dites, elles sont rares, sélectives et se limitent en général à quelques échanges de visites ou de menus services, sauf bien sûr si d’autres éléments procèdent ou renforcent le simple fait de la co-présence dans le même immeuble. Souvent les interactions se réduisent au strict minimum : « on se salue, mais on ne fréquente guère », « ici, tout le monde se connaît de vue ». Ainsi, la présence dans le quartier est-elle à la fois vécue comme naturelle et présentée comme indifférente.
C’est ce qui se passe dans l’immeuble où j’ai emménagé. C’est une de ces grandes tours d’habitation de quatre-vingt-huit logements sur quinze étages, appartenant à un ensemble de cinq tours situées sur la place de Prague et qui totalisent près de mille six cent habitants. Ce texte se propose comme le récit personnel d’un doctorant qui, au fur et à mesure de son quotidien, sans le savoir, a fait de son lieu d’habitation un terrain de recherche.
Après une présentation du quartier sur le plan des politiques sociales et la perception qui en découle, il est intéressant de se pencher sur l’apport d’un banal ascenseur pour appréhender l’espace et le lien social. L’ascenseur existe depuis 1854 à New-York et en cent cinquante ans, il semble difficile d’y installer des sociabilités d’aisance. Il sert de terrain pour les psychologues qui étudient le conformisme social ou la pression sociale, il est décrit par les architectes qui le placent comme cause de formes urbanistiques et architecturales nouvelles (Rem Koolhaas), il est repris par les sociologues comme déclencheur de protestations puis révélateur de crises sociales dès qu’il est en panne dans les cités. Il n’est pas vraiment traité en tant qu’espace d’interactions sociales et par les géographes qui assument depuis peu de temps l’étude des espaces restreints. Depuis l’invitation de Jacques Lévy à reconnaître par la métrique qu’il n’y a pas une seule distance mais plusieurs (2000), les espaces comme lieu sont enfin admis comme étude géographique. Par exemple, les espaces domestiques sont abordés sans complexe par les géographes (Colignon et Staszack, 2001, 2004) même si la pluridisciplinarité est de mise. Mais, après une succincte recension, les géographes ne se sont pas encore attaqués à l’« espace ascenseur ». La proposition est faite ici et avec la description apportée dans ce texte, ce lieu exigu, parfois source d’angoisse ou de phobie, devient un vecteur de proximité qui rassure socialement lorsque la technologie le permet inopinément.
Un quartier mal perçu.
Construit entre 1960 et 1975, Le Blosne est l’un des quartiers les plus importants de la ville de Rennes : il représente 9,3% de la population rennaise. La morphologie urbaine hiérarchisée en trois niveaux (quartiers, mailles, îlots) marque fortement l’organisation de la vie sociale en diverses unités de voisinage. La présence d’espaces verts, atout important en ces temps de densité urbaine, compose un quartier aéré qui s’étend sur 3 kilomètres de long et 1,2 kilomètre de large.
Anciennement zone à urbaniser en priorité (zup), Le Blosne se compose pour l’essentiel d’un habitat collectif dont plus de la moitié de logements sociaux (4 200 logements). Quatre bailleurs hlm se partagent le parc immobilier, dont une forte présence d’Archipel Habitat, l’office de la communauté d’agglomération de Rennes, qui gère la totalité des logements de la tour où j’habite. Situé entre le Landrel, la Binquenais et le quartier Sainte-Élizabeth, à quelques pas de l’hôpital Sud et du centre culturel le Triangle, les tours de la place de Prague proposent uniquement des logements sociaux.
Le recensement de 1999 constate que la population du quartier est très jeune. Elle se caractérise par la part importante des moins de vingt ans qui constituent 27,6 % des habitants. Le quartier du Blosne est doté d’équipements locaux satisfaisant à caractère aussi bien social, socioculturel que sportif. Cependant, au regard de sa composition sociale, il existe un déficit de moyens humains concernant la capacité d’accueil des jeunes et jeunes adultes. Le lien social n’est pas particulièrement soutenu par les aménités du quartier.
