Une /

Résumé | Bibliographie | Notes

Sérendipité.

Agrandir la parole des habitants.

La Duchère, années 2000.

« Chantier interdit au public », Le Plateau, 2005. Photographie de l’auteure.

Immeuble 260, 2005. Photographie de l’auteure.

Les annĂ©es 2000 inaugurent une nouvelle phase de l’intervention publique dans les quartiers d’habitat social en France : la rĂ©novation urbaine. Le Programme National de RĂ©novation Urbaine (PNRU) est prĂ©sentĂ© en 2003 par le ministre de la Ville, Jean-Louis Borloo, comme une rupture par rapport aux politiques antĂ©rieures jugĂ©es inefficaces. Le programme privilĂ©gie l’amĂ©nagement urbain au dĂ©veloppement des politiques sociales. Le problème du logement est traitĂ© par des dĂ©molitions-reconstructions de H.L.M, sensĂ©es rĂ©tablir une mixitĂ© sociale. Le programme vise Ă  rĂ©duire les Ă©carts territoriaux entre les quartiers d’habitat social et les autres territoires, d’une part en construisant des logements pour attirer les classes moyennes dans ces quartiers et, d’autre part, en favorisant l’implantation de logements sociaux sur d’autres sites moins stigmatisĂ©s. En outre, le PNRU vise la « banalisation urbaine » des grands ensembles, afin d’en amĂ©liorer l’image. Se rapprocher de la ville dite « traditionnelle » se traduit par diffĂ©rentes interventions urbanistiques, comme la restructuration de la voirie, l’amĂ©lioration des connexions au centre-ville, la constitution d’Ă®lots de taille modeste, la revalorisation des espaces publics, le repositionnement de l’appareil commercial, la rĂ©sidentialisation des immeubles ou encore la crĂ©ation d’Ă©quipements.

L’exemple du grand ensemble de la Duchère Ă  Lyon, dans le 9e arrondissement, est emblĂ©matique de soixante annĂ©es de politique de la ville. Sa construction dans les annĂ©es 1960 rĂ©pond Ă  la crise du logement de l’après-guerre. En 1986, il est inscrit au DĂ©veloppement Social des Quartiers (DSQ), dans le cadre du 9e plan. Dès 1989, il fait l’objet d’un contrat de ville, renouvelĂ© et intĂ©grĂ© Ă  partir de 1993 dans le dispositif du DĂ©veloppement Social Urbain. En 2001, le voilĂ  inclus dans le Grand Projet de Ville (GPV) de l’agglomĂ©ration lyonnaise. Ce projet urbain a Ă©tĂ© conçu par Alain Marguerit, urbaniste-paysagiste. Il se poursuit par une convention signĂ©e avec l’Agence Nationale pour la RĂ©novation Urbaine (ANRU), le 13 mai 2005 [1] .

Ce grand ensemble a Ă©tĂ© au cĹ“ur de mon travail de recherche pendant dix ans, de 2001 Ă  2011, d’un Master 1 Ă  une thèse de sociologie et d’anthropologie. Cette temporalitĂ© a coĂŻncidĂ© avec celle de la rĂ©novation urbaine. Je concentre cet article sur le dĂ©but des annĂ©es 2000, la pĂ©riode entre 2001 et 2006, qui correspond Ă  une première phase d’annonces et de rĂ©alisations. Ces annĂ©es sont marquĂ©es par une forte conflictualitĂ© entre, d’une part, la municipalitĂ© qui dĂ©fend le projet et, d’autre part, des habitants organisĂ©s en collectifs. Les dĂ©molitions de logements sociaux, l’absence de concertation (« le projet est non nĂ©gociable », martèlent les Ă©lus), les dĂ©logements, le profond remodelage des espaces publics cristallisent les oppositions. Pour le dire avec les mots d’une habitante, « ce grand bazar rajoute de la souffrance Ă  une population qui n’avait de stable parfois que le quartier » [2].

Plus de dix ans après, je propose de reprendre le rĂ©cit de mon enquĂŞte ethnographique, le rĂ©cit d’une enquĂŞte incarnĂ©e [3]. Il ne s’agit pas de justifier a posteriori les orientations mĂ©thodologiques et thĂ©oriques prises dans la recherche. Ce rĂ©cit ne prĂ©tend pas non plus entĂ©riner une sociologie de la rĂ©novation urbaine. Largement subjectif, il pointe après coup quelques Ă©mergences issues d’un parcours de recherche.

Celui-ci s’est concentrĂ© sur des collectifs d’habitants, opposĂ©s au grand projet et engagĂ©s pour l’amender. Je voudrais donc par ce rĂ©cit contribuer Ă  pluraliser le sens des expĂ©riences de la rĂ©novation urbaine, afin qu’il puisse faire rĂ©sonance avec d’autres Ă©tudes qui ont Ă©clairĂ© des aspects diffĂ©rents, par exemple les politiques publiques en jeu (Epstein 2013), les trajectoires rĂ©sidentielles (LelĂ©vrier 2010) ou encore les transformations urbaines (Allen et Bonetti 2013) et architecturales (HoddĂ© 2014). Il ouvre surtout une sĂ©rie de questions relatives au statut de l’ethnographie : que peut faire l’ethnographe immergĂ©e dans une telle situation conflictuelle ? D’oĂą parlais-je pour dĂ©crire ce conflit, et avec qui ? Comment raconter les forces en prĂ©sence ? Comment rendre compte des ressources parfois minuscules dont disposent les habitants pour mieux apprĂ©hender le sens des grands projets, les contester et les amĂ©liorer ?

Au dĂ©but des annĂ©es 2000, la rĂ©novation est Ă  ses balbutiements. Quelques militants associatifs dans diffĂ©rentes villes de France font entendre leur voix contre les dĂ©molitions (par exemple, en ĂŽle-de-France, la Coordination Anti-dĂ©molition des Quartiers Populaires). Quelques rares chercheurs s’en saisissent, mais la parole des habitants bouleversĂ©s par ces projets de grande ampleur a du mal Ă  porter.

Le dĂ©sĂ©quilibre des forces en prĂ©sence est manifeste Ă  la Duchère : l’Ă©quipe municipale est fortement mobilisĂ©e pour soutenir ce projet, annoncĂ© comme l’un des axes forts du mandat Ă  la mairie centrale de GĂ©rard Collomb, ancien Maire du 9e arrondissement [4]. Dans ce quartier comme ailleurs, la dĂ©molition a « un parfum de dogme partagé » (Deboulet 2009, p. 119). Comment la dĂ©marche ethnographique peut-elle alors agrandir la parole des habitants ? Comment sensibiliser aux problèmes posĂ©s par la rĂ©novation et ainsi modifier l’attention publique ? Autrement dit, comment l’ethnographie vient-elle rĂ©armer la fonction critique de la sociologie ?

La lutte pour amender le GPV sera finalement perdue et les chantiers de dĂ©molition vites lancĂ©s. Dès lors, que puis-je encore dire des collectifs d’habitants mobilisĂ©s et de la rĂ©novation urbaine ? Ă€ quoi peuvent bien servir mes textes, si les paroles vives des habitants n’ont pas su convaincre les institutions ? In fine, c’est le statut des textes ethnographiques dans le temps que nous devons considĂ©rer : entre actualitĂ© politique brĂ»lante et temps long, ne constituent-ils pas des archives des quartiers populaires ?

Suivre un collectif, comprendre la rĂ©novation urbaine de l’intĂ©rieur.

Au dĂ©but de mon enquĂŞte, en Master 1 (on disait alors « maĂ®trise »), je voulais comprendre comment des habitants peuvent participer au dĂ©veloppement de leur quartier et se saisir des problèmes qui les concernent. Je suivrai ce fil problĂ©matique jusqu’Ă  la fin de ma thèse, qui vient documenter une vie publique trop peu analysĂ©e dans les grands ensembles (Madec et Murard 1995) (Kokoreff 2003). Je mène donc mon enquĂŞte Ă  partir d’un collectif d’habitants, au statut informel, puisqu’il n’a quasiment jamais eu d’existence associative : le Groupe de Travail Inter-quartiers (GTI). Sur fond de rĂ©novation urbaine, ce collectif fait surgir une question laissĂ©e en berne : « qu’est-ce que veut dire habiter lĂ , prĂ©cisĂ©ment ? ». Parce que c’est dans l’acte d’habiter que la participation citoyenne s’enracine, je m’attache Ă  dĂ©crypter les multiples liens qui se tissent entre des habitants et leur milieu de vie.

Le travail ethnographique a consistĂ© Ă  observer les pratiques du GTI, via de multiples scènes. J’ai assistĂ© aux rĂ©unions publiques mensuelles du collectif, participĂ© aux temps forts de la vie du quartier : j’ai marchĂ© aux cĂ´tĂ©s des habitants pour la veillĂ©e aux flambeaux d’un immeuble, la veille de sa dĂ©molition, et lors d’une marche silencieuse après l’incendie d’une Ă©glise. J’ai pu observer de l’intĂ©rieur des pratiques moins visibles, en me mĂŞlant Ă  une discussion entre habitants dans un centre social lors d’un moment d’attente, en assistant au dĂ©nouement d’un conflit entre voisins au pied de leur immeuble, ou encore en partageant un pique-nique pour fĂŞter l’Ă©tĂ© dans le parc du Vallon.

