Présentation
Les déséquilibres écologiques mettent en défaut la prétention de la science et de la technique à les maîtriser en raison de leur complexité et de leur aggravation. Les critiques de la notion de risque apportent, à cet égard, une confirmation : ces déséquilibres échappent, en effet, à la double condition de l’assurabilité et de l’anticipation. Il convient désormais de privilégier le concept d’incertitude environnementale pour qualifier la nouveauté radicale des dangers auxquels nos sociétés se trouvent exposées. L’insuffisance d’une écologie strictement scientifique, telle qu’elle a été pointée par les divers courants de l’écologie politique à partir des années 1940, se trouve ainsi confirmée. La nécessité est bien celle de penser politiquement l’écologie. Cette exigence impose à la théorie politique de renouer, et sans doute de façon inédite, avec son objet – celui d’interroger ce qui fait société et participe de son ordonnancement.
De nombreux chantiers ont été ouverts qui témoignent que cette interrogation semble, dans ce contexte de crise écologique, ne plus pouvoir ignorer ce défi théorique dont les incidences normatives et pratiques sont décisives : s’affranchir d’un dualisme nature-société dont l’anthropologie contemporaine a exhibé l’origine spécifiquement moderne. Mais ce défi est double, car il s’agirait, en s’affranchissant de l’opposition des deux termes, non pas de confondre mais de mettre en rapport.
Si un consensus parait se dessiner autour de l’impossibilité d’accepter et de consacrer ce dualisme, celle-ci ne reçoit pourtant pas un traitement uniforme. La prise en considération du caractère problématique de la dichotomie moderne ne vient pas nécessairement bouleverser nos catégories traditionnelles qui continuent dès lors d’intervenir dans l’élaboration de certaines versions de l’écologie politique, aussi radicales fussent-elles.
Ainsi de l’éco-socialisme dont on peut se demander s’il parvient à se départir totalement d’une interprétation des rapports à la nature en termes d’une production qu’il faudrait alors venir placer sous un contrôle collectif et technologique tenant compte des contraintes environnementales. De même, les pensées forgées par Ivan Illich et, à sa suite, A. Gorz, en privilégiant la critique de la société salariale et consumériste associée à la défense d’un « monde vécu », réservent une place secondaire à la remise en cause de l’anthropocentrisme moderne. Or, si le cadre dualiste dans lequel se nouent et se pensent classiquement les rapports entre nature et sociétés se trouve fragilisé, voire est devenu intenable compte tenu des déséquilibres environnementaux, une révision conceptuelle d’envergure ne doit-elle pas être conduite ?
Sur ce point, nous assistons, dans le champ de la philosophie politique, à l’inverse d’une défection. Mais ce travail de révision théorique ne s’accompagne pas, là encore, d’une communauté de vue. En atteste la multiplication des innovations conceptuelles logées notamment dans les écologies profonde et sociale, ou encore dans les pensées récentes de l’anthropocène et du capitalocène. C’est que l’effort pour mettre en rapport nature et société par-delà leur dualité retravaille, dans chaque cas, un ensemble spécifique d’aspects de notre modernité politique. Elle se trouve par là même forcée à un retour réflexif sur ses foyers d’exclusion du non-humain. Aussi bien la remise en cause de la dualité nature-société n’est jamais pour elle-même une réponse, mais le début d’un problème que ce colloque entend aborder dans sa pluralité en le formulant sous la forme de la question suivante : qu’est-ce qui est fondamentalement entré en crise dans notre modernité ?
30 janvier
Matinée
- 9:00 – Accueil des participants et introduction
- 9:30 –Olivier De Schutter,Professeur de droit à l’Université Catholique de Louvain, ancien rapporteur spécial des Nations-Unies sur le droit à l’alimentation : « Produire et consommer à l’ère de l’Anthropocène »
- 10:30 –Margaux Le Donné, doctorante au CERI, Sciences po : « Les apports de l’épistémologie féministe à une pensée non-dualiste de l’écologie politique »
- 11:30 –Lauriane Guillout, doctorante au Centre de Théorie Politique (Université Libre de Bruxelles) et au Laboratoire Interdisciplinaire d’Études sur les Réflexivités (École des Hautes Études en Sciences Sociales) : « La philosophie politique face à la nature : l’apport critique de l’anthropologie »
Après-midi
- 14:00 –Bruno Bernardi, Professeur en classes préparatoires au lycée Thiers, Marseille :« En-deçà et au-delà du grand partage : Rousseau et la question du reste »
- 15:00-15:30 Pause-café
- 15:30-17:00 –Catherine Larrère, Professeur émérite à l’Université de Paris I-Panthéon-Sorbonne :« Par-delà le grand partage : les résistances du dualisme »
31 janvier
Matinée
- 10:30 –Joëlle Zask, Maître de conférence à l’Institut d’Histoire de la Philosophie, Université d’Aix-Marseille :« Du jardin partagé à quelques réflexions politiques sur l’occupation »
- 11:30 –Bruno Latour, Professeur émérite associé au Médialab de Sciences po :« Quelle politique face à Gaïa ? »
Après-midi
- 14:30 –Clémence Nasr,doctorante au Centre de Théorie Politique (Université Libre de Bruxelles) et au Cevipof (Sciences po) :« La redécouverte d’un espace agricole et alimentaire : que dure la société »
- 15:30-16:00 Pause-café
- 16:00 –Pierre Charbonnier, Chargé de recherche au CNRS, Laboratoire Interdisciplinaire d’Études sur les Réflexivités (École des Hautes Études en Sciences Sociales) :« De la question sociale à la question écologique. Nouveaux arrangements politiques avec la matière »
- 17:00 –Louis Carré, Chercheur qualifié du FRS-FNRS, Université de Namur, etJean-Yves Pranchère, Professeur de théorie politique à l’Université Libre de Bruxelles :Conclusion
Université Libre de Bruxelles – 30 et 31 janvier 2020.