Une /

Résumé | Bibliographie | Notes

Sérendipité.

Pour une approche pluridisciplinaire du langage.

Le cas du whitisage chez des migrants camerounais Ă  Paris.

Illustration : Valery Kenski, « Conversation », 22.11.2013, Flickr (licence Creative Commons).

Parler comme « une lady dans une boutique de fleurs » et non comme une vendeuse « au coin de Tottenham Court Road » : c’est ce que demande la jeune Eliza Doolittle, marchande de fleurs dĂ©sargentĂ©e, au très distinguĂ© professeur Henry Higgins, dans le film My Fair Lady de George Cukor (1964), adaptĂ© de la pièce de théâtre Pygmalion de Bernard Shaw. Ce dernier, mĂ©prisant son accent cockney socialement stigmatisĂ© et bien trop vulgaire Ă  son goĂ»t, dĂ©cide de lui donner des leçons de phonĂ©tique pour lui apprendre la prononciation soignĂ©e et prestigieuse de l’anglais britannique. Peu Ă  peu, la jeune fille, Ă  force d’acharnement, finira par maĂ®triser le langage distinguĂ© et passera pour une vĂ©ritable « lady » en sociĂ©tĂ©. Cette histoire, bien que fictive, est un bon exemple, parmi tant d’autres, de l’importance de l’accent, et plus gĂ©nĂ©ralement du langage, dans la vie sociale d’un individu. Il existe des façons de parler plus valorisĂ©es que d’autres, et la maĂ®trise de la norme langagière dans une sociĂ©tĂ© donnĂ©e peut ouvrir l’accès Ă  des positions sociales avantageuses. La question langagière est donc une question fondamentalement sociale. Or, dès lors que l’on aborde le langage comme un phĂ©nomène intrinsèquement social, dès lors que l’on ne dĂ©crit plus seulement les formes linguistiques, mais que l’on essaie aussi de comprendre les pratiques langagières et le sens que les acteurs leur donnent, « le besoin d’Ă©largir le champ de nos rĂ©fĂ©rences pour intĂ©grer les recherches effectuĂ©es en dehors de la (socio)linguistique devient une Ă©vidence » (Hambye et Siroux 2009, p. 135). Dans cette perspective, l’analyse du langage nĂ©cessite donc d’adopter une approche pluridisciplinaire, qui implique un dĂ©passement des frontières entre la linguistique et les autres sciences sociales. La question langagière peut ĂŞtre Ă©tudiĂ©e grâce Ă  l’observation et Ă  l’analyse des pratiques effectives des individus. Elle peut aussi ĂŞtre abordĂ©e grâce Ă  l’analyse de leurs discours sur ces pratiques, qui nous permettent de comprendre comment les sujets s’inscrivent dans leurs relations aux autres par le biais du langage, et quelles significations ils attribuent Ă  leurs pratiques. Ainsi, Ă  partir de notions issues de la sociologie, de la psychologie sociale et de l’histoire, j’analyserai ici les discours de migrants d’origine camerounaise sur la pratique du whitisage, nĂ©ologisme qui dĂ©signe le fait de « parler comme un blanc », c’est-Ă -dire, pour ces migrants francophones rĂ©sidant Ă  Paris, « parler français sans accent » [1]. Si l’on peut dĂ©finir, d’un point de vue linguistique, l’accent comme « l’ensemble des caractĂ©ristiques de prononciation liĂ©es aux origines linguistiques, territoriales ou sociales du locuteur, et dont la perception permet d’identifier la provenance du destinataire » (Harmegnies 1997, p. 9-10), dire de quelqu’un qu’il a un accent, c’est d’abord le renvoyer Ă  une « altĂ©ritĂ© linguistique ». Comme le dit LarrivĂ©e, tel que citĂ© par Meyer :

« C’est la pratique langagière de l’autre qui est désignée comme ayant un accent, qui est la différence de sa propre pratique. Cette différence est celle qu’on identifie chez un locuteur qui a notre langue comme langue seconde, ou qui en parle une autre variété. Et toutes les variétés ne sont pas égales. Quand elles sont reçues comme compréhensibles, les variétés dominées sont désignées comme porteuses d’un accent » (Meyer 2011, p. 36).

Tout accent n’existe donc que par contraste avec le « non-accent » ou « l’accent standard ». Ce dernier, qui correspond Ă  la prononciation couramment employĂ©e dans les mĂ©dias, les classes Ă©duquĂ©es, et plus gĂ©nĂ©ralement dans les groupes sociaux dominants, est un « mythe » ou une construction idĂ©ologique qui rĂ©sulte d’un processus de subordination linguistique des groupes sociaux dominĂ©s ou stigmatisĂ©s (Lippi-Green 2012, p. 44). L’analyse des discours de ces migrants d’origine camerounaise, portant sur leur pratique du whitisage et sur leur rapport Ă  leur propre accent et Ă  celui des « blancs » ou des « Français », prendra donc en compte la perception par les sujets parlants eux-mĂŞmes des rapports de domination qui sont en jeu dans cette pratique.

Analyser le langage comme pratique sociale : implications théoriques et méthodologiques.

Le choix d’une approche ethnographique, au plus près du vĂ©cu langagier des acteurs, a Ă©tĂ© guidĂ© par le postulat selon lequel le langage est une pratique sociale qui « n’est pas rĂ©ductible Ă  une pure description ou explication du monde », mais qui a, au contraire, « une puissance d’action sur celui-ci ; non seulement le langage dit le monde, mais le langage transforme, modifie, façonne ce monde » (Boutet 2010, p. 5). Les pratiques langagières sont donc « indissociables de toute pratique sociale et constituent une composante centrale de l’organisation, de la mise en forme (dĂ©signation) et en ordre (classification, hiĂ©rarchisation, articulation) des expĂ©riences sociales ». Elles « sont d’emblĂ©e prĂ©sentes dans toute activitĂ© humaine, et c’est Ă  travers elles que les acteurs s’organisent et forment leurs schèmes de perception et de reprĂ©sentation » (Lahire 2009, p. 170). Partant de ce postulat, j’ai optĂ© pour une dĂ©marche pluridisciplinaire, qui me permet de saisir le langage comme mode d’action sur le monde social, en relation avec le contexte de production des discours. En effet, le pouvoir des mots ou des discours rĂ©side dans « les conditions institutionnelles de leur production et de leur rĂ©ception » (Bourdieu 1982, p. 111), c’est-Ă -dire dans l’adĂ©quation entre la fonction sociale du locuteur et son discours, ou dans l’autoritĂ© dont jouit le locuteur en fonction de la position qu’il occupe dans le champ, selon un rituel dĂ»ment rĂ©glĂ© (Bourdieu 1982, p. 111). Ce rituel « dĂ©termine pour les sujets parlants Ă  la fois des propriĂ©tĂ©s singulières et des rĂ´les convenus », et s’inscrit dans des rapports de pouvoir entre groupes sociaux (Foucault 1971, p. 41). L’Ă©tude des phĂ©nomènes langagiers doit donc prendre en compte non seulement les conditions de production des discours qui les accompagnent, conditions qui rendent possibles ces pratiques et qui les structurent en partie, mais aussi les effets sociaux de ces pratiques, tout en tenant compte des rapports de pouvoir qui sont en jeu. Ainsi, je m’efforcerai de montrer la nĂ©cessitĂ© d’une approche pluridisciplinaire pour comprendre les enjeux sociaux de la pratique du whitisage en contexte migratoire, ainsi que son rĂ´le dans la nĂ©gociation des relations interethniques. Cette analyse me permettra aussi de montrer en quoi l’étude du langage peut contribuer Ă  la comprĂ©hension de processus sociaux complexes comme la migration, dans une perspective d’anthropologie du langage qui se donne pour objet d’Ă©tude « l’homme de parole », « le sujet parlant en tant que pris et constituĂ© par les donnĂ©es sociales, politiques, historiques, anthropologiques, idĂ©ologiques, etc. » (Canut 2001, p. 391). Après avoir dĂ©fini la pratique du whitisage et ses fonctions sociales, je dĂ©crirai les valeurs ambivalentes que les acteurs lui attribuent, en les mettant en relation avec les conditions socio-historiques possibles d’Ă©mergence de cette pratique sociale, qui serait une consĂ©quence psychologique et culturelle du rapport de domination coloniale (Fanon 1952) (Memmi 1973) (Zambo Belinga 2003). Enfin, je conclurai sur l’intĂ©rĂŞt d’Ă©tudier le langage pour la comprĂ©hension des faits sociaux.