J’ai aussi saisi les effets de la rĂ©novation, Ă  l’aune de discussions plus intimes nouĂ©es avec quelques habitantes avec lesquelles une relation privilĂ©giĂ©e s’est construite. Ă€ l’occasion d’un repas d’anniversaire, d’une cĂ©rĂ©monie religieuse, d’un dĂ©pannage d’ordinateur, d’un dĂ©mĂ©nagement, de courses au supermarchĂ© ou d’une visite Ă  l’hĂ´pital, d’autres dimensions ont pu se dire : les difficultĂ©s Ă  boucler les fins de mois, la solitude, l’Ă©puisement de la mobilisation : « avoir fait tout ça pour rien », les fils adolescents trublions, les crises d’asthme aggravĂ©es par les poussières des chantiers. Ces femmes ont rencontrĂ© mes parents et mes amis. Avec certaines, nous continuons Ă  nous donner des nouvelles.

Étendue dans la durĂ©e, la recherche se fait chronique. Mes carnets ethnographiques sont remplis de notes qui consignent les Ă©vĂ©nements au jour le jour. Ils rassemblent celles prises sur le vif (quelques mots Ă©changĂ©s en apartĂ© d’une rĂ©union, lors d’un trajet en voiture, devant le guichet de la Poste), les retranscriptions des rĂ©unions et des entretiens enregistrĂ©s. Pour autant, l’ethnographie n’est pas encapsulĂ©e dans le prĂ©sent. Elle remonte le temps, reconstitue des chaĂ®nes chronologiques d’Ă©vĂ©nements et s’alimente de donnĂ©es historiques. De fait, mes carnets tiennent la chronique des Ă©vĂ©nements liĂ©s Ă  la rĂ©novation urbaine. Ils restituent des paroles et des activitĂ©s dans le temps, et de la sorte reconstituent un cours d’action.

Tenir la chronique.

1986-2006. En 1986, quelques habitants crĂ©ent le Groupe de Travail Inter-quartiers pour faire entendre leur voix dans le projet de rĂ©habilitation du quartier. Ce collectif constitue, avec les techniciens de la politique de la ville, des ateliers de travail consacrĂ©s aux interventions sur le bâti. La rĂ©habilitation achevĂ©e, ce groupe continue Ă  se rĂ©unir, chaque mois, autour de diffĂ©rents thèmes tels que la propretĂ© des espaces publics, l’animation pour les jeunes, les Ă©coles. Le GTI est prĂ©sentĂ© par l’un de ses fondateurs comme une « caisse de rĂ©sonance de tout ce qui se passe dans le quartier ». Les participants viennent exposer des problèmes et interpeller diffĂ©rents responsables invitĂ©s (bailleurs, municipalitĂ©, chef de projet). AnimĂ© par trois ou quatre habitants bĂ©nĂ©voles, le collectif prĂ©voit l’ordre du jour, invite les acteurs institutionnels et distribue la parole en rĂ©union. Chaque mois, entre vingt et cinquante habitants se rĂ©unissent, des habituĂ©s mais aussi des personnes qui viennent pour la première fois parce qu’elles ont un problème Ă  soulever [5].

En novembre 2001, le directeur du GPV vient se prĂ©senter dans une rĂ©union du GTI ; il est accompagnĂ© de l’ancien chef de projet de la politique de la ville, qui quittera ses fonctions quelques mois plus tard, en mars 2002. Le directeur explique que le projet reste en cours de dĂ©finition et se contente d’annoncer que des dĂ©molitions-reconstructions sont Ă  prĂ©voir, sans prĂ©ciser ni plan ni calendrier.

Au cours de l’automne 2002, les locataires de l’emblĂ©matique « barre des mille » sont informĂ©s de la dĂ©molition de leur immeuble par tranches successives (d’abord le 210, puis le 220 et, enfin, le 230). Les bailleurs organisent des rĂ©unions par allĂ©e d’immeuble pour informer les locataires des procĂ©dures de relogement. En novembre, les animateurs du GTI commencent Ă  s’inquiĂ©ter des dĂ©molitions. En dĂ©cembre, la mission GPV s’installe dans un local au Plateau, l’un des quatre sous-quartiers que compte la Duchère : la maquette du futur quartier est dĂ©sormais exposĂ©e au public. Les immeubles promis Ă  la dĂ©molition sont reprĂ©sentĂ©s avec des petits segments de plastique transparent, les constructions futures sont en rouge, bien que leur localisation, leur nombre, leurs caractĂ©ristiques ne sont pas encore prĂ©cisĂ©ment dĂ©terminĂ©es. Des locataires de l’immeuble 260 situĂ© sur le Plateau viennent voir la maquette et dĂ©couvrent que leur bâtiment va ĂŞtre dĂ©moli : leur bailleur, la SACVL (SociĂ©tĂ© Anonyme de Construction de la Ville de Lyon) ne les avait pas avertis. Cette dĂ©molition concerne 312 logements.

En janvier 2003, lors de la rĂ©union du GTI, plusieurs habitants se disent scandalisĂ©s par cette bĂ©vue et demandent Ă  ce qu’une rĂ©union soit consacrĂ©e Ă  ce projet. Celle-ci se tient le mois suivant et donne lieu Ă  une première confrontation, très vive, entre les habitants concernĂ©s par les dĂ©molitions et l’Ă©quipe municipale. Près de 100 personnes sont prĂ©sentes. Plusieurs habitants exposent leur dĂ©sarroi Ă  devoir quitter le quartier, Ă  l’instar de cet ouvrier retraitĂ©, habitant son immeuble depuis quarante ans qui se sent « foutu dehors comme un malpropre ». Il se trouve dans une incertitude totale : oĂą vivra-t-il l’an prochain ? D’autres contestent : le quartier n’est pas enclavĂ©, comme le prĂ©tend le directeur du GPV. La maire explique qu’elle comprend la colère qui s’exprime. Très vite, une dizaine d’habitants quittent la salle. La rĂ©union se poursuit bon an mal an, scandĂ©e par de nombreux brouhaha.

Le GPV prĂ©voit de passer de 80 Ă  60 % de logements sociaux [6], en en dĂ©molissant 1700 sur un parc social de 4000 appartements. Le centre commercial central est remplacĂ© par des commerces situĂ©s en pied d’immeuble ; une halle d’athlĂ©tisme et une grande place sont prĂ©vues sur le Plateau.

Dès 2003, des collectifs d’habitants s’organisent par immeuble pour dĂ©fendre les locataires. Ils font du porte-Ă -porte et relaient informations et plaintes au GTI, qui joue en quelque sorte le rĂ´le de « collectif des collectifs ». La critique des dĂ©molitions rejoint la position des associations mobilisĂ©es dans d’autres quartiers : une critique sociale des politiques de l’habitat, qui dĂ©nonce des dĂ©molitions massives dans un contexte de pĂ©nurie de logements sociaux et la dĂ©stabilisation financière des locataires relogĂ©s qui voient leur loyer augmenter ; une critique de la pensĂ©e spatialiste sensĂ©e lutter Ă  elle seule contre les problèmes sociaux des banlieues ; une critique du gaspillage de l’argent public investi pour rĂ©nover des immeubles aujourd’hui en bon Ă©tat, mais qu’on dĂ©cide nĂ©anmoins de dĂ©molir ; et, enfin, une critique liĂ©e au dĂ©ficit de concertation (Deboulet 2009, p. 106-108).

Dans une première phase, entre 2003 et 2004, le GTI s’engage dans une lutte offensive : l’objectif est l’abandon du projet, ainsi que l’Ă©tablissement d’un diagnostic avec les habitants pour envisager un autre projet. La mobilisation continue sous d’autres formes, quand chacun comprend que les Ă©lus ne reviendront pas sur les grands principes du projet. Les immeubles 210 et 260 sont dĂ©molis en 2005, le 220 en 2010, et le 230 est implosĂ© en 2015. Pendant ce temps, le GTI et les collectifs organisent une solidaritĂ© de voisinage (aide au dĂ©mĂ©nagement/emmĂ©nagement, visites, aide administrative) et dĂ©noncent sans relâche les nuisances des chantiers, les augmentations de loyer, les pannes d’ascenseurs, les malfaçons. Chaque nouvelle opĂ©ration de logement est passĂ©e au crible (cf. encadrĂ© n°1).

EncadrĂ© n°1 : Extrait d’un compte rendu d’une rĂ©union du GTI, juin 2006 [7].

Ex-gendarmerie (25 appartements OPAC du Rhône – relogement du 210 et 410)

*Augmentation des loyers (+ 50 Ă  + 80 euros), sur les contrats il est annoncĂ© seulement + 20… (pĂ©tition signĂ©e par tous les rĂ©sidents)

*Ascenseurs : pannes trop frĂ©quentes et huit jours d’attente pour les rĂ©parations

*Travaux inachevés ou mal faits dans les appartements

*Pas de terrain de jeux pour enfants, donc vélos et foot sur le parking

*Nuisances dues aux incivilités

Il est envisagĂ© avec le 1er adjoint (…) une rencontre des habitants avec l’OPAC.

Réflexions générales (…)

*On perçoit une tension dans le quartier. Les populations se croisent moins… Certains disent que l’on fait tout « pour les faire partir »… (…)

Sont aussi dĂ©voilĂ©es les multiples failles des acteurs publics, qui n’ont par exemple rien prĂ©vu pour accompagner le dĂ©mĂ©nagement des personnes âgĂ©es (Overney 2014). Le GTI relaie ces critiques en prise avec la vie matĂ©rielle et s’inquiète de l’ambiance installĂ©e par le grand projet : incivilitĂ©s, sentiment d’exclusion, petites mises Ă  distance quotidiennes. Par ses comptes rendus mensuels, il continue d’alerter les pouvoirs politiques.

Ne pas parler Ă  tout le monde.

