En anglais, « feuille de route » se dit « road map ». Ce qui, dans une langue, correspond à une liste de tâches séquencée, exprimée en une dimension, devient, dans une autre, un document autrement plus complexe, en deux dimensions, et sans assignation évidente de la conduite à tenir. On comprend pourquoi c’est plutôt l’expression anglaise qui fait sens. On a dit aux protagonistes du conflit israélo-palestinien, non pas « Allez à cet endroit, ou dans cette direction », mais seulement : « Évoluez dans cet espace » – car la carte, nous le savons, définit un nouvel espace. C’était modeste et raisonnable, c’était encore trop. Entre des Israéliens criminels-de-guerre (pas tous, mais ils ont élu Sharon) et des Palestiniens criminels-contre-l’humanité (pas tous, mais ils protègent les terroristes) – ces deux qualifications sont documentées dans le World Report 2003 de l’ong Human Rights Watch – avec éventuelle option de code sharing, si affinité –, le « terrain » commun ne semble pourtant pas difficile à trouver. Le seul problème est que ce partage d’espace consiste à continuer à se massacrer comme on a toujours fait, en raffinant les techniques si possible, pour faire bonne figure dans l’émulation.
Cette carte est tout de même feuilletée en différentes strates : il n’y a pas que les checkpoints, les murs de « protection », les autobus ou les bars à faire sauter, les immeubles ou les voitures à bombarder ; il y a aussi les espaces mythiques, comme seules les communautés savent en fabriquer : réseaux mémoriels, lieux divins, aires ethniques, territoires géopolitiques. Lorsque la première couche donne des signes de faiblesse (par exemple, lorsque des négociations menacent d’aboutir sur la base d’une idée affreuse, le compromis), on mobilise la deuxième série. Quant à la troisième couche, elle est d’une simplicité radicale : des points sur la carte se renvoient indéfiniment les uns aux autres, s’activant en un clignotement infini, une formule sans appel : « T’es pas cap’ ! »
Si la phylogenèse répondait à l’ontogenèse, on aurait affaire à des enfants de quatre ans, ou plutôt à des gamins livrés à eux-mêmes et basculant dans l’horreur, tels qu’on les voit dans Sa majesté des mouches de William Golding. Effectivement, ces galapiats échoués en Terre Sainte [sic] – en fait des mogwaïs devenus gremlins parce qu’on leur a donné à manger après minuit avant de les arroser copieusement – n’ont pas de parents, seulement des parrains. Que fait la polis ?
Le dessinateur du Jerusalem Report en a été réduit à traiter la carte comme une métaphore. Il a ajouté une quatrième couche, où la carte cesse d’être une carte pour redevenir figurative (la colombe) et verbale (le point d’interrogation). S’il semble clair que la vieille bonne topographie/topologie des pays bordés de frontières franches a du mal à servir de fond de carte à nos exécrables concitoyens-voyous du Proche-Orient, il va bien falloir leur trouver une mé-trique qui les calme un peu avant qu’ils ne se retrouvent tous, définitivement, étendus sur l’étendue, et nous avec.
Dessin d’Avi Katz, The Jerusalem Report, repris dans Le Monde, 2 juillet 2003.