Sur le plan social, la zone urbaine sensible du Blosne est l’un des quartiers qui concentre le plus d’étrangers en Bretagne et aussi la zone rennaise où le plus d’automobiles ont brûlé à l’automne 2005, avec notamment une dizaine d’automobiles dans la nuit du 4 au 5 novembre. Dans un classement étonnant qui circule sur Internet, le quartier est classé 119ème plus mouvementé, en tant que « cité en guerre », sur les 244 zones sensibles retenues. Le quartier mêle tchadors, casquettes de « racaille », population bobo et autres signes ostentatoires sur la place adjacente du marché de Zagreb le samedi matin. Autour, le stationnement est occupé chaque week-end par les camions d’artisans turcs, très nombreux à habiter les tours de Prague, tout comme les marocains et depuis deux ans la population africaine. L’organisation des cinq tours configure une certaine résonance lors des événements sportifs, qui fait exploser une émulation sociale lorsqu’un but est marqué : les deux buts de la Turquie lors de la demi-finale de l’Euro 2008 contre l’Allemagne ou la demi-finale des championnats du monde entre le Portugal et la France sont des moments de cohésion entre les 1 600 personnes qui habitent sur moins de 15 000 m².
L’ensemble de ces données participe à la construction des représentations du quartier et à son image plutôt négative à cause des stéréotypes qui positionnent Le Blosne comme l’une des zones les plus insécuritaires de Rennes.
Il est important de souligner que le sentiment d’insécurité est davantage exprimé par les populations extérieures au quartier. Ils perçoivent Le Blosne comme la « zone qui craint », tandis que les résidents sont 82 % à juger leur quartier agréable à vivre et 36 % déclarent qu’aucun problème particulier ne les dérange, ce qui est relativement positif pour un territoire classé prioritaire dans le cadre de la politique de la ville. De plus, 64 % des personnes jugent leur quartier « sûr ou plutôt sûr », ce qui est une proportion supérieure de 10 points à celle des zus de France. Globalement, l’attachement au quartier des habitants est proche des résultats de l’ensemble de Rennes : 46 % ont le sentiment d’appartenir « très ou assez fortement » à leur quartier (47 % pour tout Rennes) et 35 % moyennement (35 % pour Rennes).
Néanmoins, avec une analyse plus fine, on constate que seulement 39 % des habitants se déclarent très ou assez satisfaits de la sécurité la nuit quand le résultat est de 51 % sur l’ensemble de la ville. Le jour, le sentiment de sécurité est juste considéré comme assez satisfaisant. On peut aussi noter que les habitants du parc social sont nettement moins nombreux que ceux du privé à trouver leur quartier sûr (59 % contre 74 %) ; peut-être parce qu’ils sont davantage confrontés aux dégradations quotidiennes des habitations sociales qui ne sont pas suffisamment appropriées pour être correctement entretenues (Grosdidier, 2005).