Lorsque je dĂ©bute le travail de terrain, j’assiste aux rĂ©unions, je fais des entretiens avec les habitants, sans chercher Ă  rencontrer ni les Ă©lus ni l’Ă©quipe du GPV, un contact qui n’aura finalement jamais lieu. La première annĂ©e, en Master 1, l’explication est très simple : le temps d’enquĂŞte est court et je souhaite me concentrer sur la mobilisation des habitants. Après, au fur et Ă  mesure du travail, je crains que circuler dans l’espace institutionnel ne vienne mettre en cause la relation de confiance Ă©tablie avec les habitants, dans un contexte de forte conflictualitĂ© avec la municipalitĂ© [8]. Ne serait-ce que dans l’espace qui les rĂ©unit, les rĂ©unions mensuelles. Comment et Ă  qui dire bonjour sans brouiller les uns ou les autres ? Faire le tour des salutations pour le sociologue, c’est faire le tour des points de vue sur la politique urbaine. C’est une opĂ©ration de « symĂ©trisation des acteurs » chère Ă  la sociologie pragmatique (Benatouil 1999). Or, celle-ci court toujours le risque de reconduire la fiction d’une dĂ©mocratie pacifiĂ©e et de jouer sur tous les tableaux.

Parfois, en situation conflictuelle, il vaut mieux ne pas parler Ă  tout le monde. Ce n’est pas (qu’) un problème moral de relations interpersonnelles sur le terrain. Cette position « exclusive » a aussi une incidence sur le type d’analyse produite. Concrètement, je voulais saisir les choses de l’intĂ©rieur, comprendre les alertes, les conflits, les mouvements d’affects et les contre-propositions que suscitait le nouveau projet urbain. Il me fallait entrer dans un point de vue, celui de ces collectifs, pour que les habitants m’ouvrent leurs propres perspectives sur leur quartier en transformation, que je puisse en comprendre les dĂ©tails, les ambiguĂŻtĂ©s et les nuances. Qu’est-ce qui les animait ? J’ai cherchĂ© Ă  recueillir le plus large spectre de tĂ©moignages des habitants mobilisĂ©s et leurs critiques Ă  l’Ă©gard des collectifs (distension du lien avec les plus pauvres et les jeunes, discussions parfois trop calĂ©es sur le calendrier du projet et qui dĂ©laissent les problèmes du quotidien). Comprendre cette mobilisation, retracer les sensibilitĂ©s ne pouvait passer que par une attention resserrĂ©e. J’ai donc passĂ© tout le temps de l’enquĂŞte avec les habitants qui participaient aux collectifs.

Ceux-ci me voyaient comme une Ă©tudiante qui s’intĂ©ressait Ă  la Duchère et au GTI. Ils me parlaient volontiers et longuement de ce qu’ils faisaient, sans nourrir d’attente particulière (un quelconque apport du sociologue !) : le temps Ă©tait Ă  l’urgence dans les annĂ©es 2000, le calendrier du GPV imposait son rythme au collectif. La prioritĂ© Ă©tait Ă  l’action, ce qui ne nous empĂŞchait pas d’Ă©changer de temps Ă  autres sur le plan Borloo, tel article de LibĂ©ration sur les sans-papiers hĂ©bergĂ©s dans des appartements surchargĂ©s, ou encore le logement social en Angleterre. Mais la plupart du temps, avant les rĂ©unions, nous bavardions de la pluie et du beau temps. Je n’Ă©tais pas identifiĂ©e comme « une sociologue », ce qui me permettrait d’ĂŞtre plus facilement conviĂ©e Ă  des discussions ordinaires sur le nettoyage des allĂ©es, la couleur des façades ou les dĂ©lais de pĂ©remption des boĂ®tes de conserve. Avec les femmes que je frĂ©quentais rĂ©gulièrement, les discussions dĂ©passaient largement le GPV pour s’aventurer sur le terrain de la vie familiale.

Mon engagement dans l’enquĂŞte ne correspond pas Ă  un attachement personnel militant. C’est une « prise de parti » au contact du terrain. Petit Ă  petit, prise dans ces liens collectifs, je suis devenue sensible aux choses auxquelles tenaient les habitants [9]. En revanche, il Ă©tait exclu pour moi de prendre la parole en rĂ©union publique, en m’adressant aux Ă©lus ou techniciens. Assise Ă  cĂ´tĂ© des habitants, je me limitais aux interactions avec mes voisins, rĂ©pondant Ă  leurs sourires complices. Jusqu’Ă  ce jour de novembre 2005.

TĂ©moigner d’une parole critique et d’une historicitĂ©.

Novembre 2005. Extrait de mon journal de bord :

[L]a maquette du Grand Projet de Ville est prĂ©sentĂ©e dans le cadre d’une exposition – « Lyon La Duchère, demain… 600 nouveaux logements » – Ă  la Galerie des Terreaux, au cĹ“ur de la presqu’Ă®le lyonnaise. L’occasion d’exposer les nouvelles constructions et de diffuser les dĂ©pliants des promoteurs immobiliers. Un urbaniste de la SociĂ©tĂ© d’Équipement de la RĂ©gion Lyonnaise (la SERL, maĂ®tre d’œuvre du projet) prĂ©sente la maquette Ă  un jeune couple. Il insiste sur les jardins privatifs prĂ©vus autour des futurs immeubles.

Tandis que l’amĂ©nageur parle, je repense Ă  ce que disent les habitants sur la gestion des espaces. Au moment de la construction du quartier dans les annĂ©es 1960, les espaces extĂ©rieurs Ă©taient gĂ©rĂ©s par l’ASPED (Association Syndicale des PropriĂ©taires des Espaces de la Duchère). Une gestion collective de tous les bailleurs sociaux et syndics de co-propriĂ©tĂ©. Plusieurs habitants qui participent au GTI ont dĂ©fendu, en rĂ©union publique, ce système, qui avait permis d’amortir les inĂ©galitĂ©s de traitement entre les HLM et les immeubles en co-propriĂ©tĂ©, puisque tout amĂ©nagement extĂ©rieur devait s’effectuer partout de la mĂŞme façon. « Quelque chose que l’on a un peu oublié », s’alarme une habitante en rĂ©union, en 2003. Elle dĂ©fend la libre circulation d’un immeuble Ă  l’autre, Ă  travers les pelouses dĂ©pourvues de barrières [10].

Au bout d’un moment, j’interpelle l’urbaniste sur l’existence d’un statut particulier pour les espaces extĂ©rieurs, s’il a connaissance des revendications d’un collectif d’habitants qui dĂ©fend cette organisation Ă©quitable de l’espace et s’oppose Ă  sa privatisation. Il est visiblement un peu embarrassĂ© et rĂ©pond qu’il n’en a pas eu connaissance, avant de reprendre sa discussion avec le jeune couple.

Ce qui me dĂ©cide Ă  prendre la parole, c’est la facilitĂ© avec laquelle l’urbaniste – en surplomb sur la maquette – fait totalement disparaĂ®tre l’existence d’une critique du GPV et de la rĂ©sidentialisation des ensembles HLM (LĂ©vy-Vroelant 2007), (LelĂ©vrier et Guigou 2005). Il me semble alors important de tĂ©moigner d’une parole critique, de « faire entendre des histoires englouties dans le passĂ© (…) ignorĂ©es parce qu’en apparence insignifiantes » (Katz 2010, p. 40), pour les remettre en mouvement (Barthe et Lemieux 2002). Au moins le temps de cette discussion, avec des effets certes limitĂ©s, si ce n’est le lĂ©ger embarras de l’urbaniste et, peut-ĂŞtre, la perplexitĂ© momentanĂ©e des futurs acheteurs…

Mon enquĂŞte m’a permis de saisir l’exemplaritĂ© de la Duchère dans son historicitĂ©, une dimension que l’on tend Ă  oublier lorsque l’on met l’accent sur l’ampleur des rĂ©alisations de la rĂ©novation urbaine. Il y a du « dĂ©jĂ  là » et il est d’importance. L’enjeu est de restituer au quartier son Ă©paisseur historique. D’autant que celle-ci est une ressource qu’active le collectif GTI pour mettre en critique la politique de table rase du nouveau projet. C’est pourquoi, en mai 2003, il diffuse un texte de six pages : « Le GTI (…) se rĂ©unit depuis 1986, date des premières rĂ©habilitations, et il jouit d’une vĂ©ritable reconnaissance. (…) Nous avons le regret de devoir dire que tout se passe aujourd’hui comme si la Duchère Ă©tait un terrain  »vierge », Ă  construire, comme s’il n’y avait pas d’habitants… et des habitants qui depuis 18 ans ont connu et obtenu, dans les diverses phases de rĂ©habilitation, des procĂ©dures de concertation… » (Le GTI prend la parole sur le grand projet de ville de la Duchère). Ainsi, l’action du GTI depuis les annĂ©es 1980 et l’expĂ©rience militante dès les premières annĂ©es du grand ensemble sont rĂ©gulièrement rappelĂ©es en rĂ©union.

Quels effets de sens peut produire cette chronique ?

Premièrement, elle vient documenter une densitĂ© et une continuitĂ© de l’action habitante. Le GTI et ses trente ans d’existence font figure d’OVNI. En effet, le milieu associatif dans les quartiers populaires est marquĂ© par des actions Ă©phĂ©mères, au grĂ© des saupoudrages des financements de la politique de la ville (Sandrier 2001). En outre, la mobilisation contre les dĂ©molitions a Ă©tĂ© vive dans ce grand ensemble, et le souffle de la critique ne s’Ă©teint pas avec l’Ă©chec de la lutte contre les dĂ©molitions. C’est une caractĂ©ristique remarquable dans un contexte français oĂą les mobilisations contre les dĂ©molitions et les dĂ©bats autour des injonctions Ă  la mixitĂ© sociale du PNRU ont eu du mal Ă  se dĂ©velopper (Carrel et Rosenberg 2011). Pourquoi lĂ  plus qu’ailleurs ? La mobilisation peut s’appuyer sur un collectif actif depuis de longues annĂ©es, lĂ©gitime auprès des habitants et des institutions, et dans lequel s’activent des habitants attachĂ©s Ă  la Duchère, des mĂ©diateurs informels en quelque sorte, pris dans les rĂ©seaux de parole du quartier (associations, voisinage, Ă©quipements collectifs, Ă©coles).