« Whitiser, c’est parler comme un blanc » : dĂ©finition et fonctions sociales.

La migration reprĂ©sente dans la vie d’une personne un moment clĂ©, en ce qu’elle est l’occasion de dĂ©stabilisations et de reconfigurations dans le parcours des individus. ConfrontĂ©s Ă  de nouveaux espaces de socialisation, c’est-Ă -dire Ă  l’insertion dans de nouveaux rĂ©seaux relationnels (professionnels, amicaux, etc.), lors du passage d’un pays Ă  un autre, les individus sont ainsi amenĂ©s Ă  incorporer de nouvelles dispositions pour s’adapter Ă  leur nouvel environnement social. Ces changements s’observent tout particulièrement au niveau des pratiques langagières. Ainsi, je me suis intĂ©ressĂ©e au cas de quinze migrants camerounais, âgĂ©s de vingt-cinq ans en moyenne, qui rĂ©sident en France depuis une dizaine d’annĂ©es. Si l’on dĂ©finit l’intĂ©gration comme « l’installation des immigrĂ©s, leur acculturation et leur acquisition d’une position sociale, Ă©conomique et politique dans l’État d’installation » (Rea et Tripier 2008, p. 5), ces individus sont, sur le plan socioĂ©conomique, bien intĂ©grĂ©s au sein de la sociĂ©tĂ© française. Ils font partie d’une gĂ©nĂ©ration rĂ©cente de jeunes migrants hautement qualifiĂ©s, venus d’Afrique subsaharienne, qui demandent et obtiennent plus souvent la naturalisation française que leurs aĂ®nĂ©s (Baroux 2002, p. 6). Dans tous les cas, la migration fait partie d’un projet familial, et les sujets s’insèrent dans des rĂ©seaux familiaux dĂ©jĂ  existants en France (Baroux 2002, p. 12). Issus des classes moyennes Ă©duquĂ©es, ils ont migrĂ© afin de complĂ©ter leur formation dans des Ă©coles d’ingĂ©nieurs, de commerce ou de management, et d’ĂŞtre en mesure de « s’introduire dans la circulation mondiale, garante d’une intĂ©gration dans les sphères dominantes, ici ou ailleurs » (Poinsot 2014, p. 1). Plusieurs d’entre eux occupent des postes Ă  haute responsabilitĂ© dans des entreprises : consultant en informatique ou en tĂ©lĂ©communications, ingĂ©nieur d’Ă©tudes ou encore responsable commercial dans une banque. D’autres sont en stage de fin d’Ă©tudes dans ces mĂŞmes secteurs. L’orientation de ces migrants vers les domaines « porteurs » du secteur tertiaire s’inscrit dans un processus plus large de rĂ©forme du système Ă©ducatif camerounais, qui se traduit depuis une vingtaine d’annĂ©es par « l’accĂ©lĂ©ration du phĂ©nomène de globalisation dans ses versants Ă©ducatifs, migratoires, Ă©conomiques », et s’accompagne d’une privatisation et d’une internationalisation accrues de l’enseignement supĂ©rieur (Ngwe 2014, p. 80). Dès lors, la maĂ®trise des compĂ©tences langagières et communicatives appropriĂ©es, Ă©lĂ©ment-clĂ© dans la mobilitĂ© sociale des sujets, s’avère dĂ©terminante pour s’insĂ©rer dans un marchĂ© du travail national ou international. Les migrants auprès desquels j’ai enquĂŞtĂ© sont francophones et ont appris le français, comme langue maternelle, Ă  la maison dès leur plus jeune âge, au Cameroun. Pourtant, leur arrivĂ©e en France les a confrontĂ©s Ă  un nouveau « marchĂ© linguistique » [2] (Bourdieu 1982), oĂą l’accent parisien standard constitue l’accent lĂ©gitime, la norme de rĂ©fĂ©rence Ă  l’aune de laquelle les autres accents, et particulièrement les accents « étrangers », sont susceptibles d’ĂŞtre (d)Ă©valuĂ©s. Ainsi, la nĂ©cessitĂ© de whitiser dans certains contextes, c’est-Ă -dire de « parler comme un blanc », a Ă©tĂ© Ă©voquĂ©e par tous les enquĂŞtĂ©s. Cette pratique peut ĂŞtre dĂ©finie comme une forme d’accommodation langagière, qui consiste Ă  adapter sa façon de parler et de communiquer Ă  celle de son interlocuteur français non camerounais, en imitant l’accent français standard de ce dernier, et en gommant ainsi son propre accent Ă©tranger (Giles, Coupland et Coupland 1991). Elle est alors perçue comme une stratĂ©gie langagière nĂ©cessaire pour s’intĂ©grer dans la sociĂ©tĂ© d’accueil, et peut ĂŞtre envisagĂ©e comme une stratĂ©gie de contrĂ´le du « stigmate » [3] (Goffman 1975) que constitue l’accent, « puissant prĂ©dicteur de la position sociale » (Bourdieu 1982, p. 92) dans l’imaginaire collectif, et vecteur de stĂ©rĂ©otypes susceptibles d’ĂŞtre dĂ©valorisants pour le locuteur, dès lors que celui-ci est associĂ© Ă  un groupe social stigmatisĂ©. Au cours d’interactions avec des personnes extĂ©rieures au groupe, l’individu, susceptible d’ĂŞtre stigmatisĂ© du fait de son accent Ă©tranger, va donc chercher Ă  en contrĂ´ler les effets possiblement nĂ©gatifs par la pratique du whitisage. Il s’agit d’une stratĂ©gie de « convergence » vers les façons de parler de l’interlocuteur « blanc », selon la thĂ©orie de l’accommodation communicationnelle, empruntĂ©e Ă  la psychologie sociale :

« « Convergence » has been defined as a strategy whereby individuals adapt to each other’s communicative behaviors in terms of a wide range of linguistic-prosodic-nonverbal features including speech rate, pausal phenomena and utterance length, phonological variants, smiling, gaze, and so on. » [4] (Giles, Coupland et Coupland 1991, p. 7).

Les actes communicatifs de convergence visent donc Ă  rĂ©duire les diffĂ©rences interpersonnelles entre les interlocuteurs en rĂ©duisant les diffĂ©rences langagières. Ils tĂ©moignent, chez le locuteur, d’un dĂ©sir (plus ou moins intentionnel) d’intĂ©gration sociale ou d’identification Ă  l’autre.

