L’un des grands mérites de Foucault, parmi beaucoup d’autres, a été de suggérer des questions, des questions innombrables dont certaines n’ont toujours pas reçu de réponses satisfaisantes. Un peu plus de vingt ans après sa disparition, il est encore parmi nous, avec les questions qui parsèment son œuvre ou qui sont suscitées par elle. Pour le dixième anniversaire de sa mort, j’avais rédigé un texte intitulé « Foucault aurait-il pu révolutionner la géographie’ » (Raffestin, 1997). Il y avait déjà un point d’interrogation comme il y en a toujours eu depuis, chaque fois que j’ai parlé de Foucault, et aujourd’hui encore à propos de l’actualité. Comme l’a bien montré François Ewald dans « Foucault et l’actualité » (Ewald, 1997, p. 203), il s’agit non seulement de l’actualité de la pensée de Foucault, mais encore de son rapport à l’actualité. Les deux choses sont, en fait, beaucoup plus liées qu’on ne l’imagine car, comme j’essaierai de le montrer à partir des cours qui viennent d’être publiés, l’actualité de la pensée foucaldienne réside dans le fait même que, pour beaucoup d’entre nous, les outils du philosophe aident à penser, encore maintenant, l’actualité la plus immédiate. Foucault disait : « Je me considère […], comme un journaliste, dans la mesure où ce qui m’intéresse, c’est l’actualité, ce qui se passe autour de nous, ce que nous sommes, ce qui arrive en nous. » (ibid., p. 204).
Si Foucault avait vécu le drame du tsunami du 26 décembre 2004, il n’aurait probablement pas manqué d’en parler et d’en donner une interprétation:« L’art de Michel Foucault était de diagonaliser l’actualité par l’histoire » comme l’a écrit Michel Senellart, dans l’avertissement qu’il a rédigé aux cours du Collège de France (Foucault, 2004a et 2004b). Il s’y serait probablement intéressé dans la perspective du biopouvoir pour la bonne et simple raison que les conséquences de la catastrophe illustrent, par excellence, la question de la biopolitique telle que Foucault l’a évoquée dans les deux cours du Collège de France dont il sera question plus bas.
À cet égard, Foucault était dans la lignée de ces philosophes pour lesquels tout est matière à réflexion, non pour commenter, mais pour tenter de comprendre ce qu’est la conscience à travers quelque chose qui nous concerne, mais aussi et surtout nous dépasse. Sa passion pour le 18e siècle, qu’il voyait souvent comme la matrice de la modernité, l’aurait probablement incité, à l’instar d’autres philosophes, à accorder une attention particulière au tremblement de terre de Lisbonne de 1755 et à celui de La Calabre et de Messine de 1783. Il aurait probablement été attentif et sensible au fait que la réception du cas de Lisbonne, dans la mémoire collective, a été celle d’une « redoutable hiérophanie » s’exprimant sous la forme de l’équation élémentaire: tremblement de terre = vengeance divine. En revanche, la réception du tremblement de terre de La Calabre, si l’on excepte la vision prémonitoire de Rousseau qui s’en prit aux hommes et non pas à la nature, ne fut pas du même ordre. Beaucoup rejetèrent la façon de voir de 1755 et donc « l’équation » commode, et invoquèrent des explications scientifiques, certes peu satisfaisantes comparées aux explications actuelles, mais qui révélèrent, néanmoins, un changement profond dans la manière d’approcher le problème de la catastrophe dite naturelle.
Ces deux exemples historiques et le tsunami sont à prendre, dans leurs conséquences, comme des cas emblématiques illustrant la substance des deux cours de Michel Foucault sur le pouvoir, le biopouvoir, la sécurité et la multiplicité, en un mot le gouvernement de la population. Le cas de La Calabre, si Foucault l’avait connu, l’aurait fasciné car les écosystèmes humains furent bouleversés et le tissu social gravement déchiré par la transformation des comportements concomitant de l’effondrement des normes civiles et des normes religieuses dans les couvents. Par ailleurs, La faim, le froid et les épidémies achevèrent de décourager les survivants. Le roi Ferdinand iv expédia son vicaire général avec 100 000 ducats pour les premiers secours dont l’organisation s’avéra difficile. Ce fut un exemple de crise dans la gestion de la population.