Deuxièmement, la chronique produit une sismographie sensible aux moindres secousses qui ont Ă©branlĂ© le quartier au dĂ©but des annĂ©es 2000. Pris dans la chronologie de quinze ans de projet, on aurait tĂ´t fait d’oublier certains de ces Ă©vĂ©nements. Par exemple, la rĂ©union du GTI de fĂ©vrier 2003, la première grande confrontation entre les habitants et l’Ă©quipe municipale, est, Ă  l’Ă©poque, un Ă©vĂ©nement très fort. La bĂ©vue de l’immeuble 260 Ă©galement. Ces Ă©vĂ©nements, au regard du dĂ©roulĂ© du projet, pourraient aujourd’hui paraĂ®tre insignifiants : les dĂ©molitions et les constructions ont bien eu lieu. Pourtant, ces Ă©vĂ©nements ont eu une incidence sur la suite de la contestation, attisant le scandale des dĂ©molitions. Le texte ethnographique trie et hiĂ©rarchise les Ă©vĂ©nements, et peut ainsi en faire ressortir certains qui contrarient et font dĂ©vier les chronologies officielles.

Rassembler du disparate.

Pour prolonger la rĂ©flexion sur l’apport critique de l’ethnographie Ă  la comprĂ©hension de la rĂ©novation urbaine : comment restituer les prises de parole et les activitĂ©s des collectifs contestataires ? Comment se faire « ouvre-regard et porte-parole » de ces mouvements dans l’espace public (Cefai 2010, p. 591) ? La question a une portĂ©e politique : quelle place pour les habitants des grands ensembles dans la transformation de la ville ? Comment prendre en compte les questions urbaines et sociales qui importent pour eux ?

J’aborderai le rĂ´le de l’ethnographe d’abord dans le temps de la recherche et de sa publicisation, puis dans le temps long, après dix ans et plus, en formulant quelques hypothèses sur le statut que prennent alors le texte et les donnĂ©es ethnographiques.

Miroir grossissant.

Comment font les ethnographes par rapport aux personnes qui n’ont pas ou peu la parole dans l’espace public ? Comment connaĂ®tre et faire connaĂ®tre, rendre compte avec justesse de ce que font celles et ceux que l’on rencontre ? Ces questions ne cessent de me tirailler au cours de mon enquĂŞte. Si le GTI bĂ©nĂ©ficie d’une lĂ©gitimitĂ© aux yeux des Ă©lus et des techniciens de la municipalitĂ© – lesquels rĂ©pondent aux sollicitations des habitants et viennent assister aux rĂ©unions –, le collectif peine Ă  faire entendre son opposition au GPV et aux dĂ©molitions. Ă€ l’inverse, l’Ă©quipe de la mission GPV excelle dans la communication et rivalise d’inventivitĂ© en la matière : de multiples brochures en papier glacĂ©, communiquĂ©s de presse, panneaux d’information « ici le GPV rĂ©alise… », des bandes dessinĂ©es expliquant le projet aux enfants, en passant par un site Internet et, dès 2009, un facebook très alimentĂ©, rejoint ensuite par un compte twitter…

Dans l’enquĂŞte, j’ai voulu voir de très près ce que faisait le GTI, entendre les dĂ©tails des plaintes. J’enregistrais, je dĂ©cryptais les rĂ©unions pour consigner les Ă©vĂ©nements, les prises de parole, j’essayais de dĂ©crire les Ă©motions en jeu (cf. encadrĂ© n°2).

Encadré n°2 : Retranscription, réunion du GTI, 7 novembre 2006.

La discussion s’est engagĂ©e sur les relogements entre ValĂ©rie, une habitante, et un Ă©lu de la Mairie du 9e.

Valérie : « On a l’impression d’être des laissés pour compte, je suis désolée. Moi, quand on nous a posé des questions, quand on nous a demandé quand est-ce qu’on voulait déménager, moi j’ai dit « ne me contactez pas pendant juillet et août je ne suis pas là ». Bin, on ne m’a proposé des appartements que dans cette période-là. Pour me proposer des choses qui coûtaient 250 euros de plus, même avec des salaires moyens on n’y arrive pas. J’ai dit non. Moi, ma paie c’est 1200 euros par mois, bin, je ne pourrai pas. Comment voulez-vous que les gens fassent ? Des gens qui ont un salaire encore plus bas que moi, comment faire ? Comprenez bien que ce n’est pas possible pour nous ».

L’Ă©lu : « Personne ne se retrouvera Ă  la rue. Si vous avez des problèmes faites-nous le savoir Ă  nous ou au GPV, de façon Ă  ce qu’on puisse parler de ces problèmes dans les rĂ©unions de rĂ©gulation ».

ValĂ©rie : « Ben je le fais lĂ . Parce que dĂ©jĂ  lĂ , nous n’avons pas de chauffage. Moi, lĂ , j’ai 13°C dans mon appartement. Et puis l’ascenseur, hein, toute une partie du mois d’octobre, je me suis tapĂ©e les 15 Ă©tages Ă  pied Ă  5h du matin pour partir au boulot. Et après neuf heures de boulot, je me retape les 15 Ă©tages dans l’autre sens. Alors vous comprenez qu’il y en a marre, quand vous avez aucun des deux ascenseurs qui fonctionnent ».

L’Ă©lu : « C’est quelle allĂ©e ? »

Valérie : « 221 ».

L’élu prend note.

Valérie : « Et aujourd’hui, mon appartement est à 13°C ».

Mariline : « Au Château, c’est pareil ».

Mathieu : « Oui, il y avait dans Le Progrès justement un article sur le chauffage au Château. Dalkia a reconnu qu’il y avait une panne. Au niveau des barres de co-propriétaires… »

Jeannie : « Au niveau des barres HLM au Château c’est pareil, pas de chauffage, pas d’ascenseur, alors je vais te dire… »

Mathieu : « Oui, je veux dire, les travaux de recherche de panne ont été interrompus vendredi à midi et n’ont repris que ce matin [lundi]. Je veux dire, c’est quand même de l’urgence quand il y a des nuits à moins deux degrés ».

Valérie : « Mais y’a pas que ça, ça fait deux mois qu’on n’a pas d’entretien, alors on nous fait payer des charges pour l’entretien. Et ça fait plus de deux mois que y’a personne qui passe ; donc c’est inadmissible de nous faire payer dans les charges des nettoyages qui ne sont jamais faits. Moi, j’ai eu nettoyé mon palier et mes escaliers qui descendent. Mais je pars du principe que du moment où je paye des charges, quelqu’un doit passer. Alors bien sûr, du moment où les ascenseurs sont en panne, les gens qui font le ménage ne veulent pas se taper avec les seaux d’eau pour monter au quinzième, et je le comprends, hein. Ça, je le comprends tout à fait ».

Anna : « Et il n’y a pas que ça, il n’y a pas que ça. Il y a quinze jours les ascenseurs marchaient tous les deux. Et j’ai regardĂ© les mouches mortes. Sur le palier, il y avait des mouches mortes, j’ai regardĂ© le temps qu’elles y restaient. Et ben, plus d’une semaine, hein ! Des grosses mouches mortes en pagaille ! »

Valérie : « Oui, la dernière fois où ça a été nettoyé, c’est moi qui l’ai fait. Ça fait plus de deux mois ».

Anna : « Moi aussi ».

L’Ă©lu : « Oui, sur le chauffage, des barres n’ont pas Ă©tĂ© chauffĂ©es ce week-end. Moi, je suis d’accord avec vous, dans tous les cas je comprends mal qu’on ait interrompu les travaux pour qu’il y ait un minimum de chauffage le week-end. On est lĂ  dans un dysfonctionnement, et le maire du 9e a convoquĂ© en mairie mercredi matin tous les bailleurs sociaux, Omnitherm et les services de la Ville de Lyon pour qu’on trouve rapidement un certain nombre de procĂ©dures qui permettent et d’amĂ©liorer la qualitĂ© du service et d’avoir une rĂ©activitĂ© beaucoup plus forte en cas de panne ».

Les habitants tiennent le calendrier prĂ©cis de la vie quotidienne. Dans ces plaintes exprimĂ©es, ce sont les dĂ©tails qui comptent le plus : les 13 degrĂ©s dans les appartements par -2 degrĂ©s dehors depuis plus de trois jours, l’effort Ă  fournir pour parcourir 15 Ă©tages Ă  5 heures du matin et après 9 heures de travail pour 1200 euros par mois, les 72 heures d’interruption des travaux sur le chauffage, ces grosses mouches mortes dans les recoins des cages d’escalier ou encore la bĂ©vue du service des relogements. Dans ce bref extrait, certains dĂ©tails sont rĂ©pĂ©tĂ©s plusieurs fois, comme martelĂ©s aux oreilles de l’Ă©lu.