Ainsi, Yohan, l’un de mes enquêtés, décrit sa propre pratique du whitisage :

« Yohan [5] : whitiser c’est forcĂ©ment parler comme un Blanc on parle tous avec notre accent + + on parle tous avec notre accent moi je parle avec mon accent +, mais quand tu parles avec les Français et que tu veux ĂŞtre dans la mĂŞme longueur d’onde + c’est-Ă -dire quand il parle avec ses aigus et ses trucs tu veux aussi parler comme lui

Suzie : [rires]

Yohan : [rires] obligĂ© + c’est systĂ©matique + si tu veux avoir une conversation avec lui

Suzie : se mettre au même niveau

Yohan : se mettre au mĂŞme niveau + comme tu ne pourras jamais parler comme un Chinois + ou comme tu pourras jamais parler comme un Anglais +, mais quand tu vas vouloir discuter avec lui + tu vas vouloir t’aligner Ă  sa façon c’est-Ă -dire euh + s’il marque des pauses tu vas vouloir faire les mĂŞmes pauses que lui pour que il te comprenne tu vois

[…]

Suzie : mais du coup pour toi whitiser ça : + ça veut dire modifier l’accent enfin :

Yohan : oui + c’est modifier l’accent + lĂ  tu peux plus + tu peux pas avoir forcĂ©ment ton accent + quand tu veux essayer de parler comme l’autre + voilĂ  + c’est comme un commercial + tu t’imagines un Camerounais il arrive il quitte la France il arrive ici il est commercial il va se mettre Ă  parler le français + eh ben il est obligĂ© d’adapter sa voix

Suzie : mmh

Yohan : sinon tu vas voir que comment + les gars vont pas te comprendre + puisque si tu entends un Camer + va au pays + tu entends un Camer parler + ben je suis pas sĂ»r que + je te dis + c’est-Ă -dire enregistre + et tu viens tu fais parler ça Ă  un Français + et tu lui demandes si il comprend ».

Le sujet dĂ©crit ici le whitisage comme un comportement nĂ©cessaire, une contrainte sociale qui pèse sur le locuteur. En tĂ©moignent, notamment : l’usage de l’adverbe forcĂ©ment, qui exprime ici Ă  la fois la nĂ©cessitĂ© et un haut degrĂ© de certitude chez le sujet ; l’usage de l’adjectif obligĂ©, employĂ© Ă  deux reprises (« tu t’imagines un Camerounais il arrive il quitte la France il arrive ici il est commercial il va se mettre Ă  parler le français + eh ben il est obligĂ© d’adapter sa voix ») ; l’emploi de l’adjectif systĂ©matique, qui indique un comportement gĂ©nĂ©ralisĂ© au sein de la communautĂ© et intĂ©grĂ©, d’après le locuteur, dans les normes interactionnelles du groupe (« obligĂ© + c’est systĂ©matique + si tu veux avoir une conversation avec lui »). Le locuteur Ă©nonce d’abord une dĂ©finition qui Ă©quivaut Ă  une maxime de comportement pour la communautĂ© (« whitiser c’est forcĂ©ment parler comme un Blanc »), et propose une justification de ce comportement, en dĂ©crivant cette pratique comme une forme de mimĂ©tisme du langage de l’interlocuteur (« parler comme l’autre ») et une identification Ă  l’autre qui est dĂ©sirĂ©e, voulue par le locuteur et qui relève donc aussi d’un choix personnel, comme en tĂ©moigne la rĂ©pĂ©tition du verbe vouloir (« quand tu parles avec les Français et que tu veux ĂŞtre dans la mĂŞme longueur d’onde + c’est-Ă -dire quand il parle avec ses aigus et ses trucs tu veux aussi parler comme lui » ; « quand tu vas vouloir discuter avec lui + tu vas vouloir t’aligner Ă  sa façon »). Il dĂ©crit ensuite le whitisage comme une forme d’alignement Ă  la façon de parler de l’interlocuteur, quelle que soit sa nationalitĂ©, qu’il soit Français, Chinois, ou Anglais. Cet alignement n’est pas une imitation parfaite de la façon de parler de l’autre (« tu ne pourras jamais parler comme un Chinois + ou comme tu pourras jamais parler comme un Anglais »), mais elle a une fonction sociale : elle permet de « se mettre au mĂŞme niveau » que l’interlocuteur. Le passage du pluriel gĂ©nĂ©ralisant « les Français » au singulier indique une essentialisation maximale du sociotype du « Français » et de sa façon de parler, symbolisĂ©e ici de façon stĂ©rĂ©otypĂ©e par un unique trait langagier, « ses aigus et ses trucs ». La rĂ©fĂ©rence au « Chinois » indique que le sujet, qui est responsable de production informatique dans une grande banque, conçoit la pratique du whitisage comme une stratĂ©gie de communication nĂ©cessaire dans un espace globalisĂ© au sein duquel les relations commerciales avec la Chine ont une importance capitale. Elle peut Ă©galement indiquer l’écart langagier du chinois par rapport au français, pour souligner et exemplifier la difficultĂ© de parler exactement de la mĂŞme manière qu’un groupe avec un autre accent ou un autre langage. Cette dimension sociale et stratĂ©gique du whitisage est ensuite Ă©voquĂ©e encore plus explicitement Ă  propos du « commercial » qui arrive au Cameroun : « c’est comme un commercial + tu t’imagines un Camerounais il arrive il quitte la France il arrive ici il est commercial il va se mettre Ă  parler le français + eh ben il est obligĂ© d’adapter sa voix ». Ici, le sujet opère un lien implicite entre le statut social du locuteur, un « commercial », mĂ©tier caractĂ©risĂ© par une forte dimension relationnelle, et la nĂ©cessitĂ© de whitiser ou « d’adapter sa voix ». Peu après, il justifie la nĂ©cessitĂ© pour cette personne de whitiser par un autre argument : l’inter-comprĂ©hension entre locuteurs français et camerounais (« sinon tu vas voir que comment + les gars vont pas te comprendre »), du fait de la difficultĂ© de comprĂ©hension de l’accent camerounais pour un Français (« si tu entends un Camer + va au pays + tu entends un Camer parler + ben je suis pas sĂ»r que + je te dis + c’est-Ă -dire enregistre + et tu viens tu fais parler ça Ă  un Français + et tu lui demandes si il comprend »).

On retrouve donc ici, dans les motifs avancés par Yohan pour justifier sa pratique du whitisage, les deux motifs principaux proposés par Giles, Coupland et Coupland (1991) pour expliquer les facteurs favorisant l’accommodation langagière :

– Whitiser pour se faire comprendre (recherche d’efficacitĂ© au niveau de la communication) : tous les locuteurs tĂ©moignent de la difficultĂ© de comprĂ©hension de leur accent par leurs interlocuteurs lorsqu’ils sont arrivĂ©s en France, et de la nĂ©cessitĂ© de le travailler pour se faire comprendre et pour communiquer efficacement avec les autres. Tous ont pris conscience de leur diffĂ©rence et presque tous cherchent plus ou moins Ă  modifier leur accent. Cette prise de conscience du « stigmate » de l’accent est gĂ©nĂ©ralement provoquĂ©e, d’après les discours des acteurs, par des actes de langage stigmatisants tels que la demande de reformulation, l’interpellation, la moquerie ou l’injure, qui ont aussi une valeur performative en ce qu’ils assignent une place de stigmatisĂ© Ă  l’interlocuteur en dĂ©signant sa diffĂ©rence langagière. Cette dĂ©couverte par le sujet de sa diffĂ©rence est une Ă©tape essentielle dans la « carrière morale » du stigmatisĂ© (Goffman 1975) et dans le processus de constitution de nouvelles dispositions langagières : au cours de sa « carrière morale », qui se dĂ©finit comme la « construction du moi sous l’angle de l’institution », « dans un mouvement de va-et-vient du privĂ© au public, du moi Ă  son environnement », l’individu Ă©labore le « système de reprĂ©sentations par lesquelles il prend conscience de lui-mĂŞme et apprĂ©hende les autres » (Goffman 1975, p. 178-179). C’est donc Ă  travers les relations de connaissances rĂ©ciproques nouĂ©es dans des conditions de socialisation diverses et spĂ©cifiques que le sujet apprend Ă  se penser comme diffĂ©rent et porteur du stigmate social que peut constituer l’accent dans certains contextes. Ici, Yohan explique la nĂ©cessitĂ© d’ « adapter » son accent camerounais pour se faire comprendre de son interlocuteur.

