Ce petit livre est issu de la collaboration entre le Syndicat national des enseignements de second degré et le Groupe d’histoire sociale (revue européenne Histoire & Sociétés) qui a organisé lors des Rendez-vous de l’Histoire de Blois en octobre 2004 une journée d’étude sur l’enseignement en Europe de l’histoire des femmes.
Le point de départ de la journée d’étude et donc de l’ouvrage, est la constatation de l’écart entre la vitalité des études universitaires sur l’histoire des femmes et la quasi absence des résultats de cette recherche dans les manuels de l’enseignement secondaire.
S. Chaperon commence par faire le point sur l’histoire des femmes et du genre en France ; le reste de l’ouvrage présente une analyse des enjeux de cette histoire et de son enseignement dans quelques pays d’Europe.
Ainsi, près de trente ans après l’apparition de l’histoire des femmes dans la sphère universitaire, les manuels scolaires français (F. El Amrani) ne comptent que quelques lignes (plus rarement un dossier) sur les femmes, à l’occasion de la 1ère guerre mondiale par exemple ; mais la notion d’histoire du genre n’apparaît pas (S. Chaperon). Tableau quelque peu décourageant de l’enseignement français… peut être dû d’une part au phénomène de génération des auteurs de ces manuels formés pour la plupart dans les universités des années 80 où l’histoire du genre n’était pas enseignée, et d’autre part au constat d’une écriture trop souvent masculine de ces manuels ?
L’exemple espagnol (M. Yusta Rodrigo) s’il montre les évolutions récentes d’une société en pleine transformation, met aussi en évidence les freins traditionnels (rôle des Académiciens qui refusent l’évolution du langage) et le place que le politique peut prendre en imposant le terme de « violence de genre » dans un projet de loi sur les violences domestiques très présentes dans la société patriarcale espagnole.
Exemple déprimant que celui de l’enseignement de l’histoire en Russie aujourd’hui… tel que le présente I. Herrmann ; dans un tel contexte de dégradation des conditions de l’enseignement et de remise en cause du discours marxiste traditionnel (et du rôle donné aux femmes –du moins en théorie-), il n’est pas étonnant que l’histoire du genre ne soit pas développé ! Aussi, dans un présent aussi noir, le futur ne peut être que meilleur…
C’est cependant de Suisse que vient l’exemple le plus stimulant. Tout d’abord par l’initiative intéressante rapportée par C. Heimberg et V. Opériol, de ces jeunes lycéennes genevoises qui sollicitent une vision plus féminine de l’histoire enseignée et présentent au Parlement local une pétition à l’appui de leur demande. Demande sociale prise au sérieux par le pouvoir politique ainsi que par le pouvoir scolaire qui diffuse auprès des enseignants un ouvrage regroupant les biographies de plusieurs femmes. Cette réponse en partie inadéquate met en évidence les écarts de réflexion sur la question de l’histoire des femmes, la simple présentation de références historiques féminines est nécessaire mais est loin d’être suffisante. Néanmoins les auteurs ne se contentent pas de l’anecdote et proposent rapidement des pistes pédagogiques utilisables par les enseignants, d’une part pour remettre en cause les représentations trop bien ancrées dans les esprits, et d’autre part pour historiciser l’histoire des femmes pour faire comprendre que l’égalité des hommes et des femmes n’est pas un processus spontané mais le résultat d’un long combat.
Néanmoins, en dépit de ce dernier exemple, la lecture de l’ouvrage donne une vision assez négative de l’enseignement de l’histoire des femmes dans l’enseignement secondaire, Il est dommage d’ailleurs de ne pas avoir une présentation issue de l’un des pays du Nord de l’Europe qui aurait pu peut être apporter d’autres perspectives. Aussi, en dépit de la vitalité de la recherche, on constate une certaine impasse de l’histoire des femmes qui peine à s’imposer dans l’ensemble du monde universitaire et qui échoue à pénétrer dans l’histoire scolaire du secondaire ; il est donc temps aujourd’hui de développer une histoire des genres, une histoire bisexuée qui mêle hommes et femmes, féminités et masculinités, une histoire de leurs relations et de leurs constructions réciproques (A.M. Sohn).
La lecture de l’ouvrage met donc en évidence la nécessité de travailler encore davantage avec les enseignants et les enseignantes sur l’idée d’altérité et les représentations du masculin et du féminin. « Penser le féminin et le masculin est un élément fondamental de la construction de l’identité individuelle et collective des jeunes ». À l’intérieur du cours d’histoire, il faut donner une véritable place aux femmes, sans oublier d’évoquer les luttes qui mènent aujourd’hui à cette prise de conscience : « c’est cette historicisation qui peut faire acquérir la conviction que l’évolution est possible, que rien n’est déterminé ; elle autorise l’utopie de l’égalité » ainsi que l’a écrit il y a déjà plusieurs années Annie Rouquier, pionnière dans la diffusion de l’histoire des femmes dans l’enseignement secondaire. La diversité des situations présentées montre que rarement la situation s’améliore d’elle-même, il faut que les acteurs concernés, du pouvoir politique au pouvoir scolaire passent réellement à l’action et repensent les programmes, développent les formations auprès des enseignants sur ce thème et diffusent plus largement les publications qui existent déjà ; ainsi, s’il y a réellement demande, les éditeurs de manuels scolaires pourront passer commande à leurs auteurs d’une véritable histoire bi-sexuée…
Il faut souligner la qualité de la politique éditoriale du syndicat Fsu, d’autant plus remarquable que ses membres à la base ne se caractérisent pas toujours par leur capacité d’innovation et leur volonté d’intégrer les nouveautés de la recherche universitaire…
Au final, un livre passionnant et stimulant mais il est désolant de constater la faiblesse de la diffusion de l’ouvrage : quasiment aucune occurrence sur Google en dehors des mentions dans les sites syndicaux de la Fsu, il n’est même pas présent sur le site de l’éditeur Syllepse (certes le site est en rénovation)… mais ce petit livre mérite bien plus que cette confidentialité !
H. Latger J.F. Wagniart (coordination), S. Chaperon, F. El Amrani, C. Heimberg, I. Herrmann, F. Koch, C. Kohser-Spohn, V. Opériol, A.M. Sohn, M. Yusta Rodrigo, Des femmes sans histoire ? Enseignement en Europe, Éditions Syllepse/FSU, 2005. 136 pages. 6 euros.