Ces paroles consignées, il me fallait ensuite écrire au ras des (micro)événements avec un miroir grossissant, comme lorsque je fais le récit de cette autre réunion :

Novembre 2002. La soirĂ©e est consacrĂ©e Ă  la propretĂ© du quartier, en prĂ©sence de l’Ă©lu municipal chargĂ© de la voirie et du deuxième adjoint au maire. Ce soir-lĂ , c’est une litanie de plaintes qui s’exprime. Les habitants Ă©grainent les problèmes. Un bailleur qui n’assure plus rien : le mĂ©nage n’est plus fait rĂ©gulièrement dans les parties communes, les boĂ®tes aux lettres et les poignĂ©es de porte sont cassĂ©es depuis des mois, un arbre a mĂŞme trouvĂ© le moyen de pousser contre le mur de l’allĂ©e, des logements sont vides mais on ne rĂ©pond pas aux personnes en attente d’un appartement. Une place du quartier est couverte de dĂ©tritus qui restent des semaines entières. Le parking d’un immeuble est truffĂ© de trous, un habitant qui se dĂ©place avec des bĂ©quilles n’en peut plus. Face Ă  ces prises de parole, un Ă©lu demande aux habitants de « faire attention avec ces propos », de ne pas porter « une mauvaise image du quartier ». Il avertit : « arrĂŞtons, le quartier est entretenu Ă  peu près comme tous les autres quartiers de Lyon », « il suffit de sortir Ă  l’extĂ©rieur pour s’en rendre compte ». Ă€ cette intervention, les habitants rĂ©agissent par un bruyant chahut, une habitante prend alors la parole : « Ça serait bien de prendre en considĂ©ration les habitants. Faut pas dire  »ça, ça se passe ailleurs, alors taisez-vous, acceptez cette rĂ©alité ». Ne nous comparez pas trop Monsieur, il y a une dure rĂ©alitĂ© ici Ă  la Duchère ».

C’est parce qu’elles se veulent ĂŞtre un reflet de la vie ordinaire que les prises de parole des habitants bousculent et mettent en dĂ©faut les Ă©lus. L’exemple de la saletĂ© est emblĂ©matique, c’est un rappel implacable de la rĂ©alitĂ© quotidienne des habitants.

Le texte ethnographique fait ressortir – au sens de souligner – ces prises de parole du flot des rĂ©signations du quotidien et de rĂ©unions publiques plus monotones, oĂą l’on parle peu. C’est l’effet miroir grossissant. Le rĂ©cit rehausse une parole qui n’est pas audible. Les moments presque invisibles sont consignĂ©s dans le texte. On voit Ă©merger, par exemple, le regard d’une animatrice du GTI pour soutenir deux jeunes femmes, qui viennent pour la première fois en rĂ©union parler d’un problème Ă  l’Ă©cole et qui s’impatientent, prĂŞtes Ă  quitter la salle en Ă©coutant le long exposĂ© technique du responsable de la chaufferie, venu rendre des comptes sur les pannes Ă  rĂ©pĂ©tition. Un petit geste que le texte ethnographique a retenu.

DĂ©crire avec dĂ©tails les activitĂ©s du GTI permet de montrer comment les expĂ©riences quotidiennes sont des ressources essentielles Ă  la participation, prenant ainsi le contre-point des chercheurs qui qualifient trop vite ces actions de « dĂ©mocratie des bouts de trottoir ». On comprend mieux ainsi comment surgissent des rĂ©sistances Ă  des projets urbains bouleversant le territoire habitĂ©, l’intime et les sociabilitĂ©s.

Ces rĂ©cits viennent largement contrarier une reprĂ©sentation dominante depuis le 19e siècle, dĂ©jĂ  bien identifiĂ©e par Guerrand (Guerrand 1966) : l’indiffĂ©rence supposĂ©e des classes populaires Ă  leurs conditions d’habitat. L’ethnographie met en lumière de multiples attentions, certes partielles, discontinues, ambivalentes, Ă©maillĂ©es de surprise et de mĂ©prise, de choses auxquelles, blasĂ©s, les habitants ne font plus vraiment attention. Ceux-ci ne sont pas dĂ©munis de ressources pour critiquer les projets urbains. L’ethnographie peut alors servir de support pour dĂ©faire la place assignĂ©e aux habitants dans la dĂ©finition de la ville et les diagnostics posĂ©s sur les problèmes des quartiers.

Ethnographies et archives des quartiers populaires.

Prenons maintenant un peu de recul sur cette recherche, Ă  partir d’une situation rĂ©cente vĂ©cue dans le cadre d’un enseignement : un autre temps, un autre lieu.

École Nationale SupĂ©rieure d’Architecture Paris-Belleville, novembre 2016. Dans un cours, je projette Ă  des Ă©tudiants en Master 1 d’architecture un documentaire, UC 7, bientĂ´t le printemps (52′), rĂ©alisĂ© par Cyril Peyramond en 2006 et auquel j’ai contribuĂ©. Le film chronique la lutte d’un collectif d’associations contre la dĂ©molition d’un immeuble HLM dans le quartier de Bron-Parilly (69). Ces Ă©tudiants semblent très Ă©tonnĂ©s et troublĂ©s du sort qui est rĂ©servĂ© aux locataires qui vivent dans les logements concernĂ©s : cet homme qui dit que les habitants sont « des laissĂ©s pour compte » parce qu’ils ne sont pas reçus par la maire, cet autre, les larmes aux yeux, qui suit seconde par seconde « le grignotage » par l’Ă©norme pince dĂ©molisseuse de l’appartement de son enfance, ou encore ce locataire qui raconte son « dĂ©mĂ©nagement-tiroir » : deux fois, il a Ă©tĂ© dĂ©logĂ© pour cause de dĂ©molition et il n’a pas pu remettre ses meubles dans le dernier appartement attribuĂ©, faute de place. Les Ă©tudiants sont visiblement peu renseignĂ©s sur les opĂ©rations de dĂ©molition-reconstruction, et encore moins sur les mobilisations qu’elles ont soulevĂ©es. Ils avaient 11-12 ans en 2006. Un Ă©tudiant, lyonnais d’origine, voit très bien aujourd’hui oĂą est la mĂ©diathèque qui a remplacĂ© l’UC7, mais de l’immeuble : aucun souvenir.

J’ai vu et revu ce film, j’ai lu et relu mes notes de terrain sur la Duchère. Ă€ chaque fois, je replongeais directement dans une situation sociale que j’avais vĂ©cue. Ă€ la rĂ©action des Ă©tudiants, je prends conscience de la distance que le temps a creusé : ce documentaire est devenu une archive. Par ricochet, mes notes ethnographiques aussi.

Que peuvent alors ces archives ?

On connaĂ®t les perspectives ouvertes Ă  partir des archives des sciences sociales. Une première consiste Ă  prendre l’archive pour reconstituer une histoire sociale des disciplines et de leurs mĂ©thodologies (LafertĂ© 2006). Une deuxième encourage « la revisite » des terrains, plusieurs annĂ©es après (Burawoy 2003), afin de mieux cerner les points aveugles des enquĂŞtes sur le prĂ©sent (LaĂ© et Murard 2011). Les travaux qui ne s’intĂ©ressent qu’aux mĂ©thodes des sciences sociales discrĂ©ditent les matĂ©riaux recueillis par le passĂ©. Ils en appellent Ă  la distanciation, dĂ©cortiquent ce que furent les boĂ®tes noires thĂ©oriques des chercheurs, dĂ©busquent les biais, interrogent la personnalisation des donnĂ©es, mais font finalement peu de cas des rĂ©alitĂ©s sociales dĂ©crites. Or, si les archives sont, certes, construites par le regard d’un chercheur profondĂ©ment marquĂ© par une Ă©poque, cela n’annule pas pour autant les faits exposĂ©s.

Je voudrais donc esquisser ici une troisième approche, plus simple, qui consiste Ă  extraire de ces archives des donnĂ©es brutes, des informations de première main, des traces de la vie matĂ©rielle. Il faut bien sĂ»r avoir en tĂŞte le contexte de production des donnĂ©es, pour redresser le regard. L’idĂ©e est surtout de ne pas verrouiller « ce que l’on voit et entend » dans ces archives par un discours thĂ©orique qui les Ă©craserait. Comme l’affirme Colette PĂ©tonnet, « certains des faits observĂ©s sont aujourd’hui vieillis ou disparus. Mais, plutĂ´t que d’invoquer la pĂ©remption Ă  leur encontre, il semble que l’on puisse, Ă  bon droit, leur accorder une valeur historique » [11] (PĂ©tonnet 1982, p. 10).

Les faits observĂ©s Ă  la Duchère n’ont pas dĂ©passĂ© la date de pĂ©remption, mais ils ont pris une valeur historique, que ce soient les retranscriptions in extenso de plusieurs dizaines de rĂ©unions, avec les passes d’armes entre habitants, Ă©lus et techniciens, les interpellations et les Ă©motions qui s’expriment, la description des coulisses de ces scènes publiques ou encore les ressentis individuels des habitants. Parce que j’ai voulu voir et entendre de très près, j’ai pu enregistrer, dĂ©crypter et consigner par Ă©crit les prises de parole fragiles des habitants, celles de Nesrine qui explique Ă  sa fille en rĂ©union que leur « logement social ce n’est pas chez [elles] », celle encore de cette vieille dame qui raconte ĂŞtre restĂ©e une journĂ©e entière dans l’escalier de son immeuble, ascenseur en panne.

Dans mes notes, il y a aussi le dĂ©cryptage de cette vidĂ©o filmĂ©e par TF1 en camĂ©ra cachĂ©e, en 2005 : elle montre une scène de harcèlement policier qui avait Ă©mu nombre d’habitants, provoquant une rencontre entre le GTI et des jeunes habitants.

Que dire encore de ces 200 pages d’entretiens dĂ©cryptĂ©s, qui donnent Ă  voir la rĂ©flexivitĂ©, le sentiment d’urgence Ă  agir et parfois la perplexitĂ© des animateurs du GTI face Ă  certaines situations (cf. encadrĂ© n°3).

EncadrĂ© n°3 : Extrait d’entretien avec Bruno, animateur du GTI, janvier 2006.