– Whitiser pour projeter une image de soi positive et valorisante (recherche d’« attractivitĂ© sociale ») : plus le locuteur aura besoin d’obtenir « l’approbation sociale » (social approval) de l’autre et de prĂ©senter une image positive et valorisante de soi, plus le degrĂ© de convergence de ses pratiques langagières vers celles de son interlocuteur sera important (Giles, Coupland et Coupland 1991, p. 19). Ainsi, le whitisage permet Ă©galement de s’aligner sur l’autre et de « se mettre au mĂŞme niveau » que l’interlocuteur, d’« être son Ă©gal ». L’enjeu n’est donc plus seulement de se faire comprendre, mais aussi de gommer sa marque d’altĂ©ritĂ© langagière, en parlant un « français sans accent », et de rĂ©duire ainsi les diffĂ©rences avec son interlocuteur. L’imitation des façons de parler de l’interlocuteur se fait non seulement au niveau de l’accent, mais aussi au niveau de l’intonation (on imite « ses aigus et ses trucs ») et des pauses (« tu vas vouloir faire les mĂŞmes pauses que lui pour que il te comprenne tu vois »).

Si tous les enquĂŞtĂ©s, Ă  l’instar de Yohan, insistent donc sur la nĂ©cessitĂ© de whitiser dans certains contextes en prĂ©sence de non Camerounais, ils attribuent toutefois Ă  cette pratique des valeurs ambivalentes, et leurs positionnements vis-Ă -vis du whitisage ne sont pas sans ambiguĂŻtĂ©. Toutefois, afin de mieux comprendre les valeurs attribuĂ©es au whitisage par les acteurs, il est nĂ©cessaire de tenir compte des conditions socio-historiques d’Ă©mergence de cette pratique, et du sens de la rĂ©fĂ©rence Ă  la catĂ©gorie raciale « Blanc »/« White » dans la dĂ©nomination et la dĂ©finition du whitisage d’une part, et dans les discours des acteurs d’autre part.

Hypothèse sur l’émergence du whitisage : « la construction du  »Blanc » » et le rapport au langage.

Comme l’explique Bourdieu dans Ce que parler veut dire, au sein d’un « marché » linguistique oĂą les valeurs des formes linguistiques sont inĂ©gales, ce qui se passe entre deux personnes qui interagissent par le langage « doit sa forme particulière Ă  la relation objective entre les langues ou les usages correspondants, c’est-Ă -dire entre les groupes qui parlent ces langues » (Bourdieu 1982, p. 61) : ainsi, « [l]es caractĂ©ristiques spĂ©cifiques du travail de production linguistique dĂ©pendent du rapport de production linguistique dans la mesure oĂą il est l’actualisation des rapports de force objectifs (e.g. rapports de classe) entre les locuteurs (ou les groupes dont ils font partie) » (Bourdieu 1977, p. 22). Autrement dit, la structure sociale des rapports de pouvoir entre les interlocuteurs (ou les groupes auxquels ils appartiennent) dĂ©termine en partie la position de chacun dans l’interaction. Dans le cas de la pratique du whitisage, le rapport socio-historique de domination coloniale structure et informe en partie les interactions, et explique certaines valeurs sociales ambivalentes attribuĂ©es par les locuteurs Ă  cette pratique, dans le cas de migrants venant d’un pays anciennement colonisĂ© par la France. Ainsi, la rĂ©fĂ©rence Ă  la catĂ©gorie raciale « Blanc » ou « White » et les valeurs attribuĂ©es par les acteurs au whitisage m’ont amenĂ©e Ă  formuler une hypothèse sur l’émergence de cette pratique langagière, qui serait une consĂ©quence psychologique et culturelle du rapport de domination entre colonisateur et colonisĂ©. Si la dimension historique n’Ă©puise nullement les significations de ce phĂ©nomène social, qui a Ă©voluĂ© dans l’espace et dans le temps, et qui a Ă©tĂ© investi de nouvelles valeurs dans le contexte de la migration, sa prise en compte permet nĂ©anmoins de comprendre certaines significations ambivalentes attribuĂ©es par les acteurs Ă  cette pratique.

Dans les rapports interethniques, comme dans toute interaction groupale, « le mĂŞme se construit dans son interaction avec l’autre. L’identitĂ© – ethnique, sociale – ne prĂ©existe pas au contact : elle est un produit socio-historique qui naĂ®t de lui », et qui rĂ©sulte d’un rapport de domination historiquement situĂ© entre les groupes (Bres 1989, p. 74). Ainsi, le sociologue Albert Memmi, dans son Portrait du colonisĂ©, dĂ©crit ce processus de domination entre le colonisateur blanc et le colonisĂ© noir, et ses consĂ©quences au niveau de la construction des images sociales essentialisantes et antithĂ©tiques du « Noir » et du « Blanc » [6]. Il analyse en particulier l’attitude du colonisĂ© qui cherche Ă  imiter le comportement du colonisateur « Blanc », sa façon de s’habiller, de parler et de se conduire, pour sortir de sa condition infĂ©rieure (Memmi 1973, p. 152). Ce mimĂ©tisme du « Blanc » rĂ©sulte, selon Memmi, de l’idĂ©ologie coloniale, qui a construit un « portrait mythique du colonisé » Ă  l’exact opposĂ© du portrait idĂ©alisĂ© du colonisateur, dans une relation dialectique « ennoblissement du colonisateur – abaissement du colonisé » (Memmi 1973, p. 109). De mĂŞme, le philosophe et psychiatre Frantz Fanon, dans Peau noire, masques blancs, dĂ©crit une attitude similaire chez les Martiniquais :

« Dans un groupe de jeunes Antillais, celui qui s’exprime bien, qui possède la maĂ®trise de la langue, est excessivement craint ; il faut faire attention Ă  lui, c’est un quasi-Blanc. En France, on dit : parler comme un livre. En Martinique : parler comme un Blanc » (Fanon 1952, p. 34).

On retrouve ici la dĂ©finition exacte du terme « whitiser » en usage dans la communautĂ© camerounaise. « Parler comme un Blanc » pour un Martiniquais qui arrive en mĂ©tropole, d’après Fanon, consiste en particulier Ă  imiter la prononciation du [r] du français hexagonal. Frantz Fanon explique ce mimĂ©tisme du langage du « Blanc » par un « complexe d’infĂ©riorité » chez le colonisĂ©, qui l’amène Ă  prendre pour modèle le langage et la culture mĂ©tropolitains. Imiter le langage du « Blanc » permet au colonisĂ© de s’Ă©lever dans la hiĂ©rarchie sociale et d’accĂ©der Ă  un statut privilĂ©giĂ© au sein de sa communautĂ© d’origine. D’après Fanon, si son analyse concerne les Antilles françaises, ce comportement se retrouverait chez tout peuple ayant Ă©tĂ© colonisĂ© (Fanon 1952, p. 38-39).

Comme toute catĂ©gorie raciale, la catĂ©gorie « Blanc » est donc une construction historique et socio-politique, qui a Ă©tĂ© crĂ©Ă©e parce qu’elle Ă©tait utile « au dĂ©veloppement et au maintien de structures de pouvoir, y compris symboliques, et de systèmes socio-Ă©conomiques gĂ©nĂ©ralement fondĂ©s sur l’exploitation de la force de travail », au temps de l’esclavage et de la colonisation (Ndiaye 2008, p. 239). En effet :

« Jusqu’au milieu du 20e siècle, les distinctions raciales furent présentes, en particulier pour justifier des rapports de domination matérielle et symbolique exercés par des groupes humains sur d’autres groupes humains. Elles étaient donc inséparables des hiérarchies sociales. La « race » était une catégorie sociale au service de systèmes de pouvoir, qui produisait des hiérarchies essentielles et irréductibles, et fournissait une justification à des crimes de masse. » (Ndiaye 2008, p. 35-36).

