Systématisation du principe de connexion d’une réalité spatiale* à d’autres.
Par hyperspatialité , on désigne le rôle inédit et crucial de la connectivité communicationnelle, de la systématisation de la possibilité de connexion : comme on passe d’un site Internet à un autre, puis un autre encore, ad libitum, via des hyperliens, on peut de plus en plus lier tout espace à un autre, puis à un autre encore, par le truchement d’instruments d’hyperliaison communicationnelle – un Smartphone, un ordinateur personnel, un GPS, un terminal quelconque, etc. Voici un nouveau principe organisateur de la spatialisation des sociétés, qui infuse peu à peu le moindre compartiment de la vie des individus et des groupes. On reprend ici en la poussant plus avant une intuition de François Ascher , qui définissait nos sociétés, métaphoriquement, comme « hypertextuelles » ; elles sont en vérité, littéralement, hyperspatiales, ce dont nous commençons juste à prendre conscience.
Les grands commutateurs de la mobilité physique sont des espaces opérateurs de la cospatialité – le mode de relation entre des espaces occupant une même étendue, ou se recoupant en un même point. Aujourd’hui, en raison même des logiques de l’urbanisation, la cospatialité devient de plus en plus importante. Le développement des mobilités l’explique. Ainsi, via un échangeur routier, une gare, un aéroport, on commute aisément d’un espace l’autre. Mais par le truchement d’un téléphone portable, d’un branchement internet, on accède aussi à d’autres espaces, on assume un désir de maîtriser en même temps plusieurs espaces de taille différente. La cospatialité se mue en hyperspatialité , nouvelle forme d’interspatialité de plus en plus référentielle. Ainsi, les technologies communicationnelles hyperspatiales offrent la possibilité de transformer l’individu en commutateur spatial permanent. Il n’est pas certain que l’on soit en mesure d’appréhender l’impact de cette inflation de la commutation spatiale, qui pourrait, potentiellement, être partout où se trouvent les acteurs liés aux réseaux télécommunicationnels. En ce sens, si les transports localisent les commutateurs, la télé-communication les incarne. Alors que la mobilité physique est une dimension mature de l’organisation sociale et de la vie au quotidien, la télé-communication et l’hyperspatialité en cours de généralisation en constituent de nouveaux principes directeurs. Nous abordons en ce sens une époque post- mobilitaire, non pas que le mouvement et le déplacement aient perdu de leur importance, mais que nous entrons dans la phase d’après le grand tournant de la mobilisation matérielle des sociétés, avéré entre 1850 et 2000. Les fondements de subversion des cultures temporelles et spatiales se trouvent maintenant du côté du numérique, comme ils le furent auparavant du côté des transports. Et ce d’autant plus que, alors que se déplacer n’est pas toujours simple, et devient même parfois difficile pour des raisons économiques, sociales, politiques, communiquer n’a jamais été aussi facile et peu coûteux (comme le signale l’équipement téléphonique généralisé des individus dans les pays pauvres). Dans un Monde où les séparations reprennent du poil de la bête, la connexion communicationnelle devient plus évidente et élémentaire que celle permise par les circulations.
On peut ainsi penser le développement effréné de la télé-communication interindividuelle, grâce à des technologies web dont les performances croissent sans cesse, jusqu’à ce que se réalise ce à quoi aspirent aujourd’hui prescripteurs, industriels du secteur et usagers : que chacun se connecte à chacun en tout instant, en tout lieu, voilà une caractéristique promise du Monde nouveau. Il existe d’ores et déjà un véritable autre- espace communicationnel qui naît de la mise en lien, via des terminaux mobiles toujours plus puissants et légers (les téléphones, les tablettes, les ordinateurs…), des instruments classiques – télévision, radio, presse – bouleversés par la numérisation, et des outils du web. Via cette connectivité en cours de généralisation, un événement quelconque peut désormais entraîner des effets systémiques quasi- instantanés, dont les conséquences se matérialiseront bien loin de sa source. De cette évolution où les effets de la cospatialité mobilitaire et de l’hyperspatialité communicationnelle se renforcent mutuellement, procède aussi que l’urbain est marqué par l’illimitation.
Le temps des espaces finis est terminé – ce temps paisible où les campagnes et les villes se distinguaient nettement, étaient clairement séparées par des limites stables. L’urbanisation a composé des espaces en écumes, ou en rhizomes, si l’on préfère. Les « milles plateaux » dont Deleuze et Guattari avaient eu l’intuition sont ceux des organisations urbaines, des systèmes territoriaux, plates- formes aux multiples ramifications, liés en permanence à tous les autres, en même temps que les liens entre chaque composant de chaque système, et entre chaque composant d’un système et chaque composant d’un autre système sont aussi maximisés. C’est cela l’illimitation, non pas tant un marqueur physique qu’un symptôme de la montée en puissance du principe de la connexion généralisée entre toutes les réalités urbaines