Quelques mots sur le contexte de l’entretien. Fin octobre 2005, pour manifester sa solidaritĂ© avec les dĂ©logĂ©s et son opposition aux dĂ©molitions, le GTI organise une marche aux flambeaux, la veille de l’implosion d’un immeuble. C’est une occasion rĂ©ussie de renouer avec le quartier : « les gens sont là » me dit Bruno Ă  la fin de la manifestation. Des Ă©meutes secouent les quartiers populaires en novembre. Ă€ la Duchère, le mois reste relativement calme : quelques voitures sont brĂ»lĂ©es, mais il n’y a ni affrontement avec la police ni bâtiment incendiĂ©. Pourtant, Ă  la rĂ©union de novembre, Bruno explique que des gens lui ont dit « vous faites des manifestations pour les immeubles, vous feriez mieux d’en faire pour les jeunes qui pour l’instant sont poursuivis par la police ». L’alerte est confirmĂ©e quelques jours plus tard avec la diffusion d’un reportage tĂ©lĂ©visĂ© qui montre une scène de violence policière, filmĂ©e en camĂ©ra cachĂ©e avec un policier qui menace un jeune de le faire « griller dans un transformateur avec (ses) copains ». Des personnes âgĂ©es, se plaignant du comportement de la jeunesse, sont Ă©galement interviewĂ©es. Deux animateurs du GTI ont organisĂ© des visionnages du reportage dans un centre social avec des habitants. Bruno y revient dans notre entretien :

« Alors, il y a eu une remarque critique qu’on n’avait pas vu venir au sujet des violences policières. (…) Ce qui Ă©tait pointĂ© Ă  ce moment-lĂ , c’était en fait que le GTI Ă©tait complètement absent, ne soutenait absolument pas, ne disait rien vis-Ă -vis de ce harcèlement qui Ă©tait bien lĂ . (…) Et il y a eu ce reportage. (…) On en avait discutĂ© ensemble avec Camille pour mettre une discussion en place. (…) Mais c’est vrai qu’une fois qu’on en a parlĂ©, on n’a pas trouvĂ© l’énergie Ă  droite Ă  gauche pour aller plus loin. On n’a pas eu la possibilitĂ© de continuer Ă  s’interroger sur le mal ĂŞtre, les difficultĂ©s que connaĂ®t la jeunesse. (…) On a pu dire quand mĂŞme que ces Ă©vĂ©nements ont manifestĂ© une difficultĂ© de communication au sein du quartier, je veux dire quand on parlait de la 260 on pouvait bien avoir ce discours qu’on entend toujours  »nous, on est une grande famille, on se connaĂ®t tous dans le bâtiment, jamais on ne pourrait vivre ailleurs parce que y’a qu’ici qu’on connaĂ®t ça, etc. ». L’image tout d’un coup que prenait la Duchère Ă  travers ces Ă©vĂ©nements montrait les clivages, les trucs. La belle unanimitĂ© du vivre-ensemble foutait le camp bien vite. Alors comment rebondir sur cette difficultĂ©-lĂ , (…) donc l’idĂ©e de rebondir, c’était de faire des petits groupes, se dire que finalement les gens ne se dĂ©placent pas dans un centre pour aller causer, c’est au groupe de s’éclater, d’aller vers les gens, de faire la dĂ©marche inverse. Après bin ça fait partie des engagements, des prioritĂ©s pour que ça se cause, ça se parle (…).

[Par rapport aux Ă©meutes nationales] moi, je me suis dit, bin, encore un jour et puis ce sera fini. Et puis, ça a durĂ© trois semaines. Je me suis planté ! Je me suis dit aussi qu’un train en cachait un autre. Je veux dire par lĂ  que les discours qui ont pu ĂŞtre faits par rapport Ă  la jeunesse, l’idĂ©e que ce sont des enfants qui traĂ®naient dehors, ont sans doute une part de rĂ©alitĂ© mais ils ne donnent pas de sens Ă  ce qui s’est passĂ©. Ce n’est pas la peine de parler de polygamie pour expliquer le phĂ©nomène, bon, ce genre de propos loufoques… (…) C’est pour dire aussi que ma grande dĂ©ception est par rapport Ă  l’analyse qu’en ont fait les journaux et par rapport Ă  la capacitĂ© de rĂ©ponses des Ă©lus. Les Ă©lus municipaux, je ne sais pas si tu as entendu quelque chose toi, moi, non (…).

J’ai essayĂ© de voir avec des gens, notamment ceux qui ont Ă©tĂ© dĂ©placĂ©s de la 260 et de la 210 [et qui habitent la 310 Ă  proximitĂ© du foyer], voir comment il y avait la possibilitĂ© de faire des choses ensemble, de rĂ©cupĂ©rer les morceaux parce que des fois c’était des gens qui Ă©taient très dĂ©primĂ©s par la chose. Donc on essaie d’avoir lĂ  plusieurs temps oĂą les gens se retrouvent, trouvent des activitĂ©s Ă  faire, discutent, mangent. Donc ça, c’est toujours ça de pris. En ce qui concerne mon analyse de la politique du GPV, des effets produits, je cherche dans le cadre du GTI Ă  faire remonter des choses qui me semblent importantes, qui font du sens. Mais la situation m’invite guère Ă  un optimisme sans borne, hein ».

Ces paroles constituent une part d’histoire des quartiers, de la rĂ©novation urbaine et de l’Ă©ducation populaire. Elles expriment Ă  chaud des sentiments et des rĂ©flexions face aux Ă©vĂ©nements vĂ©cus de l’intĂ©rieur Ă  l’automne 2005, Ă  l’Ă©chelle locale et nationale : des violences et des dĂ©molitions. Elles disent avec plus de prĂ©cision que bien des commentaires de l’Ă©poque l’incomprĂ©hension, l’incertitude, les scrupules et les hĂ©sitations Ă  agir, ainsi que l’Ă©puisement et la mobilisation des ressources pour tenter de faire face.

J’ai aussi transcrit le fou-rire de ces femmes me racontant comment des jeunes avaient introduit une voiture dans la piscine du quartier pour protester contre l’imposition de « la petite tenue », Ă  la fois irritĂ©es mais aussi amusĂ©es par le geste, me disant : « quand mĂŞme une voiture dans une piscine, ça ne se voit pas tous les jours ! ».

Je garde ce texte de la chanson Ă©crite Ă  l’occasion du dĂ©part en retraite d’une des fondatrices du GTI, qui traduit, avec tant de justesse, ce que les sciences sociales appellent le travail social communautaire (cf. encadrĂ© n°4). Celui-ci croise engagement politique, ouverture culturelle et religieuse, attachement au quartier et solidaritĂ©s familiales. Il s’exprime tout Ă  la fois dans l’intimitĂ© du logis et Ă  travers les Ă©quipements et associations.

Encadré n°4 : Chanson écrite par des collègues et des usagers du centre social pour le départ en retraite de Jeannie, animatrice dans la structure et co-fondatrice du GTI.

(Sur l’air de La ballade des gens heureux)

Ă€ la Duchère tu t’es installĂ©e

VoilĂ  maint’nant quelques belles annĂ©es

On vient te chanter la ballade

La ballade d’une retraitĂ©e (bis)

De l’enfance au troisième âge

Avec toi nombreux furent les voyages

Si t’as commencĂ© au mĂ©nage

Tu as aussi ouvert des cages (bis)

D’la MME au centre social

Tu as poursuivi ton idéal

Rassembler des quatre coins tes ouailles

Pour terminer l’annĂ©e au bal (bis)

Du Maghreb, d’Afrique ou de France

Pour toi toute rencontre est une chance

La parole a son importance

Tu l’as donnĂ©e sans diffĂ©rence (bis)

Avec ton âme de militante

DĂ©sir de justice toujours te hante

Ta passion pour l’autre est dĂ©bordante

Et la fraternitĂ© t’enchante (bis)

L’heure d’la retraite ayant sonnĂ©

Tu n’vas certainement pas rouiller

Grand-mère tu seras demandée

Dans ta famille et dans le quartier (bis)

Ă€ moins qu’tu passes Ă  la tĂ©lĂ©

Que tu prennes la suite de l’abbĂ©

Ou en politique t’engager

Mais sur l’quartier reste branchĂ©e (bis)

Bravo pour toutes ces années

Et merci pour ton amitié

On vient te chanter la ballade

La ballade d’Jeannie retraitĂ©e (bis)

PlongĂ© dans cette archive, on voit bien comment se trament lĂ  des liens forts, des relations de toute une vie : un esprit de quartier qui pourrait Ă©chapper Ă  l’observateur de passage, lequel ne verrait Ă  la Duchère que traces de dĂ©-liaisons, dissemblances et conflits.