Le « Blanc » a Ă©tĂ© historiquement construit comme un modèle de comportement pour le colonisĂ© et comme le portrait antithĂ©tique du « Noir », qui est lui-mĂŞme une construction historique, « l’Autre par excellence, l’opposĂ© absolu du Blanc » (Ndiaye 2008, p. 239). Ainsi, Pascal Blanchard et Gilles BoĂ«tsch dĂ©crivent comment, dans l’iconographie coloniale, qui « devint au cours du 19e siècle le substrat majeur de conquĂŞte des opinions publiques en Occident », l’homme blanc a Ă©tĂ© dĂ©fini comme un hĂ©ros et un martyr, Ă©rigĂ© en « un  » modèle de rĂ©fĂ©rence », une normativitĂ© du monde colonial (…) au travers d’un certain nombre de codes graphiques opposĂ©s Ă  ceux que l’on inventa pour l’indigène », l’Autre qui devait, Ă  l’inverse, ĂŞtre « stigmatisĂ© par l’image » (Blanchard et BoĂ«tsch 2013, p. 132). De mĂŞme, Görög-Karady (1975) remarque que, dans la littĂ©rature orale africaine, le « Blanc » a souvent Ă©tĂ© associĂ© Ă  des attributs stĂ©rĂ©otypĂ©s : idĂ©alisĂ© et valorisĂ©, il est investi de valeurs essentiellement positives et prĂ©sentĂ© comme supĂ©rieur par rapport au « Noir ». Ainsi, dans cette littĂ©rature, le « Blanc » est souvent reprĂ©sentĂ©, par contraste avec la reprĂ©sentation courante des membres de la communautĂ© africaine, comme « un homo faber », c’est-Ă -dire, comme « un technicien supĂ©rieur de la fabrication d’objets utilitaires, de la construction et de la destruction. Cette image semble dominer toutes les autres, les pĂ©nĂ©trer mĂŞme, si bien qu’on en retrouve les Ă©lĂ©ments jusque dans les vertus morales, intellectuelles ou autres imputĂ©es aux Blancs » (Görög-Karady 1975, p. 638). En plus de sa grande technicitĂ©, le « Blanc » est aussi caractĂ©risĂ© par sa grande beautĂ©, « équivalant parfois explicitement Ă  la clartĂ© de [sa] peau », par son intelligence et par sa ruse, associĂ©es Ă  sa culture livresque, et enfin, par ses vertus morales (Görög-Karady 1975, p. 639).

Comprendre les attributs historiquement associĂ©s Ă  la catĂ©gorie « Blanc » nous permet donc de mieux dĂ©crire les valeurs attribuĂ©es par les acteurs Ă  la pratique du whitisage au Cameroun. Ainsi, pour le cas du Cameroun contemporain, l’anthropologue Joseph Marie Zambo Belinga (2003) dĂ©crit la pratique du whitisage [7] comme le produit de l’« idĂ©ologie moderniste » de ce pays, marquĂ© par un « mimĂ©tisme culturel » du « Blanc » qui serait la voie privilĂ©gie d’accès Ă  la « civilisation » et au progrès social. La rĂ©ussite sociale passerait nĂ©cessairement, d’après lui, par l’« aptitude Ă  copier le comportement du Blanc » (Belinga 2003, p. 31). « Whitiser » confĂ©rerait un prestige social certain au sujet, en particulier dans « les milieux de jeunes, voire intellectuels » (Belinga 2003, p. 29) : « à l’intĂ©rieur de la strate qui utilise le français comme instrument privilĂ©giĂ© de communication, on note une forte tendance dans leurs conversations Ă  imiter le ton du Blanc au point oĂą ceux qui ne s’y conforment pas sont traitĂ©s de  »villageois » » (Belinga 2003, p. 29). Mimer l’accent du « Blanc » serait donc le signe d’une très grande compĂ©tence du locuteur en français. Le whitisage est associĂ© Ă  la modernitĂ©, par opposition Ă  l’emploi du français avec l’accent des langues locales, pratique qui, associĂ©e au « village », est investie de valeurs nĂ©gatives.

Plusieurs valeurs sont donc idĂ©ologiquement et historiquement associĂ©es Ă  la catĂ©gorie « Blanc » : celles, notamment, de modernitĂ©, de supĂ©rioritĂ©, de civilisation, de rĂ©ussite sociale, de maĂ®trise du français standard, ou encore de beautĂ©, en relation avec la couleur de peau (blanche) [8]. Certaines de ces valeurs pourront ou non ĂŞtre activĂ©es en contexte, en fonction des circonstances et des objectifs communicationnels du locuteur. On voit ainsi comment les significations sociales attribuĂ©es par les acteurs Ă  la pratique du whitisage sont indissociables de la construction historique du « Blanc » et des rapports historiques de domination politique qui lui sont liĂ©s. Toutefois, si la pratique du whitisage chez les Camerounais, qui est idĂ©ologiquement associĂ©e Ă  la catĂ©gorie « Blanc/White », peut permettre au locuteur d’exprimer son identification Ă  son interlocuteur blanc en s’alignant sur sa façon de parler, elle lui permet aussi d’indiquer de multiples positionnements en interaction : en effet, on ne whitise pas seulement en prĂ©sence de personnes Ă  peau blanche, et la catĂ©gorie « Blanc/White » ne renvoie pas seulement au phĂ©notype de l’interlocuteur (sa couleur de peau), mais aussi Ă  des attributs sociaux idĂ©ologiquement associĂ©s Ă  cette catĂ©gorie. C’est pourquoi, dans de nombreux cas, une personne choisira de « whitiser » avec un interlocuteur non blanc (du point de vue du phĂ©notype), car ce dernier va ĂŞtre jugĂ© par le locuteur comme possĂ©dant des attributs sociaux idĂ©ologiquement associĂ©s au « White »/« Blanc », indĂ©pendamment de sa couleur de peau. Le whitisage entre Camerounais est un bon exemple de ce phĂ©nomène. Cette pratique, jugĂ©e très nĂ©gativement par tous les enquĂŞtĂ©s, instaure un rapport hiĂ©rarchique et inĂ©galitaire entre les sujets. Elle peut ĂŞtre perçue par l’interlocuteur comme une forme de condescendance ou comme un manque de respect de la part du locuteur, ce qui introduit un rapport asymĂ©trique entre les personnes. D’autre part, plusieurs enquĂŞtĂ©s disent explicitement qu’ils « whitisent » avec moi malgrĂ© mes origines camerounaises et ma couleur de peau noire, en raison de ma façon de parler sans l’accent camerounais, qui est identique Ă  celle des « Blancs » ou des « Français », du fait que je suis nĂ©e et que j’ai grandi en France. Ma position de doctorante Ă  l’universitĂ©, associĂ©e Ă  la norme du français acadĂ©mique, contribue sans doute Ă©galement Ă  ce choix. Au niveau de la signification, on serait donc passĂ©, au cours de l’histoire et de l’évolution de cette pratique sociale, de l’expression d’un rapport de pouvoir associĂ© au contexte de la domination coloniale, Ă  celle d’un rapport asymĂ©trique ou inĂ©galitaire entre les locuteurs, que la pratique du whitisage peut renforcer ou au contraire rĂ©duire, en faveur d’une relation plus Ă©galitaire avec l’autre.

Ambivalence des significations du whitisage.