A-t-on le droit de prêter à Foucault ce qui aurait pu l’intéresser ? Certains penseront que non, mais dans le cas de ses cours qui ne constituent pas une œuvre achevée puisqu’il s’agit d’une parole enregistrée. Tout « lecteur » de cette « parole » est habilité à prolonger la réflexion sur des textes, non définitifs par définition, mais qui expriment un Foucault que ses lecteurs connaissent ou reconnaissent, au détour d’un mot, d’une phrase, d’une figure de style. On sait bien qu’il regrettait de ne pouvoir engager le dialogue avec ses auditeurs à l’issue de ses cours et l’on peut penser que ce « dialogue différé » qui nous est offert ne lui aurait certainement pas déplu. Il est vrai, cependant, qu’on ne peut pas traiter cette « parole inscrite » comme un texte rédigé que Foucault aurait longuement travaillé, amendé et corrigé. Je veux dire par là qu’on ne peut pas travailler sur ses cours publiés comme sur ses livres achevés. Le cours aurait pu devenir un livre, mais il ne l’est pas devenu, en tous cas pas toujours.
Ces réserves étant faites et malgré tout l’intérêt que présente la lecture des cours de Foucault, il y a quelque chose d’étrange à vouloir en faire un compte-rendu, comme s’il s’agissait d’un ouvrage écrit, il y a quelques mois. Non, il s’agit d’un cours, écrit il y a un quart de siècle, et il faut trouver une autre manière d’en parler. Nous sommes au-delà ou en deçà du texte, nous sommes dans cette zone entre la parole et l’écrit qui la cristallise. Si l’érosion du temps sur l’écrit est terrible, elle l’est moins sur la parole qui d’elle-même invite à une polysémie particulière. Même cristallisée, la parole n’a pas le caractère définitif et contraignant de l’écrit.
Pour rendre compte de ces cours, il faut peut-être les resituer dans la sphère d’influence que la pensée de Foucault a contribué à créer. Cette sphère d’influence doit plus à la manière de penser le futur et à celle de mettre en circulation des outils dont certains sont à peine émoussés malgré le temps. Même si l’œuvre foucaldienne peut être contestée, et elle l’est, je dirais que c’est, néanmoins, une « monnaie » pour le futur ou une monnaie de réserve. Nous sommes nombreux à ne pas nous être trompés à ce sujet.
Mais considérons le projet de Foucault dans le cours de 1977-1978 : sécurité, territoire, population. Son projet avoué est l’étude du bio-pouvoir: « Cette année, je voudrais commencer l’étude de quelque chose que j’avais appelé comme ça, un petit peu en l’air, le bio-pouvoir, c’est-à-dire cette série de phénomènes qui me paraît assez importante, à savoir l’ensemble des mécanismes par lesquels ce qui, dans l’espèce humaine, constitue ses traits biologiques fondamentaux va pouvoir entrer à l’intérieur d’une politique, d’une stratégie politique, d’une stratégie générale de pouvoir, autrement dit comment la société, les sociétés occidentales modernes, à partir du 18e siècle, ont repris en compte le fait biologique fondamental que l’être humain constitue une espèce humaine» (Foucault, 2004a, p. 3). La réflexion est inachevée, mais il faut bien la nommer, alors pourquoi pas « bio-pouvoir ». De la même manière, Foucault se défend de livrer une théorie du pouvoir, mais en rappelle l’origine relationnelle et ses liens avec la politique de la vérité qui n’est rien d’autre que la définition du mot « philosophie ». Ces prémisses étant posées, Foucault commence son cours en disant : « donc là, çà s’appelle « sécurité, territoire, population ». Ce serait une erreur de penser que Foucault « fait » de la géographie dont il ne sait pas ce que c’est comme il l’a dit ou écrit quelque part, quand bien même il évoque la notion de milieu à propos des Recherches sur la population (1778) de Moheau, dont le mot ne figure pas chez cet auteur. Non, Foucault fait une anthropologie philosophique de la population dans l’espace ce qui, on en conviendra, n’est pas la même chose: « Alors premièrement, en gros, les questions d’espace. On pourrait dire comme ça, au premier regard et d’une façon un peu schématique : la souveraineté s’exerce dans les limites d’un territoire, la discipline s’exerce sur le corps des individus, et enfin la sécurité s’exerce sur l’ensemble d’une population », mais ce n’est pas exactement cela qu’il veut dire et il se corrige. Il veut parler de l’exercice de la souveraineté sur une multiplicité soit comme la multiplicité de sujets, soit comme la multiplicité d’un peuple. Ce que Foucault veut étudier c’est le gouvernement de la multiplicité. Évidemment, cela le conduit à évoquer le quadrillage territorial, la ville et même la ville capitale, la circulation, la délinquance et l’urbanisme pour assurer l’hygiène, le commerce intérieur de la ville, l’articulation du réseau de rues sur les routes extérieures et enfin permettre la surveillance ce qui est un grand problème urbain au 18e siècle. Les apparences — les apparences sont trompeuses — semblent faire la part belle à la « géographie ». Ce n’est pourtant pas de cela qu’il s’agit puisque ce qui est en cause c’est la gestion ou si l’on préfère le gouvernement de la population. En d’autres termes, il faut savoir gérer l’événement qui a des implications pour la population : maladies et épidémies, disettes et famines, régulation des prix, discipline, lois et normes, dressage et contrôle.