Ă€ rĂ©viser ainsi mes matĂ©riaux, je comprends le sentiment d’urgence de PĂ©tonnet, qui m’a animĂ© pendant dix ans Ă  rendre compte des rĂ©alitĂ©s sociales. Lorsque l’on lit aujourd’hui les travaux d’ethnologie urbaine des annĂ©es 1970 et 1980, par exemple Colette PĂ©tonnet sur les citĂ©s de transit et les bidonvilles (1968) (1979) (1982), Paul-Henry Chombart de Lauwe (1959) (1960) et Pierre Mayol (1990) sur les quartiers populaires anciens, ou encore GĂ©rard Althabe (1985) et Monique SĂ©lim (1985) sur les ensembles HLM, on comprend qu’ils consignent dans les dĂ©tails des mondes et des pratiques qui n’existent plus, des histoires englouties dans le passĂ©. NĂ©anmoins, ces textes ethnographiques nous donnent accès Ă  une matière vivante. Ne prenons qu’un seul exemple, les travaux de l’Ă©quipe de Chombart de Lauwe, en particulier le documentaire Rue du Moulin de la Pointe [12]. L’archive rend palpables les conditions matĂ©rielles de vie dans les courĂ©es du 13e arrondissement de Paris : la vĂ©tustĂ© des appartements, l’Ă©quipement domestique, rĂ©duit Ă  l’essentiel, dans l’unique pièce que comprend le logement, l’organisation spatiale de la vie sociale, la prĂ©gnance des liens familiaux, l’esprit de quartier de la courĂ©e. Par la richesse des dĂ©tails, le spectateur voit aujourd’hui bien au-delĂ  de ce qu’a voulu montrer l’ethnologue : la prĂ©sentation et la manière de se tenir des ouvriers (encore systĂ©matiquement habillĂ©s en costume en 1959), la sollicitude des femmes, la fixation des mĂ©nages au quartier…

Des dĂ©cennies plus tard, les perdants des projets urbains, qu’ils aient vĂ©cu rue du Moulin de la Pointe Ă  Paris, Ă  Stains, Ă  la Duchère ou sur les pentes de la Croix-Rousse Ă  Lyon, nous parlent. D’une rĂ©novation Ă  l’autre, les questions politiques qui sont posĂ©es restent brĂ»lantes : la place des habitants dans la fabrique de la ville, les inĂ©galitĂ©s sociales.

Les textes et donnĂ©es ethnographiques devenus archives interrogent au prĂ©sent une thĂ©orie des espaces et de la ville : qu’est-ce que veut dire habiter un quartier en rĂ©novation ? Qu’est-ce que signifie le statut de locataire du logement social, une propriĂ©tĂ© sociale qui protège (LaĂ© 2012) – le relogement est assuré – mais qui n’annule pas pour autant le sentiment de ne pas ĂŞtre chez soi et d’ĂŞtre « foutu dehors » avec la dĂ©molition ? Qu’est-ce que cela signifie que d’habiter une ville en chantier, avec les nuisances, le paysage en perpĂ©tuelle transformation, un espace public semĂ© d’embĂ»ches, l’incertitude sur les annĂ©es Ă  venir ? OĂą et comment s’inscrivent les sociabilitĂ©s et les liens aux institutions ?

Est-ce à dire que le sociologue a un rôle à jouer dans la construction des mémoires des quartiers populaires ? Avec quelle responsabilité ?

Heureusement, lorsque l’on commence Ă  travailler sur un terrain, on ne cherche pas toujours « ce qui va pĂ©rir », mais quelques annĂ©es après l’enquĂŞte la question se pose. Il me semble que l’ethnographie peut venir compenser un très grand dĂ©sĂ©quilibre des traces de la rĂ©novation urbaine.

D’un cĂ´tĂ©, la force d’expression des institutions est illimitĂ©e, notamment dans l’espace numĂ©rique. Le site internet de la mission GPV Duchère ne cesse de s’alimenter chaque jour de nouvelles contributions montrant les actions entreprises. En outre, des pratiques mĂ©morielles ont Ă©tĂ© instituĂ©es par l’ANRU, pour amortir le choc des dĂ©molitions [13].

De l’autre cĂ´tĂ©, les traces des associations et collectifs sont d’une très grande fragilitĂ©. Le blog de la Coordination Anti-dĂ©molition des Quartiers Populaires a disparu de la blogosphère. Plus aucune trace. « Le blog a Ă©tĂ© supprimé », nous informe la plate-forme blogspot. Le GTI n’a jamais eu de site internet, tout au plus quelques tracts – les comptes rendus des rĂ©unions mensuelles, imprimĂ©s sur des feuilles A4, sont consignĂ©s dans quelques cartons duchèrois. L’Ă©cart avec les missions communication des institutions est gigantesque.

Le sociologue a une responsabilitĂ© face Ă  « la parole-« évĂ©nement » » (Farge 2006, p. 42), la parole rare et faible qui pointe dans la rĂ©novation urbaine. Il doit en retransmettre l’intensitĂ©, raconter par le dĂ©tail les activitĂ©s et les affects, les micro-histoires et leur imbrication. De toutes parts, ces quartiers populaires demandent un surcroĂ®t d’attention.

Contre-traces des grands ensembles.

Ă€ se centrer sur les collectifs d’habitants, la recherche produit des contre-traces des grands ensembles. Les restituer, cela n’est pas un simple principe de respect de la parole de tous. Puisque si cette parole des habitants n’est pas rendue publique, elle manque dans le dĂ©bat sur les politiques de la ville. L’enjeu est de pluraliser le sens des expĂ©riences et d’en Ă©clairer un contour social et politique : l’absence de concertation, les prises de parole et mouvements collectifs qu’elle a suscitĂ©.

Que puis-je retenir de cette revisite de mes archives ? Que dire des résistances des années 2000 et de ces existences bousculées ?

Tout d’abord, ces prises de parole ne sont pas restĂ©es sans effet pour les personnes. Certes, la mobilisation a Ă©chouĂ©, mais par-delĂ  le GPV s’est forgĂ©e une capacitĂ© de rĂ©sistance qui peut s’exercer quel que soit le lieu. Ainsi, Marie-Line, qui doit dĂ©mĂ©nager et rembourser une forte somme au bailleur social, sait se tourner vers une association de locataires pour contester. Lorsqu’elle est hospitalisĂ©e plusieurs mois, elle n’aura pas peur de hausser la voix contre des soignants qui la maltraitent. D’autres vont retrouver du travail en faisant valoir leur expĂ©rience d’engagement.

Ensuite, si l’on regarde au-delĂ  des tentatives de participation Ă  la rĂ©novation urbaine, des solidaritĂ©s se sont constituĂ©es. Les collectifs crĂ©Ă©s Ă  l’occasion des dĂ©molitions ont prolongĂ© leur dynamique dans un centre social. L’association de soutien aux personnes âgĂ©es, crĂ©Ă©e par l’une des fondatrices du GTI, se dĂ©veloppe considĂ©rablement depuis les annĂ©es 2000. Elle obtient un partenariat avec des bailleurs pour soutenir les personnes âgĂ©es dĂ©logĂ©es. Elle organise des repas collectifs ; des salariĂ©s sont embauchĂ©s, et l’association peut compter sur un rĂ©seau solide de bĂ©nĂ©voles (visites Ă  domicile, coups de tĂ©lĂ©phone pour prendre des nouvelles, accompagnements chez le mĂ©decin, etc.). Les rĂ©seaux d’interconnaissances continuent de jouer Ă  plein. Lorsque Marie-Line se trouve en difficultĂ© pour meubler son nouvel appartement, elle peut compter sur la solidaritĂ© de voisins qui lui donnent des affaires. D’autres appels Ă  la solidaritĂ© sont lancĂ©s quand un dĂ©cès frappe une famille, lorsqu’une personne est emprisonnĂ©e ou quand il faut garder un animal de compagnie.

Dans le mĂŞme temps, le rapport au quartier et au voisinage reste très ambigu. Depuis dix ans, environ quatre fois par an, Marie-Line m’annonce qu’elle veut dĂ©mĂ©nager parce qu’elle n’en peut plus, du bruit des voisins, de l’urine dans la cage d’escalier, du loyer trop Ă©levĂ©. La rĂ©novation ne lui a pas profitĂ©. Elle aussi voudrait ĂŞtre relogĂ©e, loin de la Duchère. Quelques semaines plus tard, le ton a changĂ©, elle apprĂ©cie finalement les transformations du parc du Vallon, me parle des rencontres entre voisines et de la prochaine fĂŞte au centre social.

Les contre-traces des grands ensembles, ce sont ces multiples jeux d’attention, fragiles mais continus depuis les annĂ©es 1960, visant Ă  amortir l’effet des crises successives. Ces rĂ©seaux mĂ©riteraient aujourd’hui une enquĂŞte plus approfondie.

Résumé

Cet article propose un retour sur enquête. Il expose une recherche ethnographique, et ses enjeux politiques, à Lyon dans les années 2000, dans le grand ensemble de la Duchère en pleine rénovation urbaine. Comment se positionner dans une période de forte conflictualité entre les autorités publiques, porteuses du nouveau projet urbain, et les habitants mobilisés en collectifs pour l'amender ? Comment restituer les prises de parole et les activités habitantes ? Près de dix ans après, l'ethnographe relit ses carnets. Et si ces derniers étaient devenus des archives des quartiers populaires ?

Bibliographie

Allen, Barbara et Michel Bonetti. 2013. « Des quartiers comme les autres. La banalisation urbaine des grands ensembles en question » Étude pour le Comité d’Évaluation et de Suivi de l’ANRU (Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine).

Althabe, Gérard. 1985. « La résidence comme enjeu » in Althabe, Gérard, Christian Marcadet, Michèle de la Pradelle et Monique Sélim. Urbanisation et enjeux quotidiens. Terrains ethnologiques dans la France actuelle, p. 11-69. Paris : Éditions Anthropos.

Barthe, Yannick et Cyril Lemieux. 2002. « Quelle critique après Bourdieu ? » Mouvements, n°24 : p. 33-38.

Bénatouïl, Thomas. 1999. « Critique et pragmatique en sociologie. Quelques principes de lecture » Annales, vol. 54, n°2 : p. 281-317.

Burawoy, Michael. 2003. « Revisits : A Turn to Reflexive Anthropology » American Sociological Review, vol. 68, n°5 : p. 645-679.

Carrel, Marion et Suzanne Rosenberg. 2011. « Injonction de mixitĂ© sociale et Ă©cueils de l’action collective des dĂ©logĂ©s. Comparaison entre les annĂ©es 1970 et 2000 » GĂ©ographie, Ă©conomie, sociĂ©tĂ©, vol. 12, n°2 : p. 119-134.

Carrel, Marion. 2004. « Faire participer les habitants ? La politique de la ville Ă  l’Ă©preuve du public » Thèse de doctorat de sociologie, UniversitĂ© Paris-Descartes.