Pour contrebalancer cette image et pour améliorer l’atmosphère quotidienne, des actions sont mises en place par Archipel Habitat : un agent de proximité dans chaque immeuble est l’interlocuteur privilégié des résidents en cas de problème lié au logement ; un agent de médiation peut intervenir en cas de litige avec les voisins ; des sociétés d’entretiens sont disponibles pour des problèmes spécifiques (plomberie de l’appartement, ascenseur) et dès qu’un problème survient dans le domicile, un agent technique fait l’état des lieux et propose des solutions souvent prises en charge par Archipel Habitat. La mise en place de ce système apparaît comme un privilège vis-à-vis des résidents des logements privés qui ne peuvent compter que sur eux-mêmes et leur porte-monnaie ou bien négocier avec le bon vouloir du propriétaire pour remédier aux problèmes d’habitation. En outre, des Correspondants de nuit ― initiative de la municipalité rennaise ― proposent leur aide de 22h30 à 3h30, en cas de nuisances diverses. Ils assistent notamment les personnes isolées en se rendant dans la pharmacie de nuit la plus proche afin d’apporter les médicaments de première urgence. Leur rôle est surtout d’être une oreille attentive pour ceux qui ont des angoisses nocturnes afin de susciter un lien social minimum. Enfin, dans une optique de service permanent, Archipel Habitat a mis en place en 2007 le « week-end contact », un numéro de téléphone qui permet de joindre un agent de proximité du samedi dès huit heures jusqu’au dimanche à vingt heures, ainsi que les jours fériés. Actuellement, le directeur de l’agence Sud d’Archipel Habitat, située au cœur du Blosne, réfléchit au nettoyage des parties communes le week-end. En effet, le dimanche soir, l’état des entrées d’immeuble est souvent considéré comme trop sale par les résidents, tandis que les cages d’escalier des étages sont souvent d’un niveau de propreté correct dans la mesure où les locataires nettoient à tour de rôle le pallier commun et une partie de l’escalier jusqu’à l’étage inférieur. Pour ne pas idéaliser cette initiative qui tend vers la responsabilité collective, il faut préciser que si le locataire ne nettoie pas le pallier, une prestation de neuf euros lui est facturée… et étant donné l’odeur de la cage d’escalier sur les quinze étages, il est permis de supposer qu’une bonne partie des locataires ne répond pas à la règle du collectif.
La réhabilitation de la place de Prague.
Une étude urbaine globale est engagée au Blosne afin d’améliorer la qualité des espaces publics, renforcer la diversification des activités économiques et développer la mixité sociale dans l’habitat. Le programme de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) comporte aussi la réhabilitation d’une part significative du parc de logements pour une meilleure qualité de vie des habitants. Ainsi, trois tours de la place de Prague sont les dernières du quartier à connaître une réhabilitation qui dure dix-huit mois, du printemps 2007 à l’automne 2008 : mise en œuvre d’un bardage extérieur, nouvelles fenêtres en double vitrage, nouveaux chauffages, nouvelle plomberie… Les ascenseurs sont aussi remplacés, après le changement urgent de leurs portes en 2005, suite à différents drames médiatisés comme ceux d’Amiens ou de Strasbourg. En apprenant le remplacement des ascenseurs, j’ai souhaité discuter avec les coordinateurs du chantier afin de connaître leurs choix à propos de ce moyen de transport qui parcourt plusieurs centaines de kilomètres par an.
L’ascenseur a un fonctionnement particulier qui est, dans un premier temps, perçu comme une faiblesse : il n’enregistre pas la commande lorsque plusieurs personnes appuient à la suite sur les boutons d’étage souhaités. Le premier bouton sélectionné empêche toute autre commande électronique et il faut attendre que l’étage demandé soit desservi pour en commander un autre. Si quelqu’un appuie sur le 14ème étage, celui qui veut se rendre au 4ème doit donc attendre que l’ascenseur desserve le 14ème pour ensuite redescendre. Ce fonctionnement peut paraître aberrant dans un immeuble dont les ascenseurs fonctionnent en permanence avec, aux heures de pointes, des files d’attente au rez-de-chaussée. Cette impossibilité d’enregistrement m’a été présentée par les habitants comme un manque de technologie au sein d’immeubles tout aussi vétustes : «ici, ça n’enregistre pas, ce n’est pas moderne ». Le « ici » suppose que les quartiers pauvres n’ont pas le droit à une prestation digne.