Parlant de la population, Foucault est très clair : « On va la considérer comme un ensemble de processus qu’il faut gérer dans ce qu’ils ont de naturel et à partir de ce qu’ils ont de naturel » (ibid., p. 72). La population sera donc considérée par un bout comme espèce humaine par un autre bout comme le public. C’est tout ce qui va du biologique aux comportements, aux opinions, aux habitudes et aux préjugés : « De l’espèce au public, on a là tout un champ de réalités nouvelles, réalités nouvelles en ce sens qu’elles sont pour les mécanismes du pouvoir, les éléments pertinents, l’espace pertinent à l’intérieur duquel et à propos duquel on doit agir » (ibid., p. 7). Finalement, le terme de biopolitique choisi par Foucault est parfaitement justifié puisqu’il exprime les deux « bouts » de la population. Le bon gouvernement est celui capable d’améliorer le sort des populations, en constituant un savoir de tous les processus qui intéressent la population. Cela débouche sur la gouvernementalité ou ensemble des institutions et des procédures propres au pouvoir, mais encore souveraineté et discipline que Foucault exprime par la métaphore du pastorat soit le rapport berger-troupeau qu’il a cherché à expliciter à travers la culture hébraïque et la culture grecque, pour la transposer ensuite au gouvernement des hommes. On se remémorera les paroles de Frédéric de Prusse qui voulait gérer sa population comme une harde de cerfs dans un parc. Le despote éclairé pensait, malgré les apparences, au bien de sa population dans la perspective de sa bonne gestion.
L’aboutissement au 18e siècle de cette gestion de la multiplicité est constitué par ce grand « ensemble technologique » que l’on appelait à cette époque-là la « police » dont le sens n’a rien à voir avec le sens actuel. La police, à partir du 17e siècle et jusqu’à la fin du 18e siècle, c’est l’ensemble des moyens par lesquels on peut faire croître les forces de l’État tout en maintenant le bon ordre de cet État : « Premièrement, la police aura à s’occuper, premier souci, du nombre des hommes… Deuxième objet de la police : les nécessités de la vie, ensuite le problème de la santé, enfin l’activité des hommes et la circulation. Évidemment, tout cela n’est pas nouveau, mais pris en un tout cela s’appelle la modernité caractéristique de l’État contemporain ».
Alors que le cours de 1978-1979 aurait dû continuer l’analyse de la biopolitique, il s’en est détourné et a très vite évolué, pour l’essentiel en direction d’une histoire de la gouvernementalité ce dont Foucault s’explique, par ailleurs: « Mais il me semble que l’analyse de la biopolitique ne peut se faire que lorsque l’on a compris le régime général de cette raison gouvernementale dont je vous parle, ce régime général que l’on peut appeler la question de vérité, premièrement de la vérité économique à l’intérieur de la raison gouvernementale… » (ibid. p. 24). On voit tout de suite qu’il s’agit du libéralisme et qu’il est question pour Foucault de l’identifier car, pour lui, c’est le seul moyen de saisir ce qu’est la biopolitique.