La prise en compte de la construction sociale de la catĂ©gorie raciale « Blanc » et de la dimension historique du phĂ©nomène d’imitation langagière du « Blanc » nous permet de mieux comprendre pourquoi les acteurs attribuent au whitisage des valeurs ambivalentes. D’une part, lorsque cette pratique est jugĂ©e nĂ©cessaire par le locuteur qui souhaite ĂŞtre compris de son interlocuteur non camerounais, elle est valorisĂ©e comme une forme d’adaptation et d’ouverture Ă  l’autre et Ă  un nouvel environnement socio-culturel, comme dans le cas de Yohan vu prĂ©cĂ©demment. Mais dans certaines situations, le whitisage peut ĂŞtre perçu nĂ©gativement comme une forme d’assimilation et de nĂ©gation de soi, comme une forme de condescendance vis-Ă -vis de l’interlocuteur, ou encore comme l’expression d’un complexe d’infĂ©rioritĂ©, en particulier pour les Camerounais qui whitisent avec d’autres Camerounais. Toutefois, l’analyse des discours rĂ©vèle que ni la dĂ©finition de la pratique du whitisage, ni le choix de catĂ©goriser ou non sa propre pratique de l’accommodation langagière comme une forme de whitisage, ne vont de soi. En fonction des formes d’identification qu’il construit en interaction, c’est-Ă -dire des groupes sociaux auxquels il s’identifie, de l’image qu’il construit de l’autre, de l’image qu’il veut donner de lui-mĂŞme Ă  son interlocuteur, mais aussi de la relation intersubjective qu’il souhaite instaurer avec ce dernier, le sujet va Ă©laborer des positionnements variables. Ainsi, plusieurs enquĂŞtĂ©s, qui dĂ©clarent pourtant adapter leur façon de parler Ă  celle de leur interlocuteur français, disent ne pas « whitiser », notamment en raison des connotations pĂ©joratives associĂ©es Ă  ce mot. C’est le cas d’Émilie, dans le passage suivant, oĂą je l’interroge sur sa pratique du whitisage :

« Suzie : est-ce que tu considères que tu whitises ou pas ?

Émilie : heu : + je dirais pas que je whitise + je dirais que je parle le français comme les Français

Suzie : mmh

Émilie : après heu + si ça s’appelle whitiser : + peut-ĂŞtre + je parle le français comme les Français

[…] après les Camerounais peut-ĂŞtre qu’ils appellent ça whitiser

Suzie : mmh +, mais tu dirais pas que tu whitises quoi

Émilie : non + pour moi non + pour moi je m’adapte Ă  la langue du pays oĂą je vis + ouais

Suzie : c’est pas la dĂ©finition du : fait de whitiser + c’est pas ça whitiser ?

Émilie : ben pour moi + whitiser au Cameroun a un sens pĂ©joratif + + donc heu vu que je parle plusieurs langues je refuserai de donner un sens pĂ©joratif au fait que je m’adapte Ă  mon interlocuteur ou Ă  mon environnement + pour moi c’est plutĂ´t m’adapter Ă  mon interlocuteur et Ă  mon environnement + après dans un autre contexte whitiser serait essayer de parler Ă  un Camerounais avec un ton et un accent français + moi je trouverais justement justement [9] c’est gĂ©nĂ©ralement dans ces cas-lĂ  qu’on dit, mais + pourquoi tu whitises + pourquoi tu me parles Ă  moi comme si j’Ă©tais quelqu’un d’autre + dans ce sens lĂ  oui je trouve que c’est pas appropriĂ© parce que + moi mon attitude dans la communication ben : c’est que je vais parler Ă  la personne qui est en face de moi avec un ton qu’il va comprendre et par rapport Ă  l’environnement culturel dans lequel on est ».

On remarque ici qu’Émilie, tout en reconnaissant s’adapter Ă  son interlocuteur et Ă  l’environnement culturel dans lequel elle se trouve (« je parle le français comme les Français », « je m’adapte Ă  la langue du pays oĂą je vis »), et en se dĂ©finissant, plus loin dans l’entretien, comme un « camĂ©lĂ©on », refuse de dĂ©signer cette forme d’accommodation langagière comme du whitisage, en raison des valeurs pĂ©joratives qui sont associĂ©es Ă  cette pratique au Cameroun. La rĂ©pĂ©tition de la phrase « je parle le français comme les Français » exprime l’identification de la locutrice au groupe des Français et sa volontĂ© d’imiter leur façon de parler. L’enquĂŞtĂ©e propose une dĂ©finition restrictive du whitisage : « après dans un autre contexte whitiser serait essayer de parler Ă  un Camerounais avec un ton et un accent français ». Elle cite une dĂ©finition qui serait socialement partagĂ©e, comme en tĂ©moigne l’usage du pronom « on » Ă  valeur collective et impersonnelle qui renvoie Ă  la communautĂ© sociale, et l’usage de l’adverbe gĂ©nĂ©ralement qui indique qu’il s’agit d’une dĂ©finition Ă  valeur gĂ©nĂ©rale, communĂ©ment partagĂ©e (« moi je trouverais justement justement c’est gĂ©nĂ©ralement dans ces cas-lĂ  qu’on dit, mais + pourquoi tu whitises + pourquoi tu me parles Ă  moi comme si j’Ă©tais quelqu’un d’autre »). Elle sanctionne ce comportement en le jugeant inappropriĂ©, en invoquant comme argument la norme interactionnelle dĂ©crite au dĂ©but de l’extrait, selon laquelle le locuteur doit s’adapter Ă  son interlocuteur et au contexte culturel dans lequel il se trouve.

Cette dĂ©finition nĂ©gative du whitisage apparaĂ®t dans de nombreux entretiens. GĂ©nĂ©ralement, les commentaires stigmatisants et très critiques des acteurs vis-Ă -vis de ceux qui whitisent de façon inappropriĂ©e avec des Camerounais en France, agissant comme des « complexĂ©s », visent aussi Ă  dĂ©noncer un comportement qu’on pourrait qualifier d’« assimilationniste », par lequel les personnes agissant de la sorte seraient soupçonnĂ©es de vouloir dissimuler leurs origines en toutes circonstances, telles des « peaux noires sous un masque blanc », comme l’a remarquĂ© Solange, l’une de mes enquĂŞtĂ©es, faisant ainsi explicitement rĂ©fĂ©rence Ă  l’ouvrage de Frantz Fanon. Un autre enquĂŞtĂ©, FrĂ©dĂ©rick, dĂ©crit cette pratique du whitisage entre Camerounais comme un manque de respect envers l’interlocuteur. Il imagine sa propre rĂ©action si sa petite amie Solange, qui est aussi d’origine camerounaise, se mettait Ă  whitiser avec lui :

« FrĂ©dĂ©rick : si Solange se mettait Ă  me whitiser sans aucune raison et si c’est pas sur un ton moqueur je lui dirais, mais + tu me respectes pas je suis Camerounais comme toi tu n’as pas Ă  me parler comme ça en fait + [XXXXXX]

Suzie : ah ouais + [tu le prendrais mal en fait]

FrĂ©dĂ©rick : ouais je le prendrais mal alors que : + alors que ce serait quelqu’un d’autre je lui dirais pas ça +, mais c’est parce que je sais en fait qu’elle est capable de me parler comme un Camerounais donc pour moi en me parlant comme ça elle n’accepte pas le fait que je sois Camerounais en fait elle me parle comme si j’Ă©tais blanc alors qu’elle sait que + dans l’autre sens je suis capable de lui rĂ©pondre comme ça + si elle ne savait pas je ne considèrerais pas la question +, mais si elle me rĂ©pond pas je lui dirais non non + non non non arrĂŞte ça arrĂŞte ça + parle-moi normalement + pour moi le normal est bien de parler camerounais quand je suis avec elle ».