Le directeur de l’agence Sud d’Archipel Habitat m’a expliqué que ce fonctionnement est une nécessité face à la petite délinquance. En effet, les enfants de l’immeuble ou de l’extérieur [2] ont parfois l’envie d’appuyer sur tous les boutons afin que l’ascenseur desserve chaque étage, ce qui ralentit le transit. Les ascenseurs sont aussi adaptés pour atténuer toute dégradation : de l’inox sur les parois afin d’éviter les tags et la lacération, une lumière sous vitre plastifiée afin que les néons soient protégées, l’absence de bouton « Stop » et seulement le bouton « Alarme » obligatoire. Le sol est en inox, il n’y a pas de moquette ; le néon n’est pas tamisé ; une « plaque de défoulement » remplace l’habituel miroir qui agrandit le lieu ; il n’y a donc pas d’aménités évoquant la convivialité ou la qualité mais plutôt des éléments de sécurité qui ont pour but d’éviter les incivilités. Cette description va à l’encontre des ambitions des politiques publiques sur ces questions : « un des enjeux futurs de la conception des ascenseurs sera d’en faire un lieu de convivialité, ou plus exactement la question est de savoir comment l’ascenseur peut participer à la mise en place d’une convivialité urbaine, à une sécurisation du lien social » (Demotte, 2003 [3])
Les difficultés occasionnées par l’ascenseur sont surtout les blocages à domicile pour les personnes âgées ou les personnes handicapées des hauts des immeubles. Lors de réparations récentes qui ont immobilisé les ascenseurs plusieurs semaines, les aides d’Handistar [4] n’ont été mises en place qu’après les échos de la presse sur la situation dégradante des habitants qui étaient contraints de monter les étages avec poussettes et achats alimentaires dans des escaliers de secours puants ― l’article du journal Ouest-France vaut le détour.
Le lieu Ascenseur et la communication obligée.
La situation sociale d’un groupe de personnes dans un ascenseur est assez cocasse. Dans tous les ascenseurs d’habitation ou de bureau, la traversée de plus de dix étages dure un certain temps ― trop longtemps —, ce qui laisse place à des gênes sociales où chacun adopte des stratégies d’évitement, se positionne de manière à ne pas croiser le regard de l’autre, fixe son regard sur ses chaussures ou sur les numéros d’étage qui défilent, comme pour vérifier que le n°3 précède bien le n°4. La respiration est concentrée pour ne pas souffler sur l’autre, les corps sont figés pour ne pas toucher l’inconnu et chacun espère que la porte s’ouvre au plus vite pour rompre le silence pesant de ce court voyage partagé. Lorsque les habitants de l’immeuble où j’habite sont rassemblés dans un des deux ascenseurs pour entrer ou bien sortir de chez eux, ils se retrouvent dans un espace clos qui ne peut accueillir que sept personnes maximum.
[5].
Autre détail pour ceux qui habitent dans les derniers étages : le temps que la porte d’ascenseur se referme à chaque sortie, celui qui reste a souvent le temps d’observer vers laquelle des six portes se dirige le sortant. Par conséquent, les habitants du haut de la tour ont une assez bonne géographie de l’immeuble, là où ceux des étages inférieurs ne savent pas qui habite où.
La plupart du temps, malgré les tentatives des habitants à limiter les interactions, le silence est rompu à cause du non-enregistrement des étages. Je fais l’hypothèse que la connexité mise en place atténue les craintes liées à l’image du quartier. Je ne peux m’empêcher de penser à ce jour où je me suis trouvé dans l’ascenseur avec quatre autres personnes pour rentrer chez moi : il y avait une vieille femme de quatre-vingt-quatre ans, atteinte de la maladie d’Alzheimer ; une seconde femme dont on essaie de deviner l’âge en observant juste son regard puisque c’est la seule partie de son corps qu’elle laisse voir, drapée dans son habit noir qui l’enveloppe de la tête au pied ; une troisième femme qui revient de la boulangerie et qui parle très mal français quand on se met à bavarder sur le pain du quartier (j’étais obligé car la baguette me collait le nez) ; et puis ce jeune homme, baraqué, trapu, avec la casquette à l’envers et son survêtement trop large, qui doit avoir seize ou dix-huit ans mais en paraît vingt-cinq et qui à lui seul va occuper un bon quart de l’espace ascenseur. C’est lui qui est entré le dernier et que l’on voit arriver seulement une fois que chacun est installé. Chacun connaît les temporalités de l’ascenseur, chacun sait que la porte s’ouvre une fois avant de se refermer définitivement, sans savoir pourquoi mais rien n’y fait. Ainsi, en un coup d’œil, chacun prend conscience que la nonchalance de son rythme pédestre est compatible avec le temps de la fermeture de la porte d’ascenseur pour qu’il puisse nous rejoindre.