Là, encore, nous sommes en pleine modernité puisque ce nouvel art de gouverner commence à se formuler et à se dessiner au milieu du 18e siècle. Cette analyse va conduire Foucault à enquêter dans la sphère de l’économie politique. Évidemment, cette partie du cours, tout intéressante qu’elle est, souffre d’avoir été dite il y a plus d’un quart de siècle et même si la méthode foucaldienne est toujours à considérer, l’information a quelque peu vieilli. Je relèverai cependant quelques idées qui à l’époque pouvaient surprendre : « la devise du libéralisme, c’est vivre dangereusement » … « Et c’est cette espèce de stimulus du danger qui va être, je crois, une des implications majeures du libéralisme »…comme également le panoptique est la formule même d’un gouvernement libéral (ibid., p. 68-69).
Foucault renoue avec l’analyse biopolitique à l’occasion d’une identification du capital humain à propos duquel il distingue les éléments innés et les éléments acquis chez les individus : « …l’ensemble des stimuli culturels reçus par un enfant : tout cela va constituer des éléments susceptibles de former un capital humain » (ibid., p. 236). On voit qu’interviennent des processus d’élevage et de dressage à travers la culture. De là, Foucault passe à l’analyse économique de la justice pénale telle qu’on pouvait l’observer au 18e siècle : le coût de la délinquance, de la pratique judiciaire et de l’institution judiciaire elle-même. Le cadre est toujours celui d’une anthropologie, mais cette fois de nature économique. Foucault semble avoir été fasciné par l’application de l’homo oeconomicus au social en général dans la mesure où l’homo oeconomicus est celui qui accepte la réalité: « la conduite rationnelle, c’est toute conduite qui est sensible à des modifications dans les variables du milieu et qui y répond de façon non aléatoire, de façon donc systématique, et l’économie va donc pouvoir se définir comme la science de la systématicité des réponses aux variables du milieu » (ibid., p. 273). C’est donc par le détour de l’application de l’analyse économique au social que Foucault revient à la biopolitique.
D’une certaine manière, il appauvrit la notion qu’il a inventée car la biopolitique est indéniablement plus riche que celle qui fait le détour par l’économie, mais cette richesse se perd dans la mesure où elle se gaspille dans une gestion plus diffuse. En effet, le souverain est incapable de gérer l’entièreté du domaine économique et l’homo oeconomicus représente un défi à la conception traditionnelle du souverain. Pour surmonter ce défi, il faut une réalité nouvelle sur quoi s’exercera l’art de gouverner, à savoir la société civile (ibid., p. 299). L’homo oeconomicus et la société civile font partie du même ensemble, c’est l’ensemble de la technologie de la gouvernementalité libérale : réalité de transaction qui naît à l’interface des gouvernants et des gouvernés. Ce qui unit les hommes dans la société civile, ce sont bien des intérêts, mais qui vont au-delà des intérêts économiques contrairement aux intérêts égoïstes des sujets économiques : « Formellement, donc, la société civile c’est bien ce qui va être le véhicule du lien économique aux liens communautaires de la société civile. » À l’intérieur de la société civile, le lien économique liera les individus en faisant converger les intérêts, mais en même temps il sera un principe de dissociation par rapport à la communauté (ibid., p. 306).
Finalement, après un long détour, Foucault achève son cours en faisant une opposition entre ce qu’il appelle le « …gouvernement à la vérité. Vérité du texte religieux, vérité de la révélation, vérité de l’ordre du monde, c’était cela qui devait être le principe de réglementation, de réglage, plutôt, de l’exercice du pouvoir » et le réglage de l’exercice du pouvoir…selon le calcul, c’est-à-dire calcul des forces, calcul des relations, calcul des richesses, calcul des facteurs de puissance (ibid., p. 315). Ainsi la rationalité s’est substituée à la vérité et c’est ainsi qu’à partir du 16e-17e siècle, mais surtout du 18e siècle, on voit émerger « les formes modernes de la technologie gouvernementale » qui se fondent sur la rationalité de ceux qui sont gouvernés, autrement dit sur la rationalité que Foucault qualifie de libérale. Finalement le libéralisme dans l’esprit de Foucault, en forçant un peu le trait comme il aimait lui-même à le faire, est une manière dangereuse de gouverner entre deux pôles : les intérêts économiques égoïstes et les intérêts plus « altruistes » de la société civile.