Ici, FrĂ©dĂ©rick considère la pratique du whitisage entre Camerounais capables de « switcher », c’est-Ă -dire de « parler camerounais » ou de « whitiser » selon les circonstances, comme une façon inappropriĂ©e de communiquer et comme un moyen de marquer une distance avec l’interlocuteur, en lui refusant son appartenance Ă  la communautĂ© « noire » camerounaise (« elle me parle comme si j’Ă©tais blanc »). Le locuteur oppose ici deux façons de parler français, qu’il prĂ©sente comme parfaitement distinctes et opposĂ©es : le groupe verbal « parler camerounais », construit sur le modèle « parler + langue » (comme « parler français »), dĂ©signe la façon « normale », habituelle, de parler entre Camerounais, et s’oppose Ă  la pratique du whitisage. Il instaure donc une hiĂ©rarchie de valeurs entre deux façons de parler dans ce contexte prĂ©cis, oĂą le whitisage est perçu comme un manque de respect, et le fait de « parler camerounais », qui est la norme d’usage ici, est prĂ©sentĂ© Ă  l’inverse comme la manière courante, non marquĂ©e, de communiquer ; l’usage de l’adverbe normalement renvoie Ă  cette norme d’usage que le locuteur invoque ici. Dans le discours fictif qu’il adresse Ă  sa petite amie, l’interdiction de whitiser et le reproche fait Ă  l’autre, accusĂ©e d’adopter un comportement irrespectueux (« tu n’as pas Ă  me parler comme ça en fait », « tu me respectes pas »), expriment le point de vue du sujet sur les règles qui rĂ©gissent l’interaction entre des personnes camerounaises. Cette norme d’interaction est basĂ©e sur l’identitĂ© (perçue comme similitude) entre locuteur et interlocuteur, le locuteur s’identifiant Ă  son interlocuteur du fait de leur origine commune, comme l’indique la comparaison « comme toi » (« je suis Camerounais comme toi »). Cette identification du locuteur Ă  son interlocuteur justifie, d’après lui, le fait de « parler camerounais » et explique l’incongruitĂ© du choix de whitiser. La rĂ©pĂ©tition de la nĂ©gation, dans l’expression du dĂ©saccord du locuteur face au choix de son interlocutrice de whitiser (« si elle me rĂ©pond pas je lui dirais non non + non non non arrĂŞte ça arrĂŞte ça + parle-moi normalement »), a une valeur expressive : elle souligne l’agacement du locuteur face au comportement de l’autre, et son refus de ce comportement. Ici, le locuteur s’identifie clairement Ă  la communautĂ© des Camerounais, et revendique son phĂ©notype « noir » en refusant la place que lui assignerait son interlocutrice en « whitisant » avec lui (« elle me parle comme si j’Ă©tais blanc »). La connaissance de l’interlocuteur et de ses aptitudes langagières est donc, d’après lui, dĂ©terminante pour juger positivement ou nĂ©gativement la pratique du whitisage chez une personne. Whitiser avec un Camerounais aurait un sens, d’après lui, uniquement si l’acte avait une fonction ludique ou humoristique. Ailleurs dans l’entretien, il explique que whitiser avec un Camerounais revient Ă  agir comme si on le « prenait de haut » : cela tĂ©moigne donc, selon lui, d’une certaine condescendance vis-Ă -vis de l’interlocuteur et de la volontĂ© de la part du locuteur de montrer sa supĂ©rioritĂ© par rapport Ă  son interlocuteur en instaurant une relation inĂ©galitaire entre les participants Ă  l’interaction.

On voit donc comment la dĂ©finition et les valeurs attribuĂ©es Ă  la pratique du whitisage dĂ©pendent en grande partie des perceptions du locuteur, de l’image de soi qu’il veut construire en interaction, de la relation entre les interlocuteurs, et du contexte de l’interaction. NĂ©anmoins les locuteurs, conscients de leur altĂ©ritĂ© langagière du fait de leur accent, altĂ©ritĂ© dont ils font l’expĂ©rience au quotidien dans leurs interactions avec des membres extĂ©rieurs au groupe des pairs, dĂ©clarent whitiser en France, ou tout du moins faire l’effort de converger vers les pratiques de leur interlocuteur « français », par nĂ©cessitĂ©. Le rapport au langage est donc une composante essentielle de l’expĂ©rience migratoire des sujets : il structure leurs relations sociales, informe l’expĂ©rience subjective de leur diffĂ©rence, et constitue un enjeu dĂ©terminant pour leur insertion dans leur nouvel environnement socioculturel.

Analyser le langage pour Ă©clairer des processus sociaux.

Envisager le langage comme une pratique sociale effective et indissociable des autres implique donc, au niveau mĂ©thodologique, de croiser des concepts et des analyses issus de diffĂ©rentes disciplines des sciences sociales, qui permettent d’Ă©clairer les pratiques langagières dans leur dimension sociohistorique. Cette pluri-mĂ©thodologie, envisagĂ©e non comme une simple juxtaposition de points de vue disciplinaires sur un mĂŞme objet, mais comme une vĂ©ritable interdisciplinaritĂ©, ne peut s’effectuer qu’avec des mĂ©thodes cohĂ©rentes et complĂ©mentaires, afin d’« établir de vĂ©ritables connexions entre concepts, outils d’analyse et modes d’interprĂ©tation de diffĂ©rentes disciplines » (Charaudeau 2010, p. 198). Toutefois, cette entreprise ne va pas sans difficultĂ©s. D’une part, le recours Ă  diffĂ©rentes mĂ©thodes disciplinaires peut amener le chercheur Ă  simplifier des notions empruntĂ©es Ă  d’autres disciplines pour les adapter Ă  l’analyse de son objet d’Ă©tude dans son propre champ disciplinaire, et donc Ă  « [faire] cavalièrement l’impasse sur des distinctions plus fines qui montreraient au bout du compte qu’il y a plus de diffĂ©rences que de similitudes » (Charaudeau 2010, p. 197). D’autre part, la pratique de la pluridisciplinaritĂ©, si elle consiste dans la simple addition de plusieurs disciplines, ne permet pas de crĂ©er de vĂ©ritable interaction entre elles ni d’aboutir Ă  des rĂ©sultats pertinents qui puissent amener le chercheur Ă  remettre en cause certains de ses prĂ©supposĂ©s. Dans ce cas, on juxtapose des points de vue disciplinaires variĂ©s qui apportent un Ă©clairage diffĂ©rent (et sans doute salutaire) sur un mĂŞme objet d’analyse, tout en conservant nĂ©anmoins l’autonomie de chaque discipline et sans que chacune d’elle ne soit amenĂ©e Ă  rĂ©interroger ses prĂ©supposĂ©s par la confrontation avec une autre discipline. Cependant, si elle est envisagĂ©e comme une vĂ©ritable interdisciplinaritĂ©, qui « [fait] se confronter diverses compĂ©tences disciplinaires afin de rendre plus pertinents ces concepts et outils d’analyse, ou d’étendre le champ des interprĂ©tations Ă  partir de rĂ©sultats eux-mĂŞmes issus de protocoles d’analyse communs » (Charaudeau 2010 p. 198), la pratique de la pluridisciplinaritĂ© peut ĂŞtre l’occasion d’engager un vĂ©ritable dialogue entre la linguistique et les autres sciences sociales, et de sensibiliser les chercheurs d’autres disciplines Ă  la dimension sociale de la question langagière. En effet, si l’on peut observer d’autres pratiques sociales, telles que l’alimentation par exemple (Calvo 1997), pour accĂ©der « à la connaissance des modes d’insertion [des migrants], et tout particulièrement aux formes empiriques qu’ils revĂŞtent aux divers niveaux de la vie quotidienne » (Calvo 1997, p. 49), l’entrĂ©e langagière est tout autant susceptible de proposer un Ă©clairage anthropologique complĂ©mentaire et prĂ©cieux sur les effets que la mobilitĂ© spatiale et socioculturelle entraĂ®ne sur la vie quotidienne des individus. Ainsi, l’étude de questions aux enjeux sociaux (et politiques) majeurs, telles que les discriminations ethniques et raciales, pourrait inclure la question du langage, qui joue un rĂ´le central dans l’accès des individus aux ressources matĂ©rielles et symboliques. D’autre part, une approche anthropologique de la socialisation langagière des migrants, basĂ©e sur des faits empiriques et adoptant le point de vue des acteurs plutĂ´t que celui des États, permet de proposer une analyse fine des processus migratoires Ă  la fois Ă  l’échelle individuelle et Ă  l’échelle d’un groupe social restreint. Ainsi, elle peut complĂ©ter et nuancer certaines analyses opĂ©rĂ©es au niveau macrosociologique, en questionnant certains concepts souvent utilisĂ©s pour dĂ©crire les processus migratoires, comme ceux d’« intĂ©gration » et d’« assimilation » (KuagbĂ©nou 1997) (Rea et Tripier 2008), qui prennent un sens diffĂ©rent si l’on tient compte de la rĂ©alitĂ© subjective du processus migratoire, telle qu’elle est vĂ©cue au quotidien par les acteurs. Ainsi, l’analyse des discours sur la pratique du whitisage nous montre que pour ces individus qui sont pourtant bien « intĂ©grĂ©s » sur le plan socioĂ©conomique, l’insertion sociale n’est jamais dĂ©finitive, mais se (re)joue et se (re)nĂ©gocie Ă  chaque interaction, dans les dĂ©tails subtils des rencontres quotidiennes. La recherche en anthropologie du langage ou en sociolinguistique peut donc contribuer Ă  alimenter une rĂ©flexion critique sur les phĂ©nomènes sociaux. Dans cette perspective, l’analyse du langage fait partie intĂ©grante de l’étude du monde social.