Il est le dernier arrivé, c’est donc lui qui est chargé d’appuyer sur le bouton. Je peux vous dire que lorsque vous le voyez arriver vers l’ascenseur, avec sa démarche adaptée aux pratiques des « jeunes du quartier », faussement cool et rebondissante, qui exprime une assurance sociale ou du moins le fait croire, vous ne pouvez vous empêcher de penser que vous êtes le seul homme dans cet espace réduit, qu’une communication collective éventuelle va être difficile à instaurer. Sans entrer dans des peurs sociales démesurées, une pointe d’inquiétude peut surgir en vous. Pourtant, le moment où ce jeune homme entre dans l’ascenseur et demande à tous « quel étage ? », afin d’évaluer sur quel bouton il va appuyer, la mise en place d’une oralité de voisinage créé un climat de confiance.
Lors de ma rencontre avec le directeur de l’agence Sud d’Archipel Habitat, ce dernier m’a affirmé que ce système de non-enregistrement serait maintenu dans ces ascenseurs lors de la réhabilitation pour des raisons de sécurité. Je l’ai espéré et lui ai demandé de tout faire pour le conserver… pour des raisons de sociabilité. Mais en mai 2007, les travaux des ascenseurs (quatre millions d’euros pour deux cent cinquante ascenseurs) ont démarré pour mettre en place une borne d’enregistrement des numéros. Depuis, la communication a évolué et les échanges sont quasi inexistants. L’ascenseur du Blosne ressemble à tous les autres ascenseurs. Ce qui était perçu comme un retard technologique dont ne bénéficiaient pas les populations les plus pauvres avait l’avantage d’impulser un minimum d’interaction. Certes la connexité est un échange résiduel qui n’atténue pas les forts isolements que connaissent les habitants de ces grands immeubles, mais l’anomie est réduite par des convivialités minimales.
Les deux ascenseurs de cet immeuble sont le seul lieu commun des quatre-vingt-huit logements, le seul endroit où l’on voit qui sont nos voisins. Actuellement, la culture du Bonjour persiste peu dans le hall d’entrée. Cette culture, certainement mise en place en cohérence avec la nécessité de dialoguer pour connaître l’étage sur lequel appuyer, est en train de péricliter et renforce un peu plus l’impression d’insécurité, la distance sociale et l’anomie.
Conclusion.
Dans les quartiers rennais du Blosne et de Maurepas, 16 % des agressions ou des actes de violence ont lieu dans les parties communes des immeubles [6]. La connexité mise en place dans cet ascenseur a pu atténuer les risques de violence car des personnes ont échangé oralement, avec politesse et respect. Finalement, cet ascenseur conçu pour éviter les dégradations joue le rôle de lien social entre des voisins qui, certes ne deviendront pas amis, mais déploient une cordialité agréable dans un lieu exigu au sein d’un quartier réputé comme dangereux. Il est dommage que les actuels choix d’aménagement, peut-être liés aux plaintes des habitants qui ont le sentiment d’être dans des ascenseurs vétustes « qui n’enregistrent même pas les numéros », ne permettent plus ce type de communication minimale. Aujourd’hui, chaque voisin regarde les numéros rouges sur les nouveaux cadrans lumineux, signe qui incarne l’avancée technologique, et personne ne se parle. Une nouvelle source de plainte existe : les numéros affichés ne correspondent pas aux étages. L’avantage de cette défaillance est que régulièrement, quelqu’un se plaint oralement de ce dysfonctionnement afin d’obtenir l’assentiment du groupe.