Il n’en demeure pas moins que tout cela a été pensé et dit, il y a longtemps, et si l’on veut rendre justice à Foucault, il faut se demander quelle a été la réception, non pas des cours inédits, mais des idées qui y étaient contenues et qui ont diffusé par une sorte de « percolation mentale collective ». Parmi les auteurs français, il y a, sans doute, embarras du choix, mais alors justement qui choisir ? Je ne voudrais pas faire injure à un mort ni non plus embarrasser un vivant, mais je vois de réelles influences de Michel Foucault sur Peter Sloterdijk. Bien que fort dissemblables l’un et l’autre, à beaucoup d’égards, ils partagent néanmoins des thématiques et des « façons de voir » repérables. Ce n’est pas seulement parce que Sloterdijk se réfère à Foucault, mais c’est aussi et surtout dans la manière d’analyser les choses que l’on voit affleurer l’influence foucaldienne (Sloterdijk, 1987) [1]. Sloterdijk le confesse : « D’une manière un peu différente, je me suis frayé à coups de dents un chemin à travers l’œuvre de Husserl et d’autres personnages de la tradition phénoménologique, et j’ai finalement plongé dans Foucault, dont l’œuvre représente une coupure qu’aujourd’hui encore peu de gens comprennent » (Sloterdijk, 2003, p. 16). Une recherche systématique permettrait, certes, d’affiner ces remarques, mais ce serait un autre travail qui incomberait plutôt à un philosophe qu’à un géographe. Je voudrais, néanmoins, signaler une dernière chose qui selon moi s’inscrit dans le droit-fil de la pensée de Foucault en matière de biopolitique : « Très récemment, au cours d’un vaste débat, on a compris ce terme (l’expression « anthropotechnique ») comme le synonyme du concept d’une biotechnologie humaine effectuant une planification stratégique… En vérité, l’expression « anthropotechnique » désigne un théorème philosophique et anthropologique de base selon lequel l’homme lui-même est fondamentalement un produit et ne peut donc être compris que si l’on se penche, dans un esprit analytique, sur son mode de production » (Sloterdijk, 2000, p. 18). C’est une manière complémentaire d’aborder la gestion de la population ou pour reprendre le terme de Michel Foucault de la gouvernementalité qui a été défini plus haut. Gouvernementalité des multiplicités chez Foucault, des « pluralités spatiales auxquelles on donne regrettablement le nom de sociétés », chez Sloterdijk. Je ne recherche pas une « filiation philosophique » entre Foucault et Sloterdijk, je constate seulement des convergences qui ne sont pas le fait du hasard, mais le fruit d’une fréquentation de la pensée du premier par le second.
Dans cette perspective de la réception des idées de Foucault contenues dans les deux cours analysés, je pense qu’il est raisonnable d’évoquer les deux ouvrages de Michael Hardt et Antonio Negri. Ces deux auteurs ont emprunté à Foucault le terme de biopolitique, mais en se l’arrogeant : « Dans la post-modernisation de l’économie mondiale, la création de richesses tend de surcroît vers ce que nous appellerons la production biopolitique, c’est-à-dire la production de la vie sociale elle-même dans laquelle l’économie, la politique et la culture se recoupent de plus en plus et s’investissent mutuellement » (Hardt et Negri, 2000, p. 18). Héritage de mots, héritage d’idées écrivait Léon Brunschvicg ! O combien il avait raison : « Non seulement l’Empire gère un territoire et une population, mais il crée aussi le monde réel qu’il habite. Non content de régler les interactions humaines, il cherche aussi à réguler directement la nature humaine. L’objet de son pouvoir est la vie sociale dans son intégralité, de sorte que l’Empire représente en fait la forme paradigmatique du biopouvoir » ·. Hardt et Negri se réfèrent beaucoup à Michel Foucault et puisent dans l’arsenal qu’il nous a légué.
Faut-il d’autres preuves pour démontrer l’actualité de Foucault « dans l’actualité » ? En tant que témoin, on ne se lasse jamais d’accumuler des preuves qu’elles soient formelles ou matérielles d’ailleurs ! L’œuvre de Foucault n’a pas encore fini de féconder la pensée contemporaine justement parce qu’elle est une « rupture » et par conséquent une opportunité fantastique pour apprendre à penser autrement.