Résumé

Cet article a pour objectif de souligner les apports d'une approche pluridisciplinaire pour l’étude du langage dans son contexte social, à partir de l’analyse de la pratique du whitisage chez des migrants camerounais francophones à Paris. Cette pratique consiste à « parler comme un blanc », en imitant la prononciation standard de l’interlocuteur. Après avoir défini le langage comme une pratique sociale indissociable des autres, on tentera de montrer ici, à travers l’analyse des discours des acteurs sur leurs pratiques langagières, en quoi une approche pluridisciplinaire, au croisement de la linguistique, de la sociologie, de la psychologie sociale et de l’histoire, s'avère indispensable pour comprendre les enjeux sociaux de la pratique du whitisage en contexte migratoire, et son rôle dans la négociation des relations interethniques. Ce faisant, est démontré l’intérêt et l’apport de l’analyse du langage pour la compréhension de processus sociaux complexes tels que la migration.

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Zambo Belinga, Joseph Marie. 2003. « Une société aux repères ambigus » The African Anthropologist, vol. 10, n°1 : p. 23-36.

Notes

[1] Ces discours ont Ă©tĂ© recueillis dans le cadre d’entretiens semi-directifs, basĂ©s sur une enquĂŞte ethnographique que je mène depuis fĂ©vrier 2014 dans une association panafricaine Ă  Paris, selon une dĂ©marche d’observation participante.

[2] Selon Bourdieu (1982, p. 123), « il y a marchĂ© linguistique toutes les fois que quelqu’un produit un discours Ă  l’intention de rĂ©cepteurs capables de l’évaluer, de l’apprĂ©cier, et de lui donner un prix ». La mĂ©taphore du marchĂ© sert donc Ă  dĂ©crire les inĂ©galitĂ©s et les hiĂ©rarchies de valeurs (ou de prix) entre des langues et des façons de parler au sein d’un espace social donnĂ©. Plus le sujet maĂ®trise la façon de parler la plus valorisĂ©e au sein du « marché », plus il a de chances d’en tirer profit et d’accĂ©der Ă  des positions sociales avantageuses.

[3] Selon Goffman (1975), le stigmate dĂ©signe un attribut qui jette un discrĂ©dit sur une personne. Il peut s’agir d’une anormalitĂ© physique (difformitĂ©, handicap), d’un trait de caractère ou de comportement, ou de tout autre attribut comme « la race, la nationalitĂ© et la religion » (Goffman 1975, p. 14). Le stigmate n’existe pas en soi comme un attribut essentiel, mais il est le produit d’un rapport social : il se manifeste dans la rencontre face Ă  face entre une personne « normale » et une autre qui possède un attribut qui la rend diffĂ©rente des autres membres de la catĂ©gorie dont elle fait partie, dans des circonstances sociales et historiques donnĂ©es. Ainsi, un individu ne possède un « accent » que par rapport Ă  quelqu’un d’autre. « Lorsque le stigmate est visible, par exemple la couleur de la peau dans un monde oĂą cette distinction est efficiente, l’individu est immĂ©diatement discrĂ©ditĂ©. Il est amenĂ© Ă  devoir contrĂ´ler dans l’interaction les effets de l’existence du stigmate. (…) Si le stigmate est non directement visible, l’individu est alors discrĂ©ditable et il peut chercher Ă  contrĂ´ler l’information qui pourrait lui porter prĂ©judice. » (Rea et Tripier 2008, p. 60).

[4] Traduction de l’auteur : « La  »convergence » a Ă©tĂ© dĂ©finie comme une stratĂ©gie par laquelle des individus s’adaptent rĂ©ciproquement Ă  leurs comportements communicatifs sur une large gamme de traits linguistiques, prosodiques et non verbaux qui incluent le dĂ©bit, les pauses, la longueur des Ă©noncĂ©s, les variations phonologiques, le sourire, le regard, etc. »

[5] Conventions de transcription : le signe + indique une pause brève, le signe ++ une pause plus longue. Les segments d’Ă©noncĂ©s entre crochets [….] correspondent aux chevauchements de parole. Le signe : indique un allongement vocalique. Le signe [XXXX] indique un passage inaudible. Tous les prĂ©noms employĂ©s sont des pseudonymes.

[6] cf. Blanchard et Boëtsch 2013

[7] L’auteur emploie le terme « whitisation », qu’il dĂ©finit comme « le processus d’imiter l’homme Blanc en parlant sa langue » (Zambo Belinga 2003, p. 29).

[8] Ainsi, Zambo Belinga (2003, p. 30-31) cite plusieurs expressions couramment employĂ©es dans la sociĂ©tĂ© bĂ©ti au Cameroun, qui tĂ©moignent selon lui « de la reprĂ©sentation qu’on s’y fait du Blanc » : « vivre comme un Blanc » s’emploie pour « prĂ©senter la rĂ©ussite sociale d’un individu » ; « s’habiller comme un Blanc », pour dire « mettre de beaux vĂŞtements ou encore des vĂŞtements coĂ»teux » ; « manger comme un Blanc », pour dire « avoir une alimentation riche, variĂ©e et Ă©quilibrĂ©e ». De mĂŞme, lorsqu’un parent dit « mon Blanc de fils », il dĂ©signe « son fils qui a socialement rĂ©ussi », et lorsqu’il dit que « leur fille est blanche », cela peut signifier « qu’elle est belle » ou « qu’elle a Ă©tĂ© Ă   »l’école du Blanc » et en est sortie nantie de nombreux diplĂ´mes ». Ces comparaisons et ces mĂ©taphores, inscrites dans le bĂ©ti, nous indiquent que la catĂ©gorie « Blanc » renvoie ici non pas Ă  la couleur de peau de la personne, mais bien Ă  des caractĂ©ristiques qui lui sont attribuĂ©es (beautĂ©, rĂ©ussite, prospĂ©ritĂ©, Ă©ducation, etc.) et qui sont idĂ©ologiquement associĂ©es au sociotype du « Blanc ».

[9] La répétition est dans l’énoncé initial.

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