Cefaï, Daniel (dir.). 2010. L’engagement ethnographique. Paris : Éditions de l’EHESS

Chombart de Lauwe, Paul-Henry. (dir.). 1959. Famille et habitation. I. Sciences humaines et conceptions de l’habitation. Paris : CNRS, coll. « Travaux du groupe d’ethnologie sociale ».

— (dir.). 1960. Famille et habitation. I. Un essai d’observation expérimentale. Paris : CNRS, coll. « Travaux du groupe d’ethnologie sociale ».

Deboulet, Agnès. 2009. « De l’Ă©preuve Ă  l’enjeu urbain : mobilisations collectives autour de la dĂ©molition et du dĂ©logement » in Carrrel, Marion, Catherine Neveu et Jacques Ion (dirs.). Les intermittences de la dĂ©mocratie. Formes d’action et visibilitĂ©s citoyennes dans la ville, p. 101-120. Paris : L’Harmattan, coll. « Logiques politiques ».

Epstein, Renaud. 2013. La rĂ©novation urbaine. DĂ©molition-reconstruction de l’État. Paris : Presses de Sciences Po.

Farge, Arlette. 2006. « L’existence mĂ©connue des plus faibles. L’Histoire au secours du prĂ©sent » Études, tome 404 : p. 35-47.

Guerrand, Roger-Henri. 1966. Les origines du logement social en France. Paris : Éditions Ouvrières.

Hennion, Antoine. 2009. « Réflexivités. L’activité de l’amateur » Réseaux, n°153 : p. 55-78.

Hoddé, Rainier. 2014. « Concepteurs et conception de la rénovation urbaine » in Deboulet, Agnès et Christine Lelévrier. Rénovations urbaines en Europe : quelles pratiques ? Quels effets ?, p. 73-83. Rennes : Presses Universitaires de Rennes, coll. « Villes et Territoires ».

Katz, Jack. 2010. « Du comment au pourquoi. Description lumineuse et infĂ©rence causale en ethnographie » in CefaĂŻ, Daniel (dir.). L’engagement ethnographique, p. 43-105. Paris : Éditions de l’EHESS.

Kokoreff, Michel. 2003. La force des quartiers. De la dĂ©linquance Ă  l’engagement politique. Paris : Payot.

Laé, Jean-François et Numa Murard. 2011. Deux générations dans la débine. Enquête dans la pauvreté ouvrière. Paris : Bayard.

Laé, Jean-François. 2012. « La propriété sociale, une transmutation du politique dans le contractuel » in Castel, Robert et Claude Martin. Changements et pensées du changement. Échanges avec Robert Castel, p. 274-284. Paris : La Découverte.

Laferté, Gilles. 2006. « Des archives d’enquêtes ethnographiques pour quoi faire ? Les conditions d’une revisite » Genèses, n°63 : p. 25-45.

Lelévrier, Christine. 2010. « La mixité dans la rénovation urbaine : dispersion ou re-concentration ? » Espaces et Sociétés, n°140-141 : p. 59-74.

LelĂ©vrier, Christine et Brigitte Guigou. 2005. « Les incertitudes de la rĂ©sidentialisation. Transformation des espaces et rĂ©gulation des usages » in Haumont, Bernard et Alain Morel (dir.). La sociĂ©tĂ© des voisins. Partager un habitat collectif, p. 51-68. Paris : Éditions de la Maison des sciences de l’homme, coll. « Ethnologie de la France ».

LĂ©vy-Vroelant, Claire. 2007. « Le voisin et le politique : forces et faiblesse des espaces d’intersubjectivité » Les Cahiers de Rhizome, n°29 : p. 4-9.

Madec, Annick et Numa Murard. 1995. Citoyenneté et politiques sociales. Paris : Flammarion, coll. « Dominos ».

Mayol, Pierre. 1990. « Habiter » in Certeau, Michel de, Luce Giard et Pierre Mayol. L’invention du quotidien. 2. Habiter, cuisiner, p. 13-85. Paris : Gallimard

Morovich, Barbara. 2014. « Entre stigmates et mémoires : dynamiques paradoxales de la rénovation urbaine » Articulo. Journal of Urban Research, Special Issue 5.

Overney, Laetitia. 2014. « L’épreuve des démolitions à la Duchère : tactiques de résistance d’un collectif d’habitants » in Deboulet, Agnès et Christine Lelévrier. Rénovations urbaines en Europe : quelles pratiques ? Quels effets ?, p. 125-134. Rennes : Presses Universitaires de Rennes, coll. « Villes et Territoires ».

—. 2006. « La vigilance collective historique des habitants d’un grand ensemble : inquiĂ©tude Ă©veillĂ©e et maintenance d’un site d’expĂ©rimentation » in Roux, Jacques (coord.). ĂŠtre vigilant. L’opĂ©rativitĂ© discrète de la sociĂ©tĂ© du risque, p. 175-188. Saint-Étienne : Publications de l’UniversitĂ© de Saint-Étienne.

Pétonnet, Colette. 1968. Ces gens-là. Paris : Maspero.

—. 1979. On est tous dans le brouillard. Paris : Éditions Galilée.

—. 1982. Espaces habités. Ethnologie des banlieues. Paris : Éditions Galilée.

Sandrier, Jean-Claude. 2001. « Les associations et la politique de la ville » Rapport pour le premier-ministre Lionel Jospin.

Sélim, Monique. 1985. « Une cohabitation pluri-ethnique » in Althabe, Gérard, Christian Marcadet, Michèle de la Pradelle et Monique Sélim. Urbanisation et enjeux quotidiens. Terrains ethnologiques dans la France actuelle, p. 71-111. Paris : Éditions Anthropos.

Notes

[1] La Duchère reçoit le label national EcoQuartier en 2013.

[2] Extrait d’une lettre envoyĂ©e par une habitante en 2005 Ă  ZoĂ© Varier (France Inter), productrice de Nous autres, pour proposer une Ă©mission.

[3] Je me retrouve dans la dĂ©finition de l’ethnographie proposĂ©e par Daniel Cefaï : « une dĂ©marche d’enquĂŞte, qui s’appuie sur une observation prolongĂ©e, continue ou fractionnĂ©e, d’un milieu, de situations ou d’activitĂ©s, adossĂ©e Ă  des savoir-faire qui comprennent l’accès au(x) terrain(s) (se faire accepter, gagner la confiance, trouver sa place, savoir en sortir…), la prise de notes la plus dense et la plus prĂ©cise possible et/ou l’enregistrement audio ou vidĂ©o de sĂ©quences d’activitĂ©s in situ. Le cĹ“ur de la dĂ©marche s’appuie donc sur l’implication directe, Ă  la première personne, de l’enquĂŞteur (…) en tant qu’il observe, en y participant ou non, des actions ou des Ă©vĂ©nements en cours. Le principal mĂ©dium de l’enquĂŞte est ainsi l’expĂ©rience incarnĂ©e de l’enquĂŞteur » (CefaĂŻ, 2010, p. 7) – Je souligne.

[4] En 2001, c’est Pierrette Augier (Parti Socialiste) qui est maire de l’arrondissement, remplacĂ©e Ă  son dĂ©cès en 2003 par Hubert Julien-Laferrière (Parti Socialiste). En 2008, Alain Girodano (Les Verts) devient maire.

[5] Aucune inscription n’est nĂ©cessaire aux habitants pour participer aux rĂ©unions.

[6] Le lecteur peut consulter la convention ANRU pour le quartier de La Duchère ici. L’objectif est actuellement de 55% de logements sociaux, en 2019 – comme le lecteur peut le constater sur cette page.

[7] Depuis les années 1980, les comptes rendus sont réalisés par les animateurs et envoyés aux participants et aux institutions qui interviennent dans le quartier.

[8] Le travail de Marion Carrel se situe à cette interface entre habitants et institutions, et peut ainsi retracer de manière remarquable le jeu de relations réciproques (Carrel, 2004).

[9] Cette prise de parti correspond au sens qu’Antoine Hennion donne de l’attachement, une « technique collective pour se rendre sensible aux choses » (Hennion, 2009, p. 55).

[10] Pour un développement des arguments mobilisés pour défendre cette organisation, voir Overney (2006).

[11] En 1982, Colette PĂ©tonnet publie Espaces habitĂ©s. Ethnologie des banlieues, un texte Ă©crit en 1975 : « [Ă€ l’Ă©poque de l’enquĂŞte], il y avait pourtant urgence – pour autant que le rĂ´le de l’ethnologie soit d’explorer ce qui va pĂ©rir – Ă  examiner l’implantation des groupes avant d’en disperser les hommes, ou mieux – et rĂ´le exemplaire – Ă  s’efforcer de dĂ©gager les formules d’Ă©quilibre de leur construction » (PĂ©tonnet 1982, p. 10).

[12] La Rue du Moulin de la pointe, 25’, 1957 (INA). Le film, qui appartient Ă  la sĂ©rie Ă€ la dĂ©couverte des Français, est rĂ©alisĂ© par Roger Benamou et Jacques Krier, avec le concours de Chombart de Lauwe et du groupe d’ethnologie sociale du CNRS.

[13] L’article 17 des conventions avec l’ANRU, intitulĂ© « archives filmographiques et photographiques », incite Ă  « promouvoir toutes les initiatives locales de productions et de rĂ©alisations filmographiques ou photographiques dits « travaux de mĂ©moire » ». Le lecteur, on le rappelle, peut consulter la convention ANRU pour le quartier de La Duchère ici. Pour une critique de ces opĂ©rations mĂ©morielles, voir Morovich (2014).

Auteurs

Partenariat

Sérendipité.

